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Alcyoné attendait impatiemment le retour de Céyx et invoquait pour lui les dieux, surtout Junon. Mais cette dernière, pour éviter le risque d’une souillure, veut avertir Alcyoné de la mort de Céyx par l’intermédiaire d’un Songe, et elle charge Iris de transmettre son ordre au Sommeil, qui le fera exécuter. (11, 573-591)
L’antre du Sommeil se trouve dans un pays lointain, dans une grotte retirée et obscure, bercée seulement par le murmure du Léthé et dont l’entrée, dépourvue de porte et de gardien, est défendue par des plantes soporifiques. Au centre de la grotte se dresse le lit du seigneur des lieux, le Sommeil, entouré de ses innombrables fils, les Songes. (11, 592-615)
Iris tire Sommeil de sa torpeur et, sans lui ménager ses compliments, lui communique l’ordre de Junon, lui intimant d’envoyer à Trachis un Songe qui se présenterait à Alcyoné sous les traits de Céyx naufragé. Puis elle s’empresse de regagner le ciel. (11, 616-632)
Cependant, la fille d’Éole, dans l’ignorance d’un si grand malheur,
décompte les nuits et déjà prépare en hâte les habits qu’il revêtira,
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et ceux qu’elle portera, elle, lorsqu’il sera revenu ;
elle se réjouit de ce retour, bien inutilement espéré.
Pieusement elle offrait de l’encens à tous les dieux, mais surtout,
avant tous les autres, à Junon, dont elle fréquentait le temple,
s’approchant de ses autels, en faveur d’un mari qui n’était plus.
Elle émettait le vœu que son époux lui revienne sain et sauf,
sans qu’il lui préfère aucune autre femme ; mais pour elle,
parmi tant de ses souhaits, seul le dernier était réalisable.
La déesse ne supporta pas plus longtemps d’être invoquée
pour un mort et, afin d’écarter de ses autels des mains souillées,
elle dit : « Iris, très fidèle messagère de mes commandements,
hâte-toi de te rendre au palais endormi où réside le Sommeil
et ordonne-lui d’envoyer, sous les traits du défunt Céyx, un Songe
qui racontera à Alcyoné le malheur qui s’est réellement produit. »
Elle avait fini de parler. Revêtant ses voiles aux mille couleurs,
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Iris dessine dans le ciel sa marque en forme d’arc, et gagne un lieu
caché sous un nuage, la demeure du roi qu’elle doit visiter.
Il existe près du pays des Cimmériens une grotte profonde et retirée,
au creux d’une montagne, la demeure secrète de l’indolent Sommeil.
Qu’il se lève, soit au milieu de sa course ou se couche, Phébus
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jamais n’y peut introduire ses rayons. Du sol montent des vapeurs
mêlées à l’obscurité, créant une douteuse lueur crépusculaire.
Les chants de l’oiseau veilleur à la tête ornée d’une crète
n’y appellent pas l’Aurore et aucune voix n’y rompt le silence,
ni celle des chiens vigilants, ni celle de l’oie, plus subtile que les chiens.
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Ni bêtes sauvages, ni troupeaux, ni branches agitées par le vent,
ni éclats de voix humaine ne produisent le moindre bruit.
C’est le règne du repos muet. Cependant, de la base du rocher
sourd le ruisseau du Léthé ; résonnant sur des cailloux,
son onde glisse dans un murmure et invite au sommeil.
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Devant l’entrée de la grotte fleurissent de féconds pavots
et des plantes sans nombre : la Nuit recueille la vertu soporifique
de leur suc, qu’elle répand avec sa rosée sur les terres sombres.
Point de porte risquant de grincer en tournant sur ses gonds :
aucune porte dans toute la demeure, aucun gardien sur le seuil.
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Mais au milieu de l’antre se dresse un lit d’ébène, orné de duvets
assortis à la couleur du bois et recouvert d’un voile sombre,
où est étendu le dieu en personne avec ses membres alanguis.
Autour de lui gisent de tous côtés, prenant des formes variées,
les Songes inconsistants, nombreux comme les épis d’une moisson,
les feuilles d’une forêt, ou les grains de sable rejetés sur le rivage.
Dès que la vierge Iris fut entrée, écartant de ses mains
les Songes qui lui faisaient obstacle, l’éclat de sa robe
illumina la demeure sacrée ; le dieu, avec une pesante lenteur,
leva à peine les yeux, se laissant tomber, puis retomber encore,
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tandis que son menton chancelant heurtait le haut de sa poitrine.
Il se secoue enfin et, appuyé sur le coude, cherche à savoir
la raison de la venue d’Iris (car il l’a reconnue). Alors elle dit :
« Sommeil, repos de la nature, Sommeil, toi, le plus doux des dieux,
tu es la paix de l’esprit, tu fais fuir l’angoisse, tu apaises les êtres
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épuisés par leurs dures fonctions et tu répares leurs forces.
Ordonne à des Songes, capables d’imiter fidèlement la réalité,
de se rendre à Trachis, la cité d’Hercule, auprès d’Alcyoné,
et d’imiter l’apparence d’un naufragé, ayant les traits du roi.
Tels sont les ordres de Junon. » Sa mission accomplie,
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Iris s’en alla, car elle ne pouvait supporter plus longtemps la torpeur
qui la gagnait. Dès qu’elle sent le sommeil s’insinuer en elle,
elle s’enfuit, et retourne par l’arc suivi naguère lors de sa venue.
Parmi les Songes habitués à visiter les humains, le Sommeil désigne, pour exécuter l’ordre de Junon, Morphée qu’il estime le plus apte à imiter fidèlement l’apparence humaine ; ensuite, le dieu s’empresse de regagner sa couche douillette. (11, 633-649)
Morphée, sous les traits de Céyx, se présente à Alcyoné endormie, lui décrit son naufrage et lui demande de ne pas le laisser sans funérailles. (11, 650-676)
Une fois réveillée, la malheureuse est persuadée de la réalité de son rêve, et manifeste sa douleur d’une manière très démonstrative, appropriée à un deuil ; elle rabroue sa nourrice, en lui annonçant la mort de son époux, dont sa vision nocturne lui a donné la certitude. (11, 677-693)
Ensuite, comme si elle s’adressait à son époux, elle rappelle ses mauvais pressentiments au moment de son départ, regrette de ne pas l’avoir accompagné, et exprime sa résolution de le rejoindre pour toujours dans la mort. (11, 694-709)
Alors de la foule de ses mille rejetons, le père va réveiller
celui qui est un maître dans l’art d’imiter la figure humaine,
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Morphée ; nul autre ne reproduit plus habilement que lui
une démarche, un visage et le timbre d’une voix et, par surcroît,
les tenues et les propos les plus caractéristiques de chacun.
Mais il n’imite que les êtres humains, tandis qu’un autre
se change en bête sauvage, en oiseau, en serpent longiligne.
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Les dieux le nomment Icélos, et le peuple des mortels Phobétor.
Il en existe aussi un troisième, doté d’un talent différent :
Phantasos. Celui-ci emprunte fallacieusement toutes les formes
des corps inanimés : terre, pierre, eau, tronc d’arbre.
Ces songes se montrent d’habitude, la nuit, aux rois et aux généraux ;
d’autres visitent les peuples et les gens du commun.
Le Sommeil, leur aîné, passe devant eux et, parmi tous les frères,
il choisit le seul Morphée, pour obéir à la fille de Thaumas.
Puis, à nouveau en proie à une molle langueur, il laisse
retomber sa tête et l’enfouit sous une épaisse couverture.
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Sans que ses ailes ne fassent le moindre bruit, Morphée
s’envole à travers les ténèbres, et parvient en un court moment
dans la ville d’Hémonie. Il détacha et posa ses ailes,
puis, sous les traits de Céyx, dont il a pris l’apparence,
blême, tel un cadavre, tout nu, il se dressa devant le lit
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de l’infortunée épouse. Sa barbe semble mouillée,
et l’eau par paquets coule de ses cheveux trempés.
Alors s’appuyant sur le lit, le visage baigné de larmes, il dit :
« Reconnais-tu Céyx, ô très malheureuse épouse,
ou bien la mort a-elle changé mon visage ? Tourne la tête, regarde ;
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tu verras ton mari et, à sa place, tu trouveras son ombre !
