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La Terre (= Tellus), à bout de souffle, supplie alors Jupiter de l’anéantir complètement à l’aide de sa foudre, non sans rappeler toutefois les peines qu’elle se donne au service des hommes et des dieux, et en insistant surtout sur le risque que court l’univers entier de retourner au chaos primitif. (2, 272-303)
Jupiter, convaincu de la nécessité d’une intervention, foudroie Phaéton et arrête la course du char. Le corps embrasé de Phaéton tombe à travers l’espace et atterrit près du fleuve Éridan, où les Naïades d’Hespérie lui dressent un tombeau et une épitaphe. (2, 304-332)
272
Toutefois la Terre nourricière était entourée par l’océan,
se trouvant entre les eaux de la mer et les sources partout taries,
qui s’étaient enfouies dans les obscures entrailles maternelles ;
275
desséchée, elle souleva jusqu’au cou son visage oppressé,
posa la main sur son front et, dans un grand tremblement
ébranlant tout, elle s’affaissa légèrement, et se retrouva plus bas
qu’à l’ordinaire, puis, de sa voix sainte, se mit à parler ainsi :
« Si c’est ta volonté, si je l’ai mérité, pourquoi laisser ta foudre au repos,
280
ô dieu des dieux ? Puisque je vais périr par les forces du feu,
laisse-moi périr par ta foudre et, causant toi-même ma perte, allège-la.
C’est à peine si je peux dénouer ma gorge pour parler ; »
- la fumée lui avait fermé la bouche -, « vois mes cheveux calcinés,
et ces cendres brûlantes sur mes yeux et sur mon visage !
285
Est-ce cela ma récompense, est-ce là l’honneur que tu me rends
pour ma fertilité et mes services, moi qui subis les blessures
du soc crochu et des herses, qui suis à l’épreuve toute l’année,
moi qui assure aux troupeaux feuillages et suave nourriture
et aux humains récoltes, moi qui vous procure aussi de l’encens ?
Admettons que j’aie mérité ma ruine ; mais qu’ont mérité les ondes,
et qu’a mérité ton frère ? Pourquoi les mers, que lui confia le sort,
se réduisent-elles et s’éloignent-elles davantage de l’éther ?
Et si tu n’as cure de nous faire une faveur, à ton frère et à moi,
prends du moins ton ciel en pitié ; regarde de l’un et l’autre côté :
295
les pôles fument tous les deux ; si le feu les atteint,
vos palais s’écrouleront. Vois Atlas qui souffre lui aussi
et soutient à peine sur ses épaules l’axe incandescent du monde.
Si les mers, si les terres viennent à périr, si le palais céleste disparaît,
nous nous retrouvons mêlés dans l’antique chaos. Arrache au feu
ce qui reste encore debout, et pense à l’ensemble de l’univers ! »
La Terre avait fini son discours : elle ne put en effet supporter
plus longtemps la fumée ni parler davantage ; rentrant sa face en elle,
elle se retira dans des antres tout proches du domaine des Mânes.
Alors le père tout-puissant attesta devant les dieux et devant celui même
305
qui avait cédé son char que, s’il ne lui portait secours,
le monde entier périrait, écrasé par le destin ; ensuite il gagna
le sommet de la haute citadelle, d’où il déploie d’habitude les nuages
sur toute la terre, d’où il ébranle le tonnerre, brandit et lance la foudre.
Mais il ne trouva alors ni nuages pour couvrir les terres
310
ni pluies à faire tomber du ciel. Il fait retentir le tonnerre
et, balançant sa foudre à hauteur de son oreille droite,
il l’envoie sur l’aurige, lui enlevant à la fois sa vie et son char,
et ainsi arrête de ses feux cruels les feux du Soleil.
Les chevaux désemparés bondissent dans des sens opposés,
315
arrachent le joug de leur cou, brisant et abandonnant leurs rênes.
