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Le corbeau, jadis de couleur blanche, s’apprête à aller révéler à son maître Apollon l’infidélité de la belle Coronis. Une corneille le met en garde contre un excès d’empressement à intervenir dans les affaires d’autrui, en lui racontant sa propre mésaventure. En effet, Pallas avait enfermé Érichtonius, bébé conçu sans mère, dans un coffret qu’elle avait confié à la garde des filles de Cécrops, avec la consigne de ne pas chercher à connaître son secret. Aglauros, une des Cécropides, cède à la curiosité. Témoin de cette indiscrétion, la corneille s’empresse de rapporter la chose à Minerve/Pallas, qui l’exclut aussitôt du cercle de ses protégés au profit de la chouette. (2, 531-565)
La corneille (cornix) revient alors à sa propre histoire : fille du roi Coroneus de Phocide, elle inspira à Neptune une violente passion ; mais pour lui permettre d’échapper à la poursuite du dieu, Minerve la métamorphosa en corneille et fit d’elle sa fidèle suivante ; elle fut pourtant détrônée par Nyctimène, métamorphosée à son tour en chouette suite à un inceste. (2, 566-597)
Le corbeau n’écoute pas la corneille bavarde et rapporte à Apollon la trahison de Coronis. Le dieu furieux transperce d’une flèche sa maîtresse infidèle qui, en mourant, lui révèle qu’elle attend de lui un enfant ; le dieu alors, en proie au remords, ne réussit pas à sauver Coronis mais sauve du moins son fœtus (le futur Esculape), et le confie au centaure Chiron, tandis qu’il punit l’indiscrétion du corbeau en l’excluant des oiseaux de couleur blanche. (2, 598-632)
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Les dieux de la mer avaient approuvé de la tête ; la Saturnienne regagne
l’éther limpide sur son char rapide tiré par des paons chatoyants,
chatoyants depuis peu de temps, après le meurtre d’Argus,
tout comme toi, corbeau babillard, naguère éclatant de blancheur,
qui as changé de couleur, subitement doté d’ailes noires.
Jadis en effet, cet oiseau avait l’éclat de l’argent et des plumes de neige,
au point qu’il rivalisait avec toutes les colombes immaculées
et ne le cédait ni aux oies qui, grâce à leur voix vigilante,
sauveraient un jour le Capitole, ni au cygne, ami des rivières.
Sa langue le perdit ; sa langue bavarde aidant, celui qui était
blanc est maintenant de la couleur opposée au blanc.
Il n’existait pas dans toute l’Hémonie de fille plus belle
que Coronis de Larissa ; en tout cas, dieu de Delphes, elle te plut,
tant qu’elle fut fidèle ou agit sans témoins indiscrets ;
mais l’oiseau de Phébus remarqua son infidélité et,
indicateur impitoyable, il se rendait auprès de son maître
pour lui révéler cette faute restée secrète. Une corneille bavarde
le suit à tire d’ailes, voulant tout savoir ; quand elle apprend la raison
de son déplacement : « Tu entames un voyage bien inutile » ; dit-elle,
« ne néglige pas les prédictions contenues dans mon récit.
Vois ce que j’ai été et ce que je suis, et demande-toi
comment j’ai mérité ce sort. Tu verras que ma fidélité m’a nui.
En effet, au temps jadis, Pallas avait enfermé Érichthonius,
un enfant né sans mère, dans une corbeille tressée d’osier de l’Acté,
et l’avait confié aux trois vierges, filles de l’hybride Cécrops,
leur fixant pour règle de ne pas regarder son contenu secret.
Cachée par un léger feuillage, du haut d’un orme épais,
j’observais ce qu’elles faisaient ; Pandrosos et Hersé, toutes deux,
gardent loyalement l’objet qui leur est confié ; seule Aglauros
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taxe ses sœurs de timidité, et sa main défait les nœuds de la corbeille ;
dedans, elles voient un petit enfant et un serpent étendu à côté de lui.
Je rapporte ces faits à la déesse ; en échange, j’obtiens la faveur
d’apprendre que je suis exclue des protégés de Minerve,
et reléguée derrière l’oiseau de la nuit. Le résultat de ma punition
c’est d’avoir averti les oiseaux d’éviter les risques du bavardage.
Mais, j’y pense, c’est elle qui m’a cherchée, moi spontanément,
je ne demandais pas vainement cela ! Libre à toi d’interroger Pallas ;
elle est irritée, mais malgré sa colère elle ne le niera pas.
Or donc, Coroneus, célèbre en terre de Phocide, était mon père
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- ces faits sont connus -, et moi, j’étais fille de sang royal,
recherchée - ne me regarde pas de haut - par de riches prétendants.
Ma beauté me fit grand tort. En effet, un jour que, à mon habitude,
je me promenais à pas lents sur le sable, le long du rivage,
le dieu de la mer me vit et s’enflamma. Tout d’abord,
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il perd du temps en prières et propos caressants,
puis il se prépare à me violenter et me poursuit. Je fuis
et, quittant le rivage ferme, je m’épuise en vain sur le sable mou.
Alors j’invoque les dieux et les humains, mais nul mortel
n’entendit ma voix ; une vierge s’est émue pour une vierge
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et lui a porté secours. Je tendais les bras vers le ciel ;
mes bras commencèrent à noircir, transformés en ailes légères.
Je tentais de rejeter ma robe de mes épaules, mais devenue plumage,
elle poussait sous ma peau de profondes racines.
J’essayais de frapper de mes mains ma poitrine nue,
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mais déjà je n’avais plus ni mains ni poitrine nue.
Je courais, mais le sable ne retenait plus mes pieds comme avant,
et j’étais soulevée de la surface du sol. Bientôt, emportée dans les airs,
me voilà, pure de toute faute, livrée à Minerve, comme suivante.
Mais à quoi cela me sert-il, puisque, suite à un crime abominable,
Nyctimène, devenue oiseau, m’a succédé dans cet honneur ?
N’as-tu donc pas entendu cette histoire, connue de tout Lesbos,
disant que Nyctimène a souillé la couche paternelle ?
Elle est oiseau sans doute, mais consciente de sa faute,
elle fuit les regards et la lumière, dans les ténèbres,
elle cache sa honte, chassée par tous du royaume de l’éther ».
À ces paroles le corbeau dit : « Grand mal te fassent
tes mises en garde ; moi, je méprise ton vain présage. »
Il ne renonce pas au voyage entrepris et raconte à son maître
qu’il a vu Coronis couchée avec un jeune homme d’Hémonie.
Apprenant le crime de son amante, le dieu laissa tomber son laurier ;
ses traits se défirent, son visage devint livide, son plectre lui échappa ;
tandis qu’il bouillonnait, le cœur tout gonflé de colère,
il saisit ses armes coutumières, tendit son arc flexible,
et ce cœur qu’il avait tant de fois serré sur son cœur,
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il le transperça d’un trait imparable.
Frappée, Coronis gémit et, une fois le fer retiré de la plaie,
tandis qu’un sang pourpre inonde ses membres blancs, elle dit :
« J’aurais pu, Phébus, subir un châtiment de ta part,
mais m’être accouchée d’abord : maintenant nous serons deux à mourir. »
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Elle n’en dit pas plus et avec son sang, elle perdit la vie ;
le froid de la mort gagna son corps privé de souffle.
L’amant regrette - hélas trop tard - cette punition cruelle ;
il se hait d’avoir écouté, de s’être ainsi enflammé ;
il hait aussi l’oiseau qui le força à connaître la trahison
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et la cause de sa douleur ; il hait aussi son arc et sa main
et les flèches que sa main a lancées à la légère.
Coronis s’est écroulée : il la réchauffe et, par des soins trop tardifs,
il s’efforce de vaincre le destin, exerçant, en vain, son art de médecin.
Lorsqu’il vit l’inutilité de ses tentatives, la préparation du bûcher
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et le corps de Coronis prêt à devenir la proie du feu suprême,
il poussa alors - un visage céleste ne peut être baigné de larmes ! -
des gémissements venus du fond de son cœur ;
ainsi gémit la génisse lorsqu’elle voit le front du veau
qu’elle allaite fendu d’un coup sonore par la massue
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qu’on a balancée près de son oreille droite.
Cependant Phébus baigna le sein de la morte de vains parfums,
l’étreignit et accomplit les rites prescrits pour cette fin injuste ;
mais ne tolérant pas que sa propre semence soit aussi réduite en cendres,
il arracha aux flammes et au ventre de sa mère son fils
et l’emporta dans l’antre de Chiron au corps hybride.
Quant au corbeau, qui espérait un prix pour son rapport précis,
il interdit de le compter encore parmi les oiseaux de couleur blanche.
Ocyrhoé, fille de Chiron, dotée du don de prophétie, prédit à l’enfant (Esculape) confié à son père, qu’il aura le pouvoir de guérir les mortels, et aussi de les ressusciter, mais qu’il provoquera, en usant de ce pouvoir, la colère des dieux et sera foudroyé par Jupiter, avant de connaître une nouvelle existence. (2, 633-648)
À son père Chiron, né immortel, Ocyrhoé prédit qu’il mourra, empoisonné par le sang d’un serpent. Mais la prophétesse en a trop dit et sa métamorphose en cavale l’empêche de terminer sa prophétie. (2, 649-675)
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Entre-temps, le demi-animal <Chiron> était heureux d’avoir pour élève
un être de race divine ; il aimait cette charge mêlée d’honneur.
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Voilà qu’arrive, avec sa chevelure rousse couvrant ses épaules,
la fille du Centaure, qu’un jour, la nymphe Chariclo
avait mise au monde sur la rive d’un fleuve rapide
et avait appelée Ocyrhoé. Elle ne se contentait pas d’avoir appris
les arts paternels, mais chantait aussi les secrets des destins.
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Donc, dès que son esprit fut possédé de fureurs divinatoires
et s’enflamma au contact du dieu enfermé en son sein,
elle aperçut le petit et dit : « Enfant, grandis, pour le salut
de l’univers entier ; à toi souvent les mortels devront l’existence ;
tu auras le pouvoir de ramener les âmes qui leur auront été enlevées,
et, lorsque tu auras osé le faire une fois, à l’indignation des dieux,
la foudre de ton aïeul t’empêchera de recommencer ;
de dieu, tu deviendras corps exsangue, puis de corps que tu étais,
tu redeviendras dieu ; tu revivras deux fois ta destinée.
Toi aussi, père bien-aimé, qui es à présent immortel
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et, par la loi de ta naissance, créé pour traverser tous les siècles,
tu désireras pouvoir mourir le jour où tu endureras des tourments
dus au sang d’un cruel serpent introduit dans tes membres blessés.
Et à toi, qui étais immortel, les puissances divines imposeront la mort,
et les trois déesses trancheront le fil de ton existence. »
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Une chose restait à dévoiler, connue des destins.
Du fond du cœur, elle soupire, verse des larmes qui inondent ses joues,
puis elle dit : « Les destins me préviennent, m’interdisent
d’en dire plus et me coupent l’usage de la parole.
Mes talents, qui concentrèrent sur moi la colère divine,
n’en méritaient pas tant ; j’aurais préféré ne pas connaître l’avenir.
Déjà je vois mon apparence humaine se retirer peu à peu,
déjà j’aime manger de l’herbe, déjà un instinct me pousse à courir
à travers les vastes plaines ; je deviens cavale, corps qui m’est apparenté.
Mais pourquoi tout entière ? Mon père est bien doté d’une double forme. »
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Tandis qu’elle parlait, on comprit mal la fin de sa plainte
et ses mots devinrent confus ; bientôt même, ces sons
ne ressemblent plus à des mots ni au cri d’une cavale,
mais au cri de quelqu’un imitant une cavale. Peu de temps après,
elle émet de vrais hennissements et tend les bras vers les herbes.
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Alors, ses doigts se soudent, et sous une corne continue, un sabot léger
relie les cinq ongles de ses deux mains ; son visage et son cou
s’allongent eux aussi ; une grande partie de sa longue robe
se change en queue, et ses cheveux qui flottaient épars sur son cou,
retombent en crinière sur la droite ; sa voix et son visage
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changent de même ; le prodige lui donne aussi son nom nouveau.
