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L’enfant de Myrrha (Adonis) grandit très vite en âge et en beauté, inspirant à Vénus une passion qui la requiert totalement en transformant ses habitudes, puisqu’elle accompagne son jeune amant partout et notamment à la chasse, à laquelle elle s’adonne toutefois avec une grande prudence. (10, 519-541)
Dans la crainte de perdre Adonis, la déesse le met en garde contre un excès de témérité à l’égard des bêtes sauvages et surtout des lions. Puis installée dans un endroit idyllique avec son amant intrigué par la haine qu’elle manifeste à l’égard des lions, elle promet de la lui expliquer par un récit. (10, 542-559)
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Il glisse secret et trompeur, le temps qui s’envole,
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et rien n’est plus rapide que les années. Cet enfant,
né de sa sœur et de son aïeul, naguère caché dans un arbre,
et qui venait juste de naître, hier le plus beau des nourrissons,
le voici déjà adolescent, homme déjà, plus beau que jamais.
Désormais aimé de Vénus même, il venge les feux infligés à sa mère.
En effet, un jour que l’enfant au carquois embrassait sa mère,
il lui avait, sans le savoir, effleuré la poitrine d’une flèche saillante ;
blessée, la déesse avait repoussé son fils de la main, mais la blessure
était plus profonde qu’il n’y paraissait et que la déesse l’avait pensé.
Séduite par la beauté du héros, elle oublie maintenant Cythère
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et ses rivages, ne visite plus Paphos ceinte d’une mer profonde,
ni Cnide la poissonneuse, ni Amathonte, riche en métaux.
Et même elle déserte le ciel : au ciel, elle préfère Adonis.
Elle s’attache à lui, le suit. D’habitude elle cherchait toujours
les lieux ombragés, occupée à rehausser et à soigner sa beauté ;
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maintenant elle erre sur les crêtes, à travers bois et rochers broussailleux,
vêtue à la manière de Diane d’une robe retroussée, genou nu.
Elle excite les chiens et poursuit des animaux faciles à capturer,
des lièvres prompts à fuir, ou un cerf à haute ramure,
ou des daims ; mais elle se tient à distance des puissants sangliers,
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évite les loups ravisseurs et les ours armés de griffes
ainsi que les lions repus après le massacre d’un troupeau.
À toi aussi, Adonis, elle conseille de les redouter,
si un conseil pouvait être utile : “ Sois vaillant face à ceux qui fuient ”,
dit-elle ; “ l’audace n’est pas sûre face aux audacieux.
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Mon jeune ami, évite d’être téméraire, en me mettant en danger ;
ne tourmente pas les fauves dotés d’armes par la nature.
Que ta gloire ne me coûte pas trop cher. Ta jeunesse, ton visage,
et les attraits qui ont ému Vénus ne touchent ni les lions,
ni les sangliers soyeux, ni les yeux et les cœurs des bêtes sauvages.
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Les défenses crochues des rudes sangliers contiennent la foudre,
une impétuosité et une rage infinie habitent les lions fauves, race
qui m’est odieuse ”. Quand il demande pourquoi cette haine, elle dit :
“ Je te raconterai un étonnant prodige, suite d’une faute ancienne.
Mais maintenant, je suis lasse de ces exercices pour moi inhabituels ;
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voici bien à propos un peuplier qui nous offre son ombre charmante
et ce gazon qui nous offre une couchette ; je puis avec toi me reposer
(ce qu’elle fit) ici à terre ”. Elle pressa à la fois son amant et le gazon,
et, tandis que la tête du jeune homme étendu reposait sur son sein,
elle fit son récit, en entrecoupant ses paroles de baisers.