Ici traînent des harnais, là un essieu détaché du timon,
de ce côté, on voit les rayons des roues brisées
et les restes du char déchiqueté épars sur un large espace.
Phaéton, dont les cheveux rutilants étaient la proie des flammes,
320
roule tête en avant ; il est emporté, traçant à travers l’espace
une longue traînée ; ainsi parfois, dans un ciel serein,
une étoile, même si elle ne tombe pas, peut sembler tomber.
Loin de sa patrie, dans une tout autre partie du monde,
le grand Éridan le recueille et baigne son visage encore fumant.
325
Les Naïades d’Hespérie confient à un tombeau son corps consumé
par la flamme aux trois dards ; et elles inscrivent sur la pierre un poème :
« Ci-gît Phaéton, qui fut l’aurige du char de son père ; »
« Il ne put le maîtriser, mais sa grande témérité le perdit. »
Son malheureux père, malade de douleur, avait voilé son visage
330
et s’était caché ; et, si du moins nous pouvons croire la tradition,
tout un jour se passa sans soleil ; la lumière venait des incendies,
qui, dans ce malheur, eurent au moins quelque utilité.
Apprenant la mort de son fils Phaéton, Clymène parcourt le monde et retrouve son cadavre, tandis que les Héliades, inconsolables, restent à gémir sur le tombeau de leur frère jusqu’à leur métamorphose en arbres. (2, 333-366)
Cygnus, inconsolable lui aussi après la disparition de Phaéton, son bien-aimé, renonce à son trône chez les Ligures et pleure près du fleuve, avant d’être métamorphosé en cygne. (2, 367-380)
Phébus enfin est si affecté que, sans l’insistance des autres dieux, il renoncerait à éclairer le monde, mais il reprend sa charge, en passant sa rancune sur ses chevaux. (2, 381-400)
333
Clymène exprima d’abord toutes les plaintes qu’on attendait
dans un si grand malheur ; puis, endeuillée et égarée,
335
se déchirant la poitrine, elle parcourut le monde entier,
cherchant d’abord le corps sans vie de son fils ; bientôt, en cherchant,
elle trouva les ossements, mais enfouis près d’une rive étrangère,
elle se prosterna et, à la lecture du nom gravé sur le marbre,
elle fondit en larmes et resta blottie sur place, la poitrine dénudée.
Les Héliades pleurent tout autant et offrent à la mort
le vain présent de leurs larmes ; nuit et jour, de leurs mains,
elles se frappent la poitrine et appellent Phaéton qui n’entendra pas
leurs pauvres plaintes ; elles restent étendues près de son tombeau.
Quatre fois, la lune avait réuni ses cornes et empli son disque ;
345
les sœurs, selon leur coutume, - coutume qu’avait fait naître l’usage -,
avaient poussé leurs gémissements. Parmi elles, Phaétuse,
l’aînée, voulant se coucher sur la terre, se plaignit qu’elle sentait
ses pieds devenir rigides ; essayant de s’approcher d’elle,
la blanche Lampétie fut brusquement retenue par une racine ;
350
une troisième s’apprêtait à s’arracher les cheveux, mais ses mains
ne ramenèrent que des feuilles ; celle-ci pleure ses jambes
muées en tronc, et celle-là ses bras transformés en longs rameaux.
Tandis qu’elles s’étonnent, l’écorce enveloppe le haut de leurs jambes,
gagnant peu à peu ventres, poitrines, épaules et mains,
355
ne leur laissant que la bouche pour appeler leur mère.
Que pourrait une mère, si ce n’est se laisser aller à ses élans
et joindre ses baisers aux leurs, tant que c’est encore possible ?
Ce n’est pas assez ; elle tente de détacher leurs corps des troncs,
et brise de ses mains les tendres rameaux ; mais alors
360
des gouttes de sang suintent, comme d’une blessure.
« Mère, je t’en supplie, épargne-moi, » crie chaque fille blessée.
« Je t’en prie, épargne-moi. Blessant l’arbre, tu déchires notre corps.
Et maintenant, adieu ! ». L’écorce atteint leurs derniers mots.
Depuis coulent leurs larmes durcies au soleil, gouttes d’ambre,
qui s’écoulent des jeunes rameaux ; le fleuve limpide les recueille
et les envoie pour servir de parure aux brus des Latins.
Cygnus, descendant de Sthénélus, assista à ce prodige ;
lié à toi par le sang maternel, il t’était cependant, ô Phaéton
encore plus proche par les sentiments. Il renonça à son pouvoir
- il avait régné sur les peuples de Ligurie et sur de grandes cités -,
et emplit de ses plaintes les rives verdoyantes de l’Éridan
et les bois qui s’étaient accrus par tes sœurs, quand soudain
sa voix d’homme s’affaiblit, des plumes blanches dissimulent
ses cheveux, son cou s’allonge s’écartant de sa poitrine,
375
une membrane lie ses doigts rougis, des ailes couvrent
ses flancs et un bec sans pointe lui sert de sa bouche.
Cygnus est un nouvel oiseau, qui ne se fie ni au ciel ni à Jupiter,
se souvenant combien injustement ces feux avaient été lancés.
Il gagne les étangs, les lacs immenses, et, dans son horreur du feu,
380
choisit, pour y résider, les cours d’eau, ennemis des flammes.
Entre-temps le père de Phaéton apparaît négligé,
dépourvu de son éclat naturel, comme lors d’une éclipse ;
il hait la lumière et le jour, se prenant lui-même en haine,
et il livre son âme à la douleur ; à ses pleurs, il ajoute la colère
385
et refuse au monde ses services. « C’est assez », dit-il,
« depuis toujours, mon sort fut de n’être jamais en repos ;
je suis las de travaux sans fin et sans honneur.
Qu’un autre, n’importe qui, conduise le char porteur de la lumière !
Si personne ne se présente et si tous les dieux s’avouent inaptes,
390
que Jupiter le conduise, lui ; ainsi du moins, en prenant les rênes,
il posera ses foudres qui parfois vont priver les pères de leurs enfants.
Il saura alors, ayant éprouvé la force des chevaux aux sabots de feu,
que celui qui n’a pu les diriger n’a pas mérité la mort. »
Tandis que le Soleil tient ces propos, tous les dieux l’entourent
395
et, d’une voix suppliante, lui demandent de ne pas étendre
les ténèbres sur le monde ; Jupiter aussi s’excuse d’avoir lancé
ces feux et, agissant en roi, il joint à ses prières des menaces.
Phébus réunit les chevaux affolés, encore angoissés de terreur,
et, dans sa douleur, les frappe de son aiguillon et de son fouet ;
400
il s’acharne sur eux, leur reprochant et leur imputant la mort de son fils.
Jupiter, soucieux de faire revivre la nature, s’intéresse en premier lieu à sa chère Arcadie, où bientôt il s’éprend d’une jeune vierge chasseresse (Callisto, qu’Ovide ne nomme pas), adepte de Phébé-Diane. Profitant d’un moment où la nymphe repose seule dans une forêt, Jupiter revêt l’apparence de Phébé, pour l’abuser par la ressemblance, et la viole en dépit de sa vaine résistance. Il regagne alors l’éther, abandonnant sa victime à la haine et à la solitude. (2, 401-440)
Bientôt Callisto, mise en présence de Phébé-Diane et de son escorte, dissimule mal sa gêne et, près de neuf mois plus tard, tandis que la déesse propose une baignade à ses amies, la jeune femme, contrainte de se dévêtir, ne peut plus cacher sa grossesse et se fait exclure de l’escorte de Diane. (2, 441-465)
Elle met au monde un enfant, Arcas ; Junon jalouse décide de se venger en métamorphosant sa rivale en une ourse, d’apparence féroce mais gardant son caractère timide et doux. (2, 466-490)
401
Le père tout-puissant fait le tour de l’immense enceinte du ciel
et veille à ce que ne s’écroule pas ce qu’a ébranlé la force du feu.
Quand il voit qu’elle est toujours solide et résistante,
il observe d’un regard attentif les terres et les malheurs des humains.
Et c’est à sa chère Arcadie qu’il voue le plus d’attention ;
les sources et les cours d’eau qui n’osent pas encore couler,
il les rétablit, il offre à la terre de la végétation, couvre les arbres
de feuillages et ordonne aux forêts blessées de reverdir.
410
à une vierge de Nonacris, avec une passion qui le brûle jusqu’aux os.
Cette fille ne s’occupait ni d’assouplir et carder la laine,
ni de changer sa coiffure ; quand elle avait fixé sa robe avec une épingle,
serré négligemment ses cheveux dans un bandeau blanc,
et saisi dans sa main tantôt un arc tantôt un brillant javelot,
415
elle était un soldat de Phébé. Jamais ne foula le Ménale nymphe
plus chère à Trivia ; mais il n’est point de faveur de longue durée.
Le soleil avait parcouru dans le ciel plus de la moitié de sa course,
quand elle entra dans un bois que les siècles avaient respecté.
Là elle détacha son carquois de son épaule, détendit son arc flexible ;
420
elle s’était couchée sur le sol couvert de gazon,
et avait reposé la tête sur son carquois coloré.
Dès qu’il la vit ainsi, fatiguée et sans défense, Jupiter dit :
« Cette infidélité-ci en tout cas, mon épouse ne l’apprendra pas,
ou, si elle l’apprend, j’accepte ses reproches comme le prix à payer ! »
425
Aussitôt, il revêt l’apparence et la tenue de Diane
et dit : « Vierge, toi qui fais partie de mes compagnes,
sur quelles crêtes es-tu venue chasser ? » La jeune fille se lève
de sa couche de gazon et dit : « Salut, déesse, plus puissante
à mes yeux que Jupiter lui-même, dût celui-ci m’entendre ».
430
L’entendant il rit et, amusé d’être préféré à soi, lui donne des baisers,
bien peu réservés et bien peu convenables pour une vierge.
Comme elle s’apprêtait à évoquer la forêt où elle avait chassé,
il l’en empêcha en une étreinte, et se trahit en perpétrant son crime.
Elle, de son côté, pour autant qu’une femme puisse le faire,
435
- Ah ! Saturnienne, si tu la voyais, tu serais plus indulgente ! -,
elle donc se débat ; mais de qui une jeune fille pouvait-elle triompher ?
Qui eût pu l’emporter sur Jupiter ? Victorieux, Jupiter regagne
l’éther supérieur ; elle, elle hait ce bois et la forêt complice,
puis, quittant ces lieux, elle en oublie presque de reprendre
440
son carquois, ses flèches et l’arc qu’elle avait suspendu.
Voici qu’arrive sur les hauteurs du Ménale Dictynna,
escortée d’un chœur de nymphes, fière des bêtes abattues.
Elle aperçoit et appelle la jeune femme qui s’enfuit à cet appel,
et qui craignit d’abord que Jupiter ne se soit déguisé sous ses traits.
445
Mais quand elle vit les nymphes l’accompagner dans sa marche,
elle sut qu’il n’y avait pas de piège et rejoignit leur groupe.
Hélas ! Qu’il est difficile de ne pas trahir un crime par son visage !
C’est à peine si son regard quitte le sol et, contre son habitude,
elle ne s’approche plus de la déesse, n’est plus la première de la troupe.
Elle se tait et sa rougeur même signale l’atteinte faite à sa pudeur ;
du reste, si Diane n’était pas vierge, elle aurait pu, à mille détails,
suspecter la faute ; les nymphes, paraît-il, la remarquèrent.
Déjà les cornes de la lune reparaissaient pour un neuvième cycle,
quand la déesse, fatiguée par une chasse menée sous les feux fraternels,
455
gagna la fraîcheur d’un bois, d’où s’écoulait un ruisseau
qui se faufilait en murmurant entre des sables poudreux.
Elle apprécia l’endroit, puis du pied effleura l’eau
qu’elle apprécia aussi, disant : « Tous les témoins sont loin ;
plongeons nos corps nus dans ces ondes généreuses ».
La Parrhasienne rougit ; toutes les nymphes se déshabillent ;
elle seule se fait prier ; comme elle hésite, on lui ôte son vêtement,
ce qui révèle son corps nu et met sa faute en évidence.
Interdite, elle cherche de ses mains à cacher son ventre,
« Pars d’ici, et ne souille plus ces sources sacrées »,
lui dit la Cynthienne, lui ordonnant de s’écarter de sa troupe.
La matrone, épouse du grand Tonnant, était, depuis longtemps,
au fait de l’aventure, se réservant de sévir lourdement en temps voulu.
Il n’y a plus de raison de tarder ; déjà un enfant, Arcas,
- c’est précisément ce qui affecta Junon - était né de sa rivale.
470
Junon centra sur lui à la fois ses regards et la cruauté de ses pensées :
« À l’évidence il ne manquait plus que cela, fille adultère : » dit-elle,
« que tu sois féconde, que ta maternité rende public mon déshonneur
et qu’ainsi soit attestée l’infamie de mon Jupiter.
Tu ne resteras pas impunie : je t’enlèverai la beauté qui te plaît tant
475
et par laquelle, fille odieuse, tu charmes mon mari. »
Elle dit, et la saisissant en face d’elle par les cheveux du front,
elle la jeta sur le sol, tête en avant. Suppliante, elle tendait les bras :
ses bras commencèrent à se hérisser de poils noirs,
ses mains se courbèrent, se développant en griffes crochues,
480
et firent office de pieds, et sa bouche, tant célébrée jadis
par Jupiter, se déforma en une large gueule béante.
Pour que ses prières et supplications ne fléchissent pas les esprits,
on lui arrache la faculté de la parole ; de sa gorge rauque
sortent des cris irrités et menaçants, qui sèment la terreur.
485
Son caractère d’avant subsista quand elle fut devenue ourse.
Ses gémissements ininterrompus témoignent de ses souffrances ;
elle lève vers le ciel et les astres ce que sont maintenant ses mains,
et, sans pouvoir s’exprimer, ressent l’ingratitude de Jupiter.
Ah ! Que de fois, n’osant se reposer dans la solitude de la forêt,
490
elle erra devant la maison et dans les champs, son ancien domaine !
Ah ! Que de fois, menée à travers les rochers par les chiens hurlants,
n’a-elle pas fui, chasseresse effrayée, par crainte des chasseurs !
Souvent, voyant des fauves, elle se cacha, oubliant ce qu’elle était,
et, ourse, elle frémit d’horreur apercevant des ours dans les montagnes
495
et redouta les loups, bien que son père fût de leur nombre.
Un jour que le jeune Arcas, âgé de quinze ans, s’adonnait à la chasse, il fut mis en présence de l’ourse, qui reconnut son fils et voulut l’approcher. Arcas effrayé allait la tuer lorsque Jupiter les transforma tous les deux en astres, les sauvant de la mort et d’une impiété. (2, 496-507)
Junon, dépitée de voir l’ennemie qu’elle avait transformée en animal briller désormais au firmament des étoiles, va se plaindre de l’outrage subi auprès de Téthys et Océan, et leur demande de ne pas permettre au Septentrion de plonger dans la mer. (2, 508-530)
Voici un enfant qui ne connaît rien de sa mère, la fille de Lycaon :
c’est Arcas, âgé maintenant de quinze ans à peu près.
