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Agénor, roi de Phénicie, charge son fils Cadmos de rechercher sa fille Europe, lui interdisant de rentrer avant de l’avoir retrouvée. Après des pérégrinations nombreuses et vaines, Cadmos renonce et cherche une nouvelle patrie. Un oracle de Phébus lui conseille de suivre une génisse qui le guidera vers la terre qui lui est destinée, la Béotie. (3, 1-25)
Cadmos décide de s’installer sur cette terre promise, et envoie certains de ses compagnons tyriens chercher de l’eau pour des libations en l’honneur de Jupiter, mais les serviteurs sont exterminés par un dragon monstrueux surgi de la source. Parti à leur recherche, Cadmos découvre l’animal et jure de venger ses hommes. Au cours d’un combat épique, aux multiples rebondissements, le héros parvient à terrasser le monstre, mais un oracle lui prédit sa métamorphose en serpent. (3, 26-100)
Sur le conseil de Pallas-Athéna, le héros sème les dents du dragon, d’où émerge bientôt toute une armée équipée. Resté à l’écart, Cadmos voit s’engager un combat, suivi d’un carnage général. Ne survivront que cinq jeunes gens, qu’on appellera les Spartoi (littéralement « les semés »), parmi lesquels Échion. Poussé par Pallas-Athéna, Échion propose de faire la paix, et les cinq survivants seront les compagnons de Cadmos lors de la fondation de Thèbes. Cadmos épouse Harmonie, fille de Mars et Vénus. Père d’une importante postérité, il semble - provisoirement, du moins - au comble de la félicité. (3, 101-137)
Et déjà Jupiter s’était défait de sa fallacieuse apparence de taureau.
Il avait avoué son identité et séjournait dans les campagnes du Dicté,
quand le père d’Europe, ignorant l’incident, ordonne à Cadmos
de rechercher sa fille enlevée. Puis, se montrant et pieux et criminel,
5
il ajoute qu’il le punirait de l’exil, s’il ne la retrouvait pas.
Après avoir parcouru le monde en tous sens (qui en effet pourrait
surprendre les amours secrètes de Jupiter ?), le fils d’Agénor, en exil,
évite sa patrie et la colère paternelle ; il consulte les oracles de Phébus
tel un suppliant, et cherche à savoir quelle terre il pourrait habiter.
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« Tu rencontreras une génisse dans des champs déserts », dit Phébus,
« elle n’aura jamais subi le joug ni connu la charrue recourbée.
Prends-là pour guide, suis ta route et, dans l’herbe où elle se sera posée,
établis des murs que tu appelleras remparts de Béotie. »
À peine Cadmos rassuré était-il descendu de l’antre de Castalie,
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qu’il voit s’avancer lentement une génisse : elle n’est pas gardée
et son encolure ne porte aucune marque de dépendance.
Il la suit, marche sur ses traces d’un pas empressé et,
sans mot dire, vénère Phébus qui lui a conseillé sa route.
Déjà il avait quitté les marais du Céphise et les champs de Panope
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quand la génisse s’arrêta et, levant vers le ciel un front magnifique
paré de longues cornes, elle lança dans l’air ses mugissements,
puis, se retournant vers les compagnons qui la suivaient,
elle se coucha et étendit son flanc dans l’herbe tendre.
Cadmos rend grâces, couvre de baisers cette terre étrangère
et salue ces monts et ces champs qu’il ne connaissait pas.
Il s’apprêtait à faire des offrandes à Jupiter : il charge des serviteurs
d’aller chercher de l’eau à une source vive pour les libations.
Il y avait là une forêt ancienne, qu’aucune hache n’avait violée,
et, en son centre, une grotte couverte de branches d’osier touffues
formait avec des pierres assemblées une voûte basse,
d’où jaillissait une eau abondante. Dans cette grotte se cachait
un dragon, né de Mars, paré d’une crête d’or extraordinaire.
Ses yeux brillent et flamboient, tout son corps est gonflé de venins,
et ses trois langues vibrent derrière une triple rangée de dents.
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Lorsque les Tyriens, portés par leurs pas funestes,
eurent atteint ce bois, lorsque l’urne plongée dans l’eau
fit entendre un bruit, le dragon à la couleur d’azur sortit la tête
de l’antre profond et émit des sifflements effrayants.
L’urne glissa de leurs mains, le sang sembla quitter leurs corps
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et un tremblement subit s’empara de leurs membres épouvantés.
Le monstre noue et tord en les enroulant ses anneaux écailleux ;
il rampe en bonds sinueux, dessinant des arcs immenses,
puis, soulevant plus que la moitié de son corps dans l’air léger,
il toise tout le bois ; son corps, si on l’apercevait en entier,
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est aussi grand que le Serpentaire entre les deux Ourses.
Aussitôt, tandis que des Phéniciens préparaient leurs traits,
d’autres leur fuite, et que d’autres encore étaient paralysés de crainte,
le dragon attaque : ils sont tués, les uns à coups de dents, d’autres broyés
dans ses longs anneaux, ou étouffés par le souffle funeste de son venin.
Le soleil très haut déjà avait fait les ombres toutes petites.
Le fils d’Agénor s’étonne du retard de ses compagnons et partout
recherche ses hommes. La dépouille d’un lion le couvrait,
il était armé d’une lance au fer étincelant et d’un javelot,
mais sa vaillance était plus remarquable que tout son équipement.
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Dès qu’il eut pénétré dans le bois, il vit les corps sans vie
et au-dessus d’eux, victorieux, leur ennemi à la vaste échine,
léchant de sa langue sanglante leurs horribles blessures,
« Cœurs très fidèles, ou je vengerai votre mort », dit-il,
« ou je vous accompagnerai ». Il dit et de la main droite
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enleva une roche immense, qu’il lança en un immense effort.
Le choc du rocher aurait ébranlé de hautes murailles
et leurs hautes tours, mais le serpent resta indemme :
ses écailles le défendaient, à la manière d’une cuirasse,
et le coup violent ricocha sur le cuir épais de sa peau noire.
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Mais cette dureté ne triompha toutefois pas du javelot
qui vint se planter au milieu de la courbure de sa souple échine.
La lame pénétra entièrement dans les entrailles de la bête.
Celle-ci, rendue féroce par la douleur, tourna la tête en arrière,
examina sa blessure et mordit sur le trait enfoncé dans sa chair.
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Mais, après l’avoir secoué violemment en tous sens,
elle l’arracha à peine de son dos ; le fer resta fiché dans ses os.
Mais à ce moment, lorsque, à sa fureur ordinaire s’ajouta
cette cause nouvelle, sa gorge se gonfla à pleines veines,
une écume blanchâtre s’écoula de sa gueule empestée,
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la terre, raclée par ses écailles, résonne, et l’haleine noire
qui sort de sa bouche infernale souille l’air et l’infecte.
Tantôt il s’enroule dans l’immense anneau de ses spires,
parfois il se dresse plus droit qu’un tronc majestueux,
tantôt, impétueusement, tel un fleuve entraîné par des orages,
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il est emporté et de son poitrail renverse les forêts sur son passage.
Le fils d’Agénor recule un peu et, protégé par sa dépouille léonine,
il soutient les assauts, écartant de sa pique tendue
la gueule menaçante : le monstre furieux cogne en vain
la dure lame, enfonçant ses dents dans la pointe de l’arme.
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Et déjà de son palais venimeux le sang s’était mis à couler
et ses flots avaient teinté le gazon verdoyant ;
mais la blessure était légère, parce qu’il esquivait les coups,
ramenant en arrière sa nuque blessée, empêchant par ce retrait
le coup de s’abattre et la pointe de pénétrer plus profondément.
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Finalement le fils d’Agénor lui ficha sa pique dans la gorge
sans cesser de le suivre et de le presser ; alors le dragon, reculant,
heurta un chêne, et sa cervelle tout comme l’arbre fut transpercée.
Sous le poids du serpent, l’arbre se courba et gémit
quand l’extrémité de la queue en fouetta le tronc.
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Le vainqueur considérait l’espace occupé par son ennemi vaincu,
quand soudain il entend une voix - on ne savait d’où elle venait,
mais on l’entendait - : « Pourquoi, fils d’Agénor, regardes-tu
ce serpent anéanti ? Toi aussi devenu serpent, tu seras regardé ».
Longtemps épouvanté, le héros avait perdu ses esprits et ses couleurs
tandis qu’une terreur glaciale lui hérissait les cheveux.
Mais bientôt, descendue des régions célestes, sa protectrice,
Pallas, se présente et lui ordonne de remuer la terre
et d’y déposer les dents du dragon, germes d’un peuple futur.
Il obéit et, dès que, poussant une charrue, il eut tracé un sillon,
105
selon l’ordre reçu, il sema sur le sol ces dents, graines de mortels.
Alors, chose incroyable, les mottes de terre se mirent à bouger,
et, hors des sillons, une première pointe de lance apparut.
Bientôt émergent des têtes casquées agitant un panache coloré,
bientôt s’élèvent des épaules et des torses et des bras chargés d’armes :
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on voit surgir et croître une moisson d’hommes avec des boucliers.
Ainsi, lorsqu’on lève les rideaux dans les théâtres, lors des fêtes,
on voit souvent surgir des statues, d’abord leurs visages,
et peu à peu tout le reste ; tirées avec une lenteur progressive,
elles apparaissent tout entières, jusqu’aux extrémités de leurs pieds.
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Effrayé par cet ennemi nouveau, Cadmus s’apprêtait à s’armer :
« Non », s’écrie l’un des hommes sortis de la terre,
« ne t’engage pas dans des guerres entre citoyens ! ».
Sur ce, tout près de lui, il frappe de sa dure épée un de ses frères
nés de la terre, puis lui-même tombe, atteint par un trait lancé de loin.
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L’homme qui lui avait donné la mort ne lui survit pas longtemps :
il expire en rendant le souffle qu’il venait de recevoir.
À cet exemple, la foule entière est prise de fureur ; ces frères nouveaux
meurent au combat, sous les coups qu’ils se portent mutuellement.
Ces jeunes gens, gratifiés par le sort d’une vie déjà courte,
heurtaient de leur poitrine encore tiède leur mère ensanglantée
Il y eut cinq survivants, dont l’un s’appelait Échion.
Sur ordre de la Tritonide, il jeta ses armes sur le sol,
puis réclama et proposa une promesse de paix entre frères.
L’étranger venu de Sidon les prit pour compagnons de son œuvre
130
lorsque, obéissant aux oracles de Phébus, il fonda sa ville.
Déjà Thèbes était debout, déjà, tu pouvais te croire en droit, Cadmos,
de te féliciter de ton exil : Mars et Vénus t’avaient accepté pour gendre.
Ajoute à cela une épouse de si noble naissance,
tant de fils et de filles, et de petits-enfants, gages de tendresse,
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eux aussi déjà devenus des jeunes gens. Mais il est sûr qu’il faut toujours
attendre le dernier jour de la vie d’un homme, et que personne ne peut
être proclamé heureux avant sa mort et ses funérailles suprêmes.
Actéon, victime d’une erreur de la Fortune, fut le premier malheur de son grand-père Cadmos. (3, 138-142)
Le jeune Actéon, au soir d’une fructeuse journée de chasse, propose à ses compagnons d’interrompre leurs ébats et, se promenant seul dans les fourrés, il s’égare involontairement dans une vallée consacrée à Diane, la déesse de la chasse. Au fond de la vallée, une grotte naturelle alimentée par une source vive sert de lieu de détente à la déesse et à ses compagnes, après la chasse. C’est là que l’infortuné Actéon surprend la déesse en train de se baigner. Sans attendre, la déesse furieuse punit Actéon, involontairement indiscret, en le métamorphosant en cerf. (3, 143-199)
Actéon, conscient, mais incapable de parler, meurt lacéré par la meute de ses propres chiens, qui s’acharnent sauvagement sur lui, en présence de ses compagnons de chasse, qui ignorent tout de son identité. Cette cruelle punition aurait enfin apaisé la colère de Diane. (3, 200-252)
138
Parmi tant de succès, Cadmos, un premier chagrin te vint
de ton petit-fils, des cornes étranges qui s’ajoutèrent à son front,
140
et de vous, les chiens, qui vous êtes repus du sang de votre maître.