Tes prières, Alcyoné, ne m’ont été d’aucun secours !
j’ai trouvé la mort ! Ne te berce pas de l’illusion de mon retour !
Sur la mer Égée, l’Auster chargé de nuages a surpris
mon navire, l’a ballotté et démantelé sous d’énormes rafales.
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Les flots ont rempli ma bouche qui en vain clamait ton nom.
Le porteur de cette nouvelle n’est pas un messager suspect,
et ce n’est pas par de vagues rumeurs que tu es informée.
C’est moi-même, je me présente à toi en naufragé, et te révèle mon destin.
Allons, debout, livre-toi aux larmes, revêts des habits de deuil,
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ne m’envoie pas, sans pleurs, chez les ombres du Tartare ! »
Morphée prononça ces paroles, y joignant le timbre de voix
qu’Alcyoné aurait cru être celui de son mari ; il lui parut même
verser de vraies larmes et il avait les gestes de la main de Céyx.
Alcyoné en pleurs gémit, remue les bras dans son sommeil,
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et, cherchant un corps, n’embrasse que l’air et s’écrie :
« Reste ! Où fuis-tu ? Nous allons partir ensemble. »
Troublée par la voix et la vision de son époux, elle se secoue
et regarde d’abord autour d’elle si celui qui venait d’apparaître
se trouvait encore là ; car, des serviteurs, alertés par sa voix,
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avaient apporté de la lumière. Alors, ne le voyant nulle part,
elle se gifle le visage, dénude sa poitrine, met en pièces
ses vêtements, se donne des coups. Elle s’arrache les cheveux
sans les dénouer, et dit à sa nourrice qui lui demande la raison
de ce deuil : « Il n’y a plus d’Alcyoné, elle n’existe plus. Elle a péri
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avec son Céyx bien-aimé ; gardez vos paroles de consolation !
Il a péri dans un naufrage ; je l’ai vu, je l’ai reconnu, j’ai tendu
mes mains vers lui qui s’éloignait, dans mon désir de le retenir.
C’était une ombre, mais, c’est sûr, c’était bien l’ombre
de mon époux. Bien évidemment, si vous voulez le savoir,
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il n’avait pas ses traits habituels ni son éclatant visage de jadis :
il était pâle et nu, et ses cheveux étaient encore trempés,
quand pour mon malheur je l’ai vu, c’est ici, en cet endroit même
qu’il s’est tenu, faisant pitié. » (Et elle regarde s’il reste des traces ).
« C’était bien ce que je redoutais et ce que mon cœur pressentait !
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Je te suppliais de ne pas me fuir, en suivant l’appel des vents.
Mais en vérité, puisque tu partais pour mourir, pourquoi
ne m’as-tu emmenée avec toi ? Cela aurait beaucoup mieux valu
pour moi de partir avec toi ; car je n’aurais vécu sans toi
aucun instant de ma vie et la mort ne nous aurait pas séparés.
700
J’étais absente, et maintenant je suis morte, ballottée par les flots ;
sans me posséder, la mer me possède. Mon cœur serait plus dur
que la mer elle-même, si je tentais de vivre plus longtemps
et si je luttais pour survivre à une si grande douleur !
Mais, mon pitoyable époux, je ne lutterai pas, je ne te laisserai pas ;
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maintenant au moins, j’irai te rejoindre, et dans un tombeau
nous serons unis, sinon dans une urne, du moins par une épitaphe ;
si nos ossements ne se touchent pas, mon nom touchera le tien. »
La douleur l’empêche d’en dire plus, et tout en parlant elle se frappe
la poitrine et de son cœur accablé montent des gémissements.
Dès le lendemain matin, Alcyoné se rend à l’endroit d’où Céyx s’était embarqué et bientôt elle identifie le cadavre de son époux rejeté par les flots. Elle manifeste sa profonde désolation, près d’un brise-lames. (11, 710-730)
Soudain on l’aperçoit en haut de la digue, puis en train de survoler la surface des flots, métamorphosée en oiseau marin. De ses ailes, elle entoure le cadavre du naufragé qu’elle tente de couvrir de baisers. Les dieux compatissants finalement transforment Céyx lui aussi en oiseau, les laissant poursuivre leur vie d’époux fidèles et de parents, tandis qu’Éole assure une mer calme, quand c’est nécessaire pour leur progéniture. (11, 731-748)
710
C’était le matin. Alcyoné quitte sa demeure en direction du rivage,
et, profondément affligée, gagne le lieu d’où elle avait vu partir Céyx.
Elle s’y attarde un moment, disant : « Ici, il a détaché ses amarres,
c’est sur ce rivage qu’il m’a embrassée, quand il m’a quittée »,
et en se rappelant ce qui s’est passé à cet endroit, elle observe la mer
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et elle aperçoit à une certaine distance, dans l’eau limpide,
une sorte de corps indistinct. D’abord, on ne savait ce que c’était,
mais lorsque l’onde l’eut un peu rapproché, on vit clairement,
malgré la distance, que c’était un corps. Elle ignorait qui il était,
mais parce que c’était un naufragé, elle fut émue par ce présage,
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et, comme si elle pleurait sur un inconnu, elle dit : « Malheureux
es-tu, hélas !, qui que tu sois, et ta femme aussi, si tu es marié ».
Poussé par les vagues, le cadavre se rapproche, et, plus elle regarde,
moins elle maîtrise sa raison. Bientôt, le cadavre poussé par les flots
vers la terre proche, qu’elle eût pu reconnaître déjà, elle le voit bien :
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c’était son époux ! « C’est lui ! », s’écrie-t-elle, et en même temps
elle se lacère le visage, s’arrache cheveux et vêtements, et dit,
en tendant vers Céyx ses mains tremblantes : « C’est donc ainsi,
ô mon époux bien-aimé, que tu me reviens, en ce pitoyable état ? »
Près du rivage s’élève une digue, construite par la main des hommes,
730
pour briser les premières colères des ondes et amortir leurs assauts.
D’un bond elle est dessus : miracle qu’elle ait pu faire cela !
Elle volait et, frappant l’air léger de ses ailes naissantes,
elle effleurait, oiseau pathétique, la surface des vagues.
Et dans son vol, de sa bouche au bec effilé qui claquait,
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sortait un son plaintif, semblable à un cri de douleur.
Dès qu’elle eut touché le cadavre muet et exsangue,
qu’elle eut entouré de ses jeunes ailes les membres de celui qu’elle aimait,
elle tenta, avec son bec rigide, de lui donner de froids baisers.
Céyx l’avait-il senti ou son visage avait-il paru se soulever
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à cause du mouvement des vagues, les gens hésitaient à le dire.
En fait, il l’avait senti. Finalement, les dieux ont eu pitié d’eux,
et tous deux sont changés en oiseaux. Soumis à la même destinée,
ils restent même alors liés par l’amour, et le fait d’être oiseaux
n’a pas rompu leur contrat conjugal. Ils s’accouplent,
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se reproduisent et, en hiver, durant sept jours de temps serein,
Alcyoné couve dans son nid flottant sur les flots.
À ce moment la mer est étale ; Éole surveille les vents,
les empêche de sortir et offre à ses petits-enfants une mer calme.
Sur le rivage, un témoin de la transformation d’Alcyoné et de Céyx raconte alors la métamorphose d’un plongeon, qui avant d’être un oiseau marin, était un prince de l’illustre dynastie troyenne, fils de Priam et (demi-)frère d’Hector. Ce prince nommé Ésaque vivait par goût loin de la cour. (11, 749-766)
La nymphe Hespérie, dont Ésaque était épris, est un jour mortellement blessée par un serpent, au moment où le jeune homme la poursuivait. Cette mort, dont il se sent responsable, le désespère, et il promet de mourir lui aussi pour consoler la malheureuse défunte. (11, 767-782)
Pour se donner la mort, il se précipite dans la mer du haut d’un rocher, mais la déesse Téthys l’empêche de se noyer en le métamorphosant, bien contre son gré, en un oiseau marin, nommé plongeon. (11, 783-795)
Un vieillard qui les voit survolant côte à côte la vaste mer
750
applaudit à ces amours sauvegardées pour toujours.
