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Sous le règne de Proca vivait une nymphe appelée Pomone, dont la passion exclusive était l’horticulture et les soins de son jardin ; fuyant toutes les avances masculines, elle interdisait à tous les dieux champêtres l’accès de son domaine, et elle fuyait aussi Vertumnus, le plus épris de ses nombreux prétendants. (14, 622-642)
Doté de l’art de se déguiser, Vertumnus cherchait à contempler de près sa bien-aimée, en se présentant sous une infinité d’aspects. Un jour, s’étant déguisé en vieille femme, il put s’introduire dans le jardin, s’approcher de Pomone, et gagner sa confiance. La vieille reprocha à la nymphe de fuir toute union amoureuse, et lui conseilla de choisir Vertumnus parmi tous ses prétendants, en lui vantant toutes ses qualités (constance, sérieux, beauté, fidélité, goût pour les jardins, etc...). Ainsi il plaidait habilement sa propre cause sous une fausse apparence et tentait de convaincre Pomone en proposant de lui raconter une histoire, qui devrait la mettre en garde contre le risque de mécontenter des divinités comme Aphrodite et Némésis. (14, 643-697)
Désormais Proca régnait sur la nation du Palatin.
Sous ce roi, vivait Pomone : des Hamadryades du Latium,
nulle plus habilement qu’elle ne soigne les jardins ;
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nulle autre ne montre plus d’intérêt pour les fruits des arbres,
d’où elle tient son nom. Elle n’aime ni les forêts ni les rivières,
mais la campagne et les branches chargées de fruits savoureux.
Sa main ne porte pas de lourd javelot mais une faucille recourbée,
tantôt freinant la luxuriance des plantes et retenant des pousses
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qui s’avancent en tous sens, tantôt insérant dans une écorce fendue
un greffon qui fournit ainsi de la sève à un porte-greffe étranger.
Elle ne laisse pas souffrir de la soif les plantes qui se flétrissent
et déverse une eau abondante sur leurs racines altérées.
C’est là son amour, sa passion. Même Vénus ne lui inspire nul désir.
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Mais craignant les attaques des dieux champêtres, elle ferme son verger
de l’intérieur, en interdit l’accès aux dieux de sexe mâle, et les fuit.
Que n’ont pas fait les Satyres, cette jeunesse apte aux bonds,
et les Pans, aux cornes entourées de branches de pin,
et Silène aussi, toujours plus vert que ne le voudrait son âge,
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et ce dieu qui effraie les voleurs avec sa faulx ou son membre,
pour s’emparer d’elle ? C’est un fait que par la force de son amour,
Vertumnus l’emportait sur eux aussi, sans être plus heureux qu’eux.
Ah ! que de fois sous la tenue d’un rude moissonneur, il porta des épis
dans une corbeille, prenant l’apparence d’un vrai moissonneur !
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Comme souvent ses tempes étaient ceintes de foin frais coupé,
on pouvait croire qu’il avait fauché et remué de l’herbe.
Souvent dans sa main ferme, il tenait un aiguillon
et on aurait juré qu’il venait de dételer des bœufs épuisés.
Lui donnait-on une serpe, c’était un émondeur et un élagueur de vignes ;
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était-il chargé d’une échelle, on aurait pensé qu’il allait cueillir des fruits ;
avec un glaive, c’était un soldat, avec un roseau, un pêcheur.
Enfin, grâce à ses multiples déguisements, il se ménagea
le moyen de saisir la joie de contempler la beauté aimée.
S’étant même ceint les tempes d’un bandeau brodé,
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appuyé sur un bâton, les tempes couvertes de cheveux blancs,
il feignit d’être une vieille femme, pénétra dans les jardins soignés
et en admira les fruits : « C’est tellement formidable ! », dit-il,
et il donna à celle qu’il louait quelques baisers comme jamais
n’en aurait donné une véritable vieille femme ; puis il s’assit à terre,
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tout courbé, regardant les branches ployant sous le poids de l’automne.
En face il y avait un orme tout brillant de raisins éclatants.
Après avoir loué l’arbre autant que la vigne qui lui était associée,
il dit : « S’il restait dressé, tronc solitaire sans sarment de vigne,
il ne porterait que des feuilles ; rien ne le rendrait attirant.
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La vigne aussi, qui lui est unie, se repose sur l’orme ;
si elle n’avait pas été mariée avec lui, elle serait couchée à terre.
Toi pourtant, tu es insensible à l’exemple de cet arbre,
tu fuis les rencontres et tu ne te soucies pas de mariage.
Ah ! Si tu voulais ! Hélène n’aurait pas eu plus de prétendants
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pour la courtiser, ni non plus celle qui fit se battre les Lapithes,
ni même l’épouse du trop audacieux Ulysse. Maintenant même,
alors que tu fuis et que tu décourages tes prétendants,
une foule d’hommes te désirent, et des semi-dieux et des dieux,
et toutes les divinités qui habitent les monts Albains.
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Mais si tu es sage, si tu veux faire un bon mariage
et écouter la vieille que je suis, moi qui t’aime plus que tous,
plus que tu ne le crois, rejette des flambeaux vulgaires,
et choisis-toi Vertumnus pour partager ton lit. Pour lui,
je me porte garant devant toi. Il ne se connaît pas mieux
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que je ne le connais ; il n’erre pas à l’aventure à travers le monde ;
il réside en ces seuls lieux ; et, comme la plupart des amants,
il ne s’éprend pas de celle qu’il vient de voir ; c’est toi qui seras
son premier et son ultime amour, et il te vouera sa vie, à toi seule.
Ajoute à cela qu’il est jeune, doté d’une beauté naturelle,
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et apte à simuler parfaitement toutes les formes ; il deviendra
ce qu’on lui ordonnera : libre à toi d’ordonner tout ce que tu voudras.
N’aimez-vous pas aussi les mêmes choses ? Les fruits que tu cultives,
il est le premier à les avoir et heureux de tenir en main tes présents ?
Mais désormais, ce ne sont plus les fruits des arbres qu’il désire
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ni les plantes aux jus suaves qui poussent dans ton jardin,
ni quoi que ce soit, rien sinon toi. Aie pitié de son ardeur
et crois qu’il est présent en personne, te suppliant par ma bouche.
Redoute les dieux vengeurs, et la déesse d’Idalie qui prend en haine
les cœurs insensibles, et la colère tenace de la déesse de Rhamnonte !
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Et pour t’effrayer davantage – car ma vieillesse m’a donné de savoir
des tas de choses –, je te raconterai des faits connus de tout Chypre,
et qui pourraient te fléchir facilement et t’adoucir. »
Iphis, d’origine modeste, est violemment épris de la jeune Anaxarété, de naissance noble. Il fait tout pour l’approcher mais elle dédaigne et repousse cruellement ses avances. Ne pouvant supporter son dédain, il lui annonce qu’il va se suicider sous ses yeux, pour accomplir au moins un acte qu’elle pourra apprécier. En outre il attend aussi de son geste spectaculaire une célébrité posthume. (14, 698-732)
Il se pend alors à la porte de la jeune fille. Le cadavre d’Iphis est ramené à sa mère éplorée, et quand le convoi funèbre passe devant la demeure d’Anaxarété, la jeune fille qui le regarde du haut de sa maison est soudain pétrifiée, à l’image de son cœur de pierre. (14, 733-758)
Par ce conte, Vertumnus toujours déguisé en vieille femme, a tenté de pousser Pomone à changer d’avis, mais sans succès. Toutefois, quand il reprend sa forme première, il n’a nul besoin de recourir à la violence, car Pomone séduite lui tombe dans les bras. (14, 759-771)
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Iphis, né dans une famille d’origine modeste, avait aperçu
la noble Anaxarété, descendante du sang de l’antique Teucer ;
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il l’avait aperçue et avait senti un feu envahir tous ses os.
Malgré un long combat, sa raison ne put vaincre sa folle passion,
et il vint se présenter en suppliant au seuil de la jeune fille.
Tantôt, il avouait à la nourrice son amour malheureux et la priait
d’être sans dureté pour lui au nom de ses espoirs en sa protégée ;
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tantôt il cherchait à flatter chacune des nombreuses servantes
et d’une voix anxieuse leur demandait leur aide bienveillante ;
souvent il donnait à transmettre de tendres messages sur des tablettes ;
parfois il suspendait à sa porte des guirlandes tout humides de la rosée
de ses larmes et, mollement étendu sur son seuil de pierre,
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plein de tristesse, il accablait la serrure de ses invectives.
Mais elle, plus cruelle que la mer soulevée au coucher des Chevreaux,
plus dure même que le fer, traité au feu du Norique,
et que la roche encore retenue vivante dans le sol,
elle le dédaigne et le raille. À cette attitude peu aimable, la cruelle
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ajoute des paroles hautaines et interdit même tout espoir à son amant.
À bout de patience, Iphis ne supporta pas longtemps les tourments
de la douleur et, devant la porte, il prononça ces ultimes paroles :
“ Tu as gagné, Anaxarété, et désormais tu n’auras plus à souffrir
de ton aversion à mon égard. Prépare de joyeux triomphes,
appelle Péan et ceins ton front de brillant laurier.
Tu l’emportes et je meurs volontairement ; va, cœur de fer, réjouis-toi.
Au moins dans mon amour tu auras à louer quelque chose
qui me vaudrait ta reconnaissance, et tu reconnaîtras mon mérite.
Pourtant souviens-toi que mon amour pour toi n’a cessé qu’avec ma vie
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et que un même instant doit me priver d’une double lumière.
L’annonce de ma mort ne te parviendra pas par la rumeur ;
je serai là, en personne, présent, n’en doute pas ; tu me verras,
et ainsi tes regards cruels se repaîtront de mon corps sans vie.
Toutefois, ô dieux, si vous voyez les actes des mortels,
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souvenez-vous de moi – ma langue ne peut prier davantage –
faites que longtemps dans l’avenir l’on parle de nous,
et le temps que vous avez ôté à ma vie, accordez-le à ma mémoire ”.
Il dit, puis levant ses yeux humides et ses bras livides
vers la porte qu’il avait souvent ornée de couronnes,
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il fixa en haut des battants des lacets formant un nœud coulant,
et dit : “ Ces guirlandes te plaisent-elles, fille cruelle et impie ? ”
Il y introduisit la tête (mais alors encore, il était tourné vers elle),
et resta suspendu, le malheureux, la gorge étranglée par son poids.
Ses pieds en bougeant avaient frappé la porte qui sembla émettre
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un son tremblant et de longues plaintes, avant de s’ouvrir sur le drame.
Les serviteurs poussent un cri et détachent en vain le corps d’Iphis ;
comme son père était mort, ils le rapportent à la demeure de sa mère.
Celle-ci reçut sur son cœur les membres glacés de son fils
et les serra dans ses bras, après avoir prononcé les paroles
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des parents endeuillés et fait les gestes des mères malheureuses.
En pleurs, elle conduisit le convoi funèbre à travers la ville
et fit porter son cadavre livide sur le lit funèbre destiné au bûcher.
La maison d’Anaxarété était justement voisine de la rue que suivait
le triste convoi, et le bruit des lamentations frappa les oreilles
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de la fille insensible, déjà agitée par le dieu de la vengeance.
Touchée pourtant, elle dit : “ Voyons ce malheureux cortège ”,
et gagna le sommet de la maison, percé de larges baies.
Elle avait à peine vu de loin le cadavre d’Iphis étendu sur le lit funèbre,
que ses regards se figèrent et que le sang qui lui donnait sa chaleur
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abandonna son corps, provoquant sa pâleur. Elle tenta de reculer,
mais resta les pieds collés au sol ; elle tenta de tourner la tête,
mais ne put le faire non plus. Et peu à peu la pierre qui se trouvait
depuis longtemps dans son cœur insensible gagna ses membres.
Ne crois pas que c’est une fable : une statue de la maîtresse d’Iphis
existe encore à Salamine, qui possède aussi un temple de Vénus,
nommée Vénus « aux aguets ». Souviens-toi de ces faits, je t’en prie,
ô ma nymphe, oublie ton orgueil tenace, et unis-toi à celui qui t’aime.
Puissent ainsi les gelées printanières ne pas brûler les fruits naissants,
et les rafales de vent ne pas malmener les arbres en fleurs. »
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Lorsque le dieu, travesti en vieille femme, eut raconté cette histoire
sans succès, il reprit son allure de jeune homme, quitta ses effets
de vieille femme, et apparut à Pomone tel le soleil,
lorsque, tout resplendissant, il a triomphé des nuages
qui lui voilaient la face et brille sans aucun obstacle.
770
Il se prépare à la violence ; mais la violence n’est pas nécessaire :
la figure du dieu séduit la nymphe, qui ressent les mêmes blessures.
Au temps d’Amulius et de Numitor à Albe, Romulus fonda les murs de la ville de Rome, qui subit bientôt les assauts des Sabins de Titus Tatius. Ceux-ci faillirent conquérir la citadelle romaine suite à la trahison de Tarpéia et à l’intervention de Junon. Pour secourir les Romains, Vénus obtient le concours des Naïades d’une source proche du temple de Janus. Les Nymphes commencent par faire couler abondamment leur source, qui se répand en différents bras qui se transforment ensuite en coulées de feu. Ainsi Rome fut sauvée de l’invasion sabine par la métamorphose des eaux d’une source en coulées de feu. (14, 772-795)
Enfin, après leur échec, les Sabins sont affrontés à Romulus dans une guerre très éprouvante qui aboutit à un accord de paix instaurant un partage de la royauté entre Romulus et Tatius. (14, 796-804)
Bientôt après, l’injuste Amulius régna par les armes
sur l’opulente Ausonie ; le vieux Numitor recupère le trône perdu,
que lui offre en présent son petit-fils, et au cours des fêtes de Palès,
sont fondées les murailles de la ville. Tatius et les sénateurs Sabins
y portent la guerre et Tarpeia, qui leur avait ouvert la voie de la citadelle,
périt sous le monceau de leurs armes, subissant un châtiment mérité.
Ensuite, des habitants de Cures, se gardant d’ouvrir la bouche,
tels des loups silencieux s’attaquent aux ennemis endormis
780
et gagnent les portes qu’avait fermées à l’aide d’une barre solide
le fils d’Ilia ; mais la fille de Saturne elle-même en ouvrit une,
qui ne fit entendre aucun bruit en tournant sur ses gonds.
Vénus fut seule à remarquer que les barres étaient tombées,
et elle aurait refermé la porte, si les dieux ne se voyaient interdire
785
d’annuler jamais les actes d’autres dieux. Près du temple de Janus,
les Naïades d’Ausonie habitaient un lieu près d’une source fraîche ;
Vénus les prie de l’aider ; à cette juste demande de la déesse,
les nymphes acquiescent et font jaillir de leur source des bras
aux flots abondants ; cependant, le temple de Janus étant ouvert,
790
le passage était encore possible, car les eaux ne l’avaient pas fermé ;
les nymphes placent du soufre blafard à la base de la source féconde
et avec du bitume fumant elles mettent le feu au creux de ses coulées.
Avec la puissance de ces substances diverses, la vapeur gagna
les profondeurs et vous, ondes, qui naguère osiez rivaliser
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avec le froid des Alpes, vous ne le cédez en rien au feu lui-même.
Le double portail du temple est enfumé sous ce ruissellement de feu ;
et la porte de la cité, vainement promise aux inflexibles Sabins,
c’est une source nouvelle qui la défend, laissant aux troupes de Mars
le temps de revêtir leurs armes ; plus tard, Romulus prit l’initiative
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de les lancer dans la bataille ; et le sol de Rome fut couvert alors
de cadavres des Sabins, couvert aussi de cadavres des siens,
et un glaive impie mélangea le sang des beaux-pères et des gendres.
Cependant on décide de mettre fin à la guerre par un traité de paix,
de cesser jusqu’à l’usure la lutte armée, et de laisser Tatius accéder au trône.
Tatius mort, Romulus régnait sur les Romains et les Sabins quand Mars rappela à Jupiter sa promesse de porter Romulus au rang des dieux. Avec l’accord de Jupiter, Mars vint enlever pour l’emmener au ciel le roi de Rome, au moment où il rendait la justice sur le Palatin. Et au corps du roi disparu, on substitua une statue digne d’un dieu, en l’occurrence celle de Quirinus revêtu de la trabée. (14, 805-828)
Hersilie, l’épouse éplorée de Romulus, reçoit par l’intermédiaire d’Iris un message de Junon, lui disant de cesser de pleurer et de se rendre dans le temple de Quirinus, où elle demande à Iris la faveur d’apercevoir son époux. Parvenue sur le Palatin, elle est emportée dans les airs par un astre éclatant tombé du ciel. Cet astre n’est autre que Romulus-Quirinus, qui a changé Hersilie en déesse, désormais nommée Hora. (14, 829-851)
Tatius était mort, et toi, Romulus tu octroyais aux deux peuples
des droits égaux, lorsque Mavors, ayant posé son casque,
s’adresse en ces termes au père des dieux et des hommes :
« Ô père, puisque le pouvoir romain, avec ses bases solides,
est très fort et ne dépend plus uniquement de son souverain,
810
c’est le temps de la récompense promise, à moi et à ton petit-fils :
il est digne d’être enlevé de la terre et établi dans le ciel.
Un jour, en présence de l’assemblée des dieux, tu as dit
– oui, je retiens tes paroles sacrées, notées dans ma mémoire – :
“ Il y en aura un seul que tu enlèveras dans l’azur du ciel ” ;
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puisse l’ensemble de tes paroles s’accomplir ! »
Le tout-puissant approuva de la tête. Alors de sombres nuages
obscurcirent les airs, le tonnerre et la foudre terrorisèrent l’univers.
À ces signes, Gradivus comprit qu’était acquis l’enlèvement promis.
Appuyé sur sa lance, il monte sur son char au timon ensanglanté,
et intrépide, stimule son attelage d’un claquement de fouet.
Penché en avant, il se laisse glisser dans l’air,
pour s’arrêter au sommet du mont arboré du Palatin ;
et il enleva le fils d’Ilia, au moment où, en roi, il rendait la justice
à son peuple de Quirites. Son corps mortel se désagrégea,
à travers l’air léger, comme se dissout en plein ciel
une balle de plomb, lancée par une large fronde.
Une figure magnifique prend sa place, bien digne des coussins
réservés aux statues des dieux, et figurant Quirinus en trabée.
Son épouse le pleurait, le croyant perdu, quand la royale Junon
830
ordonne à Iris de descendre par son sentier en arc auprès d’Hersilie
et la charge de transmettre à la veuve un message de sa part :
« Ô matrone, toi, le principal honneur de la nation des Latins
et de celle des Sabins, très digne d’avoir été d’abord l’épouse
d’un si grand héros, et d’être maintenant celle de Quirinus,
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cesse de pleurer, et si ton désir est de voir ton époux,
suis-moi, rends-toi sur la colline de Quirinus, dans le bois sacré
qui ombrage de sa verdure le temple du roi des Romains. »
Iris obéit et, descendue sur la terre en empruntant son arc coloré,
elle adresse à Hersilie le message qui lui avait été prescrit.
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Celle-ci, très respectueuse, osant à peine lever les yeux, dit :
« Ô déesse, – car pour moi, s’il n’est pas facile de dire qui tu es,
tu es à l’évidence une déesse, – ô oui, conduis-moi, et montre-moi
le visage de mon époux. Si les destins me permettent de le voir
ne fût-ce qu’une fois, je déclarerai que le ciel m’a été offert ! »
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Et sans tarder, elle monte, avec la fille de Thaumas
sur la colline de Romulus ; là, un astre descendu de l’éther
tomba sur la terre ; la chevelure de Hersilie s’embrasa
à cause de l’éclat de l’astre, et s’en alla avec lui dans les airs.
Dans ses bras qu’elle connaît bien, le fondateur de Rome l’accueille,
et il change son nom d’antan en même temps qu’il change son corps,
et l’appelle Hora, la déesse associée maintenant à Quirinus.
Proca... Palatin (14, 622). Proca fait partie des derniers rois albains légendaires dont Ovide a présenté la liste en Mét., 14, 609-621. Proca est le fils d’Aventinus, et le père d’Amulius et de Numitor. Rome n’a pas encore été fondée par Romulus, mais la zone est déjà habitée : Ovide a parlé un peu plus haut d’Évandre et de ses remparts (Mét., 14, 456), qui, comme on le sait notamment par Virgile (Én., 8, 97-368), occupaient le Palatin. L’expression « Proca régnait sur la nation du Palatin » est donc un peu particulière. Ovide veut simplement parler de Rome.
Pomone (14, 623). Pomone était une très ancienne divinité romaine qui veillait sur les fruits. On ne sait pas grand chose sur elle, sinon qu’elle disposait d’un flamine et d’un bois sacré, le Pomonal, sur la route de Rome à Ostie. La légende de cette divinité champêtre est surtout connue par ce passage d’Ovide, qui la lie à Vertumnus.
Hamadryades (14, 623). Les Hamadryades (mot emprunté au grec) sont les nymphes des arbres, parmi lesquelles Ovide range Pomone.
dieux champêtres (14, 635). Ovide va les énumérer aux vers 637-639, d’une manière qui rappelle les Mét., 1, 192-193, où on lit : « J’ai pour moi les demi-dieux, les divinités rustiques, / Nymphes, Faunes, Satyres, et Silvains, habitants des montagnes ». Ces divinités rustiques secondaires habitent la terre, n’ayant pas été jugées dignes de l’honneur du ciel. Les Hamadryades sont féminines ; celles qui vont être citées sont masculines, et l’accent sera mis sur leur intérêt pour le sexe.
Satyres (14, 637). Personnages de la mythologie grecque, les Satyres sont des divinités champêtres mi-humaines, mi-animales, qu’on rencontre dans les endroits sauvages et qui symbolisent « la fécondité, l’énergie vitale de la nature » (J.-Cl. Belfiore).
Pans (14, 638). Il a déjà été question plus haut (Mét., 14, 515) du Pan grec, identifié au Faunus latin. Le pluriel, Panes, résultat de la « multiplication » du dieu, est utilisé en latin pour désigner les divinités champêtres qui font partie du cortège de Pan. On trouve aussi dans ce sens le terme latin Fauni (les Faunes), issu lui de la « multiplication » du dieu Faunus, le correspondant de Pan.
Silène (14, 639). Il a déjà été question de Silène plus haut (Mét., 11, 90 avec la note). Comme nom propre, Silène, fils d’Hermès (ou de Pan) et d’une nymphe, est une figure burlesque de vieillard, toujours amoureux, faisant partie du cortège de Dionysos-Bacchus-Liber. En tant que nom commun, le mot silène désigne un satyre devenu vieux. Le personnage était représenté sous les traits d’un vieillard, « mais il avait toute la pétulance d’un jeune homme vigoureux » (G. Lafaye).
ce dieu qui effraie (14, 640). C’est le Priape ithyphallique, qui servait d’épouvantail dans les jardins. Voir Mét., 9, 347, et Fastes (1, 415-416)
Vertumnus (14, 642). Vertumnus (ou Vortumnus) est considéré parfois comme d’origine étrusque. Lié au verbe uertere (« tourner, changer », il patronnerait les cycles des saisons. Voir Fastes, 6, 409-410, avec note détaillée. Il était doué de l’art de se métamorphoser, ce qui a manifestement excité l’imagination d’Ovide dans le présent récit.
tronc solitaire (14, 663). « C’est encore l’usage en Italie de faire courir la vigne d’arbre en arbre » (J. Chamonard).
Hélène (14, 669). C’est la belle Hélène de Troie, séductrice réputée.
Lapithes (14, 670). On sait que les fameux combats qui opposèrent les Lapithes et les Centaures ont eu pour cause l’enlèvement d’Hippodamie, l’épouse de Pirithoüs, par le Centaure Eurytos (voir Mét., 12, 210-234).
l’épouse... d’Ulysse (14, 671). Pénélope, dont la résistance aux prétendants, est bien connue.
monts Albains (14, 674). Les collines voisines de Rome, du côté d’Albe-la-Longue, dont Proca est le roi (cfr v. 622).
flambeaux (14, 677). Les torches nuptiales, synonyme ici de mariage.
déesse d’Idalie (14, 693). Idalium est une ville de Chypre, célèbre pour son culte de Aphrodite/Vénus, la déesse de l’amour.
Rhamnonte (14, 694). Rhamnonte, petite ville proche de Marathon, en Attique, était connue pour son sanctuaire à Némésis, déesse grecque personnifiant la vengeance divine, puissance chargée d’abattre toute démesure.
Iphis... Anaxarété (14, 698-9). Deux protagonistes d’une légende chypriote. Iphis, jeune chypriote d’origine modeste, est vivement épris d’Anaxarété, jeune fille noble, descendant de Teucer, le fondateur de Salamis de Chypre (où se dresse une statue d’Anaxérété ; cfr 14, 759-761). Ovide semble être le seul à nous avoir transmis cette histoire avec les noms d’Iphis et Anaxarété. Mais on trouve chez Antoninus Liberalis, 39, un récit un peu parallèle, avec des protagonistes nommés Arcéophon et Arsinoé, et chez Plutarque, Amator. 20, 12 (Moralia, 766cf) où les protagonistes sont appelés Euxynthétos et Leucomantis.
la serrure (14, 710). Les invectives d’un amant devant la porte fermée d’une femme aimée sont un « topos » courant de la poésie élégiaque.
coucher des Chevreaux (14, 711). Étoiles de la constellation du Cocher, dont le coucher annonçait des orages.
Norique (14, 712). Région montagneuse d’Europe centrale, sur la rive droite du Danube, réputée pour ses mines de fer. (J. Chamonard)
Péan (14, 720). Ici, le péan est synonyme de chant d’allégresse, comme chez Homère, Il., 22, 391-2, le chant des Achéens après la mort d’Hector. Par ailleurs, Péan était le médecin des dieux, et désignait généralement Apollon, dieu-médecin (Mét., 1, 566).
les gestes des mères malheureuses (14, 745). « Elle s’arrache les cheveux et se meurtrit le sein, selon l’usage » (J. Chamonard).
destiné au bûcher (14, 747). « Le brancard, sur lequel avait été porté le corps à découvert, était brûlé avec lui, à la fin de la cérémonie » (J. Chamonard).
Ne crois pas... (14, 759). C’est Vertumnus, sous les traits de la vieille, qui s’adresse à Pomone.
la maîtresse d’Iphis (14, 759). Vénus.
Vénus « aux aguets » (14, 761). Ou Vénus « Spectatrice ». Ovide rend par le terme latin Prospiciens le terme grec Parakuptousa employé par Plutarque (Amator. 20, 12) « et qui signifie ‘la tête penchée en avant’ (pour regarder ou entendre). Il y avait sans doute, dans un temple de Salamine, une statue d’Aphrodite ayant cette attitude [...] à laquelle on avait rattaché la légende d’Anaxarété » (J. Chamonard).
Amulius... Numitor (14, 772-773). Ovide revient, par des allusions très brèves, à la légende des origines de Rome (« La Rome avant Rome »), dont la version la plus connue nous a été transmise par Tite-Live, 1, 5-6. Numitor, successeur de Proca sur le trône d’Albe, est évincé par son frère Amulius. Mais l’usurpateur est finalement assassiné par les petits-fils de Numitor, Romulus et Rémus, devenus adultes, qui rétablissent Numitor sur le trône d’Albe, et fondent la ville de Rome.
Palès (14, 774). Les Palilia ou Parilia, fêtes en l’honneur de Palès, une divinité champêtre protectrice des troupeaux, étaient célébrées le 21 avril, date conventionnelle considérée comme celle de la fondation de Rome (voir Fastes, 4, 806-862)
Tatius... Cures (14, 775-778). Tatius est le roi des Sabins de la région de Cures, qui, pour venger le rapt des Sabines, déclarèrent la guerre aux Romains de Romulus (Tite-Live, 1, 9, 8-16).
Tarpeia (14, 776). Jeune romaine, fille du commandant de la Citadelle de Rome, avait, par amour de l’or ou par amour pour Tatius, trahi sa patrie et introduit les ennemis dans la place. Ces derniers, quand elle demanda pour prix de sa trahison « ce qu’ils portaient au bras gauche », c’est-à-dire des bijoux, la châtièrent en l’écrasant sous leurs boucliers. (Tite-Live, 1, 11, 5-9).
fils d’Ilia (14, 781). Romulus est le fils de Mars et d’Ilia (ou Rhéa Silvia), fille de Numitor. Cfr infra la n. au v. 806.
fille de Saturne (14, 781). C’est Junon qu’Ovide, à l’exemple de Virgile dans l’Énéide, montre pleine d’hostilité envers les Romains, descendants des Troyens. Elle s’oppose à Vénus (v. 783), toujours prête à défendre les descendants de son fils Énée.
Près du temple... (14, 785). La légende abordée ici, celle du sauvetage de la ville par les Nymphes d’une source, ne semble rapportée que par Ovide, à deux reprises, mais la version des Métamorphoses est légèrement différente de celle des Fastes (1, 265-275). Elle sera reprise plus tard par Macrobe (Saturnales, 1, 17-18) et s’inscrit bien ici dans le thème des Métamorphoses. Il est difficile de déterminer l’origine exacte de cette légende. Si l’on en croit Varron (De la langue latine, 5, 156), une source d’eau chaude (les Lautulae) aurait existé jadis dans les environs immédiats du sanctuaire ; ce détail aurait pu fournir un support matériel à la légende, à moins qu’il n’existe un lien plus essentiel entre Janus et les eaux.
Janus (14, 789). Sur Janus en général, voir Fastes, 1, 63-294, et plus spécialement les vers 255-288 avec les notes, concernant l’épisode de la source sulfureuse évoqué ici.
traité de paix (14, 804). C’est le fameux traité conclu entre le Romain Romulus et le Sabin Titus Tatius après la réconciliation obtenue par l’intervention des Sabines. Il instaurait notamment la fusion des deux peuples et la royauté double (Tite-Live, 1, 13, 4-8).
Mavors (14, 806). Nom parfois donné à Mars, dieu de la guerre. La légende fait du dieu Mars le père des jumeaux Romulus et Rémus. En effet, Ilia/Rhéa Silvia, la fille de Numitor, devenue Vestale et donc contrainte à la virginité par décision de son oncle Amulius qui voulait empêcher son frère Numitor d’avoir une descendance, avait été engrossée par le dieu Mars, et avait mis au monde les jumeaux. (Tite-Live, 1, 4, 1-3). Les vers 805-828 racontent l’apothéose de Romulus, dont on trouvera une version un peu différente chez Tite-Live (1, 16).
timon ensanglanté (14, 819). Le char du dieu est couvert du sang des batailles.
Gradivus (14, 820). Épithète appliquée à Mars chez les Romains. Voir Mét., 6, 427 et la note avec d’autres liens.
Quirites (14, 824). « À l’origine, les Quirites, venus de Cures (v. 778) représentaient dans la population de Rome l’élément proprement sabin. Depuis la mort de Tatius (v. 805), ils n’ont plus d’autre chef que Romulus et ne font plus qu’un avec les Romains, à qui ils donnent leur nom » (J. Chamonard). Le nom désigne les citoyens romains. En d’autres termes, Romulus rendait la justice au peuple romain.
coussins (14, 827). Le mot latin puluinar désigne un coussin de lit sur lequel on plaçait les statues des dieux auxquels on offrait un festin rituel, appelé lectisternium.
Quirinus en trabée (14, 828). Quirinus est une vieille divinité romaine à laquelle fut assimilé Romulus divinisé. La trabée était un « manteau blanc orné de bandes de pourpre, servant aux rois » (F. Gaffiot - P. Flobert). Romulus, devenu le dieu Quirinus, conserve donc son manteau de roi.
Iris (14, 830). Iris, associée à l’arc en ciel, est la messagère des dieux, et particulièrement de Junon. On l’a vue plus haut dans ce rôle (Mét., 14, 85). Cfr aussi Mét. 1, 271 ; 4, 480 et 11, 616.
Hersilie (14, 830). Hersilie est une des Sabines enlevées par les Romains. Selon la version de la légende retenue ici, elle épousa Romulus, et après l’apothéose de celui-ci, elle fut elle aussi enlevée au ciel et associée à son culte sous le nom d’Hora (v. 851).
colline de Quirinus (14, 836). Quirinus avait son temple sur la colline du Quirinal.
fille de Thaumas (14, 845). Iris est la fille du Titan Thaumas et de l’Océanide Électre. Sur Iris, voir note au vers 14, 830.
la colline de Romulus (14, 846). La colline de Romulus divinisé, c’est-à-dire le Quirinal (cfr n. au vers. 836).
Hora (14, 851). La religion romaine rattachait à certaines divinités des entités féminines, qui en exprimaient un aspect ou un mode d’action essentiel : on rencontrait ainsi des ensembles du type Salacia Neptuni, Maia Volcani, Hora Quirini, Virites Quirini (G. Dumézil, Religion romaine archaïque, 1974, p. 399). On ne sait pas ce que les Romains entendaient exactement par Hora Quirini, mais une partie de la tradition y a vu l’épouse de Quirinus-Romulus, c’est-à-dire Hersilie. Inutile de préciser qu’avec ces constructions, on n’est pas dans le domaine de la religion romaine, mais dans celui des jeux littéraires.