L’héroïne de cette histoire est une jeune fille (Atalante), très belle et très rapide à la course. Suite à un oracle, elle vivait en célibataire dans les forêts et, pour dissuader ses nombreux prétendants, elle leur proposait une course : elle épouserait son vainqueur et ferait mourir les perdants. (10, 560-572)
Hippomène désapprouve les nombreux concurrents qui acceptent de se plier à ces conditions cruelles, jusqu’au moment où lui-même s’éprend d’Atalante en la voyant participer à la compétition, qu’elle remporte sur tous les prétendants, qui sont mis à mort, comme convenu. Il défie alors personnellement la jeune vierge, faisant valoir la noblesse de sa naissance et sa valeur, la persuadant que, quelle qu’en soit l’issue, elle tirera gloire de cette course, étant donné qu’il s’estime plus digne que quiconque de se mesurer à elle. (10, 573-608)
Atalante tombe sous le charme d’Hippomène et ressent en elle pour la première fois les élans de l’amour, en prenant conscience de l’émotion qu’elle ressent lorsqu’elle pense au danger, au jeune âge, à la vaillance, à la noblesse, à l’amour intense et à la détermination du jeune homme, et à sa propre crainte de le voir courir à sa perte. (10, 609-637)
“ Peut-être as-tu eu vent d’une fille qui surpassait à la course
des hommes rapides ; cette rumeur n’était pas une fable ;
elle les surpassait en effet ; et on ne pourrait dire si elle l’emportait
grâce au prestige de son agilité ou grâce à l’avantage de sa beauté.
Interrogeant le dieu à propos d’un époux, elle l’entendit lui répondre :
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“ Tu n’as nul besoin d’un époux, Atalante ; fuis toute union conjugale ;
pourtant, tu n’y échapperas pas et, vivante, tu seras privée de ta vie. ”
Terrifiée par l’oracle divin, elle vit seule au fond des forêts
et, en leur imposant une condition cruelle, elle fait fuir ses prétendants
qui se pressent en foule : “ Je ne serai à personne, ” dit-elle,
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“ à moins d’être vaincue à la course ; luttez de vitesse avec moi.
Comme prix, le plus rapide obtiendra ma main et mon lit,
le prix des plus lents sera la mort ; telle sera la loi du combat. ”
Loi sans douceur, certes ; mais, le pouvoir de la beauté est tel
que la masse des prétendants s’y soumet sans réfléchir.
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Hippomène, qui assistait en spectateur à cette course inégale, avait dit :
“ Qui peut vouloir une épouse au prix de si grands dangers ? ”
Et il avait désapprouvé l’amour excessif de ces jeunes gens.
Mais dès qu’il vit le visage d’Atalante, et son corps dévêtu,
un corps comparable au mien, ou au tien, si tu étais femme,
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il resta interdit et, levant les mains, il dit : “ Pardonnez-moi,
vous que je viens d’accuser ! Le prix que vous cherchiez
ne m’était pas encore connu. ” En la louant, il sent un feu en lui,
souhaite qu’aucun des jeunes gens ne la dépasse à la course,
et, jaloux, le redoute. “ Mais pourquoi laisser passer
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ce concours sans tenter moi-même ma chance ? ”, dit-il
“ La divinité même favorise les audacieux ! ” Plongé en lui-même,
Hippomène réfléchit, tandis que la jeune fille s’envole de son pas ailé.
La flèche d’un Scythe n’a pas paru aux yeux du jeune Aonien
moins rapide qu’Atalante, mais pourtant c’est sa beauté
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qui l’émerveille le plus ; d’ailleurs la course même la rend belle.
La brise entraîne les liens de ses chevilles derrière ses pieds agiles,
on voit flotter ses cheveux sur ses épaules d’ivoire,
et sous ses genoux, ses genouillères avec leur lisière brodée ;
son corps juvénile, éclatant de blancheur, s’était teinté de rose,
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comme lorsque un voile pourpre, tendu au-dessus des atria,
couvre leurs marbres blancs d’ombres qui semblent pourprées.
Tandis que l’étranger note ces détails, Atalante, une ultime fois,
a contourné la borne et reçoit la couronne qui fête sa victoire.
Les perdants en gémissant subissent la peine convenue.
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Pourtant le jeune homme, que ne dissuade pas le sort de ces malheureux,
se dressa au milieu du champ de course, les yeux fixés sur la jeune fille :
“ Pourquoi chercher une gloire facile, en triomphant d’incapables ?