Apollon, berger distrait, se fait dérober ses génisses par le jeune Hermès-Mercure. Craignant d’être dénoncé par Battus, un gardien de troupeaux témoin du larcin, Mercure lui achète son silence en lui donnant une génisse. Mais voulant tester le vieillard, le dieu sous une autre apparence lui demande s’il n’a pas vu des génisses volées, et lui promet comme récompense une vache et un taureau. Battus se laisse tenter et révèle l’endroit où sont les génisses. Mercure punit sa trahison en le métamorphosant en rocher.
Le héros né de Philyra pleurait et demandait ton aide, dieu de Delphes,
en vain, car tu ne pouvais annuler les ordres du grand Jupiter.
Mais, même si tu avais eu le pouvoir de les annuler, tu étais alors absent :
tu hantais l’Élide et les campagnes de Messénie.
C’était ce temps lointain où une peau de berger t’habillait,
où ta main gauche tenait un bâton coupé dans la forêt,
et l’autre, une flûte faite de sept roseaux inégaux.
Tandis que l’amour est ton souci, que ta flûte t’attendrit,
tes génisses, raconte-t-on, laissées sans surveillance, ont gagné
les champs de Pylos ; le fils de l’Atlantide Maia les voit et,
avec l’habileté qui est la sienne, les emmène et les cache dans les bois.
Personne n’avait remarqué ce vol, si ce n’est un vieillard connu
dans ces campagnes. Dans tout le voisinage, on l’appelait Battus.
Il surveillait les bois et les pâturages herbeux du riche Nélée,
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gardant ses beaux troupeaux de cavales.
Mercure le retint, l’attira à l’écart d’un geste amical et lui dit :
« Qui que tu sois, étranger, si quelqu’un recherche ces bêtes,
dis que tu ne les as pas vues ; et, pour te remercier de ce service,
reçois en récompense, pour prix de ton silence, une vache éclatante. »
Il la lui donna. L’homme l’accepta et répondit :
« Va-t’en rassuré ; cette pierre avant moi parlera de ton larcin ; »
et il lui montra la pierre. Le fils de Jupiter feint de s’en aller,
mais revient bientôt, ayant changé de visage et de voix. Il dit :
« Toi qui vis ici, si tu as vu des génisses passer par ce chemin,
rends-moi service et lève le silence qui plane sur ce vol ;
en échange tu auras une génisse jointe à son taureau. »
Alors le vieux, voyant la récompense doublée, dit :
« Tu les trouveras au pied de ces monts ; » et elles y étaient.
Le descendant d’Atlas sourit et dit : « Perfide, tu me trahis, pour moi !
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c’est moi que tu trahis, pour moi-même ! » Et il fit de ce cœur parjure
un dur silex, qui de nos jours encore est désigné comme l’Indicateur,
et à ce rocher qui ne le mérite en rien est attachée une vieille infamie.
Apollon, Coronis et Esculape (2, 531-632). Ces vers rassemblent un ensemble complexe d’histoires imbriquées entre elles, où interviennent le Corbeau, qui rapporte à Apollon l’infidélité de Coronis, et la Corneille, qui révèle à Minerve la faute d’Aglauros, voulant ainsi mettre le Corbeau en garde contre les périls du bavardage. Selon B. Otis (Ovid, Cambridge, 1970, p. 119-120), le récit concernant Apollon et Coronis rappelle l’épisode d’Apollon et Daphné (1, 452-567), mais en plus elliptique. Coronis n’est pas une vierge farouche, mais une maîtresse infidèle, et l’accent est mis sur le rôle néfaste de la corneille, dont le bavardage cause la perte de Coronis et le malheur d’Apollon. Seul le futur Esculape sera sauvé. On trouve ici un motif cher à Ovide, qui insiste sur la futilité des commérages, spécialement en matière amoureuse. Les « mouches du coche » ne provoquent que des dégats, pour autrui et pour eux-mêmes.
Saturnienne (2, 531). Junon, fille de Saturne, qui avait demandé aux dieux de la mer de participer à sa vengeance contre sa rivale Callisto (2, 508-530).