Quelqu’un, tout proche de lui, ou lui-même peut-être, déclara :
« Cet oiseau aussi, que tu vois, portant des pattes grêles,
en train de raser la mer », (il montre un plongeon au long cou),
il est aussi de souche royale. Si tu veux suivre la série continue
755
de ses ancêtres pour aboutir jusqu’à lui, ses orignes remontent
à Ilus et à Assaracus, ainsi qu’à Ganymède, enlevé par Jupiter,
et au vieux Laomédon et à Priam dont la destinée fut de vivre
les ultimes moments de Troie. Cet être fut le frère d’Hector,
et si, durant sa prime jeunesse, il n’avait subi un destin inattendu,
peut-être son nom ne serait-il pas inférieur à celui d’Hector.
De toute façon, c’est la fille de Dymas qui mit au monde Hector,
tandis qu’Ésaque, selon la tradition, naquit à l’ombre de l’Ida,
et en secret, d’Alexirhoé, la fille du Granique aux deux cornes.
Cet enfant haïssait les villes et vivait loin de l’éclat de la cour ;
765
il vivait dans le secret des monts et la simplicité des champs,
et n’assistait que rarement aux assemblées d’Ilion.
Cependant, son cœur n’était pas sauvage ni à l’abri de l’amour.
Souvent à travers les bois il a cherché à saisir Hespérie,
la fille du Cébrène, et voilà qu’il la voit sur la rive paternelle,
770
en train de sécher au soleil ses cheveux flottants sur ses épaules.
À peine aperçue, la nymphe s’enfuit, telle la biche effrayée
par un loup au poil fauve, ou la cane des rivières, surprise
loin de son étang, par un épervier. Le héros troyen la poursuit,
la serre de près, à vive allure, lui pressé par l’amour, elle par la peur.
775
Voici qu’un serpent caché dans l’herbe perça de sa dent crochue
le pied de la fugitive et laissa son venin dans son corps.
Sa fuite prit fin, en même temps que sa vie. Ésaque, l’esprit égaré,
embrasse son corps inanimé, criant : « Que je regrette de t’avoir poursuivie !
Je n’avais pas redouté cette fin, et ne pensais pas triompher à ce prix.
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Malheureuse, nous sommes deux à t’avoir perdue : le serpent
a donné le coup, et moi j’en fus l’occasion ! Je suis plus criminel que lui ;
et par ma propre mort, en compensation, je te consolerai de la tienne. »
Sur ce, du haut d’un rocher rongé à sa base par l’onde mugissante,
il se laissa tomber dans la mer. Mais Téthys, pleine de compassion,
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le recueillit en amortissant sa chute, et le couvrit de plumes
tandis qu’il flottait sur l’onde, le privant de la mort qu’il souhaitait.
L’amant s’indigne d’être contraint de vivre contre sa volonté,
et qu’un obstacle entrave son âme résolue à quitter son triste séjour.
Dès que des ailes nouvelles eurent poussé sur ses épaules,
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il s’envole à une faible hauteur, puis se précipite à nouveau sur les flots.
Ses plumes adoucissent sa chute. Furieux, Ésaque s’enfonce
tête en avant dans l’abîme, cherchant sans répit le moyen de mourir.
L’amour l’a rendu maigre ; il lui reste les articulations distantes
de ses longues jambes, et un long cou, et une tête éloignée de son corps.
795
Il aime la mer et tient son nom des plongeons qu’il y fait.
fille d’Éole (11, 573). Alcyoné. Voir 11, 415.
souillées (11, 584). La mort de Céyx aurait souillé toute la maison, et en principe cette souillure ne pourrait être effacée qu’après des funérailles en bonne et due forme.
Iris (11, 585). Fille de Thaumas et d’Électre, elle est symbolisée par l’arc-en-ciel, et passe pour être la liaison entre le Ciel et la Terre. Comme Hermès, elle est la Messagère habituelle des dieux, mais surtout de Héra/Junon. Voir 1, 271 ; 4, 480 ; Virgile, Én., 4, 695-705 ; 5, 609 ; 5, 657-658.
Sommeil (11, 586). Hypnos/Somnus, personnification du Sommeil, fils de la Nuit et de l’Érèbe, et frère de Thanatos/Mort. Représenté parfois sous les traits d’un jeune homme aux tempes ornées d’ailes, il est censé parcourir rapidement la terre et les mers et assoupir les humains. Voir Virgile, Én., 6, 274-281. Ovide présente ci-dessous une description très imagée de sa demeure et de son entourage, et fait des Songes ses enfants (vers 633 et 646).
Cimmériens (11, 592). À l’époque d’Ovide, les Cimmériens passaient pour un peuple plus ou moins fabuleux, habitant la Scythie ou une région nordique lointaine, où régnait l’obscurité.
Léthé (11, 603). Fille d’Éris, et personnification de l’Oubli, chez Hésiode (Théogonie, 227), elle a donné son nom à un des fleuves situés dans les enfers (Én., 6, 705-715). Ici encore Ovide adapte à ses besoins des détails puisés ailleurs, notamment chez Virgile.
Songes (11, 614). Présentés plus haut (vers 633 et 646), comme les enfants du Sommeil, lui-même fils de la Nuit.
Trachis (11, 627). Royaume de Céyx. Voir 11, 269.
Morphée (11, 635). Non pas le dieu du Sommeil, mais un de ses fils. Ce qu’on sait de lui ne nous est apparemment connu que par ce passage d’Ovide. Son nom lui viendrait de sa capacité à prendre de multiples formes (morphè, en grec).
Icélos... Phobétor (11, 640). Deux noms signifiant respectivement « le ressemblant » et « l’effrayant ». Ils ne semblent pas exister par ailleurs et pourraient être des créations d’Ovide, et s’appliqueraient à un frère de Morphée.
Phantasos (11, 642). Autre frère de Morphée, issu également, semble-t-il, de l’imagination fantaisiste d’Ovide.
fille de Thaumas (11, 647). Iris. Voir 11, 585.
ville d’Hémonie (11, 653). L’Hémonie est utilisée comme un synonyme de Thessalie (voir 11, 229, renvoyant à d’autres passages). Trachis, la ville de Céyx, se situe cependant hors de Thessalie, plus au sud. L’imprécision géographique est souvent constatée chez Ovide.
Auster (11, 663). Vent du Sud, appelé aussi le Notus, et réputé pluvieux. Voir 1, 66 ; 7, 659-660.
Tartare (11, 670). Désigne le séjour des morts. Sur l’importance de funérailles décentes pour assurer au défunt son repos dans l’au-delà, on trouve de nombreuses allusions chez Virgile, mais on pensera aussi au thème central de l’Antigone de Sophocle.
changés en oiseaux (11, 742-748). Les deux époux furent métamorphosés en alcyons, oiseaux de mer fabuleux, qui durent leur nom à Alcyoné. Ils ont été identifiés à divers oiseaux, comme la mouette, le pétrel, le goéland, l’hirondelle de mer. Une croyance antique prétendait qu’ils faisaient leurs nids sur la mer et couvaient leurs œufs durant les deux semaines précédant et suivant le solstice d’hiver, les jours « alcyoniens », qui passaient pour être toujours calmes (d’après J. Chamonard, qui renvoie à Pline, H.N., 10, 90ss.). Voici le résumé que donne Hygin (Fab. 55) de cette légende : « Alors que Céyx, le fils d’Hesperus, ou de Lucifer et de Philonide, avait péri en mer, son épouse Alcyoné, fille d’Éole et de Égialè, se précipita elle-même dans la mer, par amour pour lui ; tous deux furent transformés par les dieux, pris de compassion, en oiseaux qu’on appelle alcyons. Ces oiseaux font un nid, pondent des œufs et couvent leurs petits sur la mer, durant sept jours en hiver. Pendant ces jours-là, appelés par les marins ‘jours alcyoniens’, la mer est sereine. »
Éole (11, 747). Dieu des vents. Voir note à 11, 415 et 431.