Tandis qu’il chasse les bêtes sauvages, choisissant les taillis appropriés,
et parcourt les forêts d’Érymanthe avec ses filets tressés,
500
il tombe sur sa mère qui, à la vue d’Arcas, s’arrêta figée,
comme si elle le reconnaissait ; lui s’enfuit devant elle,
qui ne cessait de fixer sur lui ses regards immobiles ; ignorant,
il prit peur, et comme elle désirait s’approcher davantage,
il était prêt à lui ficher dans le cœur un trait mortel.
Le Tout-puissant écarta le trait, et, en même temps,
les soustrayant à l’impiété, d’un coup de vent à travers l’espace,
les installa en même temps dans le ciel, faisant d’eux des astres voisins.
Junon étouffa de colère, quand sa rivale brilla parmi les astres,
et elle descendit au fond de la mer, auprès de la blanche Téthys
510
et du vieillard Océan, qui souvent inspirèrent aux dieux crainte et respect.
Comme ils s’informaient des raisons de sa visite, elle dit :
« Vous vous demandez pourquoi, moi, reine des dieux dans l’éther,
je me trouve ici ? Une autre à ma place occupe le ciel !
Je mens si, lorsque la nuit aura obscurci le monde,
515
vous ne voyez pas en haut du ciel des étoiles nouvelles,
- choses blessantes pour moi -, là où le dernier cercle,
sur un espace très court, contourne l’extrémité de l’axe du monde.
Et vraiment, qui se refuserait à blesser Junon, qui tremblerait
de me voir offensée, moi, seule à servir mes victimes en leur nuisant ?
520
Mais moi, qu’ai-je donc fait ? Qu’il est grand mon pouvoir !
J’ai interdit qu’elle soit un être humain : elle est déesse ! Voilà les peines
que j’inflige aux coupables, voilà l’étendue de ma puissance !
Qu’il lui rende son ancienne apparence et lui enlève sa face de bête,
comme il le fit précédemment pour l’argienne Phoronis !
Pourquoi, après m’avoir rejetée, moi Junon, ne l’épouse-t-il pas
et ne la met-il pas dans mon lit, prenant Lycaon pour beau-père ?
Mais si le mépris qui atteint celle que vous avez élevée vous touche,
tenez à l’écart du gouffre des ondes azurées les étoiles du Septentrion,
et repoussez ces astres accueillis dans le ciel pour payer un stupre :
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que jamais ma rivale ne plonge dans les ondes pures de la mer. »
Tellus (2, 272). Divinité romaine de la fécondité, associée à Cérès. On l’appelle la Terre Mère, la nourricière. Cfr 1, 381-394, l’oracle de Thémis dans l’épisode de Deucalion et Pyrrha. Voir aussi Fastes, 1, 671 et n.
ton frère (2, 291). Poséidon (Neptune), qui, lors du partage du monde, reçut le commandement de la mer, selon Homère, Iliade, 15, 187-193 . Cfr Fastes, 5, 495.
Atlas (2, 296). Fils de Japet et d’une Océanide, père des Hyades et des Pléiades. Cfr par exemple Fastes, 5, 169 et 5, 180, ainsi que Virgile, Én., 4, 246-251.
chaos (2, 299). Cfr 1, 5-88 et les notes.
Mânes (2, 303). Les esprits des morts, censés habiter les profondeurs de la terre. Il est question des Mânes dans les Fastes, par exemple en 2, 533-570 (pour les Parentalia et les Feralia), et en 5, 419-492 (pour les Lemuria).
à hauteur de son oreille droite (2, 311). Comme un soldat qui lance son javelot.
aurige (2, 312). Le conducteur du char.
Éridan (2, 324). Fleuve où se serait terminée l’épopée de Phaéton, l’Éridan (cfr aussi 2, 372) est généralement assimilé au Pô (Padus en 2, 258) dans la mythologie grecque. Phaéton tombe donc bien loin de son pays natal, l’Éthiopie.