Argus (2, 533). Sur Argus et son rôle dans l’ornementation de la queue du paon, voir 1, 625-723, et plus spécialement 1, 720-723. On rappellera ici que le paon est l’oiseau d’Héra-Junon.
oies... Capitole (2, 538-539). Épisode fameux de l’histoire romaine, inséré par Ovide dans un contexte grec. Les Gaulois, en 386 a.C.n., avaient réussi à escalader le Capitole et se seraient rendus maîtres de la place, si les oies du temple de Junon n’avaient donné l’alerte qui permit aux Romains de repousser les assaillants (cfr Tite-Live, 5, 47).
cygne (2, 539). On songe à l’épisode de Cygnus raconté en 2, 367-380 (cfr aussi 2, 252-253, avec la note aux vers 2, 242-259 sur l’énumération des fleuves).
Coronis (2, 543). Fille de Phlégyas, roi des Lapithes, Coronis était une nymphe de Larissa (ville de Thessalie, appelée aussi Hémonie). Elle fut aimée d’Apollon qui avait préposé un corbeau blanc à sa surveillance ; elle trompa cependant le dieu avec un mortel, Ischys, le fils d’Élatos, qui fut foudroyé par Jupiter. Apollon tua Coronis qui était enceinte, mais il retrancha de son ventre Esculape et l’éleva. Quant au corbeau blanc, il le transforma en oiseau noir. (Hygin, Fabulae, 202).
L’histoire de Coronis et de son infidélité figure déjà dans un fragment d’Hésiode (fr. 123, Rzach), où est également noté le changement de couleur du messager, qui de bleu, devient noir. Mais on verra surtout le très beau récit de la troisième Pythique de Pindare, qui ne souffle toutefois mot du rôle joué par le corbeau. Pour Pindare, l’infidélité de Coronis « ne put échapper au regard du dieu ». Pour la suite de l’histoire, voir essentiellement le texte d’Ovide, Mét., 2, 598-632). Il sera encore question de Coronis dans Mét., 15, 624.
oiseau de Phébus (2, 545). C’est le corbeau blanc préposé à la surveillance de Coronis par Apollon. Il ne faudrait pas faire du corbeau « l’oiseau consacré à Phébus ».
corneille (2, 547). Cette corneille (dont le nom latin cornix pourrait suggérer une confusion avec l’histoire de Coronis), présentée par Ovide comme une sorte de « commère », est en fait - on l’apprendra plus loin (2, 569) - la fille de Coroneus, roi de Phocide. Son histoire ne semble pas avoir été racontée par un autre auteur. Elle présente en tout cas beaucoup de points communs avec l’histoire de Daphné (1, 452-567).
Érichthonius (2, 553). Un des premiers rois d’Athènes. La version la plus répandue fait de lui un fils d’Héphaïstos (Vulcain) et de Gaia. Pallas-Athéna (= Minerve) avait demandé des armes au dieu forgeron qui voulut s’unir à elle ; mais comme la déesse-vierge le repoussait, une goutte de sperme tomba sur sa jambe ; dégoûtée, Minerve s’essuya avec de la laine et le sperme tomba à terre. Ainsi serait né Érichthonius, recueilli par la déesse. Voici comment Hygin, Fabulae, 166, présente cette histoire :
"[...] Minerve, avertie par Jupiter, défendit sa virginité avec des armes, et au cours de la lutte, du sperme du dieu qui était tombé sur le sol naquit un enfant, dont la partie inférieure était celle d’un serpent (dragon) ; on lui donna le nom d’Érichthonius, pour la raison que, en grec, la lutte se dit eris, et la terre se dit chthon. Minerve, qui avait nourri cet enfant en secret, le confia dans une corbeille à la garde d’Aglauros, Pandrosos et Hersé, les filles de Cécrops. Comme celles-ci avaient ouvert la corbeille, une corneille les dénonça ; ces filles, frappées de folie par Minerve, se précipitèrent dans la mer."
Le récit d’Ovide est allusif, mais ses lecteurs devaient bien connaître l’histoire.
Acté (2, 554). Dénomination de l’Attique, souvent employée par Ovide (cfr 2, 720 ; 6, 711 ; 7, 681, et 8, 170). Elle s’explique par le nom du roi Actaios, le premier roi mythique de l’Attique, dont la fille Aglauros épousa Cécrops, qui, à la mort d’Actaios, lui succèda sur le trône.
hybride Cécrops (2, 555). Cécrops est ici qualifié de « hybride » (en latin geminus « double »), parce que le haut de son corps était celui d’un homme et le bas celui d’un serpent. Il eut pour épouse Aglauros, fille d’Actaios, et pour filles Hersé, Pandrosos et Aglauros II (2, 559).
oiseau de la nuit (2, 564). C’est la chouette, l’oiseau consacré à Minerve (Pallas-Athéna), dont l’histoire est rapportée avec plus de détails en 2, 592-595. La corneille punie, c’est la chouette qui va la remplacer dans le cœur de Minerve. On sait la place importante de la chouette comme symbole d’Athènes, notamment sur les monnaies.
Mais, j’y pense... (2, 566-8). Mais après tout, semble dire la corneille, c’est Pallas elle-même qui m’a demandé des informations, qui est « venue me chercher ». Malgré sa colère, elle devra bien reconnaître que c’est vrai.
Coroneus (2, 569). Personnage inconnu par ailleurs et dont Ovide fait le nom du père de Cornix (Korônè en grec, pour « corneille »). Quoi qu’il en soit, les histoires de Coronis, de la corneille, de la chouette et d’Athènes ont été mises en rapport les unes avec les autres bien longtemps avant Ovide. Nous ne pouvons pas entrer ici dans ces problèmes difficiles.
dieu de la mer (2, 574). Neptune. On rapprochera l’épisode qui va suivre du récit de Jupiter poursuivant Io (1, 568-746) et de celui d’Apollon poursuivant Daphné (1, 452-567).
livrée à Minerve (2, 588). Que la chouette soit l’oiseau attitré de Pallas-Minerve est un lieu commun. C’est moins clair pour la corneille, mais Pausanias (4, 34, 6) mentionne l’existence d’une statue de la déesse tenant en main une corneille.
Nyctimène... (2, 590-5). C’est la chouette, évoquée en 2, 564. Ce terme qui pourrait se traduire par « La Nocturne » ou « L’oiseau de nuit » introduit une allusion à une métamorphose étiologique. Le texte d’Ovide peut être explicité par le résumé, beaucoup plus terne, d’Hygin, Fabulae, 204 :
"Nyctimène était, dit-on, la fille d’Épopeus, roi des Lesbiens ; elle était vierge et très belle. Son père Épopeus, pris de passion, la viola ; suite à cette atteinte à son honneur, elle vivait cachée dans les bois. Minerve la prit en pitié et la métamorphosa en chouette, qui, par pudeur, ne se produit pas à la lumière, et n’apparaît que la nuit."
il ne renonce pas (2, 598). Après la longue intervention de la corneille, le récit nous ramène au corbeau et aux amours d’Apollon et de Coronis (2, 540 et suivants).
jeune homme d’Hémonie (2, 599). Ce jeune « Hémonien », c’est-à-dire Thessalien, s’appelait Ischis. Voir notamment le résumé d’Hygin (Fabulae, 202) présenté dans la note au vers 2, 542 ; cfr surtout le beau récit de la Troisième Pythique de Pindare.
art de médecin (2, 618). Apollon était aussi le dieu de la médecine. Voir 1, 521-524.
ainsi gémit (2, 623-5). Comparaison inspirée de Lucrèce, 2, 352-366, et qu’on rapprochera de Fastes, 4, 459-462. C’est une allusion au sacrifice des animaux.
son fils (2, 629). Esculape. Cfr notamment le résumé d’Hygin, Fabulae, 202, dans la note au vers 2, 542.
Chiron (2, 630). Fils de Cronos (qui s’était changé en cheval pour tromper la jalousie de son épouse Rhéa) et de l’Océanide Philyra, Chiron avait un corps de cheval mais les épaules et la tête d’un homme (d’où le terme semifer « demi-animal » du vers 633). Il était le plus sage et le plus instruit des centaures et vivait dans une grotte du mont Pélion, en Thessalie. Ses talents de guérisseur, de chasseur, de musicien, de prophète lui valurent une grande renommée. Il compta parmi nombre de ses élèves Héraclès, Achille et... Esculape (Fastes, 5, 379-414). Il sera « catastérisé » en tant que constellation du Centaure (note au vers 2, 655).
Ocyrhoé (2, 636). Fille du centaure Chiron et de la nymphe Chariclô, Ocyrhoé était donc par sa mère une descendante d’Apollon, ce qui explique ses dons prophétiques. Sa métamorphose en cavale, dont il sera question en 2, 660-675, était le sujet d’une pièce d’Euripide, dont ne subsistent que des fragments. Ovide serait le seul à lier son histoire à Esculape.
le dieu (2, 641). Apollon, son ancêtre. Ces vers font songer à l’évocation de la Sibylle au chant 6 de l’Énéide de Virgile.
tu auras le pouvoir... (2, 644-646). Allusion à la résurrection d’Hippolyte par Esculape, traitée en Mét., 15, 531-546, et par Virgile, Én., 7, 761-773. Voir aussi Ovide, Fastes, 6, 746-762.
foudre de ton aïeul (2, 646). Jupiter, père d’Apollon, et grand-père d’Esculape ; il foudroyera son petit-fils. Cfr Virgile, Én., 7, 770-773 : « Alors le père tout puissant, indigné de voir un mortel / revenir des ombres infernales vers la lumière de la vie, / précipita lui-même, de son foudre, dans les ondes du Styx, / l’inventeur d’un tel art médical, le fils de Phébus. »
tu redeviendras dieu (2, 648). Esculape, foudroyé, sera élevé au rang des astres sous le nom de Serpentaire (cfr la note à Fastes, 6, 735).
père bien-aimé... (2, 649-654). La prophétesse Ocyrhoé annonce la mort de son père Chiron (2, 649), pourtant né immortel. Cette mort est notamment évoquée dans les Fastes, 5, 397-414.
trois déesses (2, 654). Les Parques (les Moires en Grèce), Clotho, Lachésis et Atropos, qui réglaient la destinée de chaque mortel, de sa naissance à sa mort. Cfr la note à Fastes, 6, 757.
Une chose restait (2, 655). Il lui restait à prophétiser l’élévation de son père Chiron au rang des astres, sous le nom de constellation du Centaure (cfr Fastes, 5, 379 et 5, 413-414). Elle ne pourra pas le faire.
Mes talents... (2, 659-660). La prophétesse a déjà trop parlé, ce qui déplaît à la divinité (Apollon ?). La métamorphose d’Ocyrhoé sera la punition de son indiscrétion.
apparenté (2, 663). Son père était mi-homme, mi-cheval (cfr le vers suivant).
nom nouveau (2, 675). Ocyrhoé devient Hippé (« jument » en grec), mais Ovide ne le signale pas explicitement.
héros (2, 676). C’est Chiron, dont la mère était Philyra (note au vers 2, 630). Il pleurait probablement de voir la métamorphose de sa fille Ocyrhoé en cavale, mais ce n’est pas dit comme tel.
Élide... Messénie (2, 679). De Thessalie (résidence de Chiron), la scène passe dans le Péloponnèse, où Ovide présente Apollon dans des activités de pasteur et de joueur de flûte.
flûte faite de sept roseaux inégaux (2, 682). Voir 1, 677, où il semble que la flûte ait été inventée par Hermès-Mercure.
Pylos (2, 685). Ville de Messénie, sur laquelle régnait Nélée (2, 689), père de Nestor.
fils de l’Atlantide Maia (2, 685). Il s’agit d’Hermès. Cfr 1, 668-688 avec les notes.
Battus (2, 688). Une version primitive - et différente - de cette histoire se trouve dans l’Hymne homérique à Hermès, 1, 87-93 et 186-211. Il n’y est toutefois pas question de transformation en rocher. Un récit plus proche de celui d’Ovide figure chez Antoninus Liberalis, XXIII, qui la fait remonter à Hésiode (Catalogue des femmes ou Éhées).
Nélée (2, 685 et 689). Qui régnait sur Pylos (2, 685).
Indicateur (2, 706). L’infâmie attachée à ce rocher serait d’être désigné comme « délateur » ou « rapporteur ». On a souvent considéré que cette pierre était une « pierre de touche », une pierre noire utilisée pour démasquer des métaux que l’on fait passer pour de l’or.