Un vieillard les contemple (11, 749). Ici commence le dernier récit du livre 11, qui suit la longue digression constituée par la légende de Céyx et Alcyoné. Ovide revient aux légendes liées à Troie : un anonyme, témoin de la métamorphose de Céyx et Alcyoné, évoque, par association d’idées, la métamorphose en un plongeon d’un prince troyen, Ésaque, qui sera nommé au vers 762. Sur ce personnage, Ovide est d’ailleurs notre source la plus ancienne.
Ilus... Assaracus... Ganymède... Laomédon... Priam... (11, 756-758). Grimal (Tableau 7, p. 116) propose la généalogie suivante, qui semble concorder avec ce passage d’Ovide :
Tros + Callirhoé, parents de Cléopatra, Ilos II, Assaracos, Ganymède.
Ilos II + Eurydicè, parents de Laomédon, etc.
Laomédon + Strymo, parents de Tithonos, Priam (Podarcès), Hésioné, etc.
Ilus, Assaracus et Ganymède (10, 143-161 et spécialement n. à 10, 155) sont les fils de Tros. Laomédon (voir note à 11, 196) est le fils d’Ilos et le père de Priam. Ces personnages vont se retrouver dans la suite, lorsque les Métamorphoses d’Ovide aborderont les légendes troyennes.
Hector (11, 758). Fils aîné de Priam et Hécube, le héros troyen par excellence, cité ici pour la première fois, mais qui le sera à plusieurs reprises dans la suite des Métamorphoses.
fille de Dymas (11, 761). Hécube, dans l’Iliade, est la fille de Dymas, un roi phrygien, et la seconde épouse de Priam. Certaines sources la disent fille de Cissée, roi de Thrace. Elle aurait donné à Priam de nombreux enfants (19, 14, voire 50), dont Hector.
Ésaque (11, 762). Ésaque est un fils de Priam et d’Alexirhoé, ou, selon une autre version, d’Arisbé. Ce n’est donc pas un fils d’Hécube. Il intervient notamment dans les légendes troyennes, parce qu’il « avait reçu de son grand-père Mérops le don d’interpréter les rêves. Aussi, quand Hécube, sur le point d’accoucher de Pâris, rêva qu’elle donnait le jour à un brandon enflammé qui mettrait le feu à toute la ville de Troie, on l’interrogea sur le sens d’un rêve aussi étrange. Il répondit que l’enfant qui devait naître serair la cause de la ruine de la ville. Il conseilla de le tuer dès sa naissance. » (Grimal). Il sera cité dans le premier vert du chant suivant (12, 1).
Ida (11, 762). Une montagne bien connue de la Phrygie et dont il a déjà été question à plusieurs reprises (notamment 7, 359-360).
en secret (11, 763). La précision pourrait s’expliquer par le fait que l’enfant n’était pas né d’Hécube, l’épouse principale de Priam. Peut-être la mère avait-elle dû accoucher en secret.
Alexirhoé (11, 763). La mère d’Ésaque. Elle était la fille du fleuve Granique.
la fille du Granique (11, 763). Le fleuve Granique coule en Phrygie, où se trouve le mont Ida. Les dieux-fleuves étaient souvent représentés avec des cornes (voir 9, 1-2).
Hespérie... Cébrène (11, 769). Le Cébrène est le nom d’un dieu-fleuve de Troade, à la fille duquel Ovide donne le nom d’Hespérie, dont on ne retrouve pas trace ailleurs. L’histoire de cette nymphe rappelle des passages comparables, où d’innocentes nymphes fuient un séducteur divin ou autre (par exemple Aréthuse en 5, 585-606 ; Apollon poursuivant Daphné en 1, 490-567).
serpent caché (11, 775). La mort d’Hespérie rappelle celle d’Eurydice (10, 8-10).
Téthys (11, 784). Fille d’Ouranos et de Gaia, elle s’unit à Océan, et ces divinités primordiales passent pour avoir engendré les dieux, et de nombreux fleuves. Voir notamment 2, 509-510 (qui renvoie à d’autres passages).
son nom (11, 795). Le plongeon est un oiseau palmipède, de la taille du canard, nichant près de la mer (définition du dictionnaire Robert). Peut-être Ovide, dans la description qu’il donne de cet animal, a-t-il laissé libre cours à sa fantaisie imaginative.