Naïades d’Hespérie (2, 325). Probablement les Nymphes habitant les eaux de l’Éridan qui recueillent son corps, à moins qu’il ne s’agisse déjà des Héliades (2, 340). L’Hespérie est le nom poétique de l’Italie.
flamme aux trois dards (2, 326). La foudre de Jupiter. Cfr 2, 848-849 : « la foudre à triple pointe ».
Clymène (2, 333). Cfr 1, 756 et la note.
Héliades... Phaétuse... Lampétie (2, 340-349). Les Héliades sont les filles du Soleil et de Clymène, les sœurs de Phaéton donc, dont Ovide va raconter la métamorphose en arbres (des peupliers plus précisément selon Hygin, Fab., 154). Ovide en cite deux nommément dans les vers suivants, Phaétuse et Lampétie, deux noms présents chez Homère (Odyssée, 12, 132).
gouttes d’ambre (2, 364). Selon Hérodote (3, 115), qui n’évoque pas le mythe de Phaéton, on trouvait de l’ambre dans l’Éridan, mais l’Éridan de l’historien grec, « un fleuve se jetant dans la mer septentrionale », n’est manifestement pas le Pô. Dans la réalité, l’ambre venait du rivage de la Baltique. On a pu penser (cfr Ph.-E. Legrand, à propos du texte d’Hérodote) que l’ambre arrivait par voie de terre, à travers toute l’Europe centrale, jusque dans la région du Pô, d’où il était amené dans les différentes régions d’Italie. - « À l’époque romaine, les objets d’ambre étaient beaucoup plus appréciés qu’à la nôtre. [...] On considérait comme un charmant raffinement l’habitude qu’avaient les femmes de tenir dans la main une petite boule d’ambre, et de la frotter de temps en temps pour en respirer le léger parfum » (U. E. Paoli, Vita Romana, Paris, 1955, p. 263). Cfr aussi n. à 10, 262.
Cygnus... Sthénélus (2, 367). Kuknos, terme grec désignant le cygne, a donné naissance à la légende de la métamorphose d’un certain Cygnus, en cygne. Sur ce Cygnus, roi de Ligurie (= la région de Gênes), voir aussi Virgile, Én., 10, 189-194 et notes, un passage dont Ovide s’inspire sûrement ici. Aucune source plus ancienne ne fait état de la parenté de Cygnus avec Clymène ni de sa liaison avec Phaéton. - Le nom de Sthénélus est bien connu dans la mythologie, mais aucune autre source qu’Ovide n’en fait le père de Cygnus. - Par ailleurs, Ovide évoque la métamorphose en cygne de deux autres personnages homonymes (7, 371-2 et 12, 64-145). J.-Cl. Belfiore distingue quatre Cygnus différents.
tes sœurs (2, 372). Les Héliades, qui venaient d’être métamorphosées en arbres (2, 340-366) et qui avaient ainsi agrandi l’étendue des bois.
Jupiter (2, 377). Le dieu du ciel.
Arcadie (2, 405). Après un détour par l’Éthiopie et par l’Italie, Ovide recentre l’action sur la Grèce, où se situe l’histoire de Callisto et de son fils Arcas (2, 401-530). Alors qu’Apollon-Phébus a été à l’avant-plan dans l’épisode de Phaéton, c’est Jupiter maintenant qui va jouer le premier rôle. Selon certaines sources (par ex. Callimaque, Hymnes, 1, 1-7), Jupiter serait né en Arcadie, ce qui expliquerait la prédilection qui lui est attribuée ici pour cette région.
vierge de Nonacris (2, 409). Nonacris (cfr 1, 690) est le nom d’une montagne et d’une ville d’Arcadie ; le mot est d’ailleurs utilisé souvent comme un simple synonyme d’« Arcadie ». La nymphe en question est Callisto, qui ne sera jamais désignée par ce nom dans tout l’épisode ; son histoire est longuement évoquée dans Fastes, 2, 153-192.
soldat de Phébé (2, 415). Elle faisait donc partie de la troupe des vierges qui accompagnaient Diane.