Mesure-toi à moi ”, dit-il. “ Ou bien la fortune me donnera de l’emporter,
et tu n’auras pas à t’indigner d’avoir eu un vainqueur si prestigieux ;
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en effet, j’ai pour père Mégarée d’Onchestos, et son aïeul
c’est Neptune ; je suis ainsi l’arrière petit-fils du roi des eaux
et ma valeur ne le cède pas à ma naissance. Ou bien je serai vaincu,
et la défaite d’Hippomène te vaudra un nom considérable et fameux. ”
Pendant qu’il parle, la fille de Schénée le regarde d’un air attendri,
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se demandant si elle préférerait être vaincue ou victorieuse,
et elle dit : “ Quel dieu, défavorable aux beaux jeunes gens,
veut le perdre et lui ordonne de chercher à s’unir à moi
au péril de sa précieuse vie ? À mon avis, je ne vaux pas ce prix.
Ce n’est pas sa beauté qui me touche – pourtant elle le pourrait –,
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mais il est encore un enfant ; ce n’est pas lui qui m’émeut, mais son âge.
Quoi ? n’est-il pas valeureux et son esprit ne défie-t-il pas la mort ?
Quoi ? n’est-il pas la quatrième génération issue du roi des mers ?
Quoi ? Ne m’aime-t-il pas et n’attache-t-il pas à notre union du prix
au point d’accepter de mourir si le destin cruel me refusait à lui ?
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Tant que tu le peux, étranger, pars, fuis des noces sanglantes.
M’épouser est chose cruelle ; nulle femme ne refusera de s’unir à toi,
et tu es suceptible d’être désiré par une fille pleine de raison.
Mais pourquoi me soucier de toi, après tant de morts déjà ?
À lui de voir ; qu’il meure puisque le meurtre de tant de prétendants
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ne l’a pas mis en garde et puisque le dégoût de vivre l’anime.
Cet homme va donc mourir, pour avoir voulu vivre avec moi,
et il subira une mort imméritée pour prix de son amour ?
Ma victoire me vaudra une haine insupportable.
Mais ce n’est pas ma faute ! Mon vœu est que tu renonces,
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ou, puisque tu es insensé, puisses-tu être plus rapide que moi !
Mais quel pur regard éclaire son visage d’enfant !
Ah ! Infortuné Hippomène, si tu ne m’avais pas vue !
Tu méritais de vivre ; et si j’avais plus de chance,
si des destins contraires ne m’interdisaient le mariage,
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tu serais le seul avec qui je voudrais partager ma couche. ”
Elle avait parlé et, naïve, atteinte une première fois par le désir,
ignorant ce qu’elle fait, elle aime sans comprendre qu’elle aime.
Vénus poursuit son récit, disant avoir été émue par la prière d’Hippomène au moment où il allait se mesurer à Atalante. Pour l’aider, la déesse lui remet secrètement trois pommes d’or cueillies dans son verger sacré de Tamasos, en lui disant quel usage en faire. (10, 638-651)
Les deux concurrents s’envolent sur la piste, et les encouragements des spectateurs qui soutiennent Hippomène ne gênent nullement Atalante, qui parfois s’attarde pour contempler son concurrent. Épuisé par la course, Hippomène lance à deux reprises une pomme d’or ; Atalante s’attarde à les ramasser, mais a vite fait de repasser en tête. Finalement, il lance la troisième pomme sur le côté, non sans faire à nouveau appel à Vénus ; la déesse, malgré les hésitations d’Atalante, la contraint à ramasser la troisième pomme (alourdie à dessein par la déesse) et ainsi Vénus permet à Hippomène de gagner la course et d’épouser Atalante, à la grande satisfaction des deux jeunes gens. (10, 652-680)
Mais Vénus, outrée par l’indifférence d’Hippomène à son égard, décide de punir l’ingratitude des deux amoureux. Un jour où tous deux se reposent près d’un ancien sanctuaire consacré à Cybèle, Hippomène, à qui Vénus inspire un désir intempestif d’ébats amoureux, s’unit à son épouse, sans tenir compte de l’interdit attaché à l’endroit. Pour les châtier, Cybèle les métamorphose aussitôt en lions redoutables, qui sont attelés à son char et qu’elle seule est capable de maîtriser. (10, 681-704)
À la fin de ce long récit, Vénus renouvelle à son jeune amant Adonis ses recommandations de prudence concernant la chasse aux fauves. (10, 705-707).
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Déjà peuple et nobles réclament les courses au programme,
lorsque Hippomène, le descendant de Neptune, m’invoque
d’une voix inquiète et dit : “ Que Cythérée assiste, je l’en supplie,
mon acte audacieux, et favorise les feux qu’elle a allumés en moi. ”
La brise bienveillante m’apporta cette prière touchante, et, je l’avoue,
j’y fus sensible. Il ne restait pas beaucoup de temps pour intervenir.
Il est un champ, que les gens du lieu appellent champ de Tamasos,
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la partie la plus riche de l’île de Chypre ; leurs ancêtres jadis
me l’ont consacré, ordonnant d’en faire une dot ajoutée
à mes temples. Au milieu du champ, resplendit un arbre
au fauve feuillage, dont on entend bruire les rameaux d’or fauve.
Je venais justement de là et j’apportais trois pommes d’or,
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cueillies de ma main. Invisible pour tous, excepté pour lui,
j’allai vers Hippomène et lui expliquai quel usage en faire.
Les tromps avaient sonné : les deux coureurs, penchés en avant,
s’élancent de la ligne de départ, effleurant le sable de leurs pieds agiles.
On pourrait penser qu’ils rasent la surface des flots à pied sec,
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et qu’ils courent sans les coucher sur les épis d’une blonde moisson.
Le jeune homme se sent encouragé par la clameur et la sympathie
du public qui crie : “ C’est maintenant, maintenant le moment,
Hippomène, hâte-toi ! Vas-y de toutes tes forces, c’est le moment !
Ne traîne pas, tu seras vainqueur ! ” On ne sait qui apprécie le plus
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ces paroles : le héros, fils de Mégarée, ou la fille de Schénée.
Que de fois, alors que déjà elle aurait pu le dépasser, elle s’est attardée
à contempler longtemps son visage et ne l’a distancé qu’à regret !
Le jeune homme épuisé haletait, avait la bouche sèche
et la borne était loin ; alors le descendant de Neptune
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lança finalement un des trois fruits de l’arbre.
La jeune fille fut surprise ; attirée par la pomme brillante,
elle détourne sa course et ramasse cet or qui roule sur le sol.
Hippomène la dépasse ; les gradins résonnent sous les applaudissements.
Elle, d’un pas accéléré, corrige son retard et regagne le temps perdu.
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Une nouvelle fois elle laisse le jeune homme derrière elle ;
puis à nouveau mise en retard par le lancement de la seconde pomme,
elle rattrape et dépasse le garçon. Restait la dernière phase de la course :
“ Maintenant ”, dit-il, “ aide-moi, déesse, toi, l’auteur de ce présent ! ”
Et sur un côté de la piste, pour retarder le retour d’Atalante,
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il lança en oblique avec sa force juvénile le fruit d’or étincelant.
La jeune fille sembla hésiter à aller la chercher : je la forçai
à la ramasser, et rendis plus lourde la pomme qu’elle avait soulevée,
gênant sa course tant par le poids à porter que par le retard occasionné.
Pour éviter de parler plus longuement que la durée de la course,
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la fille fut distancée et, pour prix de sa victoire, le vainqueur l’épousa.
N’étais-je pas digne qu’il me rendît grâces, qu’il m’apportât
l’hommage de son encens, ô Adonis ? Il ne me remercia pas, l’ingrat,
et ne m’offrit pas d’encens. Une colère soudaine fait place à ma bonté :
souffrant de son dédain, pour éviter le mépris des générations à venir,
je veux faire un exemple et m’excite moi-même contre les deux époux.
L’illustre Échion avait construit jadis, suite à un vœu, un temple
en l’honneur de la mère des dieux, au fond d’une forêt épaisse ;
les époux passaient par là et un long trajet les engagea à faire halte.
Là, un désir intempestif d’ébats amoureux, suscité en lui
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par ma volonté divine, s’empare soudain d’Hippomène.
Tout près du temple, se trouvait un réduit faiblement éclairé,
ressemblant à une grotte et couvert d’un toit de tuf naturel.
C’était un lieu consacré par la religion des premiers temps ;
un prêtre y avait entassé nombre de statues en bois de dieux anciens.
Hippomène entre et profane ce lieu sacré par un acte infâme et interdit.
Les statues sacrées détournèrent les yeux ; la Mère des dieux,
couronnée de tours hésita à noyer les coupables dans l’onde du Styx.