Mais à bien chercher, c’est un grief de la Fortune, non un crime
que l’on trouvera chez lui ; en effet, quel crime comportait une méprise ?
La montagne était imprégnée du sang de divers fauves abattus ;
déjà le milieu du jour avait contracté les ombres des choses
et le soleil était à égale distance de ses deux bornes,
lorsque la voix paisible du jeune homme du pays des Hyantes
hèle ses compagnons de chasse, dispersés dans des coins écartés.
« Mes amis, nos filets et nos traits sont trempés du sang des bêtes,
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couleur de safran une autre Aurore ramènera la lumière,
nous reprendrons notre tâche. En ce moment, Phébus, au centre
des extrémités de la terre, fend le sol des campagnes de ses chauds rayons.
Faites une pause maintenant, et relevez les filets noueux ! »
Les hommes exécutent les ordres et interrompent leurs activités.
Il était une vallée abondant en épicéas et en cyprès élancés,
nommée Gargaphie, et consacrée à Diane à la robe retroussée.
Tout au fond de cette vallée se trouve une grotte boisée,
qui ne doit rien à l’art : la nature, par son génie propre,
avait imité l’art ; en effet, dans la pierre ponce vive
160
et le tuf friable, elle avait dessiné une arcade naturelle ;
sur la droite chante une petite source à l’onde transparente
et un large creux est entouré d’une bordure de gazon.
Là la déesse des forêts, lassée après la chasse, avait pour habitude
d’inonder de cette onde limpide son corps virginal.
165
Une fois dans la grotte, elle remit à la nymphe chargée de ses armes,
son javelot, son carquois et son arc détendu ;
une autre tendit les bras pour recevoir la tunique de la déesse dévêtue ;
deux autres délacèrent les lanières de ses pieds ; plus habile que les autres,
Crocalé l’Isménienne, même si sa propre chevelure était flottante,
170
ramassa dans un nœud les cheveux de Diane épars sur sa nuque.
Néphélé, Hyalé et Rhanis, ainsi que Psécas et Phialé
puisent de l’eau et la déversent de leurs urnes pleines.
Pendant que la Titanienne se baigne ainsi dans l’onde familière,
voici que le petit-fils de Cadmos, qui avait reporté sa chasse,
175
s’aventure d’un pas mal assuré dans cette forêt inconnue
et parvient au bois sacré ; ainsi le portait son destin.
Dès qu’il fut entré dans l’antre ruisselant de l’eau de la source,
les nymphes dénudées, dans l’état où elles étaient,
aperçurent le héros, se frappèrent la poitrine, emplirent le bois
180
de hurlements soudains, puis, faisant cercle autour de Diane,
la protégèrent de leurs corps. Cependant, la déesse,
plus grande qu’elles, les dépasse toutes d’une tête.
La couleur des nuages teintés par le soleil qui les frappe
directement ou celle d’une aurore empourprée ressemblait
185
au teint du visage de Diane, surprise sans vêtement.
Celle-ci, bien qu’entourée du groupe de ses compagnes,
se dressa cependant de côté, tourna la tête en arrière
et, comme si elle avait voulu avoir ses flèches prêtes,
elle prit l’eau à sa portée et la jeta à la figure de l’homme,
répandant sur ses cheveux des ondes vengeresses.
Puis elle ajouta ces paroles qui annonçaient sa ruine future :
« Maintenant raconte que tu m’as vue, sans un voile,
si tu peux raconter, libre à toi » ! Et sans menacer davantage,
elle donne à la tête inondée les cornes d’un cerf vif,
195
allonge son cou, termine en pointes ses oreilles,
transforme ses mains en pieds, ses bras en pattes effilées,
et couvre son corps d’une peau tachetée.
Elle lui ajoute aussi la crainte : le héros, fils d’Autonoè,
s’enfuit et s’étonne d’être si rapide dans sa course même.
200
Mais lorsque qu’il aperçoit son visage et ses cornes dans l’eau,
« Malheur à moi ! » s’apprêtait-il à dire. Mais aucune parole ne suivit ;
il gémit ; ce fut son seul langage ; et des larmes coulèrent
sur un visage qui n’était pas le sien ; seul son esprit ancien subsistait.
Que faire ? Allait-il regagner sa demeure et le toit royal ?
205
Allait-il se cacher dans la forêt ? La honte lui interdisait une possibilité,
la crainte l’autre. Il hésite, ses chiens le voient ; et Mélampus
et le subtil Ichnobates par leurs aboiements déclenchèrent le signal,
Ichnobates, le Gnosien, et Mélampus, de race spartiate.
Ensuite les autres se précipitent, plus vite que l’air rapide,
210
Pamphagos et Dorcée et Oribasos, tous venus d’Arcadie,
le vaillant Nébrophonos et le farouche Théron et Lélaps,
puis Ptérélas efficace à la course, et Agré au flair très utile,
le fougueux Hylée récemment blessé par un sanglier,
la chienne Napé, née d’un loup et Péménis, qui avait suivi
215
des troupeaux, ainsi que Harpyia, accompagnée de deux chiots,
et Ladon de Sicyone avec son ventre maigre,
Dromas, Canaché, Sticté, Tigris et Alcé,
Leucon et son poil de neige, Asbolus à la robe noire,
le très vigoureux Lacon et Aello, courageux coursier,
220
et Thoüs et la véloce Cyprio avec son frère Lyciscé,
et, distingué par une tache noire au milieu de son front blanc,
Harpalos, puis Mélanée et la chienne Lachné au corps hirsute,
et aussi, nés d’un père de Dicté mais d’une mère de Laconie,
Labros et Agriodos ainsi que Hylactor à la voix perçante
225
et ceux qu’il est trop long de citer. Cette meute, avide de sa proie,
poursuit le cerf à travers crevasses, rochers et pierres inaccessibles,
là où le passage est difficile, là où il n’existe pas.
Il fuit à travers les lieux où souvent il avait été le poursuivant.
Hélas ! Ce sont même ses propres serviteurs qu’il fuit.
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Il aurait pu s’écrier : « C’est moi, Actéon, reconnaissez votre maître. »
Son esprit ne trouve plus ses mots. L’air retentit d’aboiements.
Mélanchétès porta à son dos les premières blessures,
Thérodamas, les suivantes ; Orésitrophos s’acharna sur son épaule ;
sortis plus tard, ils avaient pris les devants par des raccourcis,
235
à travers les montagnes. Tandis que ces chiens bloquent leur maître,
le reste de la meute se rassemble et tous les crocs se portent sur le corps.
Déjà la place manque pour les coups ; la victime gémit et le son ainsi émis,
qui n’est pas d’un homme, mais qui n’est pas non plus d’un cerf,
remplit les taillis familiers de lamentations plaintives.
240
Suppliant, les genoux fléchis, et avec l’air de quelqu’un en prière,
il tourne en tous sens son visage muet, comme il tendrait ses bras.
Par ailleurs, ses compagnons inconscients excitent la meute rapide,
avec leurs cris habituels, et des yeux cherchent Actéon ;
et comme s’il était absent, à l’envi ils crient « Actéon »
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- à son nom, lui bouge la tête -, ils déplorent son absence
et son peu d’empressement à contempler la proie qui s’offre à lui.
En fait, il voudrait être absent, mais il est présent ; et il voudrait voir,
plutôt qu’éprouver les morsures sauvages de ses chiens.
Ils l’entourent complètement et, le museau plongé dans son corps,
250
ils lacèrent leur maître vivant sous l’image trompeuse d’un cerf.
Et seule la fin de sa vie, suite à d’innombrables blessures,
apaisa, dit-on, la colère de Diane, la déesse au carquois.
Jupiter... (3, 1ss.). Le récit de l’enlèvement d’Europe, princesse phénicienne, par Jupiter déguisé en taureau (Mét., 2, 833-875. Voir aussi Fast., 5, 605-619) fournit à Ovide une transition qui lui permet de déplacer l’action vers la Grèce, précisément à Thèbes. En effet, le livre 3 relate des légendes thébaines, tournant autour de Cadmos, fondateur de Thèbes, de son entourage et du culte de Dionysos-Bacchus.
Dicté (3, 2). Montagne de Crète, où serait né Jupiter et où le dieu aurait emmené Europe après le rapt.
père d’Europe... (3, 3). Agénor était selon Ovide, 2, 858, le père d’Europe et de Cadmos. Dans le présent livre, le poète présente Cadmos comme « le fils d’Agénor » (cfr les vers 7, 51, 97) ou « l’étranger venu de Sidon » (vers 129), tandis que les compagnons du héros sont « les hommes de Tyr » (vers 35) ou « les Phéniciens » (vers 47). Toutefois en 4, 772, le mot latin « Agenorides » désignera formellement Persée.
le fils d’Agénor (3, 7). Cadmos.
Béotie (3, 13). Jeu étymologique entre le nom de la contrée (Boeotia), la Béotie, et celui de la génisse (bos), l’animal-guide annoncé dans l’oracle de Phébus-Apollon. L’histoire de Cadmos, qu’une génisse guide vers le lieu où il fondera Thèbes, n’est qu’une application du thème folklorique de l’animal guide. Les exemples foisonnent, dans de nombreuses cultures, du motif de l’animal qui guide les hommes vers l’emplacement futur d’une colonie, ou d’une ville, ou d’un sanctuaire, ou (dans le monde chrétien) d’une église, plus modestement même parfois vers l’endroit où est dissimulé un bien précieux. L’anecdote de la truie romaine aux trente petits (cfr Virg., Én., 3, 388-393 ; 8, 81-85) est construite sur le même motif de l’animal-guide (cfr article de J. Poucet dans les FEC)
Castalie (3, 14). Célèbre source du Parnasse dont l’eau coule à Delphes et qui était consacrée à Apollon et aux Nymphes. Cadmos avait donc consulté l’oracle d’Apollon à Delphes.
Céphise (3, 19). Fleuve de Béotie, qui coule au nord du Parnasse, et se jette dans le lac Copaïs. (Mét., 1, 369). Il passe pour le père de Narcisse dont l’histoire est racontée plus loin. Son nom se retrouve en Mét., 3, 343, et 3, 351. Cité aussi dans Mét., 7, 388 et dans la n. à 7, 438.
Panope (3, 19). Ville de Phocide, région proche du mont Parnasse. Les deux termes géographiques sont destinés à suggérer l’itinéraire suivi par Cadmos entre Delphes et la future Thèbes.
source vive (3, 25). Pour un sacrifice, on avait besoin d’une eau « pure », qu’on allait généralement puiser à une source.
dragon né de Mars (3, 32). Arès-Mars possédait dans cette région une source gardée par un dragon dont il était le père. P. Grimal fournit à ce propos quelques précisions utiles pour la suite du récit d’Ovide : « on rendait à Arès un culte particulier à Thèbes, où il passait pour l’ancêtre des descendants de Cadmos. C’est là, en effet, qu’il possédait une source, gardée par un dragon, dont il était le père. Lorsque Cadmos, pour accomplir un sacrifice, voulut puiser de l’eau à cette source, le dragon tenta de l’en empêcher. Cadmos le tua, et, pour expier ce meurtre, dut servir Arès pendant huit ans, en qualité d’esclave. Mais à l’expiration de ce terme, les dieux marièrent Cadmos à Harmonie, la fille d’Arès et d’Aphrodite ».
Serpent... Ourses (3, 49). La constellation du Serpentaire résulte du catastérisme d’Asclépios-Esculape. Fils d’Apollon et de la nymphe Coronis, et donc petit-fils de Zeus, Asclépios-Esculape était non seulement un dieu guérisseur, mais il lui arrivait de ressusciter les morts, ce dont prit ombrage Hadès, le dieu des enfers. Zeus-Jupiter foudroya son petit-fils, mais finalement, à la demande d’Apollon, il l’éleva au rang des étoiles, tenant en main un serpent, d’où le nom de la constellation (voir Fast., 6, 735-736, avec les notes). Le Serpentaire est voisin du pôle nord, d’où la mention des deux Ourses (la Grande et la Petite), abondamment mentionnées dans les Fastes (2, 189-192 ; 3, 107, 405, 793).
je vengerai votre mort... (3, 58-94). Le récit du combat de Cadmos contre le dragon de Thèbes est évoqué notamment dans Euripide, Phéniciennes, 638-675, mais aussi chez Sénèque, Oedipe, 709-732. Quatre siècles après Ovide, dans les Dionysiaques, 4, 304-416, Nonnos, qui s’inspire sans doute de sources grecques, donne un récit très proche de celui d’Ovide.
devenu serpent (3, 98). Cadmos et son épouse Harmonie furent métamorphosés en serpents (Mét., 4, 563-603).
Pallas (3, 102). Épithète de la déesse Athéna, qui sera désignée au vers 127 par le terme « Tritonide ». On l’appelle parfois aussi « Tritonienne ». Cfr Fast., 6, 655.
Échion (3, 126). Cet Échion, inspiré par Pallas, apparaît ici comme l’initiateur de la paix. Il épousera une fille de Cadmos, Agavè, dont naîtra Penthée, roi impie (cfr infra 3, 511ss). Sur Échion, voir Mét., 10, 686 ; Hygin, Fab., 178, 6 et 184, 1.
Déjà (3, 131). Ovide fait un bond dans l’avenir. Il ne raconte pas que Cadmos dut expier le meurtre du dragon, en servant Arès-Mars comme esclave pendant huit ans, et qu’ensuite, grâce à la protection d’Athéna, il devint roi de Thèbes.
gendre (3, 132 ss.). Zeus-Jupiter donna pour épouse à Cadmos la déesse Harmonie, fille de Arès-Mars et Aphrodite-Vénus. De cette union naîtront quatre filles dont on reparlera, Autonoè, Ino, Agavè et Sémélè, et un fils, Polydoros.
petit-fils (3, 138-252). Actéon, fils d’Autonoè (une des quatre filles de Cadmos) et d’Aristée (fils d’Apollon et de Cyrène). Il était donc d’origine divine, descendant de Mars par sa mère Harmonie, et d’Apollon par son père. Parmi les diverses légendes relatant sa fin, celle que rapporte ici Ovide est la plus répandue. Ovide ne dit pas qu’Actéon fut éduqué par Chiron le Centaure, et que ses cinquante chiens, après l’avoir dévoré le cherchèrent et parvinrent chez Chiron, qui les consola en façonnant une statue à l’image de leur maître. Voir aussi Hygin, Fab., 180 ; 181 ; 247.
Hyantes (3, 146-147). Nom synonyme de « Béotiens », dont le héros éponyme serait Hyas, frère des Hyades. Cfr Ovide, Fast., 5, 170 avec la note, et Mét., 5, 312 avec la note. Sur les Hyades, cfr Fast., 5, 166ss.
Gargaphie (3, 156). Près de Platées, vallée de Béotie, consacrée à Diane, la déesse chasseresse.
Crocalé l’Isménienne... (3, 169-172). Suit une série de noms désignant des nymphes attachées au service de Diane. L’Isménos étant un fleuve de la région de Thèbes, « l’Isménienne » est donc synonyme de « la Thébaine » (cfr 2, 244, et 3, 733).
Titanienne (3, 173). Le terme signifie « fille, petite-fille ou sœur d’un Titan ». Il s’applique à diverses divinités, dont Diane-Artémis.
Autonoè (3, 198). La mère d’Actéon, une des quatre filles de Cadmos et d’Harmonie.
Mélampus... (3, 206-225). Poètes et mythographes proposent diverses listes de noms pour les chiens d’Actéon, qui appartenaient à des races de Laconie, d’Arcadie et de Crète, connues encore au temps d’Ovide. Voir Hygin, Fab., 181.
Gnosien et spartiate (3, 208). Ces deux adjectifs évoquent respectivement la Crète (Cnossos) et la Laconie.