Ménale (2, 415). Autre montagne d’Arcadie (cfr 1, 216).
Trivia (2, 416). c’est-à-dire Phébé-Diane-Artémis. Cfr Fastes 1, 141 ; 1, 389-390 et aussi Mét., 1, 475-487. Diane fut assimilée à Luna et à Hécate, la déesse des carrefours.
avaient respecté (2, 418). Le bois était donc « vierge » comme elle.
mon épouse (2, 423). Junon, dont la défiance et la jalousie sont connues (cfr plus haut l’histoire d’Io, en 1, 568-624).
dût celui-ci m’entendre (2, 429). Pointe d’humour.
Dictynna (2, 441). Un surnom de plus désignant Diane Chasseresse, forgé sur le terme grec diktuon (= filet de chasseur). C’était à l’origine une déesse crétoise, assimilée plus tard à Diane.
neuvième cycle (2, 453). La durée d’une grossesse humaine était évaluée à 10 mois lunaires. Cfr Fastes, 2, 175-176.
fraternels (2, 454). Artémis/Diane/Phébé étant la sœur de Phébus/Apollon, la Lune était considérée comme la sœur du Soleil.
Parrhasienne (2, 460). Formé sur Parrhasia, une ville d’Arcadie, l’adjectif est ici synonyme de « Arcadienne », et désigne Callisto. Cfr Homère, Iliade, 2, 608, ainsi que Virgile, Én., 8, 344 et 11, 31.
Cynthienne (2, 465). Adjectif dérivé du Cynthe, une montagne de Délos, l’île où naquirent Artémis et Apollon. Le mot désigne ici Diane/Artémis.
épouse du grand Tonnant (2, 466). C’est Héra/Junon, épouse de Jupiter, le dieu du tonnerre, notamment.
Arcas (2, 468). Fils de Jupiter et Callisto, Arcas passe pour le héros éponyme de l’Arcadie. Son histoire est l’objet de 2, 496-530. On notera l’anachronisme de la mention de l’Arcadie en 2, 405.
son père (2, 495). Lycaon, métamorphosé en loup (cfr 1, 211-243).
Érymanthe (2, 499). Montagne entre l’Arcadie et l’Achaïe.
astres voisins (2, 507). Callisto et Arcas deviennent respectivement la « Grande Ourse » (= Arctos ou Ursa : Fastes, 6, 236) et « Arctophylax » (= soit « Gardien de l’Ours » ou Bouvier ou Bootes : Fastes, 3, 405).
Téthys... Océan (2, 509-510). Sur ces deux divinités, cfr 2, 69 et 2, 156. Elles passent pour la mère et le père des dieux, si l’on en croit Homère, Iliade, 14, 301-303 : « Je m’en vais [c’est Héra qui parle] aux confins de la terre féconde visiter Océan, le père des dieux, et Téthys, leur mère. Ce sont eux qui m’ont nourrie, élevée dans leur demeure... » (trad. P. Mazon). Il est donc normal que les dieux révèrent ceux qui les ont élevés (cfr 2, 527).
très court (2, 516). Ces deux constellations décrivent un très petit cercle autour de l’axe du pôle nord.
Phoronis (2, 524). C’est Io, descendante de Phoronée. Cfr 1, 668.
que vous avez élevée (2, 527). Cfr la note à 2, 509-510.
Septentrion... (2, 528-530). Les « sept étoiles » (septem triones) qui forment les deux constellations du pôle nord. Cfr 2, 131 ; 2, 507 ; Fastes, 2, 154-156 ; 2, 189-190 ; 3, 107-108.