Cette punition lui parut légère ; alors leurs cous naguère tout lisses
se voilent d’une crinière fauve, leurs doigts se courbent en griffes,
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de leurs épaules naissent des pattes, tout le poids de leur corps
se concentre sur leur poitrine, et de leur queue ils balaient le sable.
Leur face exprime la colère ; au lieu de parler, ils rugissent ;
les chambres qu’ils occupent, ce sont les forêts ; redoutables pour tous,
ces lions rongent, d’une dent soumise, les freins que leur impose Cybèle.
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Ces lions, mon aimé, et avec eux, les fauves de toute espèce,
qui ne fuient pas en tournant le dos, mais luttent en offrant leur poitrine,
évite-les, de peur que ta vaillance ne nous soit funeste à tous deux ! »
Une fois seul, Adonis ne tint pas compte des recommandations faites par Vénus avant son départ et, au cours d’une chasse, il fut blessé à mort par un sanglier. (10, 708-716)
Vénus, alertée par les gémissements du moribond, rebrousse chemin mais ne peut que s’abandonner à son deuil. Adressant des reproches aux destins, elle promet de perpétuer par une fête annuelle le souvenir d’Adonis et de sa douleur à elle, en même temps qu’elle annonce la métamorphose de son jeune amant en une anémone, annonce aussitôt concrétisée, car il lui suffit de répandre un nectar sur le sang d’Adonis, d’où en moins d’une heure naît une fleur rouge. (10, 717-739)
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Telles furent les recommandations de Vénus, qui fit atteler ses cygnes
et prit la voie des airs ; mais la vaillance est incompatible avec les conseils.
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Un jour, les chiens d’Adonis avaient suivi les traces claires
d’un sanglier et l’avaient débusqué ; et le jeune fils de Cinyras
avait transpercé la bête d’un trait oblique quand elle allait sortir de la forêt.
De son groin retroussé, l’animal eut tôt fait de secouer l’épieu
teinté de son sang, tandis qu’Adonis tremblant cherchait un refuge sûr.
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Le sanglier farouche le poursuivit, lui plongea complètement
ses défenses dans l’aine et le terrassa mourant sur le sable fauve.
Cythérée, sur son char léger tiré par des cygnes ailés,
traversait les airs et n’était pas encore arrivée à Chypre.
De loin, elle reconnut les gémissements du mourant et inclina
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ses oiseaux blancs dans cette direction ; dès que, du haut du ciel,
elle le vit sans vie et agitant son corps dans son propre sang,
elle sauta à terre, déchira son corsage, s’arracha les cheveux,
se frappa la poitrine de ses mains qui n’étaient pas faites pour ce rôle,
et s’en prenant aux destins, elle dit : « Mais non, tous les droits
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ne vous reviennent pas ; des témoignages de ma douleur
subsisteront toujours, Adonis ; chaque année, la scène de ta mort,
qui perpétuera le souvenir de ma douleur, sera représentée.
Par ailleurs ton sang sera métamorphosé en fleur. Toi, jadis,
Perséphone, n’as-tu pas pu transformer un corps de femme
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en menthe parfumée ? Et à moi, on ira faire des reproches
pour la métamorphose du fils de Cinyras ? » Sur ces paroles,
elle asperge la flaque de sang d’un nectar odorant ; à ce contact,
le sang gonfla comme les bulles transparentes que l’on voit souvent
apparaître sur une boue jaunâtre ; et moins d’une heure après,
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naquit de ce sang une fleur de la couleur des grenadiers
qui souvent sous une souple écorce cachent leur graine.
Mais cette fleur ne se laisse admirer qu’un court moment,
car elle est mal fixée et, à cause de sa trop grande légèreté,
ses pétales tombent, secoués par les vents qui lui donnent son nom. »
né de sa sœur et de son aïeul (10, 521). L’enfant né de Myrrha (à la fois sa mère et sa sœur) et Cinyras (à la fois son père et son grand-père) est Adonis, qui ne sera nommé qu’au vers 532. Pour le récit de sa naissance, voir 10, 503-518.
il venge (10, 524). En inspirant à Vénus une passion comme celle qui fut fatale à Myrrha (10, 298-518). Bien qu’Ovide n’ait pas jusqu’ici mis Vénus en cause dans l’histoire de Myrrha, nous savons par d’autres sources (Hygin, Fab., 58 ; Apollodore, 3, 14, 4 ) que Vénus, pour se venger d’avoir été offensée, avait inspiré cette passion à Smyrna (Myrrha).
l’enfant au carquois (10, 525). C’est Éros/Cupidon, le dieu de l’Amour, déjà évoqué en 10, 515-518, lors de la naissance d’Adonis. La scène rappelle Virg., Én., 1, 657-694.
le héros (10, 529). Adonis, qui est, avec Vénus, le personnage principal de la fin du livre 10.
Cythère (10, 529). Ovide va énumérer les principaux sanctuaires du culte de Vénus/Aphrodite. Cythérée est un des noms de Vénus, qui lui vient du temple qu’elle possédait sur l’île de Cythère (Cérigo), au sud du Péloponnèse. Voir 4, 190 (avec renvois à l’Énéide) ; Fast., 3, 611 et 4, 286.
Paphos (10, 529). Paphos n’est pas une île, mais une ville de la côte S.-O. de Chypre (cfr 10, 297).
Cnide (10, 530). Cnide est une ville de Carie, en Asie Mineure. Vénus y avait un temple, qui abritait la fameuse statue de Praxitèle, dont une copie se trouve au musée du Vatican (la Vénus de Cnide).
Amathonte (10, 530).Voir 10, 220.
Diane (10, 536). Artémis/Diane/Phébé, la déesse vierge, la Chasseresse, à la robe retroussée (voir 1, 694-697 ; 9, 89). Diane est souvent évoquée comme modèle pour des jeunes filles désireuses de rester vierges et qui mènent une vie errante dans les bois. Par exemple Daphné (1, 472-489) ; Aréthuse (5, 577-584) ; Procris (7, 745-746) ; Atalante (8, 317-321).
une fille (10, 560). En faisant le long récit qui va suivre, Vénus veut mettre en garde Adonis contre le danger de la chasse aux bêtes sauvages, ce qui fournit à Ovide l’occasion de raconter une belle histoire d’amour ainsi qu’une métamorphose, concernant Atalante et Hippomène. Le récit a pour héroïne une jeune fille, Atalante (citée au vers 565), dont la légende comporte beaucoup de variantes. Un long épisode concernant Atalante participant à la chasse au Sanglier de Calydon figure en 8, 317-328, en 8, 380-390, et en 8, 420-444. L’épisode traité ici est tout différent, bien que centré sur une Atalante chasseresse, un personnage qui pourrait être aussi un avatar d’Artémis/Diane. À son habitude, Ovide semble puiser à de nombreuses sources dont il retient des détails autour desquels il brode sans scrupule en fonction de l’idée qu’il veut mettre en valeur. Voici deux autres versions de cette légende d’Atalante, qui peuvent aider à comprendre le texte d’Ovide.
- Hygin, Fab., 185 :
« On raconte que Schoenée avait une fille, Atalante, une très jolie jeune fille qui par sa valeur surpassait les hommes à la course. Elle demanda à son père de pouvoir rester vierge. Comme elle avait de nombreux prétendants, il décida de les mettre en compétition avec elle, stipulant que celui qui voulait l’épouser devrait d’abord se mesurer avec elle à la course ; il fut convenu que le prétendant partirait désarmé, qu’elle le suivrait avec un javelot ; que celui qu’elle aurait rattrapé avant la fin de la course elle le tuerait et exhiberait sa tête dans le stade. Elle en vainquit et tua beaucoup, mais elle fut vaincue en tout dernier lieu par Hippomène, fils de Mégarée et Méropè. Vénus lui avait donné trois pommes magnifiques et lui avait appris comment s’en servir. En jetant les pommes pendant la compétition, il retarda l’élan de la jeune fille. En effet elle ramassa et admira l’or et ainsi se détourna de la piste et laissa la victoire au garçon. Schoenée, en raison de son application, lui donna volontiers sa fille comme épouse. En l’emmenant dans sa patrie, Hippomène oublia qu’il avait remporté la victoire grâce à un bienfait de Vénus et ne lui en rendit pas grâces. Vénus en fut irritée, et un jour qu’il offrait un sacrifice sur le mont Parnasse à Zeus Vainqueur, il fut excité par le désir et s’unit avec Atalante dans le temple. C’est pour cet acte que Jupiter les changea en lion en en lionne, à qui les dieux refusent les rapports amoureux. »
- Apollodore, Bibl., 3, 9 [105-109 éd. P. Scarpi] :
« [...] De Iasos et Clymène, fille de Minios, naquit une fille, Atalante. Son père, qui voulait des fils, la fit exposer, mais une ourse vint souvent l’allaiter, jusqu’à ce que des chasseurs la trouvent et l’élèvent chez eux. (106) Devenue adulte, Atalante resta vierge et vivait de la chasse, avec ses armes, dans des lieux inhabités. Les Centaures Rhoikos et Hylaios cherchèrent à lui faire violence, mais elle les abattit avec ses traits. Elle participa, avec les plus vaillants des héros, à la chasse contre le sanglier de Calydon, et dans le concours organisé en l’honneur de Pélias, elle lutta contre Pélée et le vainquit. (107) Plus tard, elle retrouva ses parents, et comme son père la pressait de se marier, elle se rendit en un lieu qui avait les dimensions d’un stade, et planta au milieu un pieu haut de trois coudées ; de là, armée, elle commençait la course, après avoir laissé les prétendants la précéder dans la compétition. Celui qu’elle rejoignait, elle le mettait à mort sur place ; celui qu’elle n’atteindrait pas, obtiendrait sa main. (108) Beaucoup étaient déjà morts quand Mélanion, qui s’était épris d’elle, participa à la course. Il s’était muni des pommes d’or que lui avait données Aphrodite. Tandis qu’elle le suivait, il jeta les pommes à terre. Atalante se mit à les ramasser et perdit la course. Mélanion l’épousa. Et on raconte qu’un jour, au cours d’une chasse, ils pénétrèrent dans un temple de Zeus et que pendant qu’ils s’étreignaient, ils furent transformés en lions. (109) Hésiode et certains autres auteurs disent qu’Atalante n’était pas la fille de Iasos, mais de Schoenée ; Euripide dit qu’elle était la fille de Ménélas, et qu’elle n’épousa pas Mélanion mais Hippomène [...]. »
le dieu (10, 564). Apollon, le dieu spécialiste de la divination. Il n’a pas besoin d’être nommé. Voir Virg., Én., 6, 46 : deus, ecce deus !
vivante, tu seras privée (10, 566). Annonce de la métamorphose qui sera décrite en 10, 698-704.
Hippomène (10, 576). Béotien originaire d’Onchestos (vers 605), fils de Mégarée et descendant de Poseidon/Neptune, c’est ainsi en tout cas qu’Hippomène se présentera aux vers 605-606. Une légende très voisine de celle d’Hippomène (cfr la version d’Apollodore, supra) met en scène un certain Mélanion.
Scythe (10, 588). Les Scythes étaient des archers réputés. C’était de cette contrée que provenaient les Amazones.
Aonien (10, 589). Ici, Hippomène, c’est-à-dire le « Béotien », l’Aonie étant un autre nom de la Béotie. Mégarée, père d’Hippomène, était roi d’une ville de Béotie. Voir sur l’Aonie par exemple 1, 313 et Fast., 3, 456. En Mét., 9, 112, le héros Aonien est Hercule.
La brise... (10, 591ss). Ovide s’inspire sans doute d’une statue ou d’un tableau représentant la course d’une chasseresse.
un voile pourpre, tendu (10, 595). On peut imaginer l’atrium d’une grande maison, dont l’ouverture dans le toit était fermée par une tenture de pourpre (un velum) qui colorait de rose le marbre blanc du sol. La comparaison est plutôt recherchée !
Mégarée d’Onchestos (10, 605). Onchestos est une ville de Béotie, où régnait Mégarée, fils ou descendant de Neptune. Voir n. à 10, 576.
fille de Schénée (10, 609). C’est Atalante, à qui la tradition prête divers pères. Le nom le plus répandu, depuis Hésiode, est celui de Schénée, fils d’Athamas et de Thémisto et éponyme de la ville béotienne de Schénonte (d’après Apollodore).
quatrième génération (10, 617). Hippomène, étant le fils de Mégarée, est lui-même petit-fils de Neptune (cfr 605-606).
peuple et nobles (10, 638). On se croirait à Rome, pour une course de chars.
Cythérée (10, 640). Vénus. Voir 10, 529-531.
Tamasos (10, 644). Nom d’une ville de Chypre, où se trouvaient des mines de cuivre ; Ovide parle aussi des bronzes de Témèse en Fast., 5, 440-441. Cela pourrait expliquer la légende des pommes d’or, qui va suivre. D’autres sources toutefois racontent que les pommes d’or données à Hippomène par Vénus provenaient du jardin des Hespérides.
On pourrait penser (10, 654). Ovide a repris et adapté ici un passage célèbre de Virgile (Én., 7, 808-811) décrivant la rapidité à la course de la vierge Camille.
Échion (10, 686). Plusieurs personnages portent ce nom, notamment un des géants nés des dents du dragon semées par Cadmus (3, 101-137), ainsi qu’un des Argonautes, frère d’Eurytos, qui participe à la chasse au sanglier de Calydon (8, 311 et 345-346).
mère des dieux. (10, 687). Il s’agit donc de Cybèle, la « Grande Mère » ou la « Mère des Dieux », originaire de Phrygie. Elle personnifie la puissance naturelle de la végétation. Son culte s’est répandu dans le monde méditerranéen, et en Grèce elle fut rapidement assimilée à Rhéa, épouse de Cronos et mère de Zeus. Pour une présentation générale, voir Fast., 4, 179-372, et particulièrement la n. au vers 4, 181. Dans le présent passage des Métamorphoses, Ovide ne précise pas l’endroit où s’élevait le fameux temple de Cybèle, profané par la conduite d’Atalante et Hippomène. On notera que d’autres auteurs, comme Hygin et Apollodore, situent le sacrilège dans un temple de Zeus.
statues de bois (10, 694). On pense aux images ou statues de divinités taillées dans le bois, que les Grecs appelaient xoana.
couronnée de tours (10, 697). À Rome, Cybèle était représentée la tête couronnée de tours, sur un char traîné par de puissants lions (vers 704).
lions (10, 704). Les lions qui tiraient le char de Cybèle étaient considérés comme ses attributs.
La mort d’Adonis (10, 708-739). Pour ce qui est de la mort d’Adonis (sa naissance a été traitée en 10, 503-512), les variantes et les références abondent. Sa mort « était commémorée chaque année [...] par les fêtes des Adonia, qui, célébrées d’abord en Syrie et particulièrement à Byblos, le furent rapidement dans tout le monde grec. Autour d’une image d’Adonis, étendue sur un lit funéraire, les femmes se livraient à toutes les démonstrations du deuil le plus bruyant et de la douleur la plus vive. Théocrite, dans son idylle des Syracusaines (XV), fait une description pittoresque de la fête à Alexandrie. » On plantait dans des vases des graines (les « jardins d’Adonis ») qui étaient arrosées d’eau chaude pour hâter leur développement. Très vite poussées, elles étaient éphémères et symbolisaient ainsi le sort du dieu. « La mort d’Adonis avait été suivie de sa résurrection, obtenue de Zeus par Aphrodite, et célébrée avec les mêmes transports. Le jeune homme passait, disait-on, quatre mois aux Enfers auprès de Perséphone, éprise aussi de lui, et le reste de l’année auprès d’Aphrodite ». Selon certaines formes de la légende en effet, Aphrodite aurait confié l’enfant Adonis à Perséphone, qui à son tour se serait éprise de sa beauté, si bien que les deux déesses se l’étaient disputé. Zeus avait tranché en décrétant qu’Adonis passerait du temps alternativement avec Aphrodite et avec Perséphone. « On reconnaît, dans cette légende, un des mythes concernant les phases de la végétaion et la succession des saisons. » (J. Chamonard) Plusieurs légendes de fleurs sont liées à Adonis. Ovide ici fait état de l’anémone, mais sans citer son nom (vers 739).
menthe (10, 730). Perséphone, par jalousie, avait piétiné la nymphe Minthé, qu’aimait Hadès ; ce dernier l’avait alors transformée en une plante « qui prit d’elle le nom de menthe et qui poussait en abondance sur le mont Minthé, aux confins de l’Arcadie » (J. Chamonard). L’histoire est racontée par Strabon, 8, 3, 14.