Catéchisme
du Concile
de Trente
Egidio Foscarini
Francisco Fureiro
Muzio Calini de Zara
Leonardo Marino de Lanciano
~ MDLXVI ~
Table des matières des chapitres
Préface des Auteurs du Catéchisme
Partie 1 — Du Symbole des Apôtres
De la Foi et du Symbole en général
Du troisième article du Symbole
Du quatrième article du Symbole
Du cinquième article du Symbole
Du septième article du Symbole
Du huitième article du Symbole
Du neuvième article du Symbole
Du douzième article du Symbole
Du Sacrement de l’Eucharistie (suite)
Du Sacrement de l’Eucharistie (suite)
Du Sacrement de Pénitence (suite)
Du Sacrement de la Pénitence (suite)
Du Sacrement de Pénitence (suite)
Du Sacrement de l’Extrême-Onction
Des Commandements de Dieu en général
Du neuvième et du dixième Commandement
Première demande de l’Oraison Dominicale
Seconde demande de l’Oraison Dominicale
Troisième demande de l’Oraison Dominicale
Quatrième demande de l’Oraison Dominicale
Cinquième demande de l’Oraison Dominicale
Sixième demande de l’Oraison Dominicale
fichier
édité le
adaptation et correction de coquilles à partir d’un fichier disponible à l’adresse :
http://jesusmarie.free.fr/catechismes.html
notes de bas de page à vérifier et à compléter
Traduction française : E. Marbeau et A. Charpentier
Imprimatur donnée à Tournai, le 17 juillet 1923 pour l’édition de Desclée et Cie, dont nous reprenons le texte. Les définitions dogmatiques postérieures à la rédaction du Catéchisme du Concile de Trente (Immaculée Conception, Infaillibilité pontificale, Assomption) figurent en annexe.
Nécessité des Pasteurs dans l’Église
Leur autorité, leurs fonctions
Principaux articles de la doctrine chrétienne
Notre intelligence et notre raison sont ainsi faites que lorsque nous voulons étudier les vérités qui regardent Dieu, nous pouvons, grâce à un travail approfondi et une sérieuse application, arriver à la connaissance d’un certain nombre de ces vérités ; mais lorsqu’il s’agit de l’ensemble des moyens capables de nous faire atteindre le salut éternel pour lequel Dieu nous a créés et formés à son image et à sa ressemblance, jamais aucun de nous n’a pu les découvrir ou les apercevoir par la seule lumière naturelle.
Sans doute, selon l’enseignement de l’Apôtre, on voit se manifester, dans les œuvres visibles de la création, certains attributs de Dieu tels que son éternelle Puissance et sa Divinité1. Mais ce mystère, qui est demeuré caché aux générations des siècles antérieurs, dépasse de beaucoup l’intelligence de l’homme ; et si Dieu n’eût pas soin de le manifester à ses Saints, à qui il Lui a plu de révéler avec le don de la foi les richesses et la gloire cachées dans son Verbe fait homme, notre Seigneur Jésus-Christ2, jamais notre esprit n’aurait pu parvenir à la connaissance d’une Sagesse si parfaite.
Mais comme la Foi vient de l’ouïe3, il est facile de voir combien, dans tous les temps, il a été nécessaire pour se sauver, d’avoir recours aux soins et au ministère d’un maître autorisé. Car il est écrit : Comment entendront-ils sans prédicateurs ? Et comment y aura-t-il des prédicateurs, si on ne les envoie ?4 Aussi bien depuis que le monde est monde, le Dieu de toute clémence et de toute bonté n’a-t-il jamais manqué à ceux qui sont les siens. Mais Il a parlé à nos pères en plusieurs occasions, et en diverses manières, par les Prophètes5, et selon les temps et les circonstances, Il leur a toujours montré un chemin sûr et droit pour les faire arriver au bonheur du ciel. De plus, comme Il avait promis d’envoyer un Docteur de la justice pour éclairer les nations et porter le salut jusqu’aux extrémités de la terre6, Il nous a parlé en dernier lieu par la bouche de son Fils7, dont Il nous a ordonné d’observer les préceptes, lorsqu’une voix descendue du ciel, partie du trône même de la gloire8, est venue nous enjoindre à tous de L’écouter. Puis ce même Fils nous a donné des Apôtres, des Prophètes, des Pasteurs et des Docteurs9, pour nous faire entendre la parole du salut, afin qu’on ne nous vit pas comme des enfants, emportés de tous côtés et flottant à tout vent de doctrine, mais qu’en nous tenant fermement attachés au fondement inébranlable de notre Foi, nous fussions comme un véritable édifice de Dieu, dans le Saint-Esprit10.
Et afin que personne ne fût tenté de recevoir la parole de Dieu annoncée par les ministres de l’Église comme la parole des hommes, et non comme la parole même de Jésus-Christ, notre Sauveur a voulu attacher une si grande autorité à leur enseignement qu’Il a dit un jour : qui vous écoute, M’écoute, qui vous méprise, Me méprise11. Et, sans aucun doute, Il ne voulait pas appliquer cette déclaration à ceux-là seuls à qui Il parlait alors, mais encore à tous ceux qui succéderaient légitimement aux Apôtres dans les fonctions de leur ministère. C’est à tous ceux-là qu’Il a promis son assistance de tous les jours jusqu’à la consommation des siècles12.
Jamais la prédication de la parole de Dieu ne doit être interrompue dans l’Église. Mais c’est surtout à l’époque où nous vivons que la piété et le zèle doivent se renouveler en quelque sorte et s’augmenter encore, pour nourrir et fortifier les Fidèles avec le pain vivifiant d’une pure et saine doctrine. C’est qu’en effet nous avons vu se répandre dans le monde ces faux prophètes13 dont le Seigneur a dit : Je ne les envoyais pas, et cependant ils allaient ; Je ne leur parlais pas, et cependant ils prophétisaient14. Leur but est de dépraver le cœur des Chrétiens, par des enseignements insolites et étrangers15. Leur impiété, fortifiée de tous les artifices de Satan, s’est avancée si loin qu’il paraît presque impossible de l’arrêter et de la borner. Et si nous n’avions pleine confiance dans la promesse remarquable que notre Seigneur a faite de bâtir son Église sur un fondement si solide que les portes de l’enfer ne pourront jamais prévaloir contre elle16, dans ce temps où elle est attaquée de toutes parts par tant d’ennemis, et battue en brèche sur tant de points, nous aurions raison de craindre de la voir succomber. Car, sans parler de ces belles provinces qui gardaient jadis avec tant de respect et de fermeté la vraie Foi catholique que leurs ancêtres leur avaient transmise, et qui, après avoir déserté le chemin de la vérité, marchent maintenant dans l’erreur, avec la prétention de se rapprocher d’autant plus de la vraie piété, qu’elles s’éloignent davantage de la Foi de nos Pères, y a-t-il une contrée assez lointaine, un lieu assez fortifié, un coin du monde chrétien assez reculé où cette peste n’ait cherché à se répandre par des moyens cachés ?
En effet, ceux qui ont entrepris d’infester l’âme des Chrétiens fidèles ont parfaitement compris qu’ils ne pourraient jamais s’expliquer au grand jour avec eux, ni faire arriver aux oreilles de tous leurs paroles pleines de poison. Aussi ont-ils essayé d’un autre moyen pour semer plus facilement et plus au loin leurs erreurs impies. Outre ces gros livres à l’aide desquels ils ont essayé de détruire la foi catholique — livres faciles à réfuter toutefois, avec un peu de travail et d’habileté, à cause même des hérésies évidentes qu’ils renfermaient — ils ont fait paraître un très grand nombre de petits traités qui, sous les couleurs de la vraie piété, ont surpris et égaré trop facilement la bonne foi des âmes simples.
C’est pourquoi les Pères du Concile œcuménique de Trente, voulant absolument combattre un mal si grand et si funeste par un remède efficace, non seulement ont pris soin de bien définir contre les hérésies de notre temps les points principaux de la doctrine catholique, mais de plus ils se sont fait un devoir de laisser, pour l’instruction des chrétiens sur les vérités de la Foi, une sorte de plan et de méthode que pourraient suivre en toute sûreté dans leurs églises ceux qui auraient la charge de Docteur et de Pasteur légitime.
Un certain nombre d’auteurs, nous le savons, ont déjà traité ces matières avec autant de piété que de science, cependant ces Pères ont cru qu’il importait extrêmement, que par l’autorité du Saint Concile, on vit paraître un livre, où les Pasteurs et tous ceux qui sont chargés d’enseigner pourraient puiser des vérités d’une certitude absolue, et les transmettre ensuite aux Fidèles pour leur édification.
Ainsi comme il n’y a qu’un seul Seigneur et une Foi17, il n’y aurait qu’une seule et même manière, une seule et même règle, pour apprendre au peuple la Foi chrétienne et tous les devoirs qu’elle impose.
Les vérités qui entreraient dans ce plan sont très nombreuses. Il ne viendra à l’idée de personne que le Saint Concile ait eu la prétention d’expliquer dans le détail, et en un seul livre, tous les dogmes de notre Foi. Ceci appartient aux théologiens, qui font profession de transmettre par l’enseignement, la religion tout entière, avec son histoire et ses dogmes. Au surplus, c’était un travail énorme et qui n’aurait pas rempli le but du Concile. Cette sainte assemblée en effet (en décrétant ce catéchisme) a voulu simplement donner aux Pasteurs et aux autres Prêtres ayant charge d’âmes, la connaissance des choses qui appartiennent en propre au ministère d’une paroisse, et qui sont le plus à la portée des fidèles. Voilà pourquoi ils n’ont dû s’occuper ici que de ce qui pourrait seconder le zèle et la piété de certains Pasteurs qui peut-être ne seraient pas assez sûrs d’eux-mêmes dans les points les plus difficiles de la science divine.
Mais avant d’en venir à l’explication de chacun des articles qui doivent composer cet abrégé de notre Foi, l’ordre même de notre travail nous oblige à faire ici quelques déclarations que les Pasteurs auront soin de ne pas perdre de vue. Ces explications leur feront connaître exactement quel doit être le terme de leurs pensées, de leurs labeurs et de leurs études, et en même temps les moyens à employer pour arriver sûrement au succès désiré.
Or ce qui semble primer tout le reste, c’est qu’ils n’oublient jamais que toute la science du Chrétien, ou plutôt, comme le dit notre Seigneur, que toute la Vie Éternelle elle-même consiste en ce seul point : Vous connaître, Vous, le seul Dieu véritable et Jésus-Christ que Vous avez envoyé18. Aussi le vrai Docteur de l’Église s’appliquera-t-il avant toutes choses à faire naître dans l’âme des Fidèles le désir sincère de connaître Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié19. Il fera en sorte de leur persuader et de graver dans leur cœur cette Foi inébranlable qu’il n’existe point sous le ciel d’autre nom par lequel nous puissions nous sauver20, puisque c’est Lui qui est l’hostie de propitiation pour nos péchés21.
Et comme on ne peut être sûr de Le connaître véritablement qu’autant qu’on observe ses commandements22, la deuxième obligation, qui ne peut être séparée de celle que nous venons de marquer, sera de bien mettre en lumière que la vie des Fidèles ne doit point s’écouler dans le repos et l’oisiveté, mais que nous devons marcher sur les traces de notre Sauveur23 et chercher sans relâche et de toutes nos forces la justice, la piété, la foi, la charité et la douceur24. Car si Jésus-Christ s’est livré Lui-même pour nous, Il l’a fait pour nous arracher à toute sorte d’iniquité, pour faire de nous un peuple pur, agréable à ses yeux, ami fervent des bonnes œuvres25. C’est ainsi que l’Apôtre ordonne aux Pasteurs de Le faire connaître et de Le proposer en exemple.
Mais notre Maître et Sauveur ne s’est pas contenté de parler, Il a voulu de plus prouver par sa conduite que la Loi et les Prophètes se résumaient tous dans l’amour26. D’autre part l’Apôtre a formellement enseigné que l’amour est la fin des commandements, et la plénitude de la Loi27. Personne ne peut donc mettre en doute que c’est un devoir, et un devoir primordial d’exhorter le peuple fidèle à l’amour de Dieu et de son infinie bonté pour nous. Ainsi, enflammé d’une véritable ardeur divine, ce peuple pourra s’élancer vers le Bien suprême, le Bien parfait dont l’amour et la possession produisent la vraie et solide félicité dans le cœur de tous ceux qui peuvent s’écrier avec le Prophète : Qu’y a-t-il dans le ciel et qu’ai-je désiré sur la terre, si ce n’est Vous, Seigneur ?28 C’est là en effet cette voie excellente29 que nous montrait Saint Paul lorsqu’il résumait toute sa doctrine et toute sa prédication, dans la charité, qui ne périt point30. Aussi qu’il soit question de Foi, d’Espérance ou de toute autre vertu, il convient d’insister toujours avec tant de force sur l’amour pour notre Seigneur Jésus-Christ, que chacun soit en quelque sorte obligé de comprendre que toutes les œuvres de perfection et de vertu chrétienne ne peuvent avoir d’autre source et d’autre terme que ce saint Amour31.
Mais si dans toute espèce d’enseignement, il importe de prendre telle ou telle méthode, cette vérité trouve surtout son application lorsqu’il s’agit d’instruire le peuple chrétien. C’est qu’en effet il faut tenir compte de l’âge, de l’intelligence, des habitudes, de la condition. Celui qui enseigne doit se faire tout à tous, pour gagner tout le monde à Jésus-Christ32 ; il doit se montrer lui-même un ministre et un dispensateur sûr33, et à l’exemple du serviteur bon et fidèle, il doit mériter d’être établi par notre Seigneur dans des fonctions plus considérables34.
Surtout qu’il ne s’imagine pas qu’une seule sorte d’âmes lui est confiée, et que par conséquent il lui est loisible d’enseigner et de former également tous les Fidèles à la vraie piété, avec une seule et même méthode et toujours la même ! Qu’il sache bien que les uns sont en Jésus-Christ comme des enfants nouvellement nés35, d’autres comme des adolescents, quelques-uns enfin, comme en possession de toutes leurs forces. Il devra donc s’appliquer à reconnaître et à distinguer ceux qui ont besoin du lait de la doctrine, et ceux qui demandent une nourriture plus forte36. Ainsi, il pourra distribuer à tous et à chacun ces aliments spirituels qui augmentent la vie de l’âme, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité d’une même Foi, d’une même connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’hommes parfaits, et à la mesure de la plénitude de l’âge de Jésus-Christ37. Au surplus, c’est à tous les Chrétiens que l’Apôtre a voulu se donner lui-même en exemple sur ce point lorsqu’il dit qu’il se doit aux Grecs et aux Barbares, aux savants et aux ignorants38. Il voulait montrer à tous ceux qui sont appelés au ministère de la prédication, qu’ils doivent, en transmettant l’enseignement des mystères de la Foi et des règles des mœurs, proportionner leurs paroles à l’esprit et à l’intelligence de leurs auditeurs. Ainsi, après avoir nourri d’un aliment spirituel les esprits les plus élevés, ils ne laisseront point périr de besoin ceux qui, encore enfants demanderaient un pain qui ne leur serait point rompu39.
Personne ne doit donc laisser refroidir son zèle pour instruire, parce que, de temps en temps, il faudra expliquer ces vérités qui paraissent simples et élémentaires et que l’on aborde avec d’autant moins de plaisir qu’on se plaît davantage dans l’étude de vérités plus élevées. Mais si la Sagesse elle-même du Père éternel a bien voulu descendre ici-bas, dans l’abaissement de notre chair, pour nous enseigner les lois de la vie surnaturelle, quel est celui que la charité de Jésus-Christ ne portera pas40 à se faire petit parmi ses frères, et à imiter comme lui les soins de la mère pour ses enfants ? Quel est celui qui ne désirera assez ardemment le salut de son prochain pour vouloir, comme Saint Paul le dit de lui-même, leur donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais encore sa propre vie ?41
Or, toutes les vérités que l’on doit enseigner aux Fidèles sont contenues dans la parole de Dieu, soit celle qui est écrite, soit celle qui a été conservée par tradition. L’Écriture et la tradition voilà donc ce que les Pasteurs devront méditer jour et nuit. Et ils n’auront garde d’oublier cet avertissement que Saint Paul adressait à Timothée, et qui s’applique à tous ceux qui ont charge d’âmes : Appliquez-vous à la lecture, à l’exhortation et à l’instruction42 ; car toute Écriture inspirée de Dieu est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger, pour former à la justice, pour rendre l’homme de Dieu parfait, et propre à toutes les bonnes œuvres43.
Tout ce que Dieu nous a révélé est considérable et varié. Et tout, dans cette révélation, ne se comprend point assez facilement, et même, quand on l’a compris, ne reste pas assez bien gravé dans la mémoire, pour qu’on puisse en donner toujours une explication satisfaisante. C’est donc avec une profonde sagesse que nos Pères ont ramené toute la doctrine et toute la science du salut à quatre points principaux qui sont le Symbole des Apôtres, les Sacrements, le Décalogue, et l’Oraison Dominicale.
En effet tout ce que nous devons croire et connaître de la doctrine, de la création et du gouvernement du monde, de la récompense des bons et de la punition des méchants, tout cela est contenu dans le Symbole.
Quant aux signes et aux moyens que Dieu nous donne pour obtenir sa grâce, nous les trouvons dans les sept Sacrements.
Les préceptes divins qui ont tous pour fin la Charité44 sont inscrits dans le Décalogue.
Enfin tout ce que nous pouvons désirer, espérer ou demander pour notre bien est renfermé dans l’Oraison Dominicale. Ainsi lorsque nous aurons expliqué ces quatre articles, qui sont comme les lieux communs de la sainte Écriture, il ne manquera presque plus rien au Chrétien pour connaître ce qu’il est obligé de savoir.
En conséquence, nous croyons devoir avertir les Pasteurs que chaque fois qu’ils auront à mettre en lumière un passage de l’Évangile ou de toute autre partie de l’Écriture sainte, ils pourront toujours le ramener à l’un de ces quatre points, et y prendre comme à sa source l’explication désirée.
Par exemple, s’il s’agit d’interpréter l’Évangile du premier Dimanche de l’Avent : Il y aura des signes dans le soleil et dans la lune, etc45, ils trouveront ce qui se rapporte à cette vérité dans l’article du Symbole : Il viendra juger les vivants et les morts. Par ce moyen ils feront connaître en même temps aux Fidèles, et le Symbole, et l’Évangile. Ainsi, dans tout son enseignement et ses commentaires, le Pasteur pourra prendre et conserver l’habitude de tout ramener à ces quatre points principaux, qui selon nous renferment toute la moelle des Saintes Écritures et même tout le Christianisme.
Quant à l’ordre de l’enseignement, il y aura lieu de choisir celui qui paraîtra le mieux approprié aux temps et aux personnes.
Pour nous, à l’exemple des saints Pères qui, voulant initier les hommes à la connaissance de Jésus-Christ et de sa doctrine, commencèrent toujours par la Foi, nous avons jugé à propos d’expliquer tout d’abord ce qui regarde cette vertu.
Le mot de Foi dans la Sainte Écriture a plusieurs significations. Ici nous le prenons pour cette vertu par laquelle nous donnons un assentiment plein et entier aux vérités révélées de Dieu. Personne ne peut raisonnablement douter que cette Foi dont nous parlons ne soit nécessaire pour le salut, car il est écrit : Sans la Foi, il est impossible de plaire à Dieu1. En effet, la fin dernière de l’homme — c’est-à-dire le bonheur auquel il doit tendre — est beaucoup trop élevée pour qu’il puisse la découvrir par les seules lumières de son esprit. Il était donc nécessaire que Dieu Lui-même lui en donnât la connaissance. Or cette connaissance n’est autre chose que la Foi, par laquelle, et sans hésitation aucune, nous tenons pour certain tout ce que l’autorité de la Sainte Église notre mère nous propose comme révélé de Dieu. Car il est impossible de concevoir le moindre doute sur les choses qui viennent de Dieu, puisqu’Il est la Vérité même. De là, il est facile de comprendre combien la Foi que nous avons en Dieu est différente de celle que nous accordons au témoignage des historiens qui nous racontent des faits purement naturels. Mais si la Foi admet des degrés divers en étendue et en excellence, comme il paraît dans ces passages de l’Écriture : Homme de peu de Foi, pourquoi avez-vous douté ?2 — Votre Foi est grande3. — Augmentez en nous la Foi4. — La Foi sans les œuvres est une Foi morte5. — La Foi qui opère par la charité6. — elle ne reconnaît aucune diversité d’espèces, et la même définition convient parfaitement à tous les degrés qu’elle peut avoir. Quant aux fruits qu’elle produit et aux avantages qu’elle nous procure, nous le dirons dans l’explication de chacun des articles.
Ce que les Chrétiens doivent savoir tout d’abord, ce sont les vérités que les Saints Apôtres, nos maîtres et nos guides dans la Foi, inspirés par l’Esprit de Dieu, ont renfermées dans les douze articles du Symbole. Après avoir reçu de Notre-Seigneur l’ordre d’aller remplir pour lui les fonctions d’ambassadeurs, et de se répandre dans le monde entier pour prêcher l’Évangile à toute créature7, ils jugèrent convenable de composer une formule de Foi chrétienne, afin que tous eussent la même croyance et le même langage8, qu’il n’y eût ni division ni schisme parmi ceux qu’ils allaient appeler à la même Foi, et que tous fussent consommés dans un même esprit et un même sentiment. Et cette profession de Foi et d’Espérance chrétienne qu’ils avaient composée, ils l’appelèrent Symbole, soit parce qu’ils la formèrent de l’ensemble des vérités différentes que chacun d’eux formula, soit parce qu’ils voulurent s’en servir comme d’une marque, et d’un mot d’ordre, qui leur ferait distinguer aisément les vrais soldats de Jésus-Christ des déserteurs et des faux frères, qui se glissaient dans l’Église9, pour corrompre l’Évangile10.
Les vérités que la Foi chrétienne enseigne et que les Fidèles sont obligés de croire fermement, soit en particulier, soit en général, sont assez nombreuses. Mais la première et la plus essentielle de toutes, celle qui est en même temps comme le fondement et le faîte de l’édifice, et que Lui-même nous a enseignée, c’est l’unité de l’Essence divine, la distinction des trois Personnes, et la diversité des opérations que l’on attribue plus particulièrement à chacune d’Elles. Le Pasteur montrera que toute la doctrine de ce Mystère est renfermée en abrégé dans le Symbole des Apôtres. En effet, ainsi que l’ont remarqué nos ancêtres, qui ont traité ces matières avec beaucoup de soin et de piété, le Symbole semble précisément avoir été divisé en trois parties, afin que dans la première il fut question de la première Personne divine et de l’œuvre admirable de la Création ; dans la Seconde, de la seconde Personne divine et du mystère de la Rédemption des hommes ; dans la troisième enfin, de la troisième Personne divine, source et principe de notre Sanctification. Ces trois parties sont distinctes quoique liées entre elles. D’après une comparaison souvent employée par les Pères, nous les appelons articles. De même, en effet, que dans nos membres il y a certaines articulations qui les distinguent et les séparent, de même, dans cette profession de Foi, on a donné avec beaucoup de justesse et de raison le nom d’articles aux vérités que nous devons croire en particulier et d’une manière distincte.
Je crois en Dieu le Père Tout Puissant,
créateur du ciel et de la terre
Voici le sens de ces paroles : je crois fermement et je confesse sans aucune hésitation Dieu le Père, c’est-à-dire la première Personne de la Sainte Trinité, qui par sa vertu toute puissante a créé de rien le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment, et qui, après avoir tout créé, conserve et gouverne toutes choses. Et non seulement je crois en Lui de cœur et je Le confesse de bouche, mais encore je tends à Lui de toute l’ardeur et de toute la force de mon âme, comme au Bien souverain et parfait. Ce premier article n’est pas long ; mais chacun des mots qui le composent cache de grands mystères. Et ces mystères, c’est au Pasteur à les approfondir et à les expliquer avec le plus grand soin, afin que les Fidèles ne viennent, s’il plaît à Dieu, qu’avec crainte et tremblement, contempler la gloire de son infinie Majesté.
Croire ici n’est pas la même chose que penser, imaginer, avoir une opinion. C’est, selon l’enseignement de nos Saints Livres, un acquiescement très ferme, inébranlable et constant de notre intelligence aux mystères révélés de Dieu. Ainsi, en ce qui nous occupe en ce moment, celui-là croit11 qui s’est formé sur une vérité quelconque une conviction et une certitude exemptes de tout doute.
Et qu’on n’aille pas s’imaginer que la connaissance qui nous vient de la Foi soit moins certaine, sous le prétexte que nous ne voyons pas les vérités qu’elle nous propose à croire. Si la lumière divine qui nous les fait connaître ne nous en donne pas l’évidence, cependant elle ne nous permet pas d’en douter : Car le même Dieu qui a fait sortir la lumière des ténèbres, a éclairé assez nos cœurs12 pour que l’Évangile ne fût point voilé pour nous, comme il l’est pour ceux qui périssent13.
Il suit de là que celui qui est en possession de cette connaissance céleste de la Foi, est délivré du désir des investigations de pure curiosité. Car lorsque Dieu nous a ordonné de croire, Il ne nous a point proposé de scruter ses jugements, ni d’en examiner les raisons et les motifs, mais Il nous a commandé cette Foi immuable par laquelle notre esprit se repose entièrement dans la connaissance qu’il a de la vérité éternelle. En effet, Dieu seul est véritable, dit l’Apôtre, et tout homme est menteur14. Si donc il y a de l’orgueil et de l’insolence à ne point ajouter foi aux affirmations d’un homme sage et prudent, et à exiger qu’il prouve ce qu’il avance par des raisons ou par des témoins, quelle ne sera pas la témérité, ou plutôt la folie de celui qui, entendant la voix de Dieu Lui-même, osera demander les preuves de la céleste doctrine du salut ? Il faut donc faire notre acte de Foi, non seulement sans aucun doute, mais encore sans chercher de démonstration.
Le Pasteur enseignera également que celui qui dit : Je crois, exprimant par cette parole l’assentiment intime de son esprit, qui est l’acte intérieur de la Foi, ne doit point se borner à cet acte de Foi, mais qu’il est tenu de manifester au dehors par une profession ouverte les sentiments qu’il porte dans son cœur, comme aussi de les avouer et de les publier devant tout le monde avec joie et empressement. Tous les Fidèles doivent avoir cet esprit qui inspirait le Prophète quand il disait : J’ai cru, et c’est pourquoi j’ai parlé15. Ils doivent imiter les Apôtres qui répondaient aux princes du peuple : Nous ne pouvons pas ne pas dire ce que nous avons vu et entendu16, et s’encourager soit par ces admirables paroles de Saint Paul : Je ne rougis point de l’Évangile, car il est la force et la vertu de Dieu pour sauver tous les croyants17 ; soit par celles-ci qui prouvent particulièrement la vérité que nous établissons : On croit de cœur pour être justifié, mais on confesse de bouche pour être sauvé18.
Ces paroles nous font connaître immédiatement l’excellence et la dignité de la sagesse chrétienne, et par là même tout ce que nous devons à la bonté divine, qui daigne nous élever par les vérités de la Foi, comme par autant de degrés, à la connaissance de l’objet le plus sublime et le plus désirable. Il y a en effet une différence énorme entre la philosophie chrétienne et la sagesse du siècle. Cette dernière, guidée par la seule lumière naturelle, peut bien, il est vrai, s’élever peu à peu, à l’aide des effets et des perceptions des sens ; mais elle ne parvient qu’à force de travaux et de peines à contempler les choses invisibles de Dieu, à Le reconnaître et à Le comprendre comme la cause et l’Auteur de tout ce qui existe. La première, au contraire, augmente tellement la pénétration naturelle de l’esprit, qu’il peut aisément s’élever jusqu’au ciel, et là, grâce à la splendeur divine qui l’éclaire, contempler tout d’abord le foyer éternel de toute lumière, et ensuite les autres choses placées au-dessous de lui. Nous éprouvons alors avec une joie parfaite que nous avons été appelés réellement des ténèbres à une admirable lumière19, comme dit le prince des Apôtres, et que notre Foi nous cause un ravissement ineffable20.
C’est donc avec raison que les Fidèles font d’abord profession de croire en Dieu, dont la Majesté, selon l’expression de Jérémie, est incompréhensible21, qui habite, dit à son tour l’Apôtre, une lumière inaccessible, que personne n’a vu ni ne peut voir22 ; Dieu enfin que nul homme ne pourrait voir sans mourir23, comme Il le dit lui-même à Moïse. C’est qu’en effet, pour que notre âme puisse s’élever jusqu’à Dieu qui est infiniment au-dessus de tout, il faut de toute nécessité qu’elle soit entièrement dégagée des sens. Mais cela ne lui est pas possible naturellement en cette vie.
Malgré tout, Dieu ne s’est pas laissé Lui-même sans témoignage, dit l’Apôtre, car c’est Lui qui nous fait du bien, qui nous envoie les pluies du ciel et les saisons favorables aux fruits ; c’est Lui qui nous donne en abondance la nourriture dont nous avons besoin et qui remplit nos cœurs de joie24. Voilà pourquoi les philosophes n’ont pu concevoir en Lui rien d’imparfait ; ils ont repoussé bien loin comme indigne de Lui toute idée de corps, de mélange et de composition. Ils ont placé en Lui la plénitude de tous les biens, et ils L’ont regardé comme cette source inépuisable et perpétuelle de bonté et de charité qui répand sur toutes les créatures ce que nous y voyons de beau et de parfait ; ils L’ont appelé le Sage, l’Auteur et l’Ami de la vérité, le Juste, le Bienfaiteur suprême. Ils Lui ont donné plusieurs autres noms qui renferment la souveraine et absolue perfection. Enfin ils ont reconnu en Lui une puissance immense, infinie, qui s’étend à tout et partout.
Mais ces vérités sont bien plus solidement établies, et plus clairement exprimées dans nos saintes Lettres, comme par exemple dans ces passages : Dieu est esprit25 ; ou bien, soyez parfait comme votre Père céleste est parfait26 — Tout est à nu et à découvert devant ses yeux27 — Profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu28 — Dieu est Vérité29 — Je suis la Voie, la Vérité et la Vie30 — Votre droite, Seigneur, est pleine de justice31 — Vous ouvrez la main et Vous remplissez de bénédictions tout ce qui respire32 — Où irai-je pour me cacher à votre esprit ? Où fuirai-je devant votre face ? Si je monte au ciel, Vous y êtes ; si je descends dans les enfers, je Vous y trouve ; si le matin je prends mes ailes pour voler jusqu’aux extrémités de la mer, c’est votre main qui m’y conduit33. Enfin Dieu nous dit Lui-même : est-ce que Je ne remplis pas le ciel et la terre ? 34
Telles sont les conceptions vraiment grandes et magnifiques que les philosophes eux-mêmes se sont formées de la nature de Dieu par l’observation du monde créé, et qui se trouvent si conformes à l’enseignement de nos Livres saints. Et cependant, pour comprendre combien nous avions besoin, même sur ce point, de la révélation d’en haut, il nous suffira de remarquer que ce qui fait l’excellence de la Foi, ce n’est pas seulement, comme nous l’avons déjà dit, de dévoiler promptement et sans peine aux plus ignorants et aux plus grossiers la science que de longues études seules pourraient faire connaître aux savants ; mais de plus la connaissance qu’elle nous donne de la vérité est bien plus certaine, plus claire et plus exempte d’erreur, que si elle était le résultat des raisonnements humains. Mais c’est surtout dans la notion qu’elle nous fournit de la substance divine que nous touchons du doigt sa supériorité. En effet, la simple contemplation de la nature ne peut pas faire connaître Dieu à tout le monde, tandis que la lumière de la Foi Le révèle toujours d’une manière infaillible à ceux qui croient.
Or, tout ce que la Foi nous enseigne sur Dieu est contenu dans les articles du Symbole. Nous y trouvons l’unité dans l’Essence divine et la distinction dans les trois Personnes. Nous y voyons de plus que Dieu est notre fin dernière et que c’est de Lui que nous devons attendre un bonheur céleste et éternel, selon la parole de Saint Paul, que Dieu récompense ceux qui Le cherchent35. Et bien longtemps avant l’Apôtre, le Prophète Isaïe, pour faire entendre quelle est la grandeur de cette béatitude, et combien l’intelligence humaine est incapable de la connaître par elle-même36, avait soin de nous dire : Non, depuis l’origine des siècles, les hommes n’ont point conçu, l’oreille n’a point entendu, aucun œil n’a vu, excepté vous, Seigneur, ce que Vous avez préparé à ceux qui Vous aiment37.
D’après ce que nous venons de dire, il faut faire profession d’admettre qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et non plusieurs. Nous reconnaissons que Dieu est la bonté souveraine et la perfection même. Or, il est impossible que la perfection absolue convienne à plusieurs. Car celui qui manque de la moindre chose pour arriver jusqu’au souverain et à l’absolu, est par là même imparfait, donc il ne saurait être Dieu. Cette vérité est affirmée en maints endroits dans la sainte Écriture. Ainsi, il est écrit : Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est le seul Dieu38. De plus, c’est un précepte du Seigneur : Vous n’aurez point d’autres dieux devant Moi39. Souvent Dieu nous fait entendre par le Prophète Isaïe qu’Il est le premier et le dernier, et qu’il n’y a point d’autre Dieu que Lui40. Enfin l’Apôtre Saint Paul atteste aussi très nettement qu’il n’y a qu’un Seigneur, une Foi, un Baptême41.
L’Écriture sainte donne parfois le nom de dieux à des êtres créés42. N’en soyons pas étonnés. Car lorsqu’elle appelle dieux les Prophètes et les Juges, ce n’est pas dans le sens absurde et impie des païens qui se sont forgé plusieurs divinités, c’est simplement pour exprimer, selon cette façon habituelle de parler, ou quelque qualité éminente, ou bien une fonction sublime à laquelle Dieu les avait élevés.
La Foi chrétienne croit donc et professe qu’il n’y a qu’un seul Dieu, par nature, par substance et par essence. C’est la définition même du Concile de Nicée, qui a voulu confirmer cette vérité dans son Symbole. Puis, s’élevant encore plus haut, cette même Foi chrétienne reconnaît l’unité de Dieu, tout en adorant en même temps la Trinité dans son unité, et l’unité dans sa Trinité. C’est le Mystère dont nous avons maintenant à nous occuper, d’après les termes suivants du Symbole.
On donne à Dieu le nom de Père pour plusieurs raisons. Il convient donc d’expliquer tout d’abord en quel sens on le Lui attribue plus spécialement ici. Quelques-uns, même de ceux dont la Foi n’avait pas éclairé les ténèbres, avaient compris cependant que Dieu est une substance éternelle, que tout émane de Lui, qu’Il gouverne et conserve, par sa Providence, l’ordre et l’état de tout ce qui existe. Et de là, voyant que les hommes appellent Père celui qui est l’auteur d’une famille, et qui continue de la diriger par ses conseils et par son autorité, ils donnèrent également ce nom de Père à Dieu, qu’ils reconnaissaient comme le Créateur et le Gouverneur de toutes choses.
Les Saintes Écritures elles-mêmes emploient ce mot lorsque, en parlant de Dieu, elles Lui attribuent la Création, la Puissance suprême et cette Providence qui régit si admirablement l’univers. Nous y lisons en effet : N’est-ce pas le Seigneur qui est votre Père, qui est votre Maître, qui vous a faits et tirés du néant ?43 Et aussi : N’est-ce pas Lui qui est notre seul Père ? N’est-ce pas Dieu seul qui nous a créés ?44
Mais c’est dans les livres du Nouveau Testament qu’Il est appelé bien plus souvent et d’une manière bien plus spéciale le Père des Chrétiens, puisqu’ils n’ont pas reçu l’esprit de servitude qui fait vivre dans la crainte, mais l’esprit d’adoption des enfants de Dieu, par lequel nous crions : Père ! Père !45 — Car le Père nous a témoigné tant d’amour que nous sommes appelés, et que nous sommes réellement les enfants de Dieu46 — Que si nous sommes enfants, nous sommes héritiers de Dieu, et cohéritiers de Jésus-Christ47, qui est le premier-né de plusieurs frères48 et qui ne rougit pas de nous appeler ses frères49.
Ainsi, soit que l’on considère Dieu d’une manière générale par rapport à la création et à la Providence, soit qu’on s’arrête spécialement à l’adoption spirituelle (qu’il a faite) des Chrétiens, c’est à bon droit que les Fidèles font profession de Le reconnaître pour leur Père.
Mais outre ces explications que nous venons de donner, le Pasteur ne manquera pas d’avertir les Fidèles qu’en entendant prononcer ce nom de Père, ils doivent élever leurs âmes vers des mystères plus sublimes encore. En effet tout ce qu’il y a de plus caché et de plus impénétrable dans cette lumière inaccessible que Dieu habite50, ce que la raison et l’intelligence humaine ne pouvaient ni atteindre, ni même soupçonner, les oracles divins commencent à nous le faire entrevoir par ce nom de Père.
Ce nom nous indique qu’il faut admettre dans l’Essence divine, non une seule Personne, mais plusieurs réellement distinctes. Il y a en effet trois Personnes dans une seule et même Divinité : celle du Père qui n’est engendré d’aucune autre ; celle du Fils qui est engendré du Père avant tous les siècles ; celle du Saint-Esprit qui procède du Père et du Fils, de toute éternité. Le Père est dans l’unité de la nature divine la première Personne, et avec son Fils unique et le Saint-Esprit il forme un seul Dieu, un seul Seigneur non point une seule Personne, mais une seule nature en trois Personnes51. Et il n’est pas permis de penser qu’il y ait entre ces Personnes la moindre différence, la moindre inégalité : toute la distinction que l’on peut concevoir entre elles vient de leurs propriétés respectives. Le Père n’est point engendré ; le Fils est engendré du Père ; le Saint-Esprit procède de l’un et de l’autre. Ainsi nous reconnaissons une seule et même nature, une seule et même substance pour les trois Personnes, mais de telle sorte que dans notre profession de Foi relative au Dieu véritable et éternel, nous adorons avec toute la piété et tout le respect possibles, la distinction dans les Personnes, l’unité dans la Substance, et l’égalité dans la Trinité52.
Voilà pourquoi, lorsque nous disons que le Père est la première Personne, il ne faut pas croire que nous entendons supposer dans la Trinité quelque chose de premier et de dernier, de plus grand et de plus petit. À Dieu ne plaise qu’une pareille impiété entre jamais dans l’esprit des Fidèles, puisque la Religion chrétienne proclame dans les trois Personnes la même éternité, la même gloire et la même majesté. Mais comme le Père est le principe sans principe, nous affirmons avec vérité et sans aucune hésitation qu’Il est la première Personne ; et parce qu’Il n’est distingué des autres Personnes que par la propriété de Père, c’est à Lui seul aussi qu’il appartenait d’engendrer le Fils de toute éternité. Aussi c’est pour nous faire souvenir en même temps que Dieu a toujours été, et qu’Il a toujours été Père que nous joignons ensemble, dans cette profession de Foi, et le nom de Dieu et le nom de Père.
Mais comme il n’y a rien de plus périlleux que de chercher à pénétrer des vérités si hautes et si délicates, ni de plus grave que de se tromper en voulant les exprimer, le Pasteur aura soin d’enseigner aux Fidèles qu’ils doivent retenir scrupuleusement les mots d’Essence et de Personne, consacrés en quelque sorte à l’expression propre de ce Mystère, et ne point oublier que l’unité est dans l’Essence et la distinction dans les Personnes. De plus, il faut éviter sur ce point les recherches subtiles et curieuses, selon cette parole : Celui qui voudra scruter la majesté sera accablé par l’éclat de la gloire53. Il doit nous suffire de savoir d’une manière certaine par la Foi que Dieu Lui-même nous a enseigné cette vérité, (car ne pas croire à ses oracles serait une insigne folie et un malheur extrême). Allez, dit Notre-Seigneur Jésus-Christ à ses Apôtres, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit54. Et l’Apôtre Saint Jean nous dit également : Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, le Verbe et l’Esprit, et ces trois ne font qu’Un55.
Que celui donc qui par la grâce de Dieu croit ces vérités, prie avec persévérance et conjure Dieu le Père qui a créé toutes choses de rien, qui dispose tout pour notre bonheur56, qui nous a donné le pouvoir de devenir ses enfants57, qui a révélé à l’esprit de l’homme le mystère de la Sainte Trinité, oui, qu’il demande sans cesse la grâce d’être admis un jour dans les tabernacles éternels, pour y contempler cette ineffable fécondité du Père qui, en se considérant et en se connaissant Lui-même, engendre un Fils qui Lui est égal et semblable ; pour y contempler aussi ce bien éternel et indissoluble par lequel l’esprit de charité qui est l’Esprit-Saint, amour parfaitement égal du Père et du Fils, procédant de l’un et de l’autre, unit ensemble et toujours Celui qui engendre et Celui qui est engendré ; pour y voir enfin l’unité d’Essence dans la Trinité divine et la parfaite distinction dans les trois Personnes.
Les Saintes Écritures emploient ordinairement différents mots pour exprimer la Puissance infinie de Dieu et sa Majesté souveraine, afin de nous montrer avec quelle religion et quelle piété nous devons honorer ce nom trois fois saint. Mais le Pasteur aura soin d’enseigner avant tout que la perfection qui Lui est le plus fréquemment attribuée est celle de Tout-Puissant. Parlant de Lui-même Dieu dit Je suis le Seigneur Tout-Puissant58. Et Jacob envoyant ses fils vers Joseph faisait cette prière : Puisse mon Dieu Tout-Puissant le fléchir à votre égard !59 Il est écrit dans l’Apocalypse : Le Seigneur Tout-Puissant qui est, qui était et qui doit venir60. Ailleurs : Le grand jour est appelé le jour du Dieu Tout-Puissant61. D’autres fois, plusieurs mots servent à signifier la même chose. Ainsi par exemple : Rien n’est impossible à Dieu62 — La main de Dieu peut-elle être impuissante ?63 — Vous pouvez, Seigneur, tout ce que Vous voulez64. Et plusieurs autres expressions qui, sous des formes différentes, sont de véritables synonymes du mot Tout-Puissant.
Nous entendons donc par là qu’il n’existe rien, que l’esprit ne peut rien concevoir, que l’imagination ne peut rien se figurer, que Dieu n’ait le pouvoir de réaliser. Car non seulement il peut opérer tous ces prodiges qui tout grands qu’ils sont, ne dépassent pas néanmoins nos conceptions d’une manière absolue, comme de faire tout rentrer dans le néant, ou de créer de rien, en un instant, plusieurs autres mondes ; mais sa Puissance s’étend aussi à une foule d’autres choses beaucoup plus hautes que la raison et l’intelligence de l’homme ne peuvent pas même soupçonner.
Cependant, quoique Tout-Puissant, Dieu ne peut ni mentir, ni tromper, ni être trompé, ni pécher, ni périr, ni ignorer quoi que ce soit. Ces choses ne se rencontrent que chez les êtres dont l’action est imparfaite. Et précisément parce que l’action de Dieu est toujours d’une perfection infinie on dit qu’Il ne peut pas les faire. Réellement une pareille faculté est un effet de la faiblesse, et non d’un pouvoir souverain et illimité, tel qu’Il le possède. Ainsi donc nous croyons que Dieu est Tout-Puissant, mais en ayant grand soin, dans notre pensée, d’écarter loin de Lui tout ce qui ne serait pas en harmonie et en rapport avec la perfection suprême de sa nature.
Mais que le Pasteur montre bien que l’on a eu les plus sages raisons d’omettre dans le Symbole les autres attributs de Dieu, et de ne proposer à notre Foi que celui de sa toute-Puissance. En effet, dès que nous Le reconnaissons comme Tout-Puissant, nous avouons par là même qu’Il a la science de tout et que tout est soumis à son empire et à sa volonté. De plus, si nous croyons fermement qu’Il peut tout faire, nous sommes obligés par une conséquence nécessaire de tenir pour certaines en Lui ces autres perfections sans lesquelles il nous serait impossible de concevoir sa Puissance souveraine.
Enfin rien n’est plus propre à affermir notre Foi et notre espérance que la conviction profondément gravée dans nos âmes que rien n’est impossible à Dieu. Car tout ce qu’on nous proposera ensuite à croire, les choses les plus grandes, les plus incompréhensibles, aussi bien que les plus élevées au-dessus des lois ordinaires de la nature, dès que notre raison aura seulement l’idée de la toute-Puissance divine, elle les admettra facilement et sans hésitation aucune. Et même, plus les oracles divins annonceront des choses prodigieuses, plus nous nous sentirons portés et empressés à les accepter ; que s’il s’agit de biens à espérer, jamais la grandeur de l’objet promis à nos désirs ne rebutera notre confiance. Au contraire, nous verrons s’agrandir nos désirs et nos espérances, en nous rappelant souvent que rien n’est impossible à un Dieu Tout-Puissant.
Et cette Foi doit nous soutenir et nous fortifier, surtout lorsque nous aurons à faire une œuvre difficile (une sorte de miracle), pour le bien et l’utilité du prochain, ou que nous voudrons obtenir de Dieu par la prière quelque grâce spéciale. Notre-Seigneur a voulu nous enseigner lui-même le premier de ces devoirs lorsque reprochant à ses Apôtres, leur incrédulité, Il leur disait : Si vous avez de la Foi comme un grain de sénevé, vous direz à cette montagne Passe d’ici là, et elle y passera, et rien ne vous sera impossible65. Et l’Apôtre Saint Jacques nous rappelle ainsi le second : Que celui qui prie le fasse avec Foi et sans hésiter ; car celui qui hésite est semblable au flot de la mer qui est agité et poussé par le vent de tous les côtés. Que cet homme-là donc ne s’imagine pas qu’il recevra quelque chose du Seigneur66.
D’ailleurs, sous d’autres rapports, cette Foi nous est également très utile et très avantageuse. D’abord elle nous forme admirablement, et en toutes choses, à la modestie et à l’humilité de l’âme, selon cette parole du Prince des Apôtres : Humiliez-vous sous la main puissante de Dieu67. De plus, elle nous apprend à ne pas trembler là où il n’existe aucun sujet d’effroi68, et à ne craindre que Dieu seul69, qui nous tient en son pouvoir, nous et tous nos biens70. Et notre Sauveur Lui-même n’a-t-il pas dit : Je vous montrerai qui vous devez craindre : craignez celui qui après avoir tué le corps peut vous précipiter dans l’enfer71. Enfin cette même Foi nous sert à nous rappeler et à célébrer avec reconnaissance les immenses bienfaits de Dieu envers nous. Car il pourrait croire à la toute-Puissance de Dieu, et en même temps être assez ingrat pour ne pas s’écrier souvent : Le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses72.
Au surplus, si, dans cet article, nous appelons le Père tout Puissant, personne ne doit s’imaginer — car ce serait une erreur — que nous lui attribuons ce nom, à Lui-seul, et que nous refusons de le donner également au Fils et au Saint-Esprit. Car de même que nous disons que le Père est Dieu, que le Fils est Dieu, que le Saint-Esprit est Dieu, sans dire pour cela qu’il y a trois Dieux, mais en confessant réellement un seul Dieu ; de même lorsque nous affirmons que le Père est tout Puissant, que le Fils est tout Puissant, que le Saint-Esprit est tout Puissant, nous ne reconnaissons pas trois tout puissants, mais un seul. Et nous attribuons cette qualité au Père pour cette raison particulière qu’Il est la source de tout ce qui existe ; comme nous disons du Fils qu’il est la Sagesse, parce qu’Il est le Verbe éternel du Père, et du Saint-Esprit, qu’il possède la bonté, parce qu’Il est l’amour du Père et du Fils. Et cependant ces qualités, et toutes les autres semblables, selon l’enseignement de la Foi catholique, peuvent s’appliquer également aux trois Personnes divines.
Ce que nous avons à dire maintenant de la création de toutes choses, nous fera aisément comprendre combien il était nécessaire de donner tout d’abord aux Fidèles la notion d’un Dieu Tout-Puissant. Car il est d’autant plus facile d’admettre une œuvre si prodigieuse que l’on doute moins de la puissance infinie du Créateur. Or Dieu n’a pas formé le monde avec une matière préexistante, Il l’a tiré du néant, sans nécessité ni contrainte, librement et de son plein gré. Le seul motif qui L’a déterminé à l’œuvre de la création, c’est sa bonté, qu’Il voulait répandre sur les êtres qu’Il allait produire. Car Dieu, souverainement heureux en Lui-même et par Lui-même, n’a besoin de rien, ni de personne, comme le proclame David en ces termes : J’ai dit à mon Seigneur, Vous êtes mon Dieu, et Vous n’avez pas besoin de mes biens73. Et comme il n’a obéi qu’à sa bonté, quand Il a fait tout ce qu’Il a voulu74, de même pour former l’univers, Il n’a pris ni modèle ni dessein qui ne fût en Lui. Son intelligence infinie possède en elle-même l’idée exemplaire de toute choses. Et c’est en considérant au dedans de Lui cette idée exemplaire, c’est en la reproduisant pour ainsi dire, que l’Ouvrier par excellence, avec cette Sagesse et cette Puissance suprêmes qui Lui sont propres, a créé dès le commencement l’universalité des choses qui existent. Il a dit, et tout a été fait ; il a ordonné, et tout a été créé75.
Par ces mots le ciel et la terre, on entend tout ce que le ciel et la terre renferment. Car non seulement Dieu a formé les cieux dont le Prophète a dit qu’ils sont l’ouvrage de ses doigts76, mais c’est Lui qui les a ornés de la clarté du soleil, de la lune et de tous les autres astres, pour les faire servir de signes, afin de distinguer les saisons, les jours et les années77. C’est Lui aussi qui a donné à tous les globes célestes un cours si constant et si réglé, qu’on ne peut rien voir de plus rapide que leurs perpétuels mouvements, ni de plus régulier que ces mouvements eux-mêmes.
Dieu créa également de purs esprits et des Anges innombrables pour en faire ses serviteurs et ses ministres. Il les orna et les enrichit des dons de sa grâce et de sa puissance. Quand la Sainte Écriture nous raconte que le démon ne demeura pas dans la vérité78, Elle nous fait entendre clairement que lui et les autres anges apostats avaient reçu la grâce dès le commencement de leur existence. Saint Augustin l’affirme nettement : Dieu, dit-il, créa les Anges avec une volonté droite, c’est-à-dire avec un chaste amour qui les unissait à Lui, formant à la fois leur nature, et y ajoutant la grâce comme un bienfait79. D’où il faut conclure que les Anges saints ne perdirent jamais cette volonté droite, c’est-à-dire l’amour de Dieu. Quant à leur science, voici le témoignage de nos Saints Livres. O mon Seigneur et mon Roi, Vous avez la sagesse d’un Ange de Dieu, et Vous connaissez tout ce qui est sur la terre80. Pour exprimer leur puissance, le saint roi David nous dit : Les Anges sont puissants en vertu, et ils exécutent les ordres de Dieu81. Aussi l’Écriture sainte les appelle souvent les vertus, et l’armée du Seigneur.
Mais, bien qu’ils eussent tous reçu ces dons célestes qui faisaient leur gloire, plusieurs cependant, pour avoir abandonné Dieu leur Père et leur Créateur, furent bannis de leurs sublimes demeures, et renfermés dans une prison très obscure, au centre de la terre, où ils subissent la peine éternelle due à leur orgueil. Ce qui a fait dire au prince des Apôtres : Dieu n’a point épargné les anges pécheurs, mais Il les a précipités dans l’enfer et chargés de chaînes, pour y être tourmentés, et pour y attendre le jugement82.
Dieu affermit aussi la terre sur sa base, et par sa parole Il lui fixa sa place au milieu du monde. Il éleva les montagnes, Il creusa les vallées, et pour que la violence des eaux ne pût l’inonder, Il posa des bornes à la mer pour l’empêcher de la submerger83. Ensuite Il la revêtit et la para de toutes sortes d’arbres, de plantes et de fleurs, Il la peupla d’animaux de toute espèce, comme il avait fait auparavant pour la mer et les airs.
Enfin Il forma le corps de l’homme du limon de la terre et, par un pur effet de sa bonté, Il lui accorda le don de l’immortalité et de l’impassibilité, qui n’était pas essentiellement attaché à sa nature. Quant à l’âme, Il la fit à son image et à sa ressemblance84, la doua du libre arbitre, et régla si bien tous les mouvements et tous les désirs du cœur, qu’ils devaient toujours être soumis à l’autorité de la raison. À cela Il voulut joindre le don admirable de la justice originelle, et enfin Il lui soumit tous les animaux.
Pour instruire les fidèles de ces vérités, le Pasteur n’aura d’ailleurs qu’à consulter l’histoire sacrée de la Genèse.
Ainsi donc ces mots de création du ciel et de la terre doivent s’entendre de la création de toutes choses. Déjà le Prophète David l’avait dit en ce peu de mots : Les cieux sont à Vous, et la terre Vous appartient. C’est Vous qui avez formé le globe de la terre et tout ce qui le remplit85. Mais les Pères du Concile de Nicée l’ont exprimé bien plus brièvement encore en ajoutant au Symbole ces simples mots : visibles et invisibles. Et en effet tout ce que renferme l’ensemble des choses, tout ce que nous reconnaissons comme l’œuvre de Dieu, peut, ou bien tomber sous les sens, et nous l’appelons visible, ou seulement être aperçu par l’intelligence et la raison, et alors nous l’appelons invisible.
Mais en reconnaissant que Dieu est l’Auteur et le Créateur de toutes choses, n’allons pas croire que son œuvre une fois achevée et terminée par Lui, ait pu subsister sans sa Puissance infinie. De même en effet que pour exister, tout a eu besoin de la souveraine Puissance, de la Sagesse et de la Bonté du Créateur, de même il est nécessaire que l’action de la Providence s’étende constamment sur tout ce qu’Il a créé. Et s’Il ne conservait son œuvre avec cette même force qu’Il a employée pour la former au commencement, elle rentrerait aussitôt dans le néant. L’Écriture nous le déclare en termes formels, lorsqu’elle dit à Dieu : Comment quelque chose pourrait-il subsister, si Vous ne le vouliez ainsi ? Ce que Vous n’avez pas appelé, comment se conserverait-il ?86
Et non seulement Dieu, par sa Providence, soutient et gouverne toute la création ; mais c’est Lui qui en réalité communique le mouvement et l’action à tout ce qui se meut et à tout ce qui agit ; et de telle sorte qu’Il prévient, sans l’empêcher, l’influence des causes secondes. C’est une vertu cachée, mais qui s’étend à tout, et comme dit le Sage, qui agit fortement depuis une extrémité jusqu’à l’autre et qui dispose tout avec la douceur convenable87. Ce qui a fait dire à l’Apôtre en prêchant aux Athéniens le Dieu qu’ils adoraient sans Le connaître : Il n’est pas éloigné de chacun de nous ; c’est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être88.
Nous en avons assez dit sur ce premier article. Toutefois, il nous reste à ajouter que l’œuvre créatrice est commune aux trois Personnes de la Sainte et indivisible Trinité. Car si, d’après l’enseignement des Apôtres dans leur Symbole, nous savons et proclamons que le Père est Créateur du ciel et de la terre, d’autre part nous lisons du Fils dans les saintes Écritures : que tout a été fait par Lui89 ; et du Saint-Esprit : que l’Esprit du Seigneur était porté sur les eaux90. Et encore que les cieux ont été affermis par le Verbe de Dieu, et que toute leur beauté est l’effet du Souffle de sa bouche91.
Et en Jésus-Christ Son Fils unique, notre Seigneur
Le genre humain trouve dans la foi et la confession de cet Article des avantages immenses et merveilleux. Nous en avons une preuve dans cette parole de l’Apôtre Saint Jean : Quiconque confessera que Jésus est le Fils de Dieu, demeurera en Lui, et lui en Dieu92. Mais notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même avait pris soin de nous en donner une autre, lorsqu’Il avait proclamé d’une manière si éclatante le bonheur du prince des Apôtres : Tu es heureux, Simon fils de Jonas, car ce n’est ni la chair ni le sang qui te l’ont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux93. C’est ici en effet le fondement le plus solide de notre Salut et de notre Rédemption.
Pour mieux apprécier les fruits merveilleux que nous recueillons de cet Article, il faut nous rappeler la perte lamentable que firent nos premiers parents de cet état si heureux dans lequel Dieu les avait placés. Que le Pasteur s’applique donc à bien expliquer aux Fidèles la cause commune de nos misères et de nos malheurs. À peine Adam eut-il désobéi à Dieu et transgressé le précepte qui lui disait : Tu peux manger de tous les fruits du jardin, mais ne touche pas à l’arbre de la science du bien et du mal ; car le jour où tu mangeras de son fruit tu mourras de mort94 ; aussitôt il tomba dans cet affreux malheur qui lui fit perdre la sainteté et la justice dans lesquelles il avait été créé, et lui-même devint sujet à une foule d’autres maux que le Saint Concile de Trente a énumérés tout au long95. D’autre part il ne faut pas oublier que ce péché et son châtiment ne se sont point arrêtés en Adam, mais qu’il a été, lui, comme la source et le principe qui les a fait passer justement à toute sa postérité.
Cependant le genre humain étant tombé de si haut, rien ne pouvait le relever et le remettre dans son premier état, ni les forces des hommes, ni celles des Anges. À ses malheurs, à sa ruine, il ne restait de remède que le Fils de Dieu Lui-même, avec sa Puissance infinie. Seul Il pouvait, en se revêtant de l’infirmité de notre chair, détruire la malice infinie du péché, et nous réconcilier avec Dieu dans son sang.
Or la foi et la confession de ce mystère de la Rédemption est, et a toujours été si nécessaire aux hommes pour les conduire au salut, que Dieu a voulu le révéler dès le commencement : Au moment de la condamnation générale qui suivit de si prés le péché, Il fit briller l’espérance de la Rédemption dans les paroles dont Il se servit pour prédire au démon sa propre ruine, par la délivrance même de l’homme : Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, entre ta race et la sienne. Elle te brisera la tête, et toi tu chercheras à la blesser au talon96.
Souvent, dans la suite, Dieu confirma cette promesse, et fit connaître ses desseins d’une manière plus positive, surtout lorsqu’il voulait témoigner à certains hommes une bonté particulière. Abraham entre autres parmi les patriarches, reçut plusieurs fois de Lui la révélation de ce mystère. Mais ce fut principalement à l’heure où il allait immoler son fils Isaac pour Lui obéir, qu’il Le connut clairement. Dieu lui dit en effet : Puisque vous avez fait cela, et que vous n’avez point épargné votre fils unique, Je vous bénirai, et Je multiplierai votre race comme les étoiles et comme le sable qui est sur le bord de la mer. Votre postérité possédera les villes de vos ennemis, et toutes les nations de la terre seront bénies en votre race, parce que vous avez obéi à ma voix97. De telles paroles faisaient aisément conclure qu’un des descendants d’Abraham délivrerait un jour le genre humain de l’effroyable tyrannie de Satan, et lui apporterait le salut. Or ce Libérateur annoncé ne pouvait être que le Fils de Dieu, sorti, comme homme, de la race d’Abraham. Peu de temps après, le Seigneur, pour conserver le souvenir de cette promesse, refit la même alliance avec Jacob, petit-fils d’Abraham. En effet ce patriarche vit dans un songe une échelle dont le pied reposait sur la terre, dont le sommet touchait le ciel, et le long de laquelle les Anges de Dieu montaient et descendaient98. Et Dieu Lui-même appuyé sur cette échelle lui disait : Je suis le Seigneur Dieu d’Abraham ton père, et le Dieu d’Isaac. La terre sur laquelle tu dors, Je te la donnerai à toi et à ta postérité, et tes descendants seront comme la poussière de la terre. Tu t’étendras vers l’Orient et vers l’Occident, vers le nord et vers le Midi, et toutes les tribus de la terre seront bénies en toi et en ta race99.
Et dans la suite Dieu continua de renouveler le souvenir de sa promesse et d’exciter l’attente du Sauveur, non seulement chez les descendants d’Abraham, mais chez beaucoup d’autres hommes. Dès que le gouvernement juif, avec sa religion, fut bien établi, le peuple connut plus clairement cette promesse. Car d’une part des objets muets figuraient, et de l’autre des hommes prédisaient les biens extraordinaires que Jésus-Christ notre Sauveur et Rédempteur devait nous apporter. Les Prophètes, dont l’esprit était éclairé par une lumière céleste, annoncèrent d’avance au peuple la naissance du Fils de Dieu, ses œuvres admirables, (œuvres qu’Il a opérées pendant sa vie humaine), sa doctrine, ses mœurs, sa vie, sa mort, sa résurrection, et tous ses autres mystères100. Et ils parlaient clairement de toutes ces choses, comme s’ils les avaient eues sous les yeux. De sorte que si nous supprimons la distance qui existe entre le passé et l’avenir, nous confondrons ensemble les prédictions des Prophètes et les prédications des Apôtres, la Foi des anciens patriarches et notre propre Foi.
Mais il est temps d’expliquer chacun des mots de ce second article.
Jésus est le nom propre de celui qui est Dieu et homme tout ensemble. Il signifie Sauveur ; et ce n’est ni le hasard, ni le jugement et la volonté des hommes qui Lui ont donné ce nom, mais l’ordre et le dessein même de Dieu. L’Ange Gabriel en effet avait dit à Marie, en annonçant qu’elle serait sa Mère : Voilà que vous concevrez dans votre sein. Et vous enfanterez un fils, et vous L’appellerez du nom de Jésus101. Plus tard ce même Ange, non seulement fit un devoir à Joseph, Époux de la Sainte Vierge, de donner ce nom à l’Enfant, mais encore il lui apprit pourquoi Il devait être ainsi nommé Joseph, fils de David, lui dit-il, ne craignez point de prendre avec vous Marie votre épouse, car ce qui est né en elle est du Saint-Esprit. Elle enfantera un fils, et vous L’appellerez du nom de Jésus, parce que c’est Lui qui délivrera son peuple de ses péchés102.
Il est vrai que plusieurs personnages de nos Saintes Écritures ont aussi porté ce nom. Tel fut Josué, fils de Navé, qui remplaça Moïse, et qui eut le privilège, refusé à son prédécesseur, d’introduire dans la terre promise le peuple que ce dernier avait tiré de la servitude d’Égypte103. Tel fut également Jésus, fils de Josédech, le grand-prêtre104.
Mais n’est-ce pas avec infiniment plus de justesse que ce nom de Jésus convient à notre Sauveur ? Lui qui a donné la lumière, la liberté et le salut non plus à un seul peuple, mais à tous les hommes de tous les siècles : qui ne les a pas seulement délivrés de la faim et de la domination de l’Égypte et de Babylone, mais qui les a tirés des ombres de la mort où ils étaient assis, qui a brisé les liens si durs du péché et du démon ; qui leur a rendu, après l’avoir reconquis pour eux, le droit à l’héritage du royaume céleste, et les a réconciliés avec Dieu le Père. Les personnages appelés aussi Jésus n’étaient que la figure de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a comblé le genre humain de tous les bienfaits que nous venons de rappeler. De plus, tous les autres noms sous lesquels les Prophètes avaient prédit que Dieu voulait désigner son Fils, sont renfermés dans le seul nom de Jésus105. Car chacun d’eux n’exprime que sous un point de vue spécial le salut qu’Il devait nous apporter, au lieu que le nom de Jésus exprime, à Lui seul, toute l’étendue et tous les effets de la Rédemption du genre humain.
Au nom de Jésus on a ajouté celui de Christ qui signifie oint. C’est tout ensemble un titre d’honneur, et un mot qui désigne une fonction. Ce n’est pas un nom propre, car il est commun à beaucoup de personnes. Ainsi, dans l’antiquité, nos pères appelaient Christs les Prêtres et les rois, parce que, à cause de la dignité de leur charge, Dieu avait ordonné qu’ils reçussent l’onction sacrée106. Ce sont les Prêtres en effet qui doivent recommander le peuple à Dieu par des prières assidues, ce sont eux qui Lui offrent des sacrifices et apaisent son courroux par leur intercession. Les rois sont chargés de gouverner les peuples ; c’est à eux qu’il appartient de faire respecter les lois, de protéger la vie des innocents et de punir l’audace des coupables. Et comme chacun de ces ministères semble représenter ici-bas la majesté du très Haut, ceux que l’on choisissait pour en faire des Prêtres ou des rois devaient recevoir l’onction de l’huile sainte107. Ce fut également la coutume de conférer cette onction aux Prophètes, véritables interprètes et ambassadeurs du Dieu immortel, chargés de nous découvrir les secrets du ciel, et de nous exhorter à la réforme de nos mœurs par des instructions salutaires et par la prédiction de l’avenir.
Or Jésus-Christ notre Sauveur en venant dans le monde a pris tout à la fois ces trois charges, ces trois fonctions de Prophète, de Prêtre et de Roi. Voilà pourquoi Il a reçu le nom de Christ, et l’onction propre à ces trois ministères. Et Il a reçu cette onction non de la main des hommes, mais par la vertu même de son Père céleste, non pas une onction d’huile terrestre, mais d’huile purement spirituelle ; c’est-à-dire que la grâce, les dons et la plénitude du Saint-Esprit se répandirent dans son âme très sainte avec une telle abondance, que jamais aucune autre créature ne sera capable de les recevoir à un si haut degré. C’est ce que le Prophète exprime très bien, lorsque s’adressant au Rédempteur Lui-même, il Lui dit : Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; c’est pourquoi Dieu, votre Dieu, Vous a donné une onction de joie plus excellente qu’à tous ceux qui la partagent avec Vous108. C’est ce que nous montre plus clairement encore Isaïe par ces paroles qu’il fait dire au Sauveur : L’Esprit du Seigneur est sur Moi parce que le Seigneur m’a donné l’onction, et qu’Il m’a envoyé pour L’annoncer à ceux qui sont doux.109
Jésus-Christ a donc été le Prophète et le Maître suprême110 qui nous a enseigné la volonté de Dieu, et dont la doctrine a fait connaître au monde son Père céleste. Et ce nom de Prophète lui convient avec d’autant plus de vérité et de justice, que tous ceux qui ont eu l’honneur de le porter comme Lui, n’ont été que ses disciples, envoyés spécialement pour annoncer la venue de ce grand Prophète qui, Lui, venait sauver les hommes.
Le Christ a été Prêtre aussi, non selon l’ordre des prêtres de la tribu de Lévi dans l’ancienne Loi, mais comme l’a chanté David : Vous êtes prêtre éternel, selon l’ordre de Melchisédech111. Saint Paul, dans son épître aux Hébreux, explique cette parole avec le plus grand soin112.
Enfin nous reconnaissons en Jésus-Christ un Roi. Non seulement comme Dieu, mais comme homme et revêtu de notre propre nature. N’est-ce pas de lui que l’Ange a dit : Il régnera à jamais dans la maison de Jacob, et son règne n’aura point de fin113. Or, ce règne est un règne spirituel et éternel. Il commence sur la terre pour se consommer dans le ciel. Et on peut dire que tous les devoirs que la royauté Lui impose, Jésus-Christ les remplit d’une manière admirable envers son Église. Il la gouverne, Il la protège contre les attaques et les embûches de ses ennemis ; Il lui communique non seulement la sainteté et la justice, mais encore la force et les moyens de persévérer. Et bien que tous les hommes, bons et méchants, soient également compris dans ce royaume, bien que tous sans exception soient de droit ses sujets et Lui appartiennent, cependant ceux d’entre eux qui observent ses préceptes et mènent une vie pure et innocente, éprouvent d’une manière particulière les effets de la bonté et de la bienfaisance infinie de notre Roi. Au reste si ce royaume Lui est échu, ce n’est ni par droit de succession, parce qu’Il descendait de rois illustres, ni par aucun autre droit humain. Il est Roi, parce que Dieu a réuni dans sa personne tout ce que la nature humaine peut renfermer de puissance, de dignité et de grandeur. Oui, c’est Dieu qui a mis entre ses mains l’empire du monde, et si, dès cette vie, Il commence à exercer son autorité sur toutes les créatures, ce n’est qu’au jour du jugement que cette autorité obtiendra une soumission pleine et entière114.
Ces mots nous proposent à croire et à contempler en Jésus-Christ des mystères plus sublimes encore, à savoir qu’il est Fils de Dieu, et vrai Dieu comme son Père qui L’a engendré de toute éternité. De plus, nous reconnaissons et confessons en Lui la seconde Personne de la Sainte Trinité, parfaitement égale en toutes choses aux deux autres ; car aucune inégalité, aucune dissemblance ne peuvent exister, ni même se concevoir entre les Personnes divines, puisque nous faisons profession de croire qu’elles n’ont toutes trois qu’une seule et même essence, une seule et même Volonté, une seule et même Puissance. Nous avons la preuve de cette vérité dans un grand nombre de textes de la Sainte Écriture, mais surtout dans cette parole de Saint Jean, qui est si lumineuse : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu115.
Mais lorsqu’on nous dit que Jésus est le Fils de Dieu, il faut bien nous garder de penser qu’il y a quelque chose de mortel et de terrestre dans sa naissance. L’acte par lequel Dieu le Père engendre son Fils de toute éternité est incompréhensible et dépasse absolument notre intelligence. Nous devons le croire fermement, l’honorer avec la plus sincère piété, et, frappés d’étonnement devant un tel mystère, nous écrier avec le Prophète : Qui pourra raconter sa génération ?116
Ce qu’il faut donc croire, c’est que le Fils est de même nature que le Père, qu’Il possède la même Puissance et la même Sagesse, ainsi que nous le confessons d’une manière plus explicite dans ces paroles du Symbole de Nicée : Et en Jésus-Christ, son Fils unique, né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré et non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait.
On a coutume d’employer un certain nombre de comparaisons pour essayer d’expliquer le mode et la nature de cette génération éternelle, la plus juste semble être celle qui se tire de la formation de notre pensée dans notre âme. Aussi Saint Jean donne-t-il au Fils de Dieu le nom de Verbe117. De même en effet que notre esprit, en se comprenant et en se contemplant, forme de lui-même une image, que les théologiens appellent Verbe, ainsi nous pouvons dire — autant que les choses divines et les choses humaines peuvent se comparer entre elles — que Dieu, en se connaissant et en se contemplant Lui-même, engendre son Verbe éternel. Au reste il est préférable de s’arrêter simplement à ce que la Foi propose, c’est-à-dire croire et confesser avec sincérité que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme tout ensemble ; que comme Dieu Il est engendré du Père avant tous les siècles, que comme homme Il est né dans le temps de la Vierge Marie sa mère. Toutefois, en admettant cette double naissance, nous ne reconnaissons qu’un seul Fils. Car Jésus-Christ n’est qu’une seule et même Personne, qui réunit en elle la nature divine et la nature humaine.
Du côté de la génération divine, Il n’a ni frères ni cohéritiers, puisqu’Il est le Fils unique du Père, tandis que nous, nous ne sommes que ses créatures et le fragile ouvrage de ses mains. Du côté de sa génération humaine, il en est beaucoup à qui non seulement Il donne le nom de frères, mais qu’Il traite réellement comme tels, puisqu’Il les admet à partager avec Lui la gloire de l’héritage de son Père. Ce sont ceux qui L’ont reçu par la Foi, et qui manifestent cette Foi qu’ils professent, par leur conduite et par les œuvres de la charité. C’est pourquoi l’Apôtre l’appelle le premier né d’un grand nombre de frères118.
Parmi toutes les choses que la Sainte Écriture nous dit de notre Sauveur, il n’est pas difficile de reconnaître que les unes Lui conviennent comme Dieu, et les autres comme homme. Car Il a reçu nécessairement de ces deux natures distinctes leurs propriétés différentes. Ainsi nous disons de Lui qu’Il est Tout-Puissant, éternel, immense, parce qu’il est Dieu. Et nous disons de Lui qu’Il a souffert, qu’Il est mort, qu’Il est ressuscité, parce que ces vérités ne peuvent s’appliquer évidemment qu’à la nature humaine. Mais il y a certains attributs qui conviennent aux deux natures, comme par exemple le nom de Seigneur que nous Lui donnons ici. Et si ce nom de Seigneur peut s’appliquer à la nature divine et à la nature humaine, c’est avec grande raison que nous appelons Jésus-Christ notre Seigneur.
Et d’abord, de même qu’Il est Dieu éternel comme le Père, ainsi, comme le Père, Il est le maître de toutes choses. Et comme Lui et son Père ne sont pas l’un un Dieu, et l’autre un autre Dieu, mais absolument le même Dieu, ainsi Lui et son Père ne sont pas deux Seigneurs différents, mais le même Seigneur. Ensuite les raisons ne manquent pas pour Lui faire donner comme homme le nom de Seigneur. En premier lieu, par cela seul qu’Il a été notre Rédempteur et qu’Il nous a délivrés de nos péchés, Il a conquis sur nous assez de puissance pour être vraiment notre Seigneur et pour en porter le titre. C’est ce que l’Apôtre nous enseigne : Il s’est humilié Lui-même ; Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et à la mort de la croix : c’est pourquoi Dieu L’a élevé, et Lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchît, au ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue reconnût que le Seigneur Jésus est dans la gloire de Dieu le Père119. Enfin Lui-même, après sa Résurrection, n’a-t-il pas dit : Toute puissance M’a été donnée au ciel et sur la terre120. En second lieu, on L’appelle encore Seigneur, parce qu’Il a réuni en Lui, dans une seule Personne, la nature divine et la nature humaine. Union admirable qui Lui méritait, même sans mourir pour nous, d’être établi comme souverain Seigneur de toutes les créatures en général, et spécialement des Fidèles qui Lui obéissent, et qui Le servent de toute l’affection de leur cœur.
Le Pasteur devra donc exhorter les Fidèles à ne jamais perdre de vue, que c’est de Jésus-Christ que nous avons pris notre nom de Chrétiens, que nous ne pouvons ignorer les immenses bienfaits dont Il nous a comblés, puisque Lui-même a bien voulu nous les faire connaître par la Foi, et que, par conséquent nous sommes tenus en conscience, et plus que tous les autres hommes, de nous consacrer pour toujours à notre Rédempteur et Seigneur, et à nous dévouer à Lui, comme des esclaves à leur maître.
Nous l’avons en effet promis à la porte de l’Église, lorsque nous avons reçu l’initiation chrétienne par le Baptême. Nous avons déclaré que nous renoncions à Satan et au monde, pour nous donner entièrement à Jésus-Christ. Mais si, pour mériter d’appartenir à la milice chrétienne, nous avons dû nous vouer à Notre-Seigneur par des serments si solennels et si sacrés, de quel supplice ne serions-nous pas dignes si après être entrés dans l’Église, après avoir connu la Volonté de Dieu et sa Loi, après avoir reçu la grâce des Sacrements, nous avions le malheur de vivre selon les maximes et les préceptes du monde et du démon, comme si, au jour de notre purification baptismale, nous nous étions donnés au monde et au démon et non pas à Jésus-Christ notre Seigneur et notre Rédempteur ? Quel cœur ne se sentirait enflammé d’amour pour un Maître si grand, et en même temps si bon pour nous, si dévoué à notre bonheur ? Car bien qu’Il nous tienne en sa puissance et sous sa domination, comme des esclaves qu’Il a rachetés par son Sang, cependant Il nous témoigne tant de charité, qu’Il daigne nous appeler ses amis et ses frères121, et non point ses esclaves. Voilà sans contredit une des raisons les plus fortes, et peut-être même la meilleure, pour nous obliger à Le reconnaître, à L’honorer et à Le servir toujours, comme notre véritable Seigneur.
Qui a été conçu du Saint-Esprit,
est né de la Vierge Marie
Les explications que nous venons de donner (dans l’article précédent) sont très suffisantes pour faire comprendre aux Fidèles quelle grâce immense et quel bienfait signalé Dieu a accordés au genre humain, en nous arrachant à la servitude du plus cruel tyran, et en nous rendant la liberté. Mais si nous réfléchissons aux voies et moyens qu’Il a employés spécialement pour arriver à ce but, nous ne trouverons rien de plus frappant, rien de plus magnifique que sa bonté et sa libéralité envers nous.
Ce sera donc dans ce troisième article que le Pasteur commencera à montrer la grandeur de ce Mystère que l’Écriture Sainte nous invite si souvent à méditer, comme le fondement même de notre Salut. Et d’abord, il enseignera, suivant le sens des paroles qui l’expriment, que nous croyons, et faisons profession de croire que Jésus-Christ notre Seigneur et le Fils unique de Dieu, en prenant pour nous un corps humain dans le sein d’une Vierge, n’a pas été conçu comme les autres hommes, humainement, mais par une intervention surnaturelle, par la vertu seule du Saint-Esprit122. De sorte que la même Personne demeurant Dieu, comme elle l’était de toute éternité, est devenue homme ce qu’elle n’était pas auparavant123.
Et ce qui prouve clairement que ces paroles ont bien ce sens, c’est la profession de foi du Saint Concile de Constantinople : Jésus-Christ, dit-il, est descendu des cieux pour nous autres hommes, et pour notre salut ; Il s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie, par le Saint-Esprit, et Il s’est fait homme. C’est également de cette manière que Saint Jean l’Évangéliste a expliqué ce profond mystère. Il en avait puisé la connaissance sur le sein même du Sauveur. Après avoir déclaré la nature du Verbe divin en ces termes : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu, il termine par ceux-ci : et le Verbe s’est fait chair, et Il a habité parmi nous124. En effet le Verbe, qui est une des Personnes divines, a pris la nature humaine d’une manière si complète, que les deux natures n’ont plus fait en Lui qu’une seule et même hypostase, une seule et même Personne. Et toutefois dans cette admirable union, chacune des deux natures a conservé ses opérations et ses propriétés, et l’illustre Pontife Saint Léon a eu raison de dire : La gloire de la nature divine n’a point absorbé la nature humaine, et l’élévation de la nature humaine n’a rien fait perdre à la nature divine125.
Mais comme il est essentiel de bien expliquer les mots, le Pasteur aura soin d’enseigner que si nous disons que le Fils de Dieu a été conçu du Saint-Esprit, nous ne prétendons pas dire pour cela que cette Personne de la Sainte Trinité ait seule opéré le mystère de l’Incarnation. Il est vrai que le Fils seul a pris la nature humaine, mais les trois Personnes divines, le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont eu part à ce Mystère.
C’est en effet une règle absolue de la Foi chrétienne que dans les choses que Dieu fait hors de Lui, tout est commun aux trois Personnes ; que l’une n’agit point sans l’autre. La seule chose qui ne soit pas commune aux trois Personnes divines, et qui ne puisse pas l’être, c’est le mode de procession. En effet, le Fils n’est engendré que du Père, tandis que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils. Mais dans tout ce qu’elles produisent hors d’elles, les trois Personnes agissent également et sans aucune différence. Et ceci s’applique précisément au mystère de l’Incarnation.
Il n’en est pas moins vrai que parmi les choses qui sont communes aux trois Personnes, c’est un usage dans nos Saints Livres, d’attribuer les unes à telle Personne, les autres à telle autre, par exemple au Père la souveraine Puissance, au Fils la Sagesse, et l’Amour au Saint-Esprit. Et comme le mystère de l’Incarnation est la preuve sans réplique de l’amour immense et particulier que Dieu a pour nous, c’est pour cela que nous l’attribuons spécialement au Saint-Esprit.
Au reste, il convient de remarquer que dans ce mystère certaines choses sont au-dessus de la nature, tandis que d’autres lui sont entièrement conformes. Ainsi nous croyons que le corps de Jésus-Christ a été formé du sang très pur de la Vierge sa mère. Et nous ne voyons en cela qu’une œuvre purement naturelle, car c’est le propre de tout corps humain d’être formé du sang de la mère. Mais ce qui dépasse l’ordre naturel et même l’intelligence de l’homme, c’est que la Bienheureuse Vierge n’eut pas plus tôt donné son consentement aux paroles de l’Ange, en disant : Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole126, que sur-le-champ le corps très saint de Jésus-Christ fut formé en elle, qu’une âme jouissant pleinement de la raison fut unie à ce corps et que dans un seul et même instant Il fut Dieu parfait et homme parfait. Or personne ne saurait douter que cet effet si extraordinaire et si admirable ne soit l’œuvre du Saint-Esprit. Car selon les lois ordinaires de la nature, l’âme raisonnable ne vient s’unir au corps qu’après un temps déterminé.
Ce qui n’est pas moins digne de notre admiration, c’est que, au moment même où l’âme de Jésus-Christ s’unissait à son corps, la divinité s’unissait également à l’un et à l’autre : et ainsi comme le corps fut aussitôt animé que formé, de même aussitôt la divinité fut unie au corps et à l’âme.
D’où il suit que dans le même instant Jésus-Christ fut Dieu parfait et homme parfait, et que la très Sainte Vierge put vraiment et proprement être appelée Mère de Dieu, et Mère d’un homme, puisque dans le même moment elle avait conçu un Dieu homme. C’est ce que l’Ange lui avait bien marqué, en lui disant : Voilà que vous concevrez dans votre sein et que vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. Il sera grand, et on L’appellera Fils du Très Haut127. L’événement d’ailleurs ne faisait que confirmer la prophétie d’Isaïe : Une Vierge concevra et enfantera un fils128. Sainte Élisabeth avait la même pensée, lorsque, remplie du Saint-Esprit et instruite par Lui de la conception du Fils de Dieu, elle disait à Marie : D’où me vient ce bonheur que la mère de mon Dieu daigne venir me visiter ?129
Mais de même que le corps de Jésus-Christ fut formé, comme nous venons de le dire, du plus pur sang de la plus pure des Vierges, et cela non humainement, mais par la vertu seule du Saint-Esprit ; de même aussi son âme, dès le premier instant de sa conception, reçut la plénitude de l’Esprit de Dieu, avec l’abondance de tous ses dons. Car, selon le témoignage de Saint Jean, Dieu ne Lui donna pas son esprit avec mesure130, comme Il fait pour les autres hommes qu’Il veut bien enrichir et sanctifier par sa grâce, mais Il versa dans son âme une telle abondance de grâces, qu’il nous est possible à tous de recevoir de sa plénitude131.
Cependant il ne faut pas dire que Jésus-Christ est le Fils adoptif de Dieu, quoiqu’Il ait reçu cet esprit qui confère aux Saints la qualité d’enfants adoptifs de Dieu. Il est Fils de Dieu par nature, et dès lors ni la grâce de l’adoption, ni le titre de fils adoptif ne peuvent aucunement Lui convenir.
Telles sont les explications que nous avons cru devoir donner sur l’admirable Mystère de la conception du Fils de Dieu.
Et si les Fidèles veulent en retirer des fruits salutaires, ils doivent se rappeler souvent et méditer dans leur cœur ces vérités si importantes : que Celui qui a pris notre chair est Dieu, qu’Il s’est fait homme d’une manière si surnaturelle que notre esprit ne peut comprendre ce mystère, et encore moins l’expliquer ; qu’enfin Il a voulu se faire homme, pour nous faire redevenir enfants de Dieu. Et après avoir bien réfléchi, et avec attention, sur les mystères renfermés dans cet article, qu’ils s’appliquent à les croire et à les adorer d’un cœur humble et soumis, sans chercher à les scruter et à les pénétrer. (Ces sortes de curiosités sont rarement sans danger.)
C’est la seconde partie de notre article. Le Pasteur l’expliquera avec le plus grand soin. Car les Fidèles Sont obligés de croire, non seulement que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été conçu par l’opération du Saint-Esprit, mais encore qu’il est né de la Vierge Marie, et que c’est elle qui L’a mis au monde. C’est avec une joie profonde et une vive allégresse que nous devons méditer ce mystère de notre Foi. La parole de l’Ange qui le premier en fit connaître au monde l’heureux accomplissement nous y invite. Je vous annonce, dit-il, un grand sujet de joie pour tout le peuple132. Et avec cette parole, le cantique des Anges : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté133. Alors en effet commençait à s’accomplir la magnifique promesse que Dieu avait faite à Abraham de bénir un jour toutes les nations dans sa postérité134. Car Marie que nous reconnaissons hautement et que nous honorons comme véritable Mère de Dieu, puisque la personne qu’elle a enfantée est Dieu et homme tout ensemble, Marie descendait de David135.
Mais si la conception du Sauveur est au-dessus de toutes les lois de la nature, sa naissance ne l’est pas moins ; elle est divine. Et ce qui est absolument prodigieux, ce qui dépasse toute pensée et toute parole, c’est qu’il est né de sa Mère qui est demeurée toujours Vierge. De même que plus tard Il sortit de son tombeau, sans briser le sceau qui Le tenait fermé, de même qu’il entra, les portes fermées136, dans la maison où étaient ses disciples, de même encore — pour prendre nos comparaisons dans les phénomènes ordinaires — que les rayons du soleil traversent le verre sans le briser ni l’endommager, ainsi, mais d’une manière beaucoup plus merveilleuse, Jésus-Christ naquit de sa Mère qui conserva le privilège de la Virginité. Nous avons donc bien raison d’honorer Marie à la fois comme Mère et comme Vierge. Ce privilège inouï fut l’œuvre de l’Esprit-Saint, suivant la profession de foi du Saint Concile de Constantinople citée plus haut : Jésus-Christ s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie, par le Saint-Esprit, et Il s’est fait homme.
L’Apôtre Saint Paul appelle quelquefois Jésus-Christ le nouvel Adam, et Le compare au premier. En effet, de même que tous les hommes sont morts dans celui-ci, ainsi tous sont rappelés à la vie dans Celui-là137. Et de même encore que le premier a été le père du genre humain, selon l’ordre de la nature, de même le second est pour tous les hommes l’Auteur de la grâce et de la gloire. Par analogie, nous pouvons également comparer la Vierge-Mère à Ève, et montrer les rapports qui existent entre la première Ève, et Marie qui est la seconde ; comme nous venons de le faire entre le premier Adam et le second qui est Jésus-Christ. Ève, en croyant au serpent, attira sur le genre humain la malédiction et la mort138 ; Marie, en ajoutant foi aux paroles de l’Ange, obtint pour les hommes, de la bonté de Dieu, la bénédiction et la vie139. Par Ève, nous naissons enfants de colère ; par Marie, nous recevons Jésus-Christ, qui nous fait renaître enfants de la grâce. À Ève il a été dit : tu enfanteras dans la douleur140 ; Marie donne naissance à notre Seigneur Jésus-Christ et elle ne souffre pas, et, comme nous l’avons dit tout à l’heure, elle conserve le privilège de la Virginité parfaite.
Mais puisque la conception et la naissance du Rédempteur devaient renfermer des merveilles si grandes et si profondes, ne convenait-il pas que la divine Providence nous en instruisît d’avance par des figures nombreuses et des oracles formels ?
C’est pourquoi les Saints Docteurs ont appliqué à ce mystère beaucoup de textes de la Sainte Écriture, et principalement ceux-ci : cette porte du sanctuaire qu’Ézéchiel vit fermée141 ; cette pierre qui, dans Daniel se détache de la montagne, sans que les hommes y mettent la main, et devient elle-même une grande montagne qui couvre toute la terre142 ; cette verge d’Aaron qui fleurit seule au milieu de toutes les verges des chefs d’Israël143 ; enfin ce buisson que Moïse vit brûler sans se consumer144.
Quant à la naissance même du Sauveur, elle est racontée par Saint Luc dans tous ses détails145. Nous n’avons donc pas à y insister ici davantage. Le Pasteur la trouvera dans cet Évangéliste. Ce qui devra l’occuper surtout sera de graver fortement dans l’esprit et le cœur des Fidèles la connaissance de ces mystères qui ont été écrits pour notre instruction146 ; afin que d’une part, le souvenir d’un si grand bienfait les porte à la reconnaissance envers Dieu, qui en est l’auteur, et d’autre part, que le spectacle d’une humilité si étonnante et si parfaite, devienne pour eux un exemple à imiter.
En effet, quoi de plus utile, quoi de plus propre à réprimer l’orgueil et la vanité de notre esprit, que la pensée fréquente (et comme la vue) d’un Dieu qui s’humilie jusqu’à communiquer sa gloire aux hommes, et se revêtir de leur faiblesse et de leur fragilité ? D’un Dieu qui daigne se faire homme ? D’une Majesté souveraine et infinie qui s’abaisse à servir l’homme, pendant que les colonnes du ciel, comme dit l’Écriture, tremblent de frayeur au moindre signe de sa Volonté147, et qui consent à naître et à vivre sur la terre, pendant que les Anges L’adorent dans le ciel ? Or, puisque c’est pour nous que Dieu a fait toutes ces choses, que ne devons-nous pas faire, nous, de notre côté, pour Lui obéir ? Avec quel empressement, avec quelle allégresse ne devons-nous pas aimer, embrasser et remplir tous les devoirs que l’humilité nous impose ? Ah ! de grâce, recueillons les salutaires leçons que Jésus-Christ nous donne en naissant, et avant même d’avoir prononcé une seule parole ! Il naît pauvre ; Il naît comme un étranger, dans un lieu qui ne Lui appartient pas ; Il naît dans une vile étable ; Il naît au milieu de l’hiver. Car voici ce que nous rapporte Saint Luc : Pendant qu’ils étaient là, il arriva que le temps s’accomplit où elle devait enfanter, et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’enveloppa de langes, et elle le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait point de place pour Lui dans l’hôtellerie148. L’Évangéliste pouvait-il cacher sous des termes plus humbles, cette majesté et cette gloire qui remplissent le ciel et la terre ? Il ne dit pas seulement qu’il n’y avait point de place dans l’hôtellerie, mais qu’il n’y en avait point pour Lui, pour Celui qui a dit : La terre est à Moi et tout ce qu’elle renferme149. Et un autre Évangéliste a dit également : Il est venu chez lui, et les siens ne L’ont pas reçu150.
En contemplant ces mystères, les Fidèles n’oublieront pas que si Dieu a daigné se revêtir de la bassesse et de l’infirmité de notre nature, c’était pour élever le genre humain au plus haut degré de gloire. En effet, pour bien comprendre l’éminente dignité, même la supériorité que Dieu, dans sa bonté, a voulu accorder à l’homme, ne suffit-il pas de reconnaître que Jésus-Christ, qui est véritablement Dieu, est aussi véritablement homme ?
Et cela est si vrai qu’il nous est permis de nous glorifier que le Fils de Dieu est réellement notre chair et nos os, privilège qui n’appartient pas aux esprits bienheureux, car dit l’apôtre, Jésus-Christ ne s’est point approprié la nature angélique, mais celle des enfants d’Abraham151.
Enfin prenons garde qu’il ne nous arrive pour notre malheur ce qui arriva à Bethléem, et que, comme notre Seigneur ne trouva point de place dans l’hôtellerie pour y naître, de même Il n’en trouve pas davantage dans nos cœurs pour y prendre naissance, non plus selon la chair, mais selon l’esprit. Car Il souhaite ardemment de venir en nous, à cause de l’extrême désir qu’il a de notre salut. Et de même encore qu’il s’est fait homme, qu’Il est né, qu’il a été sanctifié, qu’il a été la sainteté même par la vertu du Saint-Esprit, et d’une manière toute surnaturelle, ainsi il faut que nous naissions non du sang et de la volonté de la chair, mais de Dieu152 ; qu’ensuite nous marchions comme des créatures nouvelles dans un esprit nouveau153, et que nous conservions cette sainteté et cette pureté de cœur, qui conviennent si bien à des hommes régénérés par l’esprit de Dieu154. De cette manière nous pourrons reproduire en nous-mêmes quelque image de cette Conception et de cette naissance si sainte du Fils de Dieu, que nous croyons d’une Foi ferme, et que nous adorons et admirons en même temps comme la Sagesse de Dieu qui est cachée dans ce Mystère155.
Qui a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié,
est mort, et a été enseveli
Pour montrer combien la connaissance de cet article est nécessaire, et avec quel zèle le Pasteur doit exhorter les Fidèles à se rappeler le plus souvent possible la Passion du Sauveur, il suffit de citer ces paroles du grand Apôtre dans lesquelles il fait profession de ne savoir rien autre chose que Jésus-Christ crucifié156. Le Pasteur devra donc employer tous ses soins et tous ses efforts à bien faire ressortir cette vérité, afin que le souvenir d’un si grand bienfait fasse impression sur les Fidèles et les porte à reconnaître et à admirer sans réserve la bonté et l’amour de Dieu pour nous.
La première partie de cet article (on parlera de la seconde un peu plus loin) nous propose à croire que notre Seigneur Jésus-Christ a été crucifié dans le temps où Ponce Pilate gouvernait la Judée, au nom de l’empereur Tibère. En effet Il fut arrêté, accablé de railleries et d’injures, tourmenté de diverses manières, et enfin attaché à une croix. Et il n’est pas permis de douter que son âme, dans sa partie inférieure, n’ait été sensible à ces tourments. Car par le seul fait qu’Il avait revêtu la nature humaine, nous sommes obligés de reconnaître qu’Il ressentit dans son âme la plus vive douleur. Aussi dit-il Lui-même : mon âme est triste à en mourir157. Sans doute la nature humaine se trouvait unie en Lui à une personne divine, mais il n’en est pas moins vrai qu’Il souffrit toute l’amertume de sa Passion, comme si cette union n’avait pas existé. Les propriétés des deux natures furent conservées dans la Personne unique de Jésus-Christ. Par conséquent ce qui, en Lui, était passible et mortel, demeura passible et mortel ; et ce qui était impassible et immortel, c’est-à-dire la nature divine, ne perdit rien de ses qualités essentielles.
Quant au soin particulier avec lequel on a voulu rappeler ici que Jésus-Christ souffrit dans le temps où Ponce Pilate gouvernait la Judée158, réduite en province romaine, le Pasteur ne manquera pas d’en donner la raison ; c’est que la connaissance d’un événement si considérable, et en même temps si nécessaire pour l’humanité, devenait beaucoup plus facile pour tous, en précisant l’époque certaine de son accomplissement. C’est ce que l’Apôtre Saint Paul avait fait. De plus, il faut voir dans ces paroles l’accomplissement de cette prophétie du Sauveur disant de Lui-même : Ils le livreront aux Gentils pour être outragé, flagellé et crucifié159.
Ce fut également par un conseil particulier de Dieu qu’Il voulut mourir sur une croix. Ne fallait-il pas que la vie nous revînt par où la mort nous était venue160 ? Le serpent qui avait triomphé de nos premiers parents avec le fruit d’un arbre, fut vaincu à son tour par Jésus-Christ sur l’arbre de la Croix. Les Saints Pères ont longuement développé un bon nombre de raisons que nous pourrions reproduire, pour faire comprendre toutes les convenances de ce genre de mort, plutôt que tout autre. Mais le Pasteur avertira les Fidèles qu’il leur suffit de croire que Jésus-Christ a choisi la Croix pour y mourir, parce qu’il la trouvait la plus convenable et la mieux appropriée à la Rédemption du genre humain. En effet, il n’y avait rien de plus honteux ni de plus humiliant. Et ce n’étaient pas seulement les païens qui regardaient ce supplice comme abominable, et plein de honte et d’infamie ; la loi de Moïse elle-même prononçait l’anathème contre celui qui est pendu au bois161.
Le Pasteur n’oubliera pas non plus de raconter l’histoire des souffrances de Jésus-Christ, si soigneusement décrites par les Évangélistes. Tout au moins il fera connaître aux Fidèles les points principaux de ce mystère, c’est-à-dire ceux qui semblent plus nécessaires pour confirmer la vérité de notre Foi. C’est sur cet article en effet, que la Foi et la Religion chrétienne reposent comme sur leur base. Si l’on a soin de bien l’établir, tout le reste se soutient parfaitement. Car si l’esprit humain trouve ailleurs des difficultés, c’est sans contredit dans le mystère de la Rédemption qu’il en rencontre le plus. Nous avons peine à concevoir que notre salut dépende de la Croix et de Celui qui s’y laissa clouer pour notre amour. Mais c’est en cela même, selon l’enseignement de l’Apôtre, qu’il faut admirer la souveraine Providence de Dieu. Car voyant que le monde, avec sa sagesse, ne L’avait point reconnu dans les œuvres de sa divine Sagesse, il lui a plu de sauver par la folie de la prédication ceux qui croiraient162. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris que les Prophètes, avant son arrivée dans le monde et les Apôtres, après sa Mort et sa Résurrection, aient fait tant d’efforts pour persuader aux hommes que Jésus-Christ est leur Rédempteur, et pour les amener à reconnaître la puissance de ce Crucifié, et à Lui obéir.
On peut dire que le mystère de la Croix, humainement parlant, est plus que tout le reste, en dehors des conceptions de la raison ; voilà pourquoi, depuis le péché d’Adam, Dieu n’a point cessé d’annoncer la mort de son Fils, tantôt par des figures, tantôt par des oracles de ses Prophètes. Ainsi, pour dire un mot des figures, Abel tué par la jalousie de son frère163, Isaac offert par son père en sacrifice164, l’agneau immolé par les Hébreux à leur sortie d’Égypte165, le serpent d’airain que Moïse fit élever dans le désert166, voilà bien autant de figures qui représentaient par avance la Passion et la Mort de notre Seigneur Jésus-Christ ! Quant aux Prophètes, presque tous les ont prédites ; et leurs prophéties sont trop connues pour que nous ayons à les rapporter ici. Mais outre celles de David, qui a embrassé dans ses Psaumes tous les mystères de notre Rédemption167, est-il possible d’en trouver de plus claires et de plus évidentes que celles d’Isaïe168 ? et ne dirait-on pas que ce voyant raconte des faits accomplis, bien plus qu’il ne prophétise des événements futurs169 ?
Le Pasteur enseignera que ces paroles nous obligent à croire que Jésus-Christ, après avoir été crucifié, mourut véritablement et fut enseveli. Et ce n’est pas sans raison que les Apôtres ont fait de cette vérité un article spécial de leur Credo. Car il s’est trouvé des hommes, et en certain nombre, pour soutenir que notre Seigneur n’était pas mort sur la Croix. Les Apôtres, ces personnages si saints et si vénérables, ont donc fait preuve de sagesse en établissant ce point particulier de notre Foi pour repousser cette erreur. Du reste, l’authenticité du fait ne laisse aucune place au doute. Tous les Évangélistes sont d’accord pour dire que Jésus-Christ rendit l’esprit170. Au surplus, notre Sauveur étant vraiment et parfaitement homme pouvait par là même mourir véritablement. Or l’homme meurt, lorsque son âme se sépare de son corps. Ainsi lorsque nous disons que Jésus-Christ est mort, nous entendons que son âme a été séparée de son Corps. Mais nous n’admettons pas que la Divinité en ait été séparée. Non, car nous croyons fermement, au contraire, et nous faisons profession de croire qu’après la séparation du Corps et de l’Âme, la divinité demeura inviolablement unie au Corps dans le sépulcre, et à l’Âme dans les enfers. Or il convenait que le Fils de Dieu mourût, afin que par sa mort, Il détruisît celui qui avait l’empire de la mort, c’est-à-dire le démon, et qu’Il délivrât ceux que la crainte de la mort tenait pendant toute la vie dans un état de servitude171.
Mais ce qu’il y a d’extraordinaire dans la Mort de Jésus-Christ, c’est qu’Il mourut précisément en Maître de la mort, au moment même où Il avait décrété de mourir, et de plus que sa mort fut l’effet de sa volonté, et non de la violence de ses ennemis. Il avait, en effet, non seulement réglé et arrêté sa mort, mais encore Il en avait fixé le lieu et le moment. Isaïe avait dit de Lui : Il a été offert (c’est-à-dire immolé), parce qu’Il l’a voulu172. Lui-même, avant sa Passion disait à son tour : Je laisse mon âme pour la reprendre de nouveau. Personne ne Me l’enlève mais je la quitte de Moi-même. J’ai le pouvoir de la quitter, et J’ai le pouvoir de la reprendre173. Et pour le temps et le lieu de sa mort, voici comment Il s’en explique lorsque Hérode Lui tendait des embûches pour Le faire périr : Allez dire à ce renard : Je chasse les démons, et J’opère des guérisons aujourd’hui et demain et le troisième jour Je mourrai. Et cependant il faut que Je marche aujourd’hui et demain et le jour suivant : car il ne faut pas qu’un Prophète périsse hors de Jérusalem174.
Ce ne fut donc ni malgré Lui ni par contrainte, ce fut au contraire par sa pleine volonté qu’Il s’offrit Lui-même, et qu’il dit en s’avançant vers ses ennemis : c’est Moi !175 et ce fut de son plein gré qu’Il endura tous les tourments injustes et cruels dont ils L’accablèrent.
Rien n’est plus capable de nous émouvoir et de nous toucher profondément que le souvenir et la méditation de toutes ses souffrances et de toutes ses tortures. Si quelqu’un avait souffert pour nous toutes sortes de douleurs, non pas volontairement, mais par nécessité et par contrainte, peut-être pourrions-nous ne voir dans ces souffrances qu’un bienfait relatif. Mais au contraire, s’il s’agissait de quelqu’un qui, pour nous, uniquement pour nous, aurait bien voulu souffrir la mort de son plein gré, et lorsqu’Il pouvait s’y soustraire, ce trait de bonté serait si beau et si grand, que le cœur le plus reconnaissant, non seulement ne saurait exprimer, mais même ressentir, toute la gratitude qu’Il mériterait. Quelle est donc l’excellence de la charité de Jésus-Christ envers nous, et comment mesurer tout ce qu’il y a d’immense et de divin dans le bienfait de la Rédemption ?
Nous confessons ensuite qu’Il a été enseveli. Mais nous ne considérons pas ces paroles comme une vérité particulière qui offrirait des difficultés nouvelles, après les explications que nous avons données sur sa mort. En effet dès lors que nous croyons que Jésus-Christ est véritablement mort, il n’est plus difficile de nous persuader qu’Il a été enseveli. Si donc on a ajouté ces mots, c’est d’abord afin de supprimer tout prétexte de doute sur sa mort, car l’une des plus grandes preuves de la mort d’un homme, c’est le fait même de sa sépulture. C’est en second lieu afin de rendre plus sensible et plus éclatant le miracle de sa Résurrection.
Mais par ces paroles nous ne reconnaissons pas seulement que le Corps de Jésus-Christ a été enseveli, nous admettons de plus, et surtout ainsi que l’Église nous le propose à croire, que c’est un Dieu qui a reçu la sépulture, comme nous disons en toute vérité, selon la règle de la Foi catholique, que Dieu est mort, que Dieu est né d’une Vierge. Et de fait, puisque la Divinité de Jésus-Christ n’a pas été séparée de son Corps renfermé dans le tombeau, nous avons le droit de dire que Dieu a été enseveli.
En ce qui regarde le genre et le lieu de cette sépulture, le Pasteur se contentera du texte des saints Évangiles176. Toutefois il fera ici deux observations très importantes : la première, que le Corps de Jésus-Christ dans le tombeau fut exempt de toute corruption, ainsi que le Prophète l’avait annoncé en ces termes : Vous ne permettrez point, Seigneur, que votre Saint éprouve la corruption177. La seconde, c’est que toutes les parties de cet article, la Sépulture, la Passion et la Mort ne conviennent à Jésus-Christ qu’en tant qu’Il est homme, et non en tant qu’Il est Dieu. Car la souffrance et la mort sont le triste apanage de la nature humaine. Cependant ces choses sont attribuées à Dieu dans le Symbole, parce qu’il est clair qu’on peut les dire avec raison de la Personne qui est tout à la fois Dieu parfait et homme parfait.
Ces vérités ainsi exposées, les Pasteurs auront soin de développer, sur la Passion et la mort de Jésus-Christ, certaines considérations propres à faire méditer aux Fidèles, la profondeur d’un si grand mystère.
Et d’abord, ils diront quel est Celui qui a enduré toutes ces souffrances. C’est Celui dont la dignité est telle que nous ne pouvons ni la comprendre ni l’expliquer ; Celui dont Saint Jean a dit qu’Il est le Verbe qui était en Dieu178 ; Celui dont l’Apôtre Saint Paul a fait ce magnifique éloge, qu’il a été établi de Dieu héritier de toutes choses, que les siècles ont été faits par Lui ; qu’Il est la splendeur de la gloire et le caractère de la substance du Père ; qu’Il soutient tout par la parole de sa Puissance, qu’Il nous a purifiés de nos péchés, et qu’en conséquence, Il est assis à la droite de la Majesté suprême, au plus haut des cieux179. Et, pour tout dire en un mot, Celui qui a souffert pour nous, c’est Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble. Oui, c’est le Créateur qui souffre pour ses créatures ; c’est le Maître qui souffre pour ses esclaves. C’est Celui qui a créé les Anges, les hommes, le ciel et tous les éléments, enfin Celui en qui, par qui, et de qui toutes ces choses subsistent180. Il ne faut donc pas nous étonner que lorsque l’Auteur de la nature fut si violemment agité par tant de tourments, l’édifice tout entier n’ait été ébranlé, et que, selon le récit de l’Écriture, la terre ait tremblé, que les rochers se soient fendus, que les ténèbres aient couvert toute la surface de la terre, et que le soleil se soit obscurci181. Mais si ces créatures muettes et insensibles ont pleuré la mort de leur Créateur, quelles larmes ne doivent pas verser les Fidèles, et de quelle douleur ne doivent-ils pas être pénétrés, eux qui sont les pierres vivantes de la maison de Dieu182 ?
Il faut ensuite exposer les causes de la Passion, afin de rendre plus frappantes encore la grandeur et la force de l’Amour de Dieu pour nous. Or, si on veut chercher le motif qui porta le Fils de Dieu à subir une si douloureuse Passion, on trouvera que ce furent, outre la faute héréditaire de nos premiers parents, les péchés et les crimes que les hommes ont commis depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour, ceux qu’ils commettront encore jusqu’à la consommation des siècles. En effet le Fils de Dieu notre Sauveur eut pour but dans sa Passion et dans sa Mort de racheter et d’effacer les péchés de tous les temps, et d’offrir à son Père pour ces péchés une satisfaction abondante et complète.
Il convient d’ajouter, pour donner plus de prix à son Sacrifice, que non seulement ce divin Rédempteur voulut souffrir pour les pécheurs, mais que les pécheurs eux-mêmes furent les auteurs et comme les instruments de toutes les peines qu’Il endura. C’est la remarque de l’Apôtre Saint Paul dans son épître aux Hébreux : Pensez, dit-il, en vous-mêmes à Celui qui a Souffert une si grande contradiction de la part des pécheurs élevés contre Lui, afin que vous ne vous découragiez point, et que vous ne tombiez point dans l’abattement183.
Nous devons donc regarder comme coupables de cette horrible faute, ceux qui continuent à retomber dans leurs péchés. Puisque ce sont nos crimes qui ont fait subir à Notre-Seigneur Jésus-Christ le supplice de la Croix, à coup sûr ceux qui se plongent dans les désordres et dans le mal crucifient de nouveau dans leur cœur, autant qu’il est en eux, le Fils de Dieu par leurs péchés, et Le couvrent de confusion184. Et il faut le reconnaître, notre crime à nous dans ce cas est plus grand que celui des Juifs. Car eux, au témoignage de l’Apôtre, s’ils avaient connu le Roi de gloire, ils ne L’auraient jamais crucifié185. Nous, au contraire, nous faisons profession de Le connaître. Et lorsque nous Le renions par nos actes, nous portons en quelque sorte sur Lui nos mains déicides186.
Enfin la Sainte Écriture nous enseigne que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été livré à la mort par son Père et par Lui-même. Le Prophète Isaïe fait dire à Dieu le Père : Je L’ai frappé à cause du crime de mon peuple187. Et, quelques lignes plus haut, le même Prophète plein de l’Esprit de Dieu, voyant dans l’avenir le Sauveur couvert de plaies et de blessures, s’écriait : Nous nous sommes tous égarés comme des brebis. Chacun de nous a suivi sa voie, et le Seigneur a mis sur Lui les iniquités de nous tous188. Puis en parlant de Dieu le Fils, il dit : S’Il sacrifie sa vie pour le péché, Il verra une longue postérité189. Et l’Apôtre Saint Paul confirme cette vérité par des paroles encore plus décisives, tout en voulant nous montrer d’ailleurs ce que nous avons à espérer de la Miséricorde et de la Bonté infinie de Dieu : 190 Celui, dit-il, qui n’a pas épargné son Propre Fils, mais qui L’a libéré pour nous tous, comment, avec Lui, ne nous aurait-il pas aussi donné toutes choses ?
Ici le Pasteur devra expliquer combien furent cruelles les douleurs de la Passion. Hélas ! nous n’avons qu’à nous rappeler cette sueur qui coulait du corps du Sauveur jusqu’à terre en gouttes de sang191, à la pensée des tortures et des supplices qui L’attendaient pour comprendre qu’il était impossible de rien ajouter à de pareilles souffrances. Car si la seule pensée des tourments qui Le menaçaient fut assez douloureuse pour exciter en Lui une sueur de sang, que ne souffrit-Il pas lorsqu’Il les endura réellement ? Il est donc bien certain que notre Seigneur Jésus-Christ ressentit dans son Corps et dans son Âme les plus cruelles douleurs.
Et d’abord il n’y eut aucune partie de son Corps qui n’éprouvât des tourments extrêmes. Ses pieds et ses mains furent cloués à la Croix, sa tête fut percée par la couronne d’épines et frappée à coups de roseau ; son visage fut souillé de crachats, et meurtri par les soufflets ; tout son Corps enfin fut battu de verges.
Ce n’est pas tout. Des hommes de tous rangs et de toutes conditions conspirèrent contre le Seigneur et contre son Christ192. Juifs et Gentils furent également les instigateurs, les auteurs et les ministres de sa Passion. Judas Le trahi193. Pierre Le renia194. Tous ses autres disciples L’abandonnèrent195.
Voyons-Le maintenant sur la Croix. Faut-il déplorer la cruauté, ou l’ignominie d’un tel supplice, ou ces deux choses ensemble ? Certes, on ne pouvait inventer un genre de mort ni plus honteux, ni plus douloureux. Il était réservé aux grands criminels, aux derniers des scélérats, et la lenteur de la mort y rendait encore plus aigu le sentiment des douleurs les plus violentes.
Mais ce qui augmentait également l’intensité de ses souffrances, c’était la constitution et les qualités même du Corps de Jésus-Christ. Formé par l’opération du Saint-Esprit, ce Corps était incomparablement plus parfait et plus délicatement organisé que celui des autres hommes. Voilà pourquoi aussi sa sensibilité était beaucoup plus vive, et Lui faisait ressentir plus profondément tous ces tourments.
Quant aux souffrances intimes de l’âme, personne ne peut douter qu’elles n’aient été extrêmes en Jésus-Christ. Lorsque les Saints avaient à subir des persécutions, ou étaient livrés aux supplices, leur âme recevait de Dieu des consolations ineffables qui les ranimaient au milieu des tourments et leur donnaient la force d’en supporter patiemment toutes les rigueurs. On en vit même quelquefois qui éprouvaient alors dans leur cœur la joie la plus vive. Je me réjouis, disait l’Apôtre, dans les maux que j’endure pour vous, et je complète dans ma chair ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ, en souffrant moi-même pour son Corps qui est l’Église196. Et ailleurs : Je suis rempli de consolations, et je surabonde de joie dans toutes mes tribulations197. Mais Notre-Seigneur Jésus-Christ voulut boire le calice amer de sa Passion, sans mélange d’aucune douceur. Bien plus, Il laissa goûter, en quelque sorte, à la nature humaine dont Il s’était revêtu, toute la rigueur des tourments, comme s’Il n’avait été qu’un homme, et non pas un Dieu.
Arrivé ici le Pasteur n’a plus qu’à expliquer — mais avec soin — les avantages et les biens que la Passion du Sauveur nous a procurés.
En premier lieu, Jésus-Christ par ses souffrances nous a délivrés du péché. Il nous a aimés, dit Saint Jean, et Il nous a lavés de nos péchés dans son sang198. Et encore, comme dit l’Apôtre 199, Il nous a fait revivre avec Lui, nous remettant tous nos péchés, effaçant l’arrêt de condamnation écrit et porté contre nous, l’abolissant et l’attachant à la Croix.
Ensuite Il nous a arrachés à la tyrannie du démon. Voici maintenant le jugement du monde, dit le Sauveur Lui-même, et le prince de ce monde va en être chassé, et Moi, quand j’aurai été élevé de la terre, J’attirerai tout à Moi200.
En troisième lieu, Il a payé la peine qui était due pour nos péchés.
De plus, comme on ne pouvait offrir à Dieu un sacrifice qui fût plus digne ou plus agréable, Il nous a réconciliés avec son Père201, Il L’a apaisé, et nous L’a rendu favorable.
Enfin, en enlevant nos péchés, Il nous a ouvert la porte du ciel que le péché commun à tous les hommes avait fermée. C’est ce que l’Apôtre nous marque bien dans ces paroles : Nous avons la confiance d’entrer dans le Sanctuaire, par le Sang de Jésus-Christ202. Et l’Ancien Testament ne manquait pas de symboles et de figures qui exprimaient la même vérité. Ainsi les citoyens qui ne pouvaient rentrer dans leur pays qu’à la mort du grand prêtre203, étaient l’image des Justes à qui l’entrée dans la Céleste Patrie était interdite, malgré toute leur sainteté, jusqu’à la Mort du Souverain et Éternel Pontife, Jésus-Christ. Mais depuis que le Rédempteur l’a subie, cette Mort, les portes du ciel sont ouvertes à tous ceux qui, purifiés par les Sacrements, et possédant la Foi, l’Espérance et la Charité, deviennent participants des mérites de sa Passion.
Le Pasteur montrera que tous ces avantages, tous ces divins Bienfaits nous viennent de la Passion de notre seigneur. En premier lieu, parce que sa mort fut une satisfaction pleine et entière qui Lui fournit le moyen admirable de payer à Dieu son Père toute la dette de nos péchés. Et ce prix qu’Il paya pour nous, non seulement égale notre obligation, mais lui est infiniment supérieur. En second lieu, parce que le sacrifice de la Croix fut infiniment agréable à Dieu. À peine Jésus-Christ l’eut-Il offert que la colère et l’indignation de son Père furent entièrement apaisées. Aussi l’Apôtre a-t-il soin de nous faire remarquer que la Mort du Sauveur fut un vrai Sacrifice : Jésus-Christ nous a aimés, dit-il, et Il s’est livré Lui-même pour nous en s’offrant à Dieu comme une Victime et une Oblation d’agréable odeur204. En troisième lieu, enfin, parce que la Passion fut pour nous cette Rédemption dont parle le prince des Apôtres, quand il dit : ce n’est ni par l’or ni par l’argent corruptibles que vous avez été rachetés de la vanité de votre vie, que vous avez héritée de vos pères, mais par le Sang précieux de l’Agneau Saint et Immaculé, Notre-Seigneur Jésus-Christ205. Et Saint Paul dit à son tour : Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en devenant malédiction pour nous206.
Outre ces avantages si précieux, la Passion nous en fournit encore un autre d’un prix inestimable. Elle met sous nos yeux les exemples les plus frappants de toutes les vertus : la patience, l’humilité, une charité admirable, la douceur, l’obéissance, un courage surhumain à souffrir pour la justice, non seulement des douleurs, mais la mort elle-même. Et nous pouvons dire en vérité, que notre Sauveur, dans le seul jour de sa Passion, voulut représenter en Lui toutes les vertus dont Il avait recommandé la pratique pendant le cours entier de sa prédication.
Voilà ce que nous avions à dire ici sur la Passion et la Mort si salutaires de Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Puissions-nous méditer sans cesse ces mystères au fond de nos cœurs ! Puissions-nous apprendre par là à souffrir, à mourir, à être ensevelis avec ce divin Sauveur ! C’est alors que purifiés des souillures du péché, et ressuscitant avec Lui à une vie nouvelle, nous mériterons, par sa Grâce et par sa Miséricorde, de participer un jour à la gloire de son Royaume céleste.
Qui est descendu aux enfers,
et le troisième jour est ressuscité des morts
Il importe extrêmement, disons-le bien haut, de connaître la gloire de la sépulture de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont nous venons de parler dans l’article précédent ; mais il importe bien plus encore de connaître les victoires éclatantes qu’Il a remportées sur le démon vaincu et sur l’enfer dépouillé ! C’est ce que nous allons expliquer en même temps que sa Résurrection. Sans doute ces deux vérités pouvaient fort bien être séparées. Mais pour suivre l’usage et l’autorité des Pères, nous avons cru devoir les réunir.
La première partie de cet article nous propose à croire qu’aussitôt après la Mort de Jésus-Christ son âme descendit aux enfers, et y demeura aussi longtemps que son Corps resta dans le tombeau.
Mais ces paroles nous obligent aussi à reconnaître et à croire, que la même Personne de Jésus-Christ était en même temps dans les enfers et au fond de son tombeau. Et ce point de notre Foi n’étonnera personne, surtout si l’on veut se rappeler comme nous l’avons dit tant de fois, que, bien que l’Âme eût quitté le Corps réellement, jamais pourtant la Divinité ne fut séparée ni de l’Âme ni du Corps.
Le Pasteur pourra jeter une grande lumière sur les premiers mots de cet article, s’il a soin d’apprendre et de bien expliquer aux Fidèles ce qu’ils doivent entendre par cette expression : les enfers, qui ne signifient pas ici le sépulcre, comme quelques-uns l’ont pensé avec autant d’impiété que d’ignorance. En effet, l’article qui précède nous enseigne positivement que Notre-Seigneur Jésus-Christ a été enseveli. Par conséquent les Apôtres n’avaient aucune raison, en nous transmettant la règle de la Foi, de répéter la même vérité, d’une manière différente et beaucoup plus obscure.
Ce mot : les enfers, désigne donc ici ces lieux, ces dépôts cachés où sont retenues prisonnières les âmes qui n’ont pas encore obtenu la béatitude céleste. C’est dans ce sens que l’Écriture Sainte l’emploie dans beaucoup d’endroits. Ainsi nous lisons dans l’Apôtre Saint Paul : Au nom de Jésus, tout genou fléchit au ciel, sur la terre et dans les Enfers207. Et dans le Livre des Actes, Saint Pierre nous assure que Jésus-Christ ressuscita, après avoir été délivré des douleurs de l’Enfer208.
Mais ces lieux ne sont pas tous semblables. L’un est une prison affreuse et obscure, où les âmes des damnés sont tourmentées avec les esprits immondes par un feu perpétuel et qui ne s’éteint jamais. Ce lieu porte le nom de géhenne, d’abîme ; c’est l’Enfer proprement dit.
Il y a un autre enfer où est le feu du Purgatoire. C’est là que les Âmes des justes se purifient dans des souffrances qui durent un temps déterminé, en attendant qu’elles soient dignes d’entrer dans la Patrie éternelle, car rien de souillé ne peut y pénétrer209. Cette vérité s’appuie sur le témoignage des Écritures et sur la tradition apostolique en même temps qu’elle est confirmée par les décrets des saints Conciles210. Les Pasteurs auront soin de la prêcher souvent et de l’établir sur les raisons les plus solides. Car nous sommes dans un temps où les hommes ne veulent plus supporter la saine doctrine211.
Un troisième enfer est celui où étaient reçues les Âmes des Saints avant la venue de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et où elles jouissaient d’un séjour tranquille, exemptes de toute douleur, et soutenues par l’heureuse espérance de leur rédemption. Or, ce sont précisément ces Âmes saintes, qui attendaient leur Libérateur dans le sein d’Abraham, que Jésus-Christ délivra lorsqu’Il descendit aux enfers.
Et il ne faut pas s’imaginer que Notre-Seigneur descendit aux enfers uniquement par sa Puissance et par sa Vertu, et que son Âme n’y pénétra pas réellement. Nous devons croire au contraire, et de la manière la plus formelle, qu’elle y descendit véritablement et qu’elle y fut présente substantiellement. C’est le témoignage positif de David : Vous ne laisserez pas mon Âme dans l’Enfer212.
Mais en descendant aux enfers, Jésus-Christ ne perdit rien de sa Puissance ; et l’éclat de sa Sainteté ne fut point obscurci. Au contraire, cet événement ne servit qu’à mettre en évidence la vérité des magnifiques descriptions tracées par les Prophètes, et à faire voir de nouveau qu’Il était vraiment le Fils de Dieu, comme Il l’avait déjà prouvé Lui-même par tant de prodiges. C’est ce que nous comprendrons aisément, si nous prenons soin de comparer ensemble les différentes causes qui ont fait descendre aux enfers Jésus-Christ et les autres hommes. Les hommes y étaient venus en captifs. Lui, Il était libre au milieu des morts213, libre et vainqueur, puisqu’Il venait terrasser les démons qui y retenaient les hommes enfermés et enchaînés à cause de leurs péchés.
Parmi tous ces prisonniers, les uns enduraient les peines les plus cruelles ; les autres, quoique exempts de châtiments, souffraient cependant de la privation de Dieu, et ne pouvaient qu’espérer sans cesse la Gloire qui devait les rendre heureux. Jésus-Christ, Lui, non seulement n’y souffrit point, mais Il n’y parut que pour délivrer les Saints et les Justes des douleurs de leur triste captivité, et pour leur communiquer les fruits de sa Passion. Ainsi donc sa descente aux enfers ne lui fit rien perdre de sa Dignité, ni de sa Puissance souveraine.
Ces premières explications données, le Pasteur devra ensuite exposer que Notre-Seigneur Jésus-Christ descendit aux enfers, non seulement pour enlever aux démons leurs dépouilles, et briser les chaînes des saints Patriarches et des autres Justes, mais encore pour les introduire avec Lui dans le Ciel. Ce qu’Il fit d’une manière admirable et infiniment glorieuse. Car sa seule Présence répandit immédiatement au milieu d’eux une lumière resplendissante, les remplit d’une joie et d’une allégresse ineffable, et les mit en possession de cette béatitude qu’ils désiraient tant, et qui consiste dans la vue de Dieu. Alors se trouva vérifiée la promesse que Notre-Seigneur avait faite au bon larron : Aujourd’hui même tu seras avec Moi en Paradis214.
Cette délivrance des Justes, le Prophète Osée l’avait prédite longtemps auparavant : ô Mort, avait-il dit, je serai ta mort ; ô enfer, je te déchirerai215. Le Prophète Zacharie l’avait également annoncée en ces termes : Vous aussi, par le Sang de votre Alliance, vous avez tiré vos captifs de la fosse, où il n’y a point d’eau216. Et enfin l’Apôtre Saint Paul exprime la même vérité en disant de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Il a désarmé les Principautés et les Puissances, Il les a exposées en spectacle avec une pleine autorité, après avoir triomphé d’elles en sa propre personne217.
Mais pour mieux comprendre encore la portée de ce Mystère, nous devons nous rappeler souvent que les Justes, non seulement ceux qui vécurent après Notre-Seigneur, mais encore ceux qui L’avaient précédé depuis Adam, et ceux qui viendront après Lui jusqu’à la fin des siècles, tous ces justes, sans exception, ont été sauvés par le bienfait de sa Passion. Voilà pourquoi avant sa Mort et sa Résurrection, les portes du Ciel n’avaient jamais été ouvertes à personne. Les Âmes des Justes, en se séparant de leurs corps, étaient portées dans le sein d’Abraham, ou bien comme il arrive encore aujourd’hui à celles qui, en quittant ce monde, ont quelque souillure à laver et quelque dette à payer, elles allaient se purifier par le feu du Purgatoire.
Enfin une dernière raison pour laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ descendit aux enfers, c’est qu’Il voulait y manifester sa Force et sa Puissance, aussi bien qu’au ciel et sur la terre, afin qu’il fût absolument vrai de dire qu’à son nom tout genou fléchit au Ciel, sur la terre et dans les Enfers218.
Qui n’admirerait ici la Bonté infinie de Dieu envers les hommes ? Qui ne serait saisi d’étonnement en voyant son Fils unique non seulement endurer pour nous la mort la plus cruelle, mais encore pénétrer jusqu’aux plus basses parties de la terre, afin d’en arracher les Âmes qui lui étaient chères et de les conduire au séjour du bonheur ?
Cette seconde partie de l’article cinquième veut être expliquée avec le plus grand soin. Le Pasteur y prendra garde. C’est l’avertissement de l’Apôtre : Souvenez-vous que Notre-Seigneur Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts219. Or cette recommandation de Saint Paul à Timothée s’applique évidemment à tous ceux qui ont charge d’âmes.
Voici maintenant le sens de cette partie de l’article : Après que Jésus-Christ, le sixième jour, à la neuvième heure, eut rendu l’esprit sur la Croix, et que le même jour, vers le soir, Il eut été enseveli par ses disciples — lesquels avec la permission du Procurateur romain Ponce Pilate, avaient descendu son Corps de la Croix, et L’avaient transporté dans un sépulcre neuf, au milieu d’un jardin voisin — le troisième jour après, qui était le Dimanche, de grand matin son âme se réunit de nouveau à son corps. Ainsi, après être resté mort durant ces trois jours, Il reprit la vie qu’Il avait quittée en mourant, et ressuscita.
Et, par ce mot de Résurrection, il ne faut pas seulement entendre que Jésus-Christ s’est réveillé d’entre les morts, comme cela est arrivé à plusieurs autres, mais qu’Il est ressuscité par sa propre Force, par sa Puissance personnelle, ce qui ne peut convenir qu’à Lui seul, car il est contraire à la nature, et personne n’a jamais eu ce pouvoir, de passer par sa propre vertu de la mort à la vie. Cela était réservé à Dieu seul, à sa souveraine Puissance. L’Apôtre nous le dit : S’Il a été crucifié dans son infirmité d’homme, c’est par sa Puissance de Dieu qu’Il est revenu à la vie220. Et en effet, la Divinité n’ayant jamais été séparée, ni du Corps de Jésus-Christ pendant qu’Il était dans le tombeau, ni de son Âme pendant qu’elle était descendue aux enfers, ce Corps et cette Âme conservaient une Vertu divine. Et c’est par cette Vertu divine que le Corps pouvait être réuni à l’Âme, que l’Âme pouvait retourner au Corps, et que Jésus-Christ pouvait revivre et ressusciter des morts par sa propre puissance.
David, rempli de l’Esprit de Dieu, avait annoncé ce prodige quand il avait dit : Sa droite et son bras puissant l’ont sauvé221. Notre-Seigneur Lui-même nous en avait donné l’assurance de sa propre bouche : Je quitte mon âme pour la reprendre de nouveau. J’ai le pouvoir de la quitter, et J’ai le pouvoir de la reprendre222. C’est pour confirmer cette vérité qu’Il disait aux Juifs : Détruisez ce temple, et dans trois jours Je le rebâtirai223. Sans doute les Juifs croyaient qu’Il parlait de ce magnifique temple de pierre qu’ils avaient sous les yeux ; Lui, voulait parler du temple de son corps224, comme le dit saint Jean en termes formels. Et si nous lisons dans quelques passages de nos Saints Livres que Jésus-Christ a été ressuscité par son Père225, ces paroles se rapportent à Lui, comme homme ; de même qu’il faut rapporter à sa divinité ces autres paroles de la sainte Écriture Il s’est ressuscité par sa propre vertu226.
Il y a encore ceci de particulier dans la Résurrection de Jésus-Christ, c’est qu’Il a été le premier de tous qui ait participé à ce bienfait divin. Voilà pourquoi la Sainte Écriture L’appelle le premier né d’entre les morts227, et le premier né des morts228. Et Saint Paul nous dit de Lui : Le Christ est ressuscité d’entre les morts, comme les prémices de ceux qui dorment. Car si la mort est venue par un homme, c’est aussi par un homme qu’arrive la résurrection. Et de même que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront en Jésus-Christ, mais chacun dans son rang, Jésus-Christ d’abord comme les prémices, puis ceux qui sont à Jésus-Christ229.
Ces paroles doivent s’entendre de la résurrection parfaite, qui détruit pour nous toute espèce de nécessité de mourir une seconde fois, et nous met en possession d’une vie immortelle. Or, dans ce genre de résurrection, Jésus-Christ tient le premier rang. S’il n’était question en effet que de ce retour à la vie qui n’enlève pas la nécessité de mourir une seconde fois, plusieurs, avant Jésus-Christ, étaient ressuscités aussi230 ; mais en revenant à la vie ils étaient toujours obligés de mourir de nouveau ; Jésus-Christ, au contraire, vainquit et dompta tellement la mort par sa Résurrection qu’Il ne pouvait plus mourir. C’est l’enseignement formel de Saint Paul : Jésus-Christ ressuscité des morts ne meurt plus. Et la mort désormais n’aura plus d’empire sur Lui231.
Ces mots sont ajoutés à l’article. Le Pasteur aura soin de bien les expliquer aux Fidèles, afin qu’ils ne s’imaginent point que Notre-Seigneur Jésus-Christ demeura trois jours entiers dans le tombeau. En effet, Il n’y fut renfermé qu’un jour entier, une partie du jour précédent et une partie du jour suivant. Cela suffit pour que nous puissions dire en toute vérité qu’Il resta trois jours dans le sépulcre et qu’Il ressuscita le troisième jour.
Pour montrer qu’Il était Dieu, Il ne voulut pas différer sa Résurrection jusqu’à la fin du monde ; pour prouver qu’Il était vraiment homme, et réellement mort Il ne ressuscita pas immédiatement après sa mort, mais seulement le troisième jour après. Cet intervalle de temps Lui parut suffisant pour garantir la réalité de sa mort.
Les Pères du premier concile de Constantinople ont ajouté ceci : selon les Écritures. Ces mots sont empruntés à l’Apôtre, et les Pères dont nous parlons ne les ont transportés dans le Symbole de leur Foi que parce qu’ils avaient appris du même Apôtre combien le mystère de la résurrection était nécessaire. Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, dit Saint Paul aux Corinthiens, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre Foi232. Et encore : Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, votre Foi est vaine, vous êtes encore dans vos péchés. Aussi Saint Augustin plein d’admiration pour cet enseignement de notre Foi, s’écriait : C’est peu de croire que Jésus-Christ est mort ; les païens, les Juifs, les méchants le croient. Oui, tous croient qu’Il est mort, mais ce qui caractérise la Foi des Chrétiens, c’est sa Résurrection. Ce qui fait sa grandeur, c’est que nous croyons qu’Il est ressuscité233. Voilà pourquoi Notre-Seigneur parlait si fréquemment de sa Résurrection. Et même Il ne s’entretenait pour ainsi dire jamais de sa Passion avec ses disciples, sans ajouter quelques mots sur sa Résurrection. Ainsi, après avoir dit : Le Fils de l’homme sera livré aux gentils, Il sera outragé, fouetté, couvert de crachats, et mis à mort après avoir été flagellé, Il terminait en disant : et le troisième jour Il ressuscitera234. Et lorsque les Juifs Lui demandaient de prouver sa doctrine par un signe, par un prodige quelconque, Il leur répondit : que nul autre signe ne leur serait donné que celui du prophète Jonas, et que comme Jonas avait été trois jours et trois nuits dans le ventre d’une baleine, ainsi le Fils de l’homme serait trois jours et trois nuits dans le sein de la terre235.
Mais pour mieux pénétrer la profondeur et le sens de cet article, nous devons étudier et savoir trois choses : 1° ce pourquoi la Résurrection de Jésus-Christ était nécessaire ; 2° quels étaient la fin et le but de cette Résurrection ; 3° enfin, quels fruits et quels avantages nous en avons retirés.
Et d’abord, il était nécessaire que Jésus-Christ ressuscitât, pour faire éclater la justice de Dieu. En effet, Dieu se devait à lui-même de glorifier Celui qui, pour obéir, S’était volontairement humilié et avait accepté tous les outrages. C’est la raison même que nous donne l’Apôtre écrivant aux Philippiens : Il s’est humilié Lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu L’a élevé236.
Une seconde raison de la Résurrection, c’est qu’elle était nécessaire pour fortifier en nous la Foi sans laquelle l’homme ne saurait être justifié. Car ce qui prouve le mieux que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, c’est sa Résurrection d’entre les morts, et par sa propre vertu.
En troisième lieu, la Résurrection de Notre-Seigneur était nécessaire pour nourrir et soutenir notre espérance. En effet, par le seul fait que Jésus-Christ est ressuscité, nous avons le droit d’espérer d’une manière certaine que nous aussi nous ressusciterons. Car les membres doivent, de toute nécessité, partager le sort de la tête. C’est à cette conclusion que l’Apôtre veut arriver dans ses lettres si motivées aux Fidèles de Corinthe237 et de Thessalonique238 ; c’est également le raisonnement du Prince des Apôtres, qui nous dit : Béni soit Dieu le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a régénérés par la Résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts, en nous donnant l’espérance vive d’un héritage incorruptible !239
Enfin, ajoutons que la Résurrection du Sauveur était nécessaire pour achever le mystère de notre Salut et de notre Rédemption. Par sa mort, Jésus-Christ nous avait délivrés de nos péchés ; par sa Résurrection, Il nous rendait ces biens précieux que le péché nous avait fait perdre. Voilà pourquoi l’Apôtre n’a pas manqué de dire : Jésus-Christ a été livré pour nos péchés, et Il est ressuscité Pour notre justification240. Afin que l’œuvre de notre salut fût complète, la Résurrection de Notre-Seigneur était donc nécessaire, aussi bien que sa mort.
Par tout ce que nous avons dit jusqu’ici, il est facile d’apprécier les avantages considérables que la Résurrection de Notre-Seigneur nous a procurés.
Et d’abord, nous voyons dans ce prodige un Dieu immortel, plein de gloire, vainqueur de la mort et du démon, car tous ces titres appartiennent à Jésus-Christ ; nous le croyons fermement, et nous faisons profession de le croire.
Ensuite la Résurrection du Sauveur nous mérite et nous assure notre propre résurrection. D’une part elle en est la cause efficiente, et d’autre part elle est le modèle d’après lequel nous devons tous ressusciter. Voici en effet ce que nous affirme l’Apôtre en parlant de la résurrection des corps : La mort est venue par un homme, et la résurrection des morts arrivera aussi par un homme241. Tant il est vrai que tout ce que Dieu a fait dans le mystère de notre rédemption, Il l’a fait en se servant de l’humanité de son Fils comme d’un moyen efficace. Ainsi sa résurrection a été comme un instrument pour opérer la nôtre. Et nous disons encore qu’elle est le modèle de la nôtre, parce qu’elle est la plus parfaite. De même que le corps de Jésus-Christ, en ressuscitant, s’est élevé dans sa transformation à une gloire immortelle, de même aussi nos corps, aujourd’hui faibles et mortels, seront, après la résurrection, revêtus de gloire et d’immortalité. Car, dit l’Apôtre, nous attendons le Sauveur Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui réformera notre corps humilié, en le rendant semblable à son corps de gloire242.
Ce que nous venons de dire du corps peut s’appliquer à l’âme morte par le péché. La Résurrection de Jésus-Christ est le modèle de la sienne. L’Apôtre nous l’enseigne clairement : De même, dit-il, que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire de son Père, ainsi devrons-nous marcher nous-mêmes dans une vie nouvelle. Car si nous avons été entés en lui par la ressemblance de sa mort, nous y serons entés aussi par la ressemblance de sa Résurrection. Et un peu plus loin il dit encore : Nous savons que Jésus-Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus, et que la mort n’aura plus d’empire sur Lui. Car s’Il est mort pour le péché, Il n’est mort qu’une fois ; et maintenant qu’Il vit, Il vit pour Dieu. Ainsi considérez-vous vous-mêmes comme morts au péché, et comme ne vivant plus que pour Dieu en Jésus-Christ243.
Nous avons donc deux choses à faire pour imiter la Résurrection de Jésus-Christ. D’abord, après nous être lavés des souillures du péché, nous devons embrasser un nouveau genre de vie, où l’on puisse voir briller la pureté des mœurs, l’innocence, la sainteté, la modestie, la justice, la charité et l’humilité. Ensuite, il est nécessaire de persévérer dans cette vie nouvelle, de manière à ne jamais nous écarter, avec la grâce de Dieu, de la voie de la justice.
Or, les paroles de l’Apôtre que nous venons de citer ne nous apprennent pas seulement que la Résurrection de Jésus-Christ nous est proposée comme modèle de la nôtre, mais qu’elle nous donne en réalité la vertu de ressusciter un jour, et que, en attendant, elle nous communique les lumières et les forces nécessaires pour persévérer dans la sainteté, dans la justice et dans l’accomplissement des préceptes divins. De même en effet que la mort de notre Sauveur est un modèle de la mort au péché, et que, de plus, elle nous donne la vertu de réaliser en nous ce genre de mort ; de même aussi sa Résurrection nous procure les forces suffisantes pour acquérir la justice, pour servir Dieu dans la piété et dans la sainteté, et pour marcher définitivement dans cette vie nouvelle où nous entrons. Voilà en effet ce que Notre-Seigneur a surtout voulu obtenir par sa Résurrection, c’est que nous, qui auparavant étions morts avec Lui au péché et au monde, nous puissions ressusciter avec Lui à une vie toute nouvelle et parfaitement réglée.
Quelles sont les marques principales de cette résurrection spirituelle ? L’Apôtre a voulu nous en prévenir. Si, dit-il, vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, cherchez ce qui est en haut, où Jésus-Christ est assis à la droite de son Père244. C’est bien nous montrer clairement que ceux qui ne cherchent et désirent la vie, les honneurs, le repos, les richesses que là où est Jésus-Christ, ceux-là sont vraiment ressuscités avec Lui. Et quand il ajoute : Aimez les choses du ciel et non celles de la terre245, n’est-ce pas nous donner encore une autre marque pour reconnaître si vraiment nous sommes ressuscités avec Notre-Seigneur ? Comme le goût indique habituellement les dispositions du corps, et son degré de santé, de même dès que quelqu’un goûte tout ce qui est vrai, tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint246, dès qu’il éprouve au dedans de lui-même la suavité des choses célestes, c’est la preuve qu’il est vraiment ressuscité à une vie nouvelle et spirituelle, avec Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Il est monté aux cieux,
il est assis à la droite de Dieu, le Père Tout Puissant
Le Prophète David, rempli de l’Esprit de Dieu, et contemplant l’Ascension si heureuse et si glorieuse de Notre-Seigneur Jésus-Christ, invite tous les hommes à célébrer ce triomphe avec les transports de la joie la plus vive, de l’allégresse la plus entière, et il s’écrie : Toutes les nations, battez des mains pour applaudir, louez Dieu, et poussez des cris de joie : Dieu est monté (au ciel) au milieu des acclamations247. Ces paroles peuvent faire comprendre au Pasteur avec quel soin il doit expliquer ce mystère, et avec quel zèle il doit porter les Fidèles, non seulement à le connaître et à le croire, mais encore à l’exprimer autant qu’il est possible, avec la grâce de Dieu, dans leurs actes et dans toute leur conduite.
Pour expliquer comme il convient ce sixième article, qui traite spécialement du grand mystère de l’Ascension, il faut d’abord prendre les premiers mots : Il est monté au ciel, et en faire voir clairement le sens et la portée.
Or voici ce que les Fidèles doivent croire sans hésiter et très fermement sur la Personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est que, après avoir achevé et consommé le mystère de notre Rédemption, Il monta au ciel, comme homme, en corps et en âme. Car, comme Dieu, Il y avait toujours été, puisque par sa divinité Il occupe et remplit tous les lieux.
Mais que le Pasteur dise bien que Notre-Seigneur est monté au ciel par sa propre vertu et non par une force étrangère, comme Élie qui y fut transporté sur un char de feu248, ou comme le Prophète Habacuc249, ou le diacre Philippe250, qui portés en l’air par la puissance divine, parcoururent ainsi des distances considérables. Et ce n’est pas seulement comme Dieu que Jésus-Christ fit son ascension par cette vertu toute-puissante qu’Il tenait de sa divinité même, mais aussi comme homme. Sans doute un pareil prodige dépasse les forces naturelles, mais la puissance dont son âme bienheureuse était douée, pouvait transporter son corps partout où elle voulait. Et son corps, déjà glorifié, obéissait sans peine aux ordres de l’âme dans tous les mouvements qu’elle lui imprimait.
Voilà pourquoi nous croyons que Jésus-Christ est monté au ciel par sa propre vertu, et comme homme et comme Dieu.
La seconde partie de notre article est celle-ci :
Remarquons tout d’abord que ces mots renferment un trope, c’est-à-dire un de ces changements de signification très usités dans la Sainte Écriture251. Pour s’accommoder à notre manière de nous représenter les choses, cette figure prête à Dieu des membres d’homme, des affections humaines, bien qu’il soit impossible de rien concevoir en Lui de corporel, puisqu’Il est esprit. Mais parce que, parmi les hommes, placer quelqu’un à sa droite, c’est lui donner la plus grande marque d’honneur, on a transporté l’idée de cette coutume aux choses spirituelles, et pour mettre dans tout son jour la gloire que Jésus-Christ s’est acquise, et qui L’élève comme homme au-dessus de toutes les créatures, nous disons qu’Il est assis à la droite de son Père.
De même encore cette expression être assis ne représente pas ici la forme et la position du corps, elle signifie la possession ferme et constante de la puissance royale et de la gloire infinie que Jésus-Christ a reçue de son Père. Car, dit l’Apôtre, son Père, après L’avoir ressuscité d’entre les morts, L’a fait asseoir à sa droite dans le ciel, au-dessus de toutes les Principautés, de toutes les Puissances, de toutes les Vertus, de toutes les Dominations et de tout ce que l’on peut trouver de plus grand, soit dans le siècle présent, soit dans le siècle futur, et Il a mis toutes choses sous ses pieds252. De telle paroles font voir manifestement que cette gloire est tellement propre et particulière à notre Seigneur, qu’elle ne peut convenir à aucune autre créature. Et c’est ce qui a fait dire au même Apôtre dans un autre endroit : Qui est celui des Anges à qui Dieu a jamais dit : asseyez-vous à ma droite ?253
Les Pasteurs auront soin d’expliquer plus longuement le sens de cet article, en rapportant l’histoire de l’Ascension, telle que Saint Luc l’a décrite avec une exactitude admirable au livre des Actes des Apôtres254 ; et, dans leurs explications, ils devront faire remarquer avant tout que les autres mystères de Jésus-Christ se rapportent à l’Ascension comme à leur fin, et qu’ils y trouvent leur perfection et leur complet achèvement. De même en effet que tous les mystères de notre religion commencent à l’Incarnation, de même aussi le séjour du Sauveur parmi nous se termine à son Ascension.
Les autres articles du Symbole qui s’appliquent à Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous montrent son humilité, et ses prodigieux abaissements. En effet, on ne saurait rien imaginer de plus bas et de plus abject pour le Fils de Dieu, que d’avoir pris notre nature avec toutes ses faiblesses, et d’avoir bien voulu souffrir et mourir pour nous. Mais aussi en proclamant dans l’article précédent qu’Il est ressuscité d’entre les morts, et, dans celui-ci, qu’Il est monté au ciel et qu’Il est assis à la droite de Dieu son Père, nous ne pouvons rien dire de plus magnifique ni de plus admirable pour célébrer sa Gloire et sa divine Majesté.
Ces développements une fois donnés, il reste à expliquer soigneusement pourquoi Jésus-Christ est monté aux cieux.
Notre-Seigneur est monté au ciel, en premier lieu, parce que son Corps devenu glorieux et immortel par sa Résurrection, ne pouvait plus se contenter du séjour de cette terre basse et obscure, il Lui fallait désormais les hauteurs et les splendeurs du ciel. Et cela, non seulement pour entrer en possession de ce Royaume et de ce trône de gloire qu’Il avait conquis par son Sang, mais encore pour y prendre soin de ce qui regarde notre Salut.
En second lieu, Jésus-Christ est monté au ciel pour prouver que son Royaume n’était réellement pas de ce monde255. Les royaumes de ce monde sont terrestres et passagers ; ils ne se soutiennent que par l’argent et par l’épée. Le Royaume de Jésus-Christ n’est pas terrestre, comme les Juifs l’attendaient ; il est spirituel et éternel. Et notre Sauveur nous a bien montré que ses trésors et ses richesses sont purement spirituels, puisqu’Il a voulu placer son trône dans le ciel, dans ce royaume où les plus riches, et ceux qui possèdent une plus grande abondance de biens sont ceux qui cherchent avec le plus de zèle les choses de Dieu. L’Apôtre Saint Jacques ne nous assure-t-il pas que Dieu a choisi les pauvres de ce monde, pour leur donner les richesses de la Foi et l’héritage du Royaume qu’Il a promis à ceux qui L’aiment256 ?
Il est une troisième raison pour laquelle Jésus-Christ est monté au ciel, c’est qu’Il voulait exciter dans nos cœurs la pensée et le désir de L’y suivre. De même qu’Il nous avait laissé dans sa Mort et dans sa Résurrection le modèle d’une mort et d’une résurrection spirituelles, ainsi par son Ascension, Il veut nous apprendre et nous persuader que tout en restant ici-bas, nous devons par la pensée nous transporter jusque dans le ciel, et reconnaître, comme dit Saint Paul, que nous ne sommes sur la terre que des hôtes et des étrangers, à la recherche de notre patrie257, et comme les membres de la cité des Saints et de la maison de Dieu258. En effet, dit encore le même Apôtre, nous vivons déjà dans le ciel259.
Quant aux biens ineffables que la Bonté de Dieu a répandus sur nous par ce mystère, le divin Prophète David, d’après Saint Paul lui-même, les avait célébrés longtemps auparavant quand il chantait : en montant au ciel, Il a emmené captifs une multitude d’esclaves, et Il a versé ses dons sur les hommes260.
En effet, dix jours après son Ascension, Il envoya le Saint-Esprit qui, par sa vertu et sa fécondité, produisit cette multitude de fidèles que nous voyons. Ainsi Il accomplit véritablement les magnifiques promesses qu’Il avait faites en disant à ses Apôtres : Il vous est avantageux que Je m’en aille, car si Je ne m’en vais point, le Consolateur ne viendra point vers vous, mais si Je m’en vais, Je vous L’enverrai261.
Il est encore monté au ciel, selon la pensée de l’Apôtre, afin de se présenter maintenant pour nous devant la Face de Dieu262, et de remplir auprès de son Père l’office d’Avocat. Mes petits enfants, dit Saint Jean, je vous écris ceci, afin que vous ne péchiez point ; mais si quelqu’un pèche, nous avons pour Avocat auprès du Père, Jésus-Christ, qui est juste, et qui est Lui-même la Victime de propitiation pour nos péchés263. Or, rien n’est plus propre à inspirer une joie solide et véritable aux Fidèles, que de voir Jésus-Christ devenu le défenseur de leur cause et leur intercesseur dans l’affaire du Salut, Lui qui jouit auprès de son Père d’un pouvoir et d’une faveur sans bornes.
En dernier lieu, Jésus-Christ nous a préparé dans le ciel la place qu’Il nous y avait promise et c’est au nom de tous et comme notre Chef qu’Il a pris possession de la gloire céleste264.
En entrant dans le ciel, Il nous en a ouvert les portes, que le péché d’Adam avait fermées, et Il nous a préparé un chemin sûr pour nous conduire au bonheur éternel, ainsi qu’Il l’avait prédit à ses Apôtres pendant la Cène. Et ce fut pour montrer encore mieux la sincérité de ses promesses par leur accomplissement, qu’après avoir arraché à l’enfer les âmes des Saints, Il les emmena avec Lui dans le séjour de la béatitude éternelle.
À tous ces dons célestes, si précieux et si nombreux, qui sont pour nous le fruit de l’Ascension du Sauveur, viennent encore se joindre plusieurs autres avantages.
D’abord, l’Ascension met le comble au mérite de notre Foi, car la Foi s’applique aux choses qui ne se voient point, et qui dépassent la raison et l’intelligence de l’homme. C’est pourquoi notre Foi aurait perdu beaucoup de son mérite, si Notre-Seigneur ne nous avait pas quittés, puisque Lui-même proclame bienheureux ceux qui croient, quoiqu’ils n’aient point vu !265
Ensuite l’Ascension est très propre à confirmer en nous la vertu d’Espérance. C’est qu’en effet, si nous croyons que Jésus-Christ, comme homme, est monté au ciel, et qu’Il a fait asseoir la nature humaine à la droite de Dieu le Père, nous avons un puissant motif d’espérer que nous, qui sommes ses membres, nous y monterons aussi, et que nous nous réunirons à notre Chef. Lui-même d’ailleurs nous en a donné l’assurance par ces paroles : Mon Père, Je veux que là où Je suis, ceux que Vous M’avez donnés soient avec moi266.
Un des plus grands avantages que nous procure encore l’Ascension, c’est d’avoir entraîné vers le ciel l’amour de notre cœur et de l’avoir enflammé du feu du Saint-Esprit. On a dit très justement que là où est notre trésor, là aussi est notre cœur267. Si donc Notre-Seigneur Jésus-Christ eût continué à demeurer avec nous sur la terre, nous aurions borné toutes nos pensées à Le voir dans son humanité, et à vivre dans sa compagnie ; nous n’aurions regardé en Lui que l’homme, qui aurait été si bon pour nous, et notre affection pour Lui eût été toute naturelle. Mais en montant au ciel, Il a spiritualisé notre amour, et par le fait comme nous ne pouvons plus être avec Lui que par la pensée à cause de son absence, nous l’honorons et nous l’aimons comme Dieu. C’est ce que nous apprend, d’une part l’exemple des Apôtres : tant que le Sauveur fut avec eux, ils n’avaient pour Lui que des sentiments tout humains. C’est ce que nous confirme, d’autre part, le témoignage de Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même : Il vous est avantageux que Je m’en aille268, dit-il à ses Apôtres. Car cet amour imparfait qu’ils avaient pour Lui, pendant qu’Il était avec eux, devait être perfectionné par un amour divin, c’est-à-dire par la venue du Saint-Esprit en eux. Aussi ajoute-t-il aussitôt : si Je ne m’en vais point, le Consolateur ne viendra point vers vous.
Il convient d’ajouter à ce que nous venons de dire que l’Ascension a marqué sur la terre le véritable développement de la maison de Jésus-Christ, c’est-à-dire de son Église, qui allait être dirigée et conduite par le Saint-Esprit. Pour Le représenter auprès des hommes, il mit à la tête de cette Église, comme premier Pasteur et comme souverain Prêtre, Pierre le prince des Apôtres, et de plus Il établit des Apôtres, des Prophètes, des Évangélistes, des Pasteurs et des Docteurs269 ; et de la droite de son Père où il est assis, Il ne cesse de distribuer à chacun les dons qui lui conviennent. C’est l’enseignement formel de l’Apôtre. La grâce, dit-il, est donnée à chacun de nous selon la mesure du don de Jésus-Christ270.
Enfin ce que nous avons dit précédemment de la Mort et de la Résurrection de Notre-Seigneur, est également vrai de son Ascension : Il faut le faire remarquer aux Fidèles. C’est qu’en effet, quoique nous soyons redevables de notre Salut et de notre Rédemption à la Passion du Sauveur, quoique ses mérites aient ouvert aux justes la porte du ciel, cependant son Ascension n’est point seulement un modèle placé devant nos yeux pour nous apprendre à élever nos âmes, et à monter en esprit dans le ciel, elle nous donne aussi une force et une vertu divine qui nous rend capables d’atteindre réellement le but.
D’où Il viendra juger les vivants et les morts
Notre-Seigneur Jésus-Christ remplit à notre égard trois offices, trois ministères d’une importance capitale, et bien propres à relever l’honneur et la gloire de l’Église, ce sont ceux de Rédempteur, d’Avocat et de Juge. Dans les articles qui précèdent nous avons fait voir que par sa Passion et sa Mort Il a racheté tous les hommes, que par son Ascension Il est devenu à jamais leur Avocat et leur Défenseur. Il nous reste à montrer maintenant qu’Il est aussi leur Juge.
Voici le sens et la portée de cet Article : Au dernier jour, Notre-Seigneur Jésus-Christ jugera le genre humain tout entier. Les Saintes Écritures, en effet, mentionnent deux avènements du Fils de Dieu : le premier, lorsque pour nous sauver Il a pris notre nature, et s’est fait homme dans le sein d’une vierge ; le second, quand, à la consommation des siècles, Il viendra pour juger tous les hommes. Ce dernier avènement est appelé, dans l’Écriture, le jour du Seigneur. Le jour du Seigneur, dit l’Apôtre, viendra comme un voleur dans la nuit271, personne ne connaît ce jour ni cette heure, dit le Sauveur Lui-même272. Pour prouver la réalité de ce jugement, Il nous suffira de citer cette parole de l’Apôtre : nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites, pendant qu’il était revêtu de son corps273. L’Écriture est remplie d’une foule de témoignages que les Pasteurs trouveront partout274, et qui non seulement prouvent cette Vérité, mais peuvent la rendre sensible aux Fidèles. Et si, d’après ces témoignages, dès le commencement du monde, tous les hommes ont désiré très ardemment ce jour du Seigneur où Il revêtit notre chair, parce qu’ils mettaient dans ce mystère l’espoir de leur délivrance, aujourd’hui que le Fils de Dieu est mort et qu’Il est monté au ciel, nos soupirs et nos désirs les plus ardents doivent être pour cet autre jour du Seigneur, où nous attendons la réalisation de la bienheureuse espérance et l’Avènement glorieux du grand Dieu275.
Pour bien mettre en lumière cette vérité, les Pasteurs auront soin de distinguer deux temps différents où chacun de nous doit nécessairement comparaître devant Dieu, pour rendre compte de toutes ses pensées, de toutes ses actions, de toutes ses paroles, et pour entendre, séance tenante, la sentence de son Juge.
Le premier arrive au moment où nous venons de quitter la vie. À cet instant-là même, chacun paraît devant le tribunal de Dieu, et là il subit un examen rigoureux sur tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a pensé pendant sa vie. C’est ce qu’on appelle le Jugement particulier.
L’autre arrivera lorsque tous les hommes réunis ensemble, le même jour et dans le même lieu, comparaîtront devant le tribunal de leur Juge. Là, sous les yeux de tous les hommes de tous les siècles, tous et chacun entendront le Jugement que Dieu aura porté sur eux. Et cette sentence ne sera pas la moindre peine et le moindre châtiment des impies et des scélérats. Au contraire, les Saints et les Justes y trouveront une partie de leur récompense, puisque leur conduite y sera manifestée, telle qu’elle aura été pendant la vie.
Ce jugement s’appelle le Jugement général. Mais ici il faut nécessairement montrer pourquoi, après un Jugement particulier pour chacun, les hommes doivent subir encore un Jugement général pour tous.
Les hommes, en mourant, laissent habituellement des disciples, ou des amis qui imitent leurs exemples, s’attachent à leurs maximes, défendent leur conduite et leurs actions. De là une augmentation nécessaire dans leurs peines et leurs récompenses d’outre-tombe. Mais cette influence bonne ou mauvaise que le plus grand nombre d’entre eux continue d’exercer après la mort, ne peut finir qu’au dernier jour du monde. La Justice demande donc qu’une enquête rigoureuse soit faite sur toutes ces paroles, toutes ces actions dignes de louange ou de blâme. Ce qui est impossible sans un jugement général de tous les hommes.
Une autre raison, c’est que souvent la réputation des bons est attaquée, pendant que les méchants reçoivent les louanges dues à l’innocence. La Justice divine veut que les bons recouvrent, dans une assemblée générale de tous les hommes, et par un jugement solennel, l’estime qu’ils méritent, et qui leur a été injustement ravie ici-bas.
D’autre part, chez les bons comme chez les méchants, les corps ne sont jamais étrangers aux actes de cette vie. Le bien et le mal appartiennent donc à nos corps d’une certaine manière, puisque nos corps ont été l’instrument de l’un et de l’autre. Voilà pourquoi il était de toute convenance de décerner pour les corps, aussi bien que pour les âmes, les récompenses ou les châtiments éternels que tous les deux méritent. Or ce double but ne peut être atteint qu’avec la Résurrection et le Jugement général de tous les hommes.
Enfin, comme sur cette terre, l’adversité et la prospérité, sont presque indifféremment le partage des bons et des méchants, il fallait prouver que la Sagesse et la Justice infinie de Dieu conduisent et gouvernent toutes choses.
Or ce n’était pas assez qu’il y eût dans l’autre monde des récompenses pour les bons et des châtiments pour les méchants, ces récompenses et ces châtiments devaient être décernés dans un Jugement public et général. C’était le moyen de les faire connaître à tous d’une manière très éclatante, et d’obliger tous les hommes à rendre à la Justice et à la Providence de Dieu les louanges qu’elle mérite. N’avait-on pas vu plus d’une fois les justes eux-mêmes, pendant leur séjour sur cette terre, se plaindre injustement de cette Providence, lorsque les méchants auprès d’eux vivaient au sein de l’opulence et des honneurs ? Mes pieds ont chancelé, disait le Prophète David lui-même, mes pas se sont presque détournés de la voie, parce que j’ai vu avec jalousie et avec regret la paix des pécheurs276. Voilà, dit-il un peu plus loin, voilà que les pécheurs et les heureux du siècle ont acquis les richesses, et j’ai dit : C’est donc en vain que j’ai gardé mon cœur pur et que j’ai conservé mes mains innocentes, puisque je suis frappé de plaies tout le jour, et que je suis châtié dès le matin277. Et cette plainte, plusieurs autres l’ont fait entendre comme lui. Il fallait donc de toute nécessité un Jugement général, pour que les hommes ne disent pas : Dieu se promène dans le ciel, sans se soucier des choses de la terre278. C’est donc avec raison que l’on a placé cette Vérité au nombre des douze Articles de notre Foi, pour affermir la croyance de ceux qui auraient pu douter de la Justice et de la Providence de Dieu.
D’ailleurs, il était souverainement utile de proposer ce Jugement de Dieu aux bons et aux méchants, pour consoler les uns et effrayer les autres, pour empêcher les premiers de se décourager en leur faisant connaître la Justice de Dieu, et pour détourner les seconds du mal par la crainte des éternels supplices.
Aussi Jésus-Christ, notre Dieu et Sauveur, en parlant du dernier jour, a-t-il déclaré Lui-même qu’il y aurait un Jugement général. Il en a marqué les signes avant-coureurs, afin qu’en les voyant arriver, il nous fût possible de connaître que la fin du monde est proche279. Puis au moment même où Il montait au ciel, il envoya des Anges consoler par ces paroles ses Apôtres attristés : Ce Jésus qui vient de vous quitter, et de s’élever dans le ciel, reviendra un jour de la même manière que vous L’avez vu y monter280.
Nos Saints Livres affirment que ce Jugement a été réservé à Notre-Seigneur Jésus-Christ, non seulement comme Dieu, mais comme homme. Il est vrai que le pouvoir de juger est commun aux trois Personnes de la Sainte Trinité, cependant nous l’attribuons spécialement au Fils, comme nous Lui attribuons la Sagesse. Que le Fils doive donc juger le monde comme homme, c’est ce qu’Il nous assure Lui-même : Comme le Père, dit-Il, a la vie en Lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir aussi la vie en Lui-même ; et il lui a donné la puissance de faire le Jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme281.
Il était d’ailleurs de toute convenance que ce Jugement fût exercé par Jésus-Christ. Puisqu’il s’agissait de juger des hommes, ces hommes ne devaient-ils pas voir leur Juge des yeux de leur corps, entendre de leurs oreilles la sentence prononcée, et connaître enfin leur Jugement par leurs propres sens ? N’était-ce pas aussi une justice à rendre à Jésus-Christ ? Sur la terre, Il avait été jugé et condamné de la manière la plus inique par des juges pervers, ne devait-Il pas après cela se montrer à son tour à tous les yeux, assis sur son tribunal pour juger tous les hommes ? C’est pourquoi le prince des Apôtres, après avoir exposé dans la maison de Corneille les principales vérités de la Religion chrétienne, après avoir enseigné que Jésus-Christ avait été attaché à la Croix et mis à mort par les Juifs et que le troisième jour Il était ressuscité, a soin d’ajouter : Et Il nous a ordonné de prêcher au peuple, rendre témoignage que c’est Lui qui a été établi de Dieu le Juge des vivants et des morts282.
Trois principaux signes, nous dit la sainte Écriture, doivent précéder le Jugement général : la prédication de l’Évangile par toute la terre, l’apostasie, et l’Antéchrist. En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous déclare que l’Évangile du Royaume sera prêché dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations, et alors viendra la consommation283. À son tour, l’Apôtre nous prévient de ne pas nous laisser séduire, en croyant que le jour du Seigneur est proche. Car tant que l’apostasie ne sera point arrivée, et que l’homme du péché n’aura point paru284, le Jugement n’aura pas lieu.
Pour ce qui regarde la forme et la nature du Jugement, les Pasteurs s’en feront facilement une juste idée, en l’étudiant dans les prophéties de Daniel285, les saints Évangiles, et l’Apôtre Saint Paul.
Il faut ici examiner et peser avec le plus grand soin les termes mêmes de la sentence du Souverain Juge. Jésus-Christ, notre Sauveur, jetant un regard de complaisance sur les bons placés à sa droite, leur dira avec une bonté infinie : Venez, les bénis de mon Père ; possédez le Royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde286. Il est facile de comprendre que l’on ne peut rien entendre de plus agréable que ces paroles, surtout si on les compare à la condamnation des méchants, et si l’on réfléchit en soi-même que cette sentence appelle les Saints et les Justes, des fatigues au repos, d’une vallée de larmes à des joies ineffables, de toutes les misères de la vie à la béatitude éternelle qu’ils auront méritée par l’exercice de la Charité.
Se tournant ensuite vers ceux qui seront à sa gauche, Il laissera éclater contre eux sa Justice en ces termes : Retirez-vous de Moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé au démon et à ses anges287. Ces premiers mots : retirez-vous de Moi, expriment la plus grande peine qui frappera les réprouvés, celle d’être chassés et privés entièrement de la vue de Dieu, sans être consolés par l’espérance de rentrer jamais en possession d’un Bien si parfait. C’est cette peine que les théologiens appellent la peine du dam, parce que les damnés dans l’enfer seront privés pour toujours des splendeurs de la vue de Dieu288. Le mot qui vient ensuite : maudits, augmente encore cruellement leur effroyable malheur. En effet, si, au moment de les chasser de sa Présence, Dieu avait daigné laisser tomber sur eux la moindre bénédiction, ils en auraient éprouvé un grand soulagement. Mais, hélas ! ils n’ont rien de pareil à attendre pour adoucir leur souffrance, et la Justice divine, en les bannissant, n’aura que trop raison de les accabler de toutes ses malédictions.
Dans le feu éternel. Ces mots désignent un autre genre de peine, que les théologiens appellent la peine du sens, parce que les sens du corps en sont les organes, comme dans le supplice des verges, des fouets, ou d’autres plus graves. Mais si, de tous les tourments, le plus sensible et le plus douloureux est celui du feu, et si, d’autre part, on ajoute à cela que ces tourments n’auront jamais de fin, on demeurera convaincu que la punition des damnés est le comble de tous les châtiments. Et ce qui fait mieux sentir encore l’excès de leur malheur, ce sont ces mots qui terminent la sentence du Souverain Juge : qui a été préparé au démon et à ses anges289. Notre nature est ainsi faite que nous supportons plus facilement tous les maux qui nous atteignent, lorsque nous tombons sur des compagnons d’infortune dont la prudence et la bonté peuvent les adoucir en quelque manière. Mais quel ne sera pas le terrible malheur des réprouvés lorsque, au milieu de leurs tortures, ils se verront dans l’impossibilité de s’arracher à la compagnie des démons, ces êtres si pervers ? Cependant la sentence de condamnation portée contre eux par le Sauveur sera parfaitement juste, puisque, dans leur impiété, ils auront négligé tous les devoirs que la vraie piété leur imposait, refusé de donner à manger à celui qui avait faim, à boire à celui qui avait soif, repoussé les étrangers sans leur donner l’hospitalité, n’auront point vêtu celui qui était nu, ni visité les prisonniers et les malades290.
Voilà des vérités que les Pasteurs doivent redire aux Fidèles le plus souvent possible, afin de les en pénétrer. Rien de plus puissant, si on les croit fermement, pour réprimer les mauvaises passions du cœur, et pour éloigner les hommes du péché291. Aussi l’Ecclésiastique nous dit-il : Dans toutes vos œuvres, souvenez-vous de vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais292. C’est qu’en effet, il faudrait être poussé au mal avec une violence extraordinaire, pour n’être pas ramené à l’amour de la Vertu par cette pensée qu’un jour il faudra paraître devant le Juge, qui est la Justice même, et Lui rendre compte non seulement de toutes ses actions, de toutes ses paroles, mais même de ses pensées les plus secrètes, et subir le châtiment qu’elles auront mérité. Le juste au contraire ne peut que se sentir de plus en plus porté à la pratique de la Sainteté. Sa joie sera grande, même au sein de la pauvreté, de l’ignominie et des tourments, s’il élève ses pensées vers ce jour glorieux où, après les combats de cette vie pleine de misères, il sera proclamé vainqueur devant tout l’univers, introduit dans la Patrie céleste et comblé d’honneurs divins et éternels. Ici les Pasteurs n’ont donc plus qu’à exhorter les Fidèles, et ils n’y manqueront pas, à ordonner leur vie le mieux possible, à s’exercer à toutes les œuvres de la piété, afin qu’ils puissent attendre avec une parfaite confiance ce grand jour du Seigneur, et même le désirer avec la plus vive ardeur, comme il convient à des enfants (qui veulent aller vers leur Père).
Je crois au Saint-Esprit
Jusqu’ici nous avons parlé de la première et de la seconde Personne de la Sainte Trinité, et nous avons donné sur ce double sujet les explications convenables. Il s’agit maintenant d’exposer ce que le Symbole nous enseigne sur la troisième Personne qui est le Saint-Esprit. C’est un point qui réclame tout le zèle et toute l’application des Pasteurs.
Car il n’est pas plus loisible aux Chrétiens d’ignorer ou de mal connaître cet Article, que les Articles précédents. Aussi l’Apôtre ne voulut-il point laisser un certain nombre d’Éphésiens dans l’ignorance où ils étaient par rapport au Saint-Esprit293. Leur ayant demandé s’ils L’avaient reçu, ils lui répondirent qu’ils ne savaient même pas s’il y avait un Saint-Esprit. Aussitôt il leur fit cette question : Quel Baptême avez-vous donc reçu ? Ces paroles nous montrent que les Fidèles sont rigoureusement obligés d’avoir une connaissance spéciale de cet Article. Et le premier fruit qu’ils en retireront c’est que s’ils considèrent sérieusement que tout ce qu’ils possèdent, ils le doivent à la libéralité et à la bonté de l’Esprit-Saint ils deviendront plus humbles et plus modestes dans leurs pensées et leurs sentiments sur eux-mêmes, et ils placeront toute leur espérance dans le secours de Dieu. Or, n’est-ce pas là, pour le Chrétien, le premier pas vers la Sagesse, et par suite vers le Bonheur éternel ?
Pour commencer, il faut bien expliquer d’abord quelle idée et quel sens on attache ici au mot Saint-Esprit. C’est qu’en effet il peut s’appliquer aussi bien au Père et au Fils. (Tous deux sont esprits, et tous deux sont Saints, et nous faisons profession de croire que Dieu est esprit.) D’autre part, on donne également ce nom aux Anges et aux âmes des justes. Il faut donc prendre garde qu’il n’y ait ni équivoque, ni erreur dans l’esprit des Fidèles. Par conséquent il est nécessaire de leur apprendre que par le Saint-Esprit on entend ici la troisième Personne de la Sainte Trinité. C’est ainsi qu’on L’appelle quelquefois dans l’Ancien Testament, et très souvent dans le nouveau. David dit à Dieu dans sa prière : n’éloignez pas de moi votre Saint-Esprit294. Le Sage s’écrie : qui connaîtra vos desseins Seigneur, sinon celui à qui Vous donnerez la Sagesse, et à qui Vous enverrez d’en haut votre Esprit-Saint ?295 Dans un autre endroit, il dit : Dieu a créé la Sagesse dans le Saint-Esprit296. Dans le Nouveau Testament, Jésus-Christ ordonne de baptiser les nations au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit297. Nous y lisons que la très Sainte Vierge a conçu par le Saint-Esprit298. Enfin Saint Jean nous renvoie à Jésus-Christ pour qu’Il nous baptise dans le Saint-Esprit299 ; sans parler d’un grand nombre d’autres textes de nos Saints Livres où nous rencontrons la même expression.
Et personne ne doit trouver étrange qu’on n’ait pas donné de nom particulier à la troisième Personne de la Sainte Trinité, aussi bien qu’à la première et à la seconde. Si la seconde Personne a un nom qui Lui est propre, si elle s’appelle le Fils, c’est que sa naissance éternelle du Père s’appelle proprement génération, comme nous l’avons dit dans les précédents articles. Et du moment que cette naissance peut porter le nom de génération, nous avons le droit d’appeler Fils la Personne qui émane, et Père, celle de qui elle émane. Mais comme l’émanation de la troisième Personne n’a pas de nom qui Lui soit propre, et qu’on L’appelle simplement aspiration et procession (qui sont des noms communs), par cela même, la Personne ainsi produite manque nécessairement de dénomination particulière. Et la raison en est que tous les noms que nous donnons à Dieu, nous sommes forcés de les emprunter aux choses créées. Et comme d’autre part nous ne connaissons pas, dans les créatures, d’autre communication de nature et d’essence que celle qui se fait par voie de génération, il nous est impossible d’exprimer par un nom propre cette communication que Dieu fait de Lui-même et de son Être tout entier par voie d’amour. C’est pourquoi la troisième Personne de la Sainte Trinité porte la dénomination commune d’Esprit-Saint ; dénomination d’ailleurs qui Lui convient parfaitement, parce que, d’une part, c’est elle, la troisième Personne, qui répand dans nos âmes la vie spirituelle (la vie de l’Esprit) et parce que, d’autre part, sans le souffle et l’inspiration de cet esprit très Saint, nous ne pouvons rien faire qui mérite la Vie Éternelle.
Le sens du mot Saint-Esprit étant bien expliqué, il faut ensuite enseigner au peuple que le Saint-Esprit est Dieu, comme le Père et le Fils, qu’Il leur est égal en toutes choses, Tout-Puissant comme eux, éternel comme eux, et comme eux d’une perfection, d’une grandeur, d’une bonté, d’une sagesse infinie, en un mot qu’Il a la même nature. Cette égalité est suffisamment indiquée par ce petit mot : en, que nous employons, quand nous disons : Je crois en l’Esprit-Saint. Ce mot nous le plaçons en effet devant le nom de chaque Personne de la Sainte Trinité : (Je crois en Dieu, et en Jésus-Christ) c’est une manière d’exprimer la plénitude et la force de notre Foi.
Du reste cette Vérité a pour elle les témoignages les moins douteux de la Sainte Écriture. Par exemple, lorsque Saint Pierre dans les Actes des Apôtres, dit : Ananie, pourquoi Satan a-t-il tenté votre cœur, au point de vous faire mentir au Saint-Esprit ?300 Il ajoute aussitôt : ce n’est point aux hommes que vous avez menti, mais à Dieu ; donnant ainsi le nom de Dieu à Celui qu’il venait d’appeler le Saint-Esprit. De même l’Apôtre écrivant aux Corinthiens applique au Saint-Esprit le nom de Dieu qu’il venait de prononcer. Il y a, leur dit-il, diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous301. Et il ajoute : oui, c’est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons comme il Lui plaît302. De plus, le même Apôtre attribue au Saint-Esprit, dans le Livre des Actes, ce que les Prophètes rapportent à Dieu seul. Isaïe avait dit : J’ai entendu cette voix du Seigneur : qui enverrai-je ? Puis, Il me dit : Va, dis à ce peuple : votre cœur s’appesantit, et vos oreilles deviennent sourdes, et vous bouchez vos yeux pour ne pas voir, et vous fermez vos oreilles pour ne pas entendre303. Or, l’Apôtre, citant ces paroles, (et s’adressant aux Juifs) s’exprime ainsi : ce que le Saint-Esprit a dit par la bouche du Prophète Isaïe est bien vrai304.
D’un autre côté, lorsque nous voyons la Sainte Écriture joindre la Personne du Saint-Esprit à la Personne du Père et du Fils, comme dans l’endroit où elle ordonne de conférer le Baptême au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, aucun doute n’est plus possible sur la vérité de ce mystère ; car si le Père est Dieu, et si le Fils est Dieu, nous sommes obligés de reconnaître que le Saint-Esprit l’est aussi, puisque l’Écriture Le met sur le même rang que le Père et le Fils.
De plus, le fait d’être baptisé au nom d’une créature quelconque ne peut procurer aucun avantage. Est-ce au nom de Paul que vous avez été baptisés ?305 dit l’Apôtre, et en parlant ainsi, il voulait faire entendre évidemment qu’un baptême de ce genre serait inutile pour le Salut. Si donc nous sommes baptisés au nom du Saint-Esprit, nous devons confesser qu’Il est Dieu.
Ce même ordre des trois Personnes divines, qui nous fournit la preuve de la divinité du Saint-Esprit, se remarque également dans cette Épître de Saint Jean, où nous lisons : Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint, et ces trois ne sont qu’une seule et même chose306. Cet ordre se retrouve aussi dans cet éloge magnifique de la Sainte Trinité qui termine les Psaumes et les Cantiques sacrés : Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit !
Enfin ce qui confirme puissamment cette Vérité, c’est que l’Écriture Sainte attribue d’une manière formelle au Saint-Esprit tout ce qui, selon les données de la Foi, n’est propre qu’à Dieu seul. Ainsi elle lui reconnaît des temples : Ne savez-vous pas, dit l’Apôtre, que vos membres sont les temples du Saint-Esprit ?307 Elle lui attribue le pouvoir de sanctifier308, de vivifier309 et de scruter les profondeurs de Dieu310, de parler par les Prophètes311, d’être partout312 ; autant de perfections qui ne conviennent qu’à Dieu.
Ce n’est pas tout. Il faut de plus expliquer aux Fidèles, et avec beaucoup de soin, non seulement que le Saint-Esprit est Dieu, mais encore qu’il est la troisième Personne dans l’Essence divine, parfaitement distincte du Père et du Fils, et produite par la Volonté de l’un et de l’autre. C’est l’enseignement même de la Foi. Car sans parler des autres témoignages de l’Écriture, la forme du Baptême que notre Sauveur nous a apprise313, montre très clairement que le Saint-Esprit est une troisième Personne qui subsiste par elle-même dans la nature divine, et qui est distincte des deux autres. Ainsi le déclare l’Apôtre, quand il dit : que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et la Charité de Dieu, et la communication du Saint-Esprit soient avec tous. Amen !314 Mais ce qui plus que tout le reste met cette vérité en pleine lumière, c’est la déclaration formelle du premier Concile œcuménique de Constantinople. Pour réfuter l’hérésie absurde et impie de Macédonius, les Pères de ce concile ajoutèrent au symbole de Nicée ces mots si importants : je crois au Saint-Esprit Notre-Seigneur, qui donne la vie, qui procède du Père et du Fils, qui est adoré et glorifié avec le Père et le Fils, qui a parlé par les Prophètes. En confessant que le Saint-Esprit est notre Seigneur, ils montrent par le fait combien Il est au dessus des Anges, qui sont cependant les plus nobles esprits que Dieu ait créés, tous, au témoignage de Saint Paul, des esprits administrateurs, envoyés pour exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut315. Ils disent encore qu’Il donne la vie, parce que de son union avec Dieu l’âme tire une vie plus réelle, que celle dont jouit le corps par son union avec l’âme. Et comme l’Écriture Sainte attribue au Saint-Esprit cette union de l’âme avec Dieu, il est clair qu’on a parfaitement raison de lui donner le nom d’Esprit vivifiant.
Pour expliquer les paroles qui suivent : Qui procède du Père et du Fils, il faut bien faire entendre aux Fidèles que le Saint-Esprit procède de toute éternité du Père et du Fils comme d’un principe unique. Cette vérité est proposée à notre Foi par les définitions mêmes de l’Église, dont un Chrétien n’a jamais le droit de s’écarter, et elle est confirmée par l’autorité de nos Saints Livres et des Conciles. En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ parlant du Saint-Esprit, dit : Il Me glorifiera parce qu’Il recevra de ce qui est à Moi316. Et lorsque nous voyons dans la Sainte Écriture qu’Il est appelé tantôt l’Esprit du Christ, tantôt l’Esprit du Père ; qu’Il est envoyé, tantôt par le Père 317, tantôt par le Fils318, c’est bien la preuve manifeste qu’il procède également de l’un et de l’autre. Celui qui n’a pas l’Esprit de Jésus-Christ, dit Saint Paul, n’est point à Lui319, et dans l’Épître aux Galates, il appelle encore le Saint-Esprit, l’Esprit de Jésus-Christ : Dieu, dit-il, a envoyé dans vos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie, mon Père, mon Père320. De son côté, Notre-Seigneur, dans Saint Matthieu, l’appelle l’Esprit du Père : Ce n’est pas Vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père321. Et dans la Cène, Il s’exprime ainsi : le Consolateur que Je vous enverrai, C’est l’Esprit de vérité qui procède du Père, et qui rendra témoignage de Moi322. Ailleurs, Il nous annonce en ces termes que le même Esprit-Saint sera envoyé par le Père : le Père L’enverra en mon nom323. Toutes ces expressions s’entendent évidemment de la procession du Saint-Esprit, il est donc bien clair et bien certain qu’Il procède du Père et du Fils.
Voilà ce qu’il faudra dire de la Personne du Saint-Esprit.
Mais de plus les Pasteurs devront expliquer avec soin certains effets admirables, certains dons excellents que la Foi lui attribue, et qui sortent et découlent de Lui comme de la source éternelle de la Bonté. Il est vrai que toutes les opérations extérieures de la Sainte-Trinité sont communes aux trois Personnes. Cependant, il en est quelques-unes que l’on attribue plus particulièrement au Saint-Esprit, pour nous faire comprendre qu’elles viennent de l’immense Charité de Dieu envers nous. Le Saint-Esprit en effet procède de la Volonté de Dieu, comme par un embrasement d’amour, et dès lors il est facile de concevoir que les effets qui Lui sont spécialement attribués doivent découler de l’Amour infini de Dieu pour nous.
C’est pour la même raison que le Saint-Esprit est appelé don. Car on appelle don ce qui est accordé libéralement, gratuitement et sans espoir de récompense. Ainsi tous les biens, toutes les grâces que nous avons reçues de Dieu, et qu’avons-nous que nous n’ayons reçu de Lui ?324 dit l’Apôtre, nous les tenons de la libéralité du Saint-Esprit. Et cela nous devons le reconnaître avec une sincère et pieuse gratitude.
Les effets produits par le Saint-Esprit sont nombreux. Car sans parler ici de la création, de la propagation des créatures, du gouvernement du monde, sujets que nous avons traités dans le premier article du Symbole, nous venons de démontrer à l’instant qu’on Lui attribue proprement la vivification spirituelle, et les paroles suivantes d’Ézéchiel sont un véritable témoignage en faveur de cette Vérité : Je vous donnerai mon esprit, et vous vivrez325.
Voici comment Isaïe énumère les effets (ou les dons) principaux du Saint-Esprit, et ceux qui Lui conviennent plus spécialement. Il L’appelle : l’Esprit de Sagesse et d’intelligence, l’Esprit de Conseil et de Force, l’Esprit de Science et de Piété, l’Esprit de crainte du Seigneur326. Effets que l’on nomme communément les Dons du Saint-Esprit, et auxquels on donne aussi quelquefois le nom même de Saint-Esprit. C’est pourquoi, remarque judicieusement Saint Augustin, lorsque nous rencontrons le mot de Saint-Esprit dans la Sainte Écriture, il faut bien voir s’il s’agit de la troisième Personne de la Sainte Trinité, ou seulement de ses effets et de ses opérations327. Car ces deux choses diffèrent autant l’une de l’autre que Dieu Lui-même diffère de la créature.
Il convient de faire ressortir ces commentaires avec un soin particulier, car ces dons du Saint-Esprit sont pour nous comme une source divine où nous puisons les préceptes de la Vie chrétienne, et par eux encore nous pouvons savoir si le Saint-Esprit habite vraiment en nous.
Entre ces dons magnifiques, celui qui, dans notre esprit, doit passer avant tous les autres, c’est la Grâce qui nous justifie, et qui nous marque du sceau de l’Esprit-Saint, qui a été promis, et qui est le gage de notre héritage328. C’est cette grâce en effet qui nous attache à Dieu par les liens les plus étroits de l’amour, qui allume dans nos cœurs le zèle ardent de la piété, qui nous fait entreprendre une vie nouvelle, qui nous rend participants de la nature divine329, et nous fait mériter le nom et la qualité réelle d’enfants de Dieu330 331.
Je crois la Sainte Église Catholique,
la Communion des Saints
Pour comprendre immédiatement avec quel soin, avec quelle attention les pasteurs devront travailler à bien expliquer aux fidèles ce neuvième article du Symbole, deux considérations sont nécessaires et suffisantes. La première, c’est que, suivant la remarque de Saint Augustin332, les prophètes ont parlé plus clairement et plus longuement de l’Église que de Jésus-Christ, car ils prévoyaient qu’il y aurait beaucoup plus d’erreurs volontaires et involontaires sur ce point que sur le mystère de l’Incarnation. En effet, il ne devait point manquer d’impies pour prétendre, à l’imitation du singe qui veut faire croire qu’il est homme, pour prétendre avec autant d’orgueil que de méchanceté qu’eux seuls sont catholiques, que l’Église Catholique est parmi eux, et seulement parmi eux. La seconde considération, c’est que celui qui aura gravé profondément dans son cœur la foi à la vérité de l’Église, n’aura pas de peine à éviter le terrible danger de l’hérésie. On n’est pas hérétique par le fait seul qu’on pèche contre la Foi, mais parce qu’on méprise l’autorité de l’Église, et qu’on s’attache avec opiniâtreté à des opinions mauvaises. Si donc il est impossible qu’un Chrétien soit atteint de cette horrible peste de l’hérésie, tant qu’il continue à croire ce que cet article propose à sa Foi, les Pasteurs doivent redoubler d’efforts pour instruire les Fidèles de ce mystère, les prémunir par là même contre les artifices de l’ennemi, et les aider à persévérer dans la Foi. Au reste cet article dépend du précédent. Après avoir montré que toute sainteté vient de l’Esprit-Saint comme de sa source et de son Auteur, nous reconnaissons maintenant, par voie de conclusion, que la sainteté qui est dans l’Église ne peut sortir que de Lui.
Le mot Église vient du grec, les Latins l’ont emprunté à cette langue, et après la publication de l’Évangile, ils l’ont consacré exclusivement aux choses saintes. Voyons quel en est le sens. Il signifie proprement convocation. Mais avec le temps les auteurs l’ont emprunté souvent pour désigner une assemblée, une réunion d’hommes, sans examiner si ces hommes admiraient le vrai Dieu, ou les fausses divinités. Nous lisons au livre des actes que le greffier de la ville d’Éphèse, après avoir apaisé le peuple, lui dit : Si vous avez quelque autre affaire à proposer, nous pourrons la traiter dans une assemblée légitime333. Ainsi l’assemblée du peuple d’Éphèse est appelée légitime, bien que ce peuple fût adonné au culte de Diane. Et non seulement ce nom d’Église est donné aux nations qui ne connaissent pas Dieu, mais quelquefois même il est appliqué aux assemblées des méchants et des impies. Je hais l’Église des méchants, dit le prophète, et je ne m’assiérai point avec les impies334. Mais dans la suite, l’usage ordinaire de la Sainte Écriture fut de consacrer ce mot à désigner uniquement la société chrétienne et les assemblées des fidèles, c’est à dire de ceux qui ont été appelés par la foi, à la lumière de la vérité et à la connaissance de Dieu, qui ont dissipé les ténèbres de l’ignorance et de l’erreur, qui adorent avec piété et sainteté, le Dieu Vivant et Véritable, et qui le servent de tout leur cœur. Enfin, pour tout dire en un mot, l’Église, selon Saint Augustin, c’est le peuple fidèle répandu dans tout l’univers335. Mais ce mot de l’Église renferme de véritables mystères, et des mystères très importants. En effet, si nous l’entendons dans le sens de convocation, nous voyons aussitôt briller à nos yeux la douceur et la lumière de la Grâce divine, et nous sentons combien l’Église diffère de toutes les autres sociétés. Celles-ci ne se soutiennent que par la raison et la prudence humaines ; celle là repose sur la Sagesse et le Conseil de Dieu même. Car Dieu nous a appelés intérieurement par l’inspiration de son Saint-Esprit, qui ouvre les cœurs, et extérieurement par les soins et le ministère des Pasteurs et des prédicateurs. Et nous voyons bientôt que la fin de cette vocation, c’est la connaissance et la possession des choses éternelles, si seulement nous remarquons qu’autrefois le peuple fidèle, sous la loi de Moïse, se nommait synagogue, c’est-à-dire troupeau. Car, dit Saint Augustin, 336 ce nom lui avait été donné parce que, comme les animaux qui cherchent à se grouper pour vivre, il n’avait en vue que des biens terrestres et périssables. Au contraire, le peuple chrétien s’appelle non pas synagogue, mais assemblée, ou convocation, parce qu’il méprise les choses terrestres et périssables, pour ne s’attacher qu’aux biens célestes, et qui ne passent pas.
Il est encore d’autres noms mystérieux qui servent à désigner la Société des Chrétiens. Ainsi l’Apôtre Saint Paul l’appelle la Maison et l’Édifice de Dieu. Je vous écris, dit-il à Timothée, afin que, si je viens à tarder trop longtemps, vous sachiez comment vous devez vous conduire dans la maison du Dieu Vivant, la colonne et le fondement de la Vérité337. L’Église est appelée ici maison parce qu’elle est comme une famille, qui n’est gouvernée que par un seul, le Père de famille, et dans laquelle tous les biens spirituels sont communs. On lui donne encore le nom de troupeau des brebis de Jésus-Christ qui en est le Pasteur et en même temps la porte de la bergerie338 ; celui d’épouse de Jésus-Christ : Je vous ai fiancés, dit l’Apôtre aux Corinthiens, à un Époux unique, Jésus-Christ, pour vous présenter à Lui comme une vierge pure339. Écoutons-le dire aux Éphésiens : Maris, aimez vos épouses, comme Jésus-Christ aime l’Église340. Puis, en parlant du Mariage : Ce Sacrement est grand, je dis en Jésus-Christ et dans l’Église341. Et enfin celui de Corps de Jésus-Christ, comme on peut le voir dans les Épîtres aux Éphésiens342 et aux Colossiens343. Ces différents noms sont très propres à exciter les Fidèles à se rendre dignes de la Clémence et de la Bonté infinie de Dieu, qui les a choisis pour en faire son peuple.
Après ces explications, il sera nécessaire d’énumérer les diverses parties qui composent l’Église, et de marquer les différences qui existent entre chacune d’elles. Ainsi les Fidèles connaîtront mieux la nature, les propriétés, les dons et les grâces de cette Église, si chère à Dieu, et ils ne cesseront de louer son nom trois fois Saint.
Il y a dans l’Église deux parties principales : l’une que l’on appelle triomphante, et l’autre militante344.
L’Église triomphante est cette Société si brillante et si heureuse des esprits célestes, et de tous ceux qui ont remporté la victoire sur le monde, la chair, et le démon notre ennemi acharné, et qui maintenant délivrés sans retour des misères de la vie, jouissent de la Béatitude éternelle.
L’Église militante est la Société de tous les Fidèles qui vivent encore sur la terre. On l’appelle militante parce qu’elle est obligée de soutenir une guerre incessante contre les ennemis les plus cruels, le monde, la chair et Satan.
Toutefois, il ne faut pas pour cela croire qu’il y a deux Églises. Non, l’Église est une, mais elle est composée de deux parties. De ces deux parties, l’une a précédé l’autre, et elle est déjà en possession de la céleste Patrie. La deuxième marche chaque jour à la suite de la première, jusqu’à ce que, enfin, elle se réunisse à notre Sauveur, et se repose au sein de l’Éternelle Félicité345.
L’Église militante renferme deux sortes de personnes, les bons et les méchants. Les méchants participent aux mêmes Sacrements et professent la même Foi que les bons ; mais ils diffèrent d’eux par la conduite et les mœurs. Les bons ne sont pas ceux qui sont unis seulement par la profession de la même Foi et la participation aux mêmes Sacrements, mais ceux qui sont attachés les uns aux autres par l’esprit de Grâce et le lien de Charité. C’est d’eux qu’il est dit : Le Seigneur connaît ceux qui sont à Lui346. Les hommes peuvent bien aussi, d’après certaines conjectures, présumer qui sont ceux qui doivent être rangés parmi les bons, mais ils ne peuvent jamais l’affirmer avec certitude347. Aussi faut-il se garder de penser que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu parler de cette portion de l’Église lorsqu’il nous renvoie à l’Église et nous ordonne de lui obéir348. Puisqu’elle est inconnue, comment savoir, sans crainte de se tromper, à quel tribunal il faudra recourir, et à quelle autorité on devra se soumettre ? L’Église comprend donc indistinctement les bons et les méchants, comme la sainte Écriture et les Pères nous l’enseignent, et comme l’Apôtre le marquait en disant : Il n’y a qu’un corps et qu’un esprit349. Ainsi entendue, l’Église est connue de tout le monde. C’est la ville située sur la montagne, et que l’on aperçoit de toutes parts350. Elle ne doit être ignorée de personne, puisque tous doivent lui obéir. Et ce qui prouve encore qu’elle comprend non seulement les bons, mais même les méchants, c’est ce que l’Évangile nous apprend par plusieurs paraboles, par exemple quand il nous dit que le Royaume des cieux, c’est-à-dire l’Église militante, est semblable à un filet jeté dans la mer351, à un champ dans lequel on a semé l’ivraie sur le bon grain352, à une aire où l’on garde la paille avec le froment353, à dix vierges dont les unes sont folles, et les autres prudentes354. Et, longtemps auparavant, l’Arche de Noé où étaient renfermées toutes les espèces d’animaux, purs ou impurs355, était déjà la figure et l’image de l’Église. Cependant quoique la Foi catholique enseigne comme une vérité constante et hors de doute, que les méchants aussi bien que les bons font partie de l’Église, elle veut aussi que l’on montre aux Fidèles combien leur condition est différente. Les méchants en effet ne sont dans l’Église que comme la paille confondue dans l’aire avec le bon grain, ou comme des membres morts sur un corps vivant.
De ce que nous venons de dire il résulte que trois sortes de personnes seulement sont exclues de l’Église : premièrement les infidèles, ensuite les hérétiques et les schismatiques, et enfin les excommuniés. — Les infidèles, parce que jamais ils n’ont été dans son sein, qu’ils ne l’ont point connue, et qu’ils n’ont participé à aucun Sacrement dans la société des Chrétiens. — Les hérétiques et les schismatiques, parce qu’ils l’ont abandonnée, et que dès lors ils ne peuvent pas plus lui appartenir qu’un déserteur n’appartient à l’armée qu’il a quittée. Cependant, on ne saurait nier qu’ils ne restent sous sa puissance. Elle a le droit de les juger, de les punir, de les frapper d’anathème. — Enfin les excommuniés, parce qu’elle les a chassés de son sein par sa Communion, tant qu’ils ne se convertissent pas. Pour tous les autres, quelque méchants et quelque criminels qu’ils soient, il n’est pas douteux qu’ils font encore partie de l’Église. Et c’est une vérité qu’on ne saurait trop redire aux Fidèles, afin que si par malheur la vie de leurs Chefs spirituels devenait scandaleuse, ils sachent bien que même de tels Pasteurs appartiendraient toujours à l’Église, et ne perdraient rien de leur autorité.
Il est assez ordinaire de donner le nom d’Église à de simples parties de l’Église universelle. Ainsi l’Apôtre parle de l’Église de Corinthe356, de la Galatie357, de Laodicée358, de Thessalonique359. Il appelle même Église des familles particulières de Chrétiens. Ainsi il ordonne de saluer l’Église domestique de Prisca et d’Aquila360, et dans un autre endroit, Aquila et Priscilla, dit-il, avec l’Église qui est dans leur maison, vous saluent très affectueusement dans le Seigneur361. Il s’exprime de la même manière en écrivant à Philémon362.
Quelquefois le mot d’Église ne désigne que les Prélats et les Pasteurs. S’il ne vous écoute pas, dit Jésus-Christ, dites-le à l’Église363, c’est-à-dire à ses Pasteurs. Enfin, le lieu où s’assemble le peuple pour entendre la Parole de Dieu, ou pour accomplir quelque devoir religieux, ce lieu même est appelé l’église364. Mais dans cet article, l’ensemble de tous les chrétiens bons et méchants, ceux qui doivent obéir aussi bien que ceux qui commandent, tous sont également compris sous le nom d’Église.
Le moment est venu de faire connaître aux Fidèles les propriétés et les caractères de l’Église. Rien n’est plus propre à leur faire sentir quel immense bienfait Dieu leur a accordé en les faisant naître et grandir dans son sein.
Le premier caractère que lui donne le Symbole, de Nicée, c’est l’Unité. Ma colombe est unique, dit l’Époux des Cantiques, elle seule est belle365. Or, lorsque nous disons qu’une si grande multitude d’hommes, répandue en tant de lieux divers, est une, c’est parce que, comme le dit l’Apôtre écrivant aux Éphésiens, il n’y a qu’un Seigneur, une Foi, un Baptême366. En effet, l’Église n’a qu’un seul Chef, un seul conducteur invisible, Notre-Seigneur Jésus-Christ, établi par le Père Éternel, Chef (ou tête) de toute l’Église, qui est son corps367 ; et un seul Chef visible qui est le successeur légitime de Saint Pierre sur le siège de Rome.
Tous les Pères sont unanimes sur ce point que ce Chef (cette tête) visible de l’Église était nécessaire pour établir et conserver son unité. Saint Jérôme l’avait admirablement compris, et il le dit très bien contre Jovinien, un seul est choisi, afin que le Chef une fois constitué, il n’y ait plus de prétexte au schisme368. Et dans sa lettre au Pape Saint Damase : que l’envie, que l’ambition et la grandeur romaine disparaissent ! Je parle au successeur d’un pécheur et au disciple de la Croix ne suivant d’autre premier Chef que Jésus-Christ, je suis uni de communion à votre Sainteté, c’est-à-dire à la Chaire de Saint Pierre. Je sais que l’Église a été bâtie sur cette pierre. Quiconque mange l’Agneau hors de cette Maison est un profane ; tous ceux qui ne seront pas dans l’Arche de Noé, au temps du déluge, périront dans les eaux.
Longtemps avant Saint Jérôme, Saint Irénée avait parlé dans le même sens369 ; et Saint Cyprien traitant à son tour de l’Unité de l’Église, s’exprime ainsi : Le Seigneur dit à Pierre : « Moi, je dis à toi que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église370. » Ainsi Il bâtit son Église sur un seul. Et si, après sa Résurrection, Il accorde un pouvoir égal à tous ses Apôtres ; s’Il leur dit : « comme mon Père M’a envoyé, Je vous envoie ; recevez le Saint-Esprit371 » ; cependant pour rendre l’unité plus frappante, il veut dans son Autorité souveraine, que cette unité, dès son origine, ne découle que d’un seul372.
Optat de Milève dit à Parménion : Vous ne pouvez vous excuser sous prétexte d’ignorance ; car vous savez que la chaire épiscopale de Rome a été donnée d’abord à Saint Pierre, qui l’a occupée comme Chef de tous les Apôtres. C’est dans cette chaire unique que l’unité devait être conservée par tous, de peur que chacun des Apôtres ne prétendit se rendre indépendant dans la sienne. Dès lors celui-là est nécessairement schismatique et prévaricateur, qui ose élever une autre chaire contre celle-ci qui est unique373.
Puis c’est Saint Basile qui écrit : Pierre a été placé pour être le fondement. Il avait dit à Jésus-Christ : « vous êtes le Christ, Fils du Dieu Vivant », et à son tour il lui fut dit qu’il était Pierre, quoiqu’il ne fût pas pierre de la même manière que Jésus-Christ, qui est la figure immobile, mais seulement par la Volonté de Jésus-Christ. Dieu communique aux hommes ses propres dignités. Il est prêtre, et Il fait des prêtres, Il est pierre, et Il donne la qualité de pierre, rendant ainsi ses serviteurs participants de ce qui lui est propre374.
Écoutons enfin Saint Ambroise : Si quelqu’un objecte à l’Église qu’elle peut se contenter de Jésus-Christ pour Chef et pour Époux unique, et qu’il ne lui en faut point d’autre, la réponse est facile. Jésus-Christ est pour nous non seulement l’Auteur mais encore le vrai Ministre intérieur de chaque Sacrement. C’est vraiment Lui qui baptise et qui absout, et néanmoins, Il n’a pas laissé de choisir des hommes pour être les ministres extérieurs des Sacrements. Ainsi, tout en gouvernant Lui-même l’Église par l’influence secrète de son esprit, Il place aussi à sa tête un homme pour être son Vicaire et le dépositaire extérieur de sa Puissance. À une Église visible, il fallait un Chef visible. Voilà pourquoi notre Sauveur établit Saint Pierre Chef et Pasteur de tout le troupeau des Fidèles, lorsqu’Il lui confia la charge de paître ses brebis375. Toutefois Il le fit en termes si généraux et si étendus qu’il voulut que ce même pouvoir de régir toute l’Église passât à ses successeurs.
Au surplus c’est un seul et même esprit, écrit l’Apôtre aux Corinthiens, qui communique la grâce aux Fidèles376, comme l’âme anime tous les membres d’un même corps. Travaillez, disait-il aux Éphésiens, en les exhortant à conserver l’unité, travaillez avec soin à conserver l’unité de l’esprit dans le lien de la paix, vous ne faites qu’un corps et qu’un esprit377. De même en effet que le corps humain se compose de plusieurs membres, et que tous ces membres sont animés par une seule âme qui communique aux différents organes leurs propriétés spéciales, aux yeux celle de voir, aux oreilles celle d’entendre, ainsi le Corps mystique de Jésus-Christ, qui est l’Église, est composé de tous les Fidèles.
Il n’y a également qu’une seule Espérance à laquelle nous sommes tous appelés comme l’atteste encore l’Apôtre au même endroit378, puisque nous espérons tous la même chose, à savoir la Vie Éternelle et Bienheureuse. Il n’y a qu’une seule Foi que tous doivent garder et professer publiquement. Qu’il n’y ait point de schismes parmi vous379, dit Saint Paul. Il n’y a qu’un Baptême380 enfin qui est le sceau de la Foi chrétienne.
Le second caractère de l’Église, c’est la Sainteté. Vous êtes la race choisie, dit Saint Pierre, la nation Sainte381. Or, nous disons que l’Église est sainte :
1° Parce qu’elle est vouée et consacrée à Dieu382. C’est l’usage en effet d’attribuer cette qualité aux objets corporels ou matériels, par le fait qu’ils sont destinés et employés au culte de Dieu. Ainsi, par exemple, dans la Loi ancienne, les vases, les vêtements et les autels, aussi bien que les premiers-nés qui étaient consacrés au très-Haut étaient appelés Saints383.
Et il ne faut pas nous étonner que l’Église soit appelée sainte quoiqu’elle renferme beaucoup de pécheurs. Les Fidèles sont saints, parce qu’ils sont devenus le peuple de Dieu, et qu’ils sont consacrés à Jésus-Christ par la Foi, et par le Baptême qu’ils ont reçu ; ils sont saints, bien que trop souvent ils commettent des fautes et ne tiennent pas tout ce qu’ils ont promis. Ainsi ceux qui ont embrassé un art, continuent de porter le nom de leur profession, alors qu’ils n’en observent pas les règles. Voilà pourquoi Saint Paul donne aux Corinthiens le nom de sanctifiés et de saints, tout en trouvant au milieu d’eux des Chrétiens qu’il traitait de charnels, et à qui il adressait des reproches encore plus sévères384.
2° L’Église est sainte parce qu’elle est unie à un Chef saint dont elle est le Corps385 ; à Notre-Seigneur Jésus-Christ, Source de toute Sainteté, qui répand sur elle les dons du Saint-Esprit et les trésors de la Bonté divine. Aussi Saint Augustin, expliquant ces paroles du Prophète David : Conservez mon âme, parce que je suis saint386, dit-il admirablement : Qu’il ne craigne pas, ce corps mystique de Jésus-Christ, qui ne fait vraiment qu’un seul homme, qu’il ne craigne plus d’élever la voix de toutes les parties de la terre, et de dire avec son Chef, et sous son Chef : je suis saint ; car il a reçu la grâce de la Sainteté, la grâce du Baptême et de la Résurrection des péchés. Et un peu plus loin : « S’il est vrai que tous les Chrétiens et les Fidèles baptisés en Jésus-Christ aient revêtu Jésus-Christ comme l’Apôtre l’assure dans ses paroles : Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez revêtu Jésus-Christ387 ; s’il est vrai qu’ils soient devenus les membres de son Corps, et que cependant ils osent dire qu’ils ne sont pas saints, ils font injure au Chef dont les membres sont saints388. »389
3° Enfin, l’Église est sainte parce qu’elle seule possède le culte du Sacrifice légitime et le salutaire usage des Sacrements, ces instruments efficaces de la Grâce divine par lesquels Dieu nous communique la Sainteté. En dehors d’elle, il est impossible d’être vraiment saint. Il est donc de toute évidence que l’Église est sainte390. Oui, et elle est sainte, précisément parce qu’elle est le Corps de Jésus-Christ qui la sanctifie, et qui la purifie dans son Sang391.
Le troisième caractère de l’Église, c’est qu’elle est catholique, c’est-à-dire Universelle. Et ce nom lui convient parfaitement, car, dit Saint Augustin, par la lumière seule de la Foi, elle s’étend depuis l’orient jusqu’au couchant392. Elle n’est point comme les États de la terre, ou les diverses hérésies, bornée aux frontières d’un royaume ou à une race d’hommes, Scythes ou barbares, libres ou esclaves, homme ou femme393, elle renferme tout dans les entrailles de sa charité. C’est pourquoi il est dit de notre Seigneur : Vous nous avez rachetés et rendus à Dieu dans votre Sang, en nous tirant de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, de toute nation, et vous avez fait de nous un Royaume à notre Dieu394. C’est de l’Église que David disait : Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et les limites de la terre pour bornes de votre empire395. Et ailleurs : Je me souviendrai de Rahab et de Babylone qui me connaîtront, et une multitude de nations naîtront dans son sein396.
D’ailleurs tous les Fidèles qui ont existé depuis Adam jusqu’aujourd’hui, tous ceux qui existeront tant que le monde sera monde, en professant la vraie Foi appartiennent à cette même Église établie sur les Apôtres et les Prophètes397. Car tous ont été placés et fondés sur Jésus-Christ, la Pierre angulaire, qui des deux peuples n’en a fait qu’un, et qui a annoncé la Paix à ceux qui étaient loin398.
Une autre raison qui fait nommer l’Église Catholique, c’est que tous ceux qui désirent obtenir leur Salut éternel doivent s’attacher à elle, et entrer dans son sein, comme autrefois il fallut entrer dans l’arche, pour éviter de périr dans les eaux du déluge399. C’est donc là une des marques les plus certaines pour distinguer la véritable Église de celles qui sont fausses.
Voici un dernier caractère propre à nous faire distinguer la véritable Église, elle vient des Apôtres, dépositaires du grand bienfait de la révélation. Sa doctrine n’est point une chose nouvelle, et qui commence, non, c’est la vérité transmise autrefois par les Apôtres, et répandue par eux dans tout l’univers. Il est donc évident pour tous que le langage impie des hérétiques d’aujourd’hui est absolument contraire à la Foi de la véritable Église, puisqu’il est si opposé à la doctrine prêchée par les Apôtres, et depuis eux jusqu’à nous. Voilà pourquoi les Pères du Concile de Nicée, pour faire comprendre à tous qu’elle était l’Église catholique, ajoutèrent au symbole, par une inspiration divine, le mot Apostolique400. Et en effet, le Saint-Esprit qui gouverne l’Église ne la gouverne que par des ministres apostoliques (c’est-à-dire par les successeurs légitimes des Apôtres). Cet esprit fut d’abord donné aux Apôtres, mais ensuite, grâce à l’infinie Bonté de Dieu, il demeura toujours dans l’Église401. Et comme elle est la seule qui soit gouvernée par le Saint-Esprit, elle est aussi la seule qui soit infaillible dans la Foi et dans la règle des mœurs. Au contraire toutes les autres qui usurpent le nom d’Églises sont sous la conduite de l’esprit du démon, et tombent nécessairement dans les plus funestes erreurs de doctrine et de morale.
Les figures de l’Ancien Testament possèdent une vertu merveilleuse pour toucher le cœur des Fidèles, et pour leur remettre en mémoire les vérités les plus importantes. Aussi les Apôtres n’ont-ils pas manqué de s’en servir dans ce but. Voilà pourquoi à leur tour, les Pasteurs se garderont bien de négliger un moyen d’instruction si utile.
Or, parmi toutes ces figures, la plus expressive est l’Arche de Noé. Construite par l’ordre formel de Dieu402, elle était par là même une figure de l’Église. Sur ce point aucun doute n’est possible. Dieu a établi et fondé son Église dans des conditions telles que ceux qui y entreraient par le Baptême seraient préservés de la mort éternelle, tandis que ceux qui demeureraient hors de son sein périraient ensevelis sous leurs crimes ; tel fut le sort de ceux qui n’étaient point dans l’Arche.
Une autre figure encore, c’est cette grande cité de Jérusalem403 dont les saintes Écritures emploient souvent le nom pour signifier la sainte Église. C’était dans ses murs seulement qu’il était permis d’offrir des sacrifices à Dieu. C’est également dans la Sainte Église de Dieu, et nulle part ailleurs, que se trouve le véritable culte, le véritable Sacrifice, le seul qui Lui soit agréable.
Enfin, les Pasteurs auront soin d’apprendre aux Fidèles pourquoi c’est un article de Foi de croire à l’Église. La raison et le sens sont bien suffisants pour s’assurer qu’il y a sur la terre une Église c’est-à-dire une société d’hommes dévoués et consacrés à Jésus-Christ. Pour en être convaincu, la Foi ne semble pas nécessaire. Les Juifs et les turcs eux-mêmes savent que l’Église existe. Mais pour les Mystères qu’elle renferme, — ceux dont nous venons de parler, et ceux dont nous parlerons dans le sacrement de l’Ordre — l’esprit a besoin d’être éclairé par la Foi pour les saisir et la raison seule ne saurait l’en convaincre. Ainsi cet article ne surpasse pas moins que les autres la portée naturelle et les forces de notre esprit. Nous avons donc raison de dire que ce n’est point par l’intelligence, mais par les lumières de la Foi que nous connaissons l’origine, les dons et l’excellence de l’Église. C’est qu’en effet cette Église n’est pas l’œuvre de l’homme. C’est le Dieu immortel qui l’a fondée sur la pierre inébranlable. Le Prophète David nous le dit expressément : Le très-Haut l’a établie Lui même404. Aussi est-elle appelée l’héritage de Dieu405 et le peuple de Dieu406. Son pouvoir ne lui vient pas non plus des hommes, mais de Dieu, et de même que la nature est incapable de lui donner ce pouvoir, de même aussi, c’est la Foi et non la nature qui nous fait admettre qu’elle a reçu les clefs du Royaume des cieux407, la puissance de remettre les péchés408, d’excommunier les pécheurs409, de consacrer le vrai corps de Jésus-Christ410, et enfin que les citoyens qui demeurent dans son sein, n’ont point ici-bas de demeure permanente, mais qu’ils cherchent la cité future où ils doivent habiter un jour411.
Nous sommes donc rigoureusement tenus de croire que l’Église est Une, Sainte et Catholique.
Mais si, en croyant aux trois personnes de la Sainte Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous mettons en elles notre Foi et notre confiance, ici au contraire, nous parlons autrement, et nous faisons profession de croire une Église Sainte, et non pas en une Église sainte412. Et par cette manière différente de nous exprimer, nous conservons la distinction nécessaire entre le Créateur et les choses qu’il a créées, et nous attribuons à sa divine bonté tous les dons que l’Église possède.
Saint Jean l’Évangéliste, écrivant aux Fidèles sur les mystères de la Foi, leur donne la raison pour laquelle il les instruit de ces vérités ; c’est afin, leur dit-il, que vous entriez en société avec nous, et que notre société soit avec le Père et avec Jésus-Christ son Fils413. Or, cette société est la Communion des Saints, dont il est question dans cet article. Et plût à Dieu que les Pasteurs eussent le même zèle que Paul et les autres Apôtres, pour répandre cet enseignement !414 Car ce n’est pas seulement une sorte de développement de l’article précédent, et une doctrine féconde par elle-même en fruits excellents, cet enseignement est aussi pour nous un guide et un maître dans l’usage que nous devons faire des vérités contenues dans le symbole. En effet, nous ne devons les étudier et les sonder, ces vérités, que pour nous rendre dignes d’être admis dans cette grande et heureuse Société des Saints, et pour y persévérer ensuite constamment, remerciant avec joie Dieu le Père, de nous avoir rendus dignes, par la lumière de la Foi, du sort et de l’héritage des Saints415.
Il convient donc de bien montrer tout d’abord aux Fidèles que cette partie de l’article est un développement plus complet de ce que nous avons dit précédemment de la Sainte Église catholique. Comme cette Église est gouvernée par un seul et même esprit, tous les biens qu’elle a reçus deviennent nécessairement un fonds commun.
Le fruit de tous les Sacrements appartient à tous. Car les Sacrements, et surtout le Baptême qui est comme la porte par laquelle les hommes entrent dans l’Église, sont autant de liens sacrés qui les unissent tous et les attachent à Jésus-Christ.
Et ce qui prouve que la Communion des Saints n’est rien autre chose que la Communion des Sacrements, ce sont ces paroles des Pères du Concile de Nicée ajoutées au Symbole : Je confesse un seul Baptême416. Car tous les autres Sacrements, et l’Eucharistie en particulier, sont inséparables du Sacrement de Baptême. Et même le nom de communion peut s’appliquer à chacun d’eux, car chacun d’eux nous unit à Dieu, et nous rend participants de la nature divine, par la grâce qu’il nous communique. Mais ce nom convient mieux à l’Eucharistie qu’à tout autre, parce que c’est elle principalement qui consomme cette communion417.
Il est encore une autre espèce de communion à considérer dans l’Église. La Charité en est le principe. En effet, comme cette vertu ne cherche jamais ses intérêts propres418, elle fait tourner au profit de tous les œuvres saintes et pieuses de chacun. Ainsi l’enseigne Saint Ambroise, en expliquant ces mots du Psalmiste : Je suis uni de cœur à tous ceux qui vous craignent. Comme un membre, dit-il, participe à tous les biens du corps, ainsi celui qui est uni à ceux qui craignent Dieu, participe à toutes les bonnes œuvres419. C’est pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans la Prière qu’Il nous a enseignée, nous ordonne de dire notre pain et non pas mon pain420, et ainsi du reste, pour nous montrer que nous ne devons pas seulement penser à nous, mais encore au bien et au salut de tous les autres.
Pour marquer cette communauté de biens dans l’Église, nos Saints Livres emploient souvent la comparaison si juste des membres du corps humain. En effet, il y a plusieurs membres dans le corps de l’homme, et néanmoins, ils ne font qu’un seul corps. Et ils remplissent tous, non la même fonction, mais la fonction particulière qui leur est propre. Tous non plus n’ont pas la même dignité, et leurs fonctions ne sont ni également utiles, ni également honorables ; cependant aucun d’eux ne se propose son avantage et son utilité particulière, mais l’avantage et l’utilité du corps tout entier421. D’autre part, ils sont si étroitement unis et si bien associés entre eux, que si l’un de ces membres éprouve une douleur quelconque, tous les autres l’éprouvent de même par affinité et par sympathie. Si au contraire il est heureux, tous les autres partagent son bonheur. Or nous pouvons contempler ce spectacle dans l’Église. Elle renferme bien des membres différents et des nations diverses, des Juifs, des Gentils, des hommes libres et des esclaves, des riches et des pauvres. Mais dès qu’ils ont reçu le Baptême, ils ne font tous qu’un seul corps, dont Jésus-Christ est le Chef.
De plus, chacun dans l’Église a sa fonction déterminée422. Les uns sont apôtres, les autres sont docteurs, mais tous sont établis pour l’avantage de la Société entière. Les uns ont la charge de commander et d’enseigner, les autres ont le devoir d’obéir et de se soumettre.
Cependant ces biens si précieux et si multiples, ces dons de la divine Largesse vont toujours à ceux qui vivent chrétiennement, gardent la Charité, pratiquent la Justice, et sont agréables à Dieu.
Quant aux membres morts, c’est-à-dire les malheureux esclaves du péché et privés de la grâce de Dieu, ils ne perdent pas, malgré tout, l’avantage de faire encore partie du corps de l’Église ; mais comme ils sont morts, ils ne reçoivent point les fruits spirituels qui appartiennent aux Chrétiens vraiment justes et pieux. Néanmoins, par cela seul qu’ils sont toujours membres de l’Église, ils se trouvent aidés, pour recouvrer la Grâce qu’ils ont perdue et la Vie spirituelle, par ceux qui vivent de la vie de l’esprit ; et ils recueillent certains fruits de salut, dont demeurent privés ceux qui sont entièrement retranchés du sein de l’Église423.
Les biens qui sont ainsi communs à tous, ne sont pas seulement les dons qui nous rendent justes et agréables à Dieu. Ce sont encore les grâces gratuites, comme la science, le don de prophétie, le don des langues et des miracles, et les autres dons de même nature424. Ces privilèges qui sont accordés quelquefois même aux méchants, ne se donnent jamais pour un intérêt personnel, mais pour le bien et l’édification de toute l’Église. Ainsi le don des guérisons n’est point accordé pour l’avantage de celui qui en jouit, mais au profit des malades qu’il guérit. Enfin tout ce que le vrai Chrétien possède, il doit le regarder comme un bien qui lui est commun avec tous, et toujours il doit être prêt et empressé à venir au secours de l’indigence et de la misère du prochain. Car si celui qui possède, voit son frère dans le besoin, sans le secourir, c’est une preuve manifeste qu’il n’a pas la Charité de Dieu en lui425.
De là il est évident que ceux qui font partie de cette Communion jouissent déjà d’un bonheur appréciable, et peuvent répéter en toute vérité avec le Prophète David : Que vos tabernacles sont aimables, Seigneur, Dieu des vertus ! Mon âme soupire et tombe comme en défaillance en pensant à la Maison du Seigneur. Heureux, ô mon Dieu, ceux qui habitent dans votre Maison !426
Je crois la Rémission des péchés
Il n’est personne qui, en voyant ce dogme de la Rémission des péchés au nombre des articles du Symbole, puisse douter un seul instant qu’il se trouve en face d’un mystère tout divin, et absolument nécessaire au Salut. Nous l’avons démontré précédemment : sans une Foi ferme à tout ce que le Symbole nous propose à croire, il n’y a point de piété possible. Cependant, si cette vérité, qui est déjà bien assez claire par elle-même, avait encore besoin de quelques preuve, il suffirait de rapporter les paroles que prononça notre Seigneur, peu de temps avant son Ascension, lorsqu’il ouvrit l’intelligence de ses Apôtres, pour leur faire comprendre les Écritures : Il fallait, dit-il, que le Christ souffrît, et qu’Il ressuscitât le troisième jour d’entre les morts, et que la Pénitence et la Rémission des péchés fussent prêchées en son nom, dans toutes les nations à commencer par Jérusalem427.
En méditant ces paroles, les Pasteurs n’auront pas de peine à voir que s’ils sont obligés de transmettre aux Fidèles toutes les Vérités de la Religion, le Seigneur leur fait un devoir strict et rigoureux d’expliquer avec le plus grand soin ce chapitre de la Rémission des péchés.
Le devoir du Pasteur sera donc d’enseigner ici que non seulement on trouve la Rémission des péchés dans l’Église Catholique, selon cette prophétie d’Isaïe : Le peuple qui habitera dans son sein sera purifié de ses péchés428, mais encore que l’Église elle-même a le pouvoir de remettre les péchés429. Et lorsque les prêtres usent légitimement de ce pouvoir, et selon les règles prescrites par Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous devons croire que les péchés sont remis et pardonnés.
Au moment où nous faisons notre première profession de Foi, en recevant le saint Baptême qui nous purifie, le pardon que nous recevons est si plein et si entier, qu’il ne nous reste absolument rien à effacer, soit de la faute originelle, soit des fautes commises par notre volonté propre, ni aucune peine à subir pour les expier. Mais néanmoins la grâce du Baptême ne délivre personne des infirmités de la nature. Au contraire nous avons encore à combattre les mouvements de la concupiscence qui ne cesse de nous porter au mal ; et dans cette lutte, à peine pourrait-on trouver un homme dont la résistance fût assez rigoureuse, et le soin de son salut assez vigilant, pour échapper à toute blessure430. Si donc il était nécessaire que l’Église eût le pouvoir de remettre les péchés, il fallait aussi que le Baptême ne fût pas pour elle l’unique moyen de se servir de ces clefs du Royaume des cieux qu’elle avait reçues de Jésus-Christ ; il fallait qu’elle fût capable de pardonner leurs fautes à tous les vrais pénitents, quand même ils auraient péché jusqu’au dernier moment de leur vie. Nous avons dans nos Saints Livres les témoignages les plus positifs en faveur de cette vérité. Ainsi dans Saint Matthieu le Seigneur dit à Pierre : Je te donnerai les clefs du Royaume des cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel431. Il dit de même à tous les Apôtres : Tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le ciel432. Saint Jean, de son côté, nous assure que Jésus-Christ, après avoir soufflé sur les Apôtres, leur dit : Recevez le Saint-Esprit : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez433.
Et il ne faut pas s’imaginer que ce pouvoir de pardonner s’applique seulement à certaines espèces de fautes. Non. Il n’en est aucune, si criminelle qu’elle soit, ou qu’on la suppose, que la Sainte Église ne puisse remettre. Il n’est personne, si méchant et si coupable qu’il soit, qui ne doive espérer avec assurance son pardon, pourvu que son repentir soit sincère434. Ce pouvoir non plus n’est point limité de telle sorte, que l’on puisse en user seulement dans un temps déterminé. Quelle que soit l’heure à laquelle le pécheur veuille revenir au bien, il ne faut pas le rejeter. C’est le précepte formel de Notre-Seigneur. Lorsque le prince des Apôtres lui demanda s’il fallait pardonner plus de sept fois, Il lui répondit : non pas sept fois, mais soixante-dix-sept fois sept fois435.
Si nous envisageons ce pouvoir dans ceux qui doivent l’exercer, nous lui trouvons des limites. En effet Notre-Seigneur n’a pas voulu confier à tous les Chrétiens une fonction si haute et si sainte, Il en a chargé uniquement les Évêques et les Prêtres. — Si d’autre part nous considérons ce pouvoir dans la manière de l’exercer, il est également limité. Ce n’est que par les Sacrements administrés chacun selon la forme requise, que les péchés peuvent être remis. L’Église n’a pas reçu le droit de les pardonner autrement436. Ainsi dans la Rémission des péchés, les Prêtres et les Sacrements sont de purs instruments dont Notre-Seigneur Jésus-Christ, unique Auteur et Dispensateur de notre Salut, veut bien se servir, pour effacer nos iniquités et nous donner la grâce de la justification.
Afin que les Fidèles soient en état d’apprécier, comme il convient, ce grand Bienfait de l’infinie Miséricorde de Dieu envers son Église, et par suite d’en profiter avec tout l’empressement du zèle et de la piété, les Pasteurs s’efforceront de mettre en pleine lumière l’excellence et l’étendue d’une pareille Grâce. Et ils n’auront pas de peine à atteindre ce but, s’ils ont soin de bien montrer quelle est la puissance capable de remettre les péchés, et de faire passer les hommes du mal au bien. Il est certain que pour produire un tel effet, il ne faut rien de moins que la Vertu de Dieu, cette Vertu immense et infinie que nous croyons nécessaire pour ressusciter les morts, et pour créer le monde437. Et même, au sentiment de Saint Augustin438, faire d’un impie un juste doit passer pour une œuvre plus grande que de créer de rien le ciel et la terre. Si donc il faut une puissance infinie pour créer, à plus forte raison, une puissance infinie est nécessaire pour opérer la rémission des péchés.
Nos pères ont donc eu grandement raison d’affirmer que Dieu seul peut remettre aux hommes leurs péchés, et qu’un si grand prodige ne peut être que l’ouvrage de sa Bonté et de sa Puissance souveraines. C’est Moi, dit le Seigneur Lui-même par un Prophète, c’est Moi-même qui efface les iniquités439. En effet la Rémission des péchés semble soumise à la même loi que l’acquittement d’une dette. Une dette ne peut être remise que par le créancier lui-même. Or, c’est envers Dieu que nous contractons une obligation par le péché. Ne lui disons-nous pas tous les jours dans notre prière : Remettez-nous nos dettes440 ? Il est donc bien clair que c’est Lui, et Lui seul, qui peut nous pardonner nos péchés.
Avant l’Incarnation du Fils de Dieu, ce pouvoir admirable et vraiment divin n’avait jamais été donné à une créature. Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, est le premier qui l’ait reçu, comme homme, de Dieu son Père. Afin que vous sachiez, dit-Il, que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, levez-vous, dit-Il au paralytique, prenez votre lit et allez dans votre maison441. Il s’était fait homme pour accorder aux hommes le pardon de leurs péchés.
Mais avant de remonter au Ciel, pour y être assis à jamais à la droite de son Père, Il laissa ce pouvoir dans son Église aux Évêques et aux Prêtres. Toutefois, comme nous l’avons déjà remarqué, Notre-Seigneur Jésus-Christ remet les péchés, de sa propre autorité, tandis que les autres n’exercent ce pouvoir que comme ses ministres. Si donc tout ce qui porte le cachet de la Puissance infinie doit nous remplir d’admiration et de respect, comment pourrions-nous ne pas sentir tout le prix de ce Bienfait si précieux que Jésus-Christ dans sa bonté a voulu nous accorder ?
Le moyen même que Dieu notre Père a choisi dans sa Clémence, pour effacer les péchés du monde, est aussi très propre à nous faire comprendre l’étendue d’une pareille faveur. Car si son fils unique a versé son Sang, c’était pour nous purifier de nos crimes ; Il a subi Lui-même de sa pleine et propre Volonté le châtiment que nous avions mérité par nos iniquités ; le Juste a été condamné pour les pécheurs ; l’Innocent a souffert pour les coupables la mort la plus affreuse442. Réfléchissons en nous-mêmes que nous n’avons pas été rachetés par l’or ni par l’argent qui sont sujets à la corruption, mais par le Précieux Sang de Jésus-Christ443, le véritable Agneau sans tache et sans souillure, et nous n’aurons pas de peine à voir que rien de plus salutaire ne pouvait nous être accordé que cette faculté de remettre les péchés. C’est qu’en effet il y a dans ce pouvoir que Dieu nous a donné une preuve de son admirable Providence et en même temps de son amour infini pour nous.
Voici également une pensée très précieuse en fruits de salut pour tous ceux qui voudront s’y arrêter. Celui qui a le malheur d’offenser Dieu par un péché mortel perd immédiatement tous les mérites qu’il avait pu acquérir par la Mort et la Croix de Jésus-Christ, et l’entrée du Ciel qui déjà lui avait été fermée une fois, mais que la Passion du Sauveur avait de nouveau ouverte à tous, lui est dès lors interdite. Comment ne pas être frappés de la plus vive frayeur à la vue de notre misère lorsque notre esprit s’arrête sur cette triste réalité ? C’est alors qu’il faut reporter notre pensée sur ce pouvoir admirable que Dieu a donné à son Église. Et si nous croyons fermement, d’après cet article du Symbole, que la faculté a été accordée à tous de rentrer avec le secours de la Grâce, dans la dignité de leur premier état, il est impossible de ne pas concevoir la joie la plus vive, l’allégresse la plus entière, et de ne pas rendre à Dieu d’immortelles actions de grâces. Et certes, si nous avons l’habitude de trouver bons et désirables les remèdes que l’art et la science des médecins nous préparent, quand nous sommes attaqués de quelque maladie grave, combien ne devons-nous pas trouver plus agréables encore les remèdes que Dieu dans sa Sagesse a bien voulu mettre à notre disposition pour guérir nos âmes et leur rendre la vie de la Grâce ? D’autant que ces divins remèdes ne donnent pas seulement une espérance douteuse de guérison, comme ceux des hommes, mais qu’ils procurent infailliblement la santé spirituelle à tous ceux qui la désirent.
Après avoir fait connaître aux Fidèles l’excellence d’un pouvoir si étendu et si admirable, il y aura lieu de les exhorter à en profiter avec beaucoup de soin pour le plus grand bien de leurs âmes. Il est difficile que celui qui ne fait pas usage d’une chose utile et nécessaire, ne semble pas la mépriser. Il ne faut pas oublier que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’a donné à son Église le pouvoir de remettre les péchés, que pour mettre à la disposition de tous ce Remède salutaire. Comme personne ne peut se purifier sans le Baptême, de même, après avoir perdu la grâce baptismale par le péché mortel, nul ne peut la recouvrer, qu’en recourant à cet autre moyen d’expiation qui s’appelle le sacrement de Pénitence.
Mais il faut bien avertir les Fidèles qu’une si grande facilité de pardon, si étendue du côté des fautes, et si illimitée au point de vue du temps, ne doit point les rendre plus libres pour se livrer au péché, ni plus lents pour se repentir. Dans le premier cas ils seraient évidemment convaincus de mépris injurieux pour cette Divine Puissance, et par conséquent ils seraient indignes de la Miséricorde de Dieu. Dans le second il y aurait grandement à craindre qu’ils ne fussent surpris par la mort, et par conséquent que leur foi à la Rémission des péchés ne devint inutile, parce que leurs retards et leurs atermoiements leur en auraient justement fait perdre tous les avantages444.
Je crois la Résurrection de la chair
La preuve manifeste de la force et de la valeur de cet article pour confirmer la vérité de notre Foi, c’est que nos Saintes Écritures ne se contentent pas de le proposer à la croyance des Fidèles, mais ont soin de l’appuyer sur plusieurs raisonnements. Ce qu’elles ne font presque jamais par rapport aux autres articles. D’où nous devons conclure que la Résurrection de la chair est en quelque sorte le fondement le plus solide de nos célestes espérances. Si les morts ne ressuscitent point, dit très bien l’Apôtre Saint Paul, Jésus-Christ non plus n’est point ressuscité ; par conséquent, notre prédication est vaine, et notre Foi est vaine aussi445. Le Pasteur devra donc apporter autant de zèle à établir et à expliquer cette Vérité, que tant d’impies en ont mis à essayer de la détruire. La connaissance en sera très utile et très avantageuse aux Fidèles ; nous le ferons voir tout à l’heure.
Remarquons d’abord que la résurrection des hommes prend ici le nom de résurrection de la chair. Et ce n’est pas sans raison. Les Apôtres ont voulu par là confirmer cette vérité — qu’il faut nécessairement admettre — l’immortalité de l’âme. Et comme ils pouvaient craindre qu’on ne vînt à s’imaginer que cette âme périssait avec le corps, et qu’ensuite elle était rappelée à la vie avec lui, — malgré les nombreux passages de l’Écriture qui attestent son immortalité446 — ils n’ont à dessein parlé dans cet article que de la Résurrection de la chair. Il est vrai que nous voyons plus d’une fois dans la Sainte Écriture le mot chair désigner l’homme tout entier, comme dans ce texte d’Isaïe : toute chair est comme du foin447 ; et dans celui-ci de Saint Jean : Le Verbe s’est fait chair448. Mais ici il ne désigne que le corps afin de bien nous montrer que des deux parties qui composent l’homme, l’âme et le corps, le corps seulement est sujet à la corruption et retourne à la poussière d’où il a été tiré, tandis que l’âme est absolument incorruptible. Dès lors, comme personne ne peut ressusciter sans avoir auparavant passé par la mort, il est impossible, à proprement parler, de dire que l’âme ressuscite.
Une autre raison encore a fait employer ici ce mot, chair : on voulait réfuter l’hérésie d’Hyménée et de Philéte, deux hérétiques du temps de Saint Paul, qui prétendaient que lorsque la Sainte Écriture nous parle de la résurrection, il ne s’agit point de la résurrection des corps, mais de cette résurrection spirituelle qui nous fait passer de la mort du péché à la Vie de la Grâce449. Or les termes même du présent article ont précisément pour effet de détruire cette hérésie, et d’établir nettement la vérité de la Résurrection des corps.
Les Pasteurs auront soin de faire ressortir cette vérité par des exemples tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que de l’histoire de l’Église. Élie450 et Élisée451 dans l’Ancien Testament, dans le nouveau, les Apôtres, et beaucoup d’autres personnages rappellent des morts à la vie452, sans compter ceux que Jésus-Christ a ressuscités Lui-même453. Toutes ces résurrections confirment la doctrine enseignée dans cet article. En effet si nous croyons qu’un bon nombre de morts ont été rappelés à la vie, pourquoi ne pas croire également que tous le seront un jour ? À vrai dire le premier fruit que nous devons retirer de ces miracles est de croire plus fermement au dogme de la Résurrection.
Cette vérité d’ailleurs a pour elle dans l’Écriture de nombreux témoignages, qui se présenteront naturellement à l’esprit de ceux qui sont quelque peu versés dans la connaissance des Livres Saints. Les plus remarquables de l’Ancien Testament sont dans le livre de Job : Je verrai mon Dieu dans ma chair454, et dans les prophéties de Daniel : Ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront, les uns pour la Vie Éternelle, les autres pour l’Opprobre éternel455. À son tour le Nouveau Testament nous parle clairement de la Résurrection des corps en plusieurs endroits, par exemple dans Saint Matthieu lorsqu’il nous rapporte la dispute de Notre-Seigneur avec les Sadducéens456. Et dans Saint Jean quand il nous raconte le jugement dernier457. À cela il faut joindre ce que l’Apôtre écrivait aux Corinthiens458 et aux Thessaloniciens459, en traitant spécialement cette question. Et bien que la Résurrection soit absolument certaine par la Foi, cependant il sera très avantageux de montrer par des exemples, et par le raisonnement, que ce que l’Église nous propose à croire dans cet article n’a rien de contraire à la nature, ni à la raison.
Saint Paul, répondant à cette question : comment les morts ressusciteront-ils ? Insensés que vous êtes, dit-il, ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne prend pas de vie, s’il ne meurt auparavant ? Et quand vous semez, vous ne semez point le corps de la plante même qui doit naître, mais la graine seulement, comme celle du blé ou d’autre chose semblable ; et Dieu lui donne le corps qu’Il veut. Un peu après il ajoute : le corps est semé dans la corruption, et il ressuscitera incorruptible460.
À cette comparaison de l’Apôtre, Saint Grégoire fait voir qu’on en peut joindre beaucoup d’autres. Tous les jours, dit-il, la lumière disparaît à nos yeux, comme si elle mourait, et tous les jours elle se montre de nouveau, comme si elle ressuscitait. Les plantes perdent leur verdure, et la reprennent ensuite, comme si elles revenaient à la vie ; les semences meurent en pourrissant, et elles ressuscitent, en germant461.
Les écrivains ecclésiastiques apportent en outre un certain nombre de raisons très propres, ce semble, à démontrer la Résurrection des corps.
La première est que nos âmes, qui ne sont qu’une partie de nous-mêmes, sont immortelles, et conservent toujours leur propension naturelle à s’unir à nos corps. Dès lors il paraîtrait contraire à la nature qu’elles en fussent séparées à jamais. Or ce qui est contraire à la nature, et dans un état de violence, ne peut pas durer toujours. Par conséquent il est de toute convenance que l’âme soit réunie à son corps, et par conséquent aussi il faut que le corps ressuscite. C’est le raisonnement dont voulut se servir notre Sauveur lui-même, dans sa dispute contre les Sadducéens, lorsque de l’immortalité des âmes, il conclut à la Résurrection des corps462.
Une seconde raison se tire de la Justice infinie de Dieu, qui a établi des châtiments pour les méchants et des récompenses pour les bons. Mais combien quittent cette vie, les uns avant d’avoir subi les peines dues à leurs péchés, les autres sans avoir revu en aucune manière les récompenses méritées par leurs vertus ? Il est donc de toute nécessité que les âmes soient de nouveau unies à leurs corps, afin que ces corps qui ont servi d’instruments pour le bien comme pour le mal, partagent avec les âmes les récompenses et les punitions méritées463. C’est la pensée que Saint Jean Chrysostome464 a développée avec le plus grand soin dans une homélie au peuple d’Antioche. De son côté, l’Apôtre Saint Paul traitant le même sujet, avait dit : Si c’est pour cette vie seulement que nous espérons en Jésus-Christ, nous sommes les plus misérables des hommes465. Paroles qui ne doivent point s’entendre des misères de l’âme, car l’âme est immortelle, et quand même les corps ne ressusciteraient pas, elle pourrait cependant posséder le bonheur dans la Vie future. Il faut donc les rapporter, ces paroles, à l’homme tout entier. Si en effet le corps ne doit pas recevoir sa récompense pour les peines qu’il endure, il est impossible d’échapper à cette conclusion que ceux qui souffrent dans cette vie toutes sortes d’afflictions et de maux, comme les Apôtres, sont, à coup sûr, les plus malheureux de tous les hommes.
Le même Saint Paul enseigne cette vérité aux Thessaloniciens, et en termes beaucoup plus clairs encore : nous nous glorifions en vous, dans toutes les Églises, à cause de votre patience et de votre Foi, au milieu même de toutes les persécutions et de toutes les tribulations qui vous arrivent. Elles sont des marques du juste jugement de Dieu, et elles servent à vous rendre dignes de son Royaume pour lequel aussi vous souffrez. Car il est juste devant Dieu qu’il afflige à leur tour tous ceux qui vous affligent maintenant, et que vous, qui êtes dans l’affliction, Il vous fasse jouir du repos avec nous, lorsque le Seigneur Jésus descendra du ciel avec les Anges, ministres de sa puissance, lorsqu’Il viendra au milieu des flammes pour tirer vengeance de ceux qui ne connaissent point Dieu, et qui n’obéissent point à l’Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ466.
Ajoutez à cela qu’il n’est pas possible à l’homme, tant que l’âme est séparée du corps, de posséder une félicité entière, et au comble de tous les biens. Si la partie, séparée du tout, est nécessairement imparfaite, l’âme séparée du corps est dans le même cas. D’où il suit que la Résurrection du corps est nécessaire, pour que rien ne manque à la félicité de l’âme. Avec ces raisons et d’autres du même genre, le Pasteur pourra donner sur ce point aux Fidèles des lumières suffisantes.
Mais il faudra de plus qu’il leur explique soigneusement, selon la doctrine de l’Apôtre, qui sont ceux qui doivent ressusciter. De même que tous meurent en Adam, dit-il aux Corinthiens, de même tous seront vivifiés en Jésus-Christ467. Tous ressusciteront donc, sans distinction de bons et de mauvais, mais ils n’auront pas tous le même sort. Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la Vie Éternelle, et ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour leur condamnation468.
Et quand nous disons tous, nous entendons, et ceux qui seront morts avant le Jugement dernier, et ceux qui mourront alors. L’opinion qui affirme que tous les hommes mourront, sans en excepter un seul, est celle de l’Église, et la plus conforme à la vérité, au dire de Saint Jérôme469. Saint Augustin est du même avis470. Et ce sentiment n’est point en opposition avec ces paroles de l’Apôtre aux Thessaloniciens : Ceux qui sont morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers. Puis nous qui sommes vivants, et qui seront demeurés en vie jusqu’à ce moment, nous serons enlevés avec eux sur les nuées, pour aller au devant de Jésus-Christ dans les airs471. Saint Ambroise pour expliquer ce passage, ajoute : La mort nous saisira comme un sommeil dans cet enlèvement même. À peine l’âme sera-t-elle sortie du corps qu’elle y rentrera. Nous mourrons pendant le temps même que nous serons enlevés, afin qu’en arrivant devant le Seigneur sa Présence nous rende nos âmes, parce que les morts ne peuvent pas être avec le Seigneur472. Cette opinion a pour elle aussi le témoignage et l’autorité de Saint Augustin, dans son livre de la cité de Dieu473.
Une autre chose très importante à connaître, et que les Pasteurs devront expliquer avec tout le soin possible, c’est que chacun de nous ressuscitera avec son propre corps, c’est-à-dire avec le même corps que nous avons sur la terre, et qui aura été corrompu dans le tombeau et réduit en poussière. Ainsi l’enseigne l’Apôtre. Il faut, dit-il, que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité474. Car le mot, ce corps, désigne nettement le corps que nous avons maintenant. Job a prédit aussi le même miracle, et sans la moindre obscurité. Je verrai Dieu dans ma chair, dit-il, je Le verrai moi-même, je Le contemplerai de mes propres yeux, moi et non un autre475.
La même conclusion se déduit de la définition même de la Résurrection. Qu’est-ce en effet, selon Saint Jean Damascène, que la Résurrection, sinon le retour à l’état d’où l’on était déchu476 ?
Enfin si nous voulons considérer les raisons que nous avons établies plus haut de la nécessité de la Résurrection, aucun doute sur ce point ne sera plus possible. Nous devons tous ressusciter, avons-nous dit, afin que nos corps reçoivent, suivant ce qu’ils auront fait, le bien ou le mal477. Donc il faut que l’homme ressuscite avec ce même corps qu’il aura employé au service de Dieu, ou au service du démon, afin que dans ce même corps également, il obtienne la couronne et la récompense de son triomphe, ou bien qu’il ait le malheur de supporter les peines et les châtiments qu’il aura mérités.
Et non seulement notre propre corps ressuscitera, mais tout ce qui appartient à l’intégrité de sa nature, à l’ornement et à la beauté de l’homme lui sera restitué. Nous avons dans Saint Augustin un excellent témoignage en faveur de cette Vérité. Alors, dit-il, il ne restera rien de défectueux dans le corps. Ceux qui auront trop d’embonpoint et d’obésité, ne reprendront point toute cette masse de chair : tout ce qui dépassera une juste proportion sera réputé superflu. Au contraire, tout ce que la maladie ou la vieillesse aura détruit dans le corps, sera réparé par la Vertu divine de Jésus-Christ. Il en sera de même des corps naturellement maigres et décharnés ; non seulement le Seigneur les ressuscitera, mais il leur rendra tout ce que les maux de la vie leur avaient ôté478. Dans un autre endroit le même Saint Augustin dit encore : L’homme ne renaîtra pas alors avec tous ses cheveux, mais avec tous ceux que la convenance demandera, selon ce que nous lisons dans l’Évangile, que tous les cheveux de notre tête sont comptés479, c’est-à-dire tous les cheveux que la Sagesse Divine jugera à propos de nous rendre480.
Nos membres surtout seront rétablis et remis tous en place, parce qu’ils sont tous nécessaires à l’intégrité du corps humain. Ainsi les aveugles de naissance, ou ceux qui le seront devenus par accident, les boiteux, les manchots, les infirmes de toute sorte, tous ressusciteront avec un corps parfait et complet. Autrement, l’âme qui a un si grand désir de s’unir au corps, n’aurait pas la satisfaction qu’elle réclame. Et cependant nous croyons fermement qu’à la Résurrection tous ses désirs seront satisfaits et remplis.
De plus n’est-il pas certain que la Résurrection est, avec la Création, l’un des principaux ouvrages de Dieu ? Si donc au commencement tout fut créé dans un état parfait, il faut bien reconnaître qu’il en sera de même dans la Résurrection.
Et cela n’est pas seulement vrai des Martyrs, dont Saint Augustin a dit expressément : Ils ne resteront pas sans leurs membres. Cette mutilation ne pourrait être dans leurs corps qu’un défaut choquant. Et ceux qui auraient eu la tête tranchée devraient ressusciter sans tête. Ils porteront encore, il est vrai, dans leurs membres, les traces du glaive ; mais ces cicatrices glorieuses, comme celles de Jésus-Christ, brilleront avec plus d’éclat que l’or et les pierres précieuses481.
Les méchants aussi ressusciteront avec tous leurs membres, même avec ceux qu’ils auraient perdus volontairement. Plus en effet ils auront de membres, plus leurs souffrances seront multipliées. Ce ne sera pas pour leur avantage qu’ils seront rétablis dans leur premier état, mais pour leur malheur et leur châtiment. Le mérite de nos actes n’appartient pas à nos membres, mais à la personne qui possède ces membres. Par conséquent, ceux qui auront fait pénitence recouvreront tous leurs membres pour que leur récompense en soit augmentée, et ceux qui auront méprisé la pénitence, pour l’augmentation de leur supplice.
Si les Pasteurs savent méditer cette doctrine avec attention, ils ne manqueront ni de motifs, ni de paroles pour exciter les Fidèles à la piété, et les enflammer d’amour envers Dieu. Ainsi, en présence des peines et des misères de la vie, ils tourneront leurs regards et leurs espérances vers cette Résurrection si heureuse et si glorieuse qui est promise aux Justes et aux Saints.
S’il est vrai que les corps qui ressusciteront doivent être, quant à la substance, les mêmes que la mort aura détruits, cependant il faut que les Fidèles sachent bien que leur condition sera notablement changée. En effet, sans parler ici de tout le reste, la différence capitale entre leur premier et leur deuxième état, c’est que nos corps qui étaient auparavant sujets à la mort, deviendront immortels, dès qu’ils auront été rappelés à la vie, sans distinction de bons et de méchants. Admirable restauration de notre nature dont nous sommes redevables à la victoire que notre Seigneur Jésus-Christ a remportée sur la mort. La Sainte Écriture est formelle sur ce point : Il anéantira la mort à jamais, dit Isaïe en parlant de Jésus-Christ482. Osée Lui fait dire : Ô mort, Je serai ta mort483. Saint Paul, expliquant cette parole, ne craint pas d’affirmer qu’après tous les autres ennemis, la mort même sera détruite484.
Nous lisons dans Saint Jean : Il n’y aura plus de mort485. Il était en effet de suprême convenance que les mérites de Jésus-Christ, qui ont détruit l’empire de la mort, fussent infiniment plus efficaces et plus puissants que le péché d’Adam486. Enfin la Justice Divine demandait que les bons fussent pour toujours en possession de la Vie bienheureuse, tandis que les méchants, souffriraient leurs éternels tourments, chercheraient la mort sans la trouver, et la désireraient sans pouvoir l’obtenir487.
L’immortalité sera donc commune aux bons et aux méchants.
De plus les corps des Saints, après la Résurrection, posséderont certaines prérogatives, certaines qualités très brillantes qui les rendront bien plus excellents qu’ils n’étaient auparavant. Nos Pères en comptent quatre principales conformément à la doctrine de l’Apôtre488.
La première est l’impassibilité, c’est-à-dire ce don précieux qui les préservera de toute espèce de mal, de douleur, en un mot de toute chose fâcheuse. La rigueur du froid, l’ardeur de la flamme, la violence des eaux, rien ne pourra leur nuire. Le corps est semé corruptible, dit l’Apôtre, il se relèvera incorruptible489. Si les théologiens ont employé ce mot d’impassibilité plutôt que celui d’incorruptibilité, c’est qu’ils voulaient n’exprimer par là que ce qui convient aux corps glorieux. Les damnés en effet ne partageront point avec les Saints l’impassibilité. Au contraire leurs corps, malgré leur incorruptibilité pourront souffrir du chaud, du froid, et de mille autres tourments.
La seconde est la clarté qui rendra les corps des Saints aussi brillants que le soleil. Notre-Seigneur l’affirme nettement dans Saint Matthieu : Les justes brilleront comme le soleil dans le Royaume de mon Père490. Et pour enlever tout doute sur ce point, il opère devant ses Apôtres le miracle de la transfiguration491. Saint Paul, pour exprimer cette qualité, se sert tantôt du mot de clarté, tantôt du mot de gloire. Jésus-Christ, dit-il, reformera notre corps vil et abject, en le rendant semblable à son Corps glorieux492. Et dans un autre endroit : le corps est semé dans l’ignominie, il ressuscitera glorieux493. Les Israélites, dans le désert, virent une image de cette gloire sur le front de Moïse, lorsque sortant de l’entretien qu’il avait eu face à face avec Dieu, il parut devant eux avec un visage si lumineux, que leurs yeux ne pouvaient en soutenir l’éclat494.
Or cette clarté n’est qu’un rayon de la souveraine félicité de l’âme rejaillissant sur le corps tout entier, et le corps sera heureux du bonheur de l’âme, comme l’âme n’est heureuse que parce qu’elle participe à la félicité même de Dieu. Mais il ne faut pas croire que ce don de clarté sera également distribué à tous, comme le don de l’impassibilité. Les corps des Saints seront tous impassibles de la même manière, mais ils n’auront pas tous le même degré de clarté. Car, dit Saint Paul, autre est l’éclat du soleil, autre celui de la lune, autre celui des étoiles. Et de même qu’une étoile diffère d’une autre en clarté, ainsi en sera-t-il de la Résurrection des morts495.
La troisième qualité des corps des Saints sera l’agilité. Elle délivrera le corps du poids qui l’accable dans la vie présente. Ainsi ce corps pourra se porter partout où il plaira à l’âme avec une facilité et une vitesse incomparables. C’est l’enseignement formel de Saint Augustin dans son ouvrage de la Cité de Dieu496, et de Saint Jérôme dans son commentaire sur Isaïe497. C’est pourquoi l’Apôtre a dit : Le corps est semé dans l’infirmité, mais il ressuscitera dans la puissance498.
La quatrième est la subtilité. Elle rendra le corps entièrement soumis à l’empire de l’âme ; il sera son serviteur, toujours prêt à lui obéir au moindre signe. C’est l’affirmation très nette de l’Apôtre Saint Paul : ce qui est semé en terre, dit-il, est un corps animal, et ce qui ressuscitera sera un corps spirituel499. Tels sont à peu près les points principaux qu’il faudra mettre en lumière, en expliquant cet article.
Afin que les Fidèles soient en état de bien apprécier tous les fruits qu’ils peuvent retirer de la connaissance de tant et de si grands Mystères, il y aura lieu d’abord de leur déclarer qu’ils doivent toute leur reconnaissance à Dieu qui a daigné révéler ces choses aux petits, pendant qu’Il les a cachées aux sages500. Combien en effet d’hommes éminents par leur sagesse, et distingués par leur science, qui n’ont été que de pauvres aveugles vis-à-vis d’une Vérité si incontestable ? Si donc le Seigneur nous a découvert ces secrets, auxquels nous n’avons pas même le droit d’aspirer, quel motif pour nous d’exalter, par des louanges continuelles, sa Bonté et sa Clémence infinies !
En second lieu, voici un autre avantage très appréciable que nous retirerons de la méditation de cet article, c’est que, à la mort de ceux qui nous sont unis par les liens du sang ou de l’amitié, il nous sera plus facile de consoler les autres, et de nous consoler nous-mêmes. L’Apôtre Saint Paul ne manqua pas de se servir de ce moyen, lorsqu’il écrivit aux Thessaloniciens sur les morts qu’ils pleuraient501.
Troisièmement, la pensée de la Résurrection nous apportera également la meilleure consolation dans toutes les peines et les misères de la vie. C’est l’exemple que nous a laissé le saint homme Job, qui ne se consolait de ses afflictions et de ses malheurs, que par l’espérance de voir le Seigneur son Dieu, au jour de la Résurrection502.
Enfin il n’y a peut-être pas de vérité plus capable de porter les fidèles à faire tous les efforts possibles pour mener une vie sainte, et pure de tout péché. En effet, s’ils pensent sérieusement à ces richesses incalculables qui doivent suivre la Résurrection, et qui les attendent, ils n’auront pas de peine à s’adonner avec ardeur à la pratique de la vertu et de la piété. Et au contraire, rien ne peut être plus efficace pour réprimer les mauvaises passions, et pour détourner l’homme du mal, que de lui rappeler fréquemment les châtiments et les supplices qui frapperont les méchants, lorsque, au dernier jour, ils ressusciteront pour être condamnés503.
Je crois la Vie Éternelle
Les Saints Apôtres, nos guides et nos maîtres, ont voulu que le Symbole, cet abrégé de notre Foi, se terminât par l’article de la Vie Éternelle. C’est qu’en effet, d’une part, après la Résurrection de la Chair, les Fidèles n’ont plus à attendre que la récompense de la Vie Éternelle, et, d’autre part, ils doivent sans cesse avoir devant les yeux cette félicité si pleine et si complète, et en faire le but et la fin de toutes leurs pensées et de tous leurs désirs.
C’est pourquoi, en instruisant les peuples, les Pasteurs ne perdront aucune occasion de leur rappeler ces magnifiques récompenses de la Vie Éternelle. Par ce moyen ils les exciteront sûrement, non seulement à supporter en leur qualité de Chrétiens, les choses les plus difficiles, mais même à les trouver faciles et agréables, et à servir Dieu avec une obéissance plus prompte et plus joyeuse.
Les paroles qui servent à exprimer dans cet article le bonheur qui nous attend cachent plus d’un mystère. Il faut donc les expliquer avec soin, afin que chacun puisse les comprendre selon la portée de son intelligence.
Les Pasteurs devront donc apprendre aux Fidèles que ces mots, la Vie Éternelle, ne désignent pas tant l’éternité de la vie des Saints — puisque les démons et les méchants vivront éternellement comme les bons — que l’éternité de leur béatitude ; béatitude qui comblera tous leurs désirs. C’est ainsi que les comprenait ce docteur de la Loi qui, dans l’Évangile, demanda à notre Divin Sauveur ce qu’il avait à faire pour posséder la Vie Éternelle504. Comme s’il eût dit : que faut-il que je fasse pour parvenir au lieu où l’on jouit d’une parfaite félicité ? C’est dans ce sens que les Saintes Écritures emploient ces paroles. On peut s’en convaincre par de nombreux exemples505.
La raison principale qui a fait donner ce nom de Vie Éternelle au bonheur souverain et parfait, c’est qu’on voulait écarter absolument l’idée que ce bonheur pût consister dans des choses corporelles et caduques, qui ne peuvent être éternelles506. Ce mot de béatitude n’exprimait point assez par lui-même ce que nous attendons, d’autant qu’il s’est rencontré des hommes enflés d’une vaine sagesse, qui n’ont pas craint de placer le Souverain Bien dans les choses sensibles. Mais chacun sait qu’elles vieillissent et passent ; tandis que le bonheur n’est limité par aucun temps. Au contraire ces choses sensibles sont tellement opposées au bonheur, que plus on se laisse prendre par le goût et l’amour du monde, plus on s’éloigne de la félicité véritable. Aussi est-il écrit : N’aimez pas le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la Charité du Père n’est pas en lui507. Et un peu plus loin : Le monde passe et sa concupiscence avec lui508.
Voilà ce que les Pasteurs s’efforceront de graver dans le cœur des Fidèles, afin qu’ils n’aient que du mépris pour les choses périssables, et qu’ils soient bien persuadés qu’il n’y a point de vrai bonheur en ce monde, où nous ne sommes que des étrangers, et non de vrais citoyens509. Nous pouvons sans doute nous dire heureux dès ce monde, par l’espérance, lorsque, renonçant à l’impiété et aux désirs du siècle, nous vivons ici-bas avec tempérance, justice et piété, attendant la bienheureuse espérance et l’arrivée de la gloire du grand Dieu, et de notre Sauveur Jésus-Christ510. Mais un grand nombre d’hommes, qui étaient pleins de sagesse à leurs propres yeux511, n’ont pas compris cette Vérité, et ils ont cru qu’il fallait chercher le bonheur sur cette terre. En quoi ils ont été de pauvres insensés qui sont tombés ensuite dans les plus grands malheurs.
Ce mot de Vie Éternelle nous fait comprendre également que le bonheur une fois acquis ne peut plus se perdre, quoi qu’en aient dit plusieurs contre toute vérité. En effet, la vraie félicité renferme tous les biens, sans aucun mélange de mal. Et s’il est vrai qu’elle doit remplir tous les désirs de l’homme, il faut nécessairement qu’elle soit éternelle. Celui qui est heureux peut-il ne pas désirer ardemment de jouir sans fin de ce qui fait son bonheur ? Et sans l’assurance d’une félicité stable et certaine, ne sera-t-il pas malgré lui en proie à tous les tourments de la crainte512 ?
Enfin cette même expression de Vie Éternelle est bien propre à nous faire concevoir combien est grande la félicité des Bienheureux qui vivent dans la céleste Patrie ; cette félicité est si grande que personne, excepté les Saints eux-mêmes, ne saurait s’en faire une juste idée. Car dès qu’on emploie, pour désigner un objet, un terme qui est commun à plusieurs autres, c’est une marque évidente qu’il manque un mot propre pour exprimer cet objet d’une manière complète.
Si donc nous désignons le bonheur des Saints par des mots qui ne s’appliquent pas plus nécessairement à eux, qu’en général à tous ceux qui vivront éternellement, nous sommes en droit d’en conclure que c’est une chose trop élevée et trop excellente, pour qu’il soit possible d’en donner, par un mot propre, une idée assez étendue. Il est vrai que dans la Sainte Écriture, nous trouvons un bon nombre d’expressions différentes pour le désigner, comme Royaume de Dieu513, de Jésus-Christ514, des cieux515, Paradis516, cité sainte, nouvelle Jérusalem517, maison du Père518.
Mais il est évident qu’aucun de ces noms ne suffit pour en exprimer toute la grandeur.
Les Pasteurs ne laisseront donc point échapper l’occasion qui leur est offerte ici d’exhorter les Fidèles à la piété, à la justice, et à l’accomplissement de tous les devoirs de la Vie Chrétienne, en faisant briller à leurs yeux ces récompenses incomparables que l’on désigne sous le nom de Vie Éternelle. La vie en effet compte toujours parmi les plus grands biens que notre nature puisse désirer. C’est donc avec raison que l’on a exprimé de préférence le souverain Bonheur par l’idée de la Vie Éternelle. Et lorsque cette vie, qui pourtant est si courte, si calamiteuse, si sujette à tant de misères, qu’elle mériterait plutôt d’être appelée une véritable mort, lorsqu’une pareille vie, disons-nous, ne laisse pas d’être pour nous le bien le plus cher, le plus aimé, le plus agréable, avec quel zèle, avec quelle ardeur ne devons-nous pas nous empresser vers cette Vie Éternelle, qui détruit tous les maux, et nous offre l’abondance parfaite de tous les biens ?
Selon les saints Pères la félicité de la Vie Éternelle, c’est à la fois la délivrance de tous les maux, et la possession de tous les biens519.
En ce qui concerne les maux, nos Saints Livres sont clairs et formels. Ainsi il est écrit dans l’Apocalypse : Les Bienheureux n’auront plus ni faim, ni soif ; le soleil, ni aucune chaleur ne les incommodera plus520. Et ailleurs : Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux ; il n’y aura plus ni mort, ni deuil ni cris, ni douleur, parce que le premier état sera passé521.
En ce qui concerne les biens, leur gloire sera immense, et en même temps ils posséderont tous les genres de joie et de délices. Mais aujourd’hui il est impossible que nous comprenions la grandeur de ces biens ; ils ne peuvent se manifester à notre esprit.
Pour les goûter, il faut que nous soyons entrés dans la joie du Seigneur. Alors nous en serons comme inondés et enveloppés de toutes parts, et tous nos désirs seront satisfaits.
L’énumération des maux dont nous serons délivrés semble beaucoup plus facile à faire, remarque Saint Augustin que celle des biens et des plaisirs dont nous jouirons522. Cependant les Pasteurs devront s’employer à expliquer clairement et brièvement ce qu’ils croiront propre à allumer dans le cœur des Fidèles le désir d’acquérir cette félicité souveraine. Pour cela ils auront à distinguer, avec les meilleurs auteurs ecclésiastiques, deux sortes de biens qui composent la Béatitude éternelle, les uns qui tiennent à la nature même du bonheur, les autres qui n’en sont que des conséquences. D’où le nom de biens essentiels qu’ils donnent aux premiers, afin que leur enseignement soit plus précis, et le nom de biens accidentels qu’ils réservent aux seconds.
La véritable béatitude, celle qu’on peut appeler essentielle consiste dans la vision de Dieu et la connaissance de sa Beauté, principe et source de tout bien et de toute perfection. La Vie Éternelle, dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est de vous connaître, vous, le seul Dieu véritable, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ523. Paroles que saint Jean semble expliquer quand il dit : Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les enfants de Dieu ; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore. Nous savons que lorsque Jésus-Christ se montrera, nous lui serons semblables, parce que nous Le verrons tel qu’Il est524. Il nous fait entendre en effet que la béatitude consiste en deux choses : à voir Dieu tel qu’Il est en Lui-même et dans sa propre nature et à devenir nous-mêmes comme des dieux. Ceux qui jouissent de Dieu conservent toujours, il est vrai, leur propre substance, mais en même temps ils revêtent une forme admirable et presque divine, qui les fait paraître plutôt des dieux que des hommes.
Et il n’est pas difficile de concevoir la raison de cette transformation. Les choses ne peuvent se connaître qu’en elles-mêmes et dans leur essence, ou bien par des images et des ressemblances. Or, rien n’étant réellement semblable à Dieu ; il n’y a aucune image, aucune ressemblance de Dieu capable de nous donner de lui une connaissance parfaite. Par conséquent personne ne peut voir sa nature et son essence, à moins que cette essence divine elle-même ne vienne s’unir à nous. C’est ce que signifient ces paroles de l’Apôtre : Nous voyons maintenant comme dans un miroir et par des énigmes, mais alors nous verrons face à face525.
Ce que Saint Paul entend par énigmes, dit Saint Augustin, c’est une image propre à nous faire connaître Dieu526. Saint Denis l’enseigne nettement aussi quand il assure que les images des choses inférieures ne peuvent servir à faire connaître les choses supérieures. Et en effet comment l’image d’une chose corporelle pourrait-elle nous révéler la nature et la substance d’une chose incorporelle, puisque les idées et les images doivent nécessairement être moins grossières et plus spirituelles que les objets qu’elles représentent. Il est facile de nous convaincre de cette vérité, en remarquant ce qui se passe dans la connaissance que nous avons de chaque chose. Si donc rien de créé ne peut nous fournir une image aussi pure, aussi spirituelle que Dieu Lui-même, il s’ensuit qu’aucune image ne peut nous donner une connaissance exacte de l’Essence divine527.
D’ailleurs toutes les créatures sont bornées et limitées dans les perfections qu’elles peuvent avoir. Dieu au contraire est infini. Par conséquent l’image des choses créées ne saurait représenter son immensité. Il ne reste donc qu’un moyen, et un seul, de connaître l’Essence divine, c’est que cette essence s’unisse à nous, qu’Elle élève notre esprit d’une manière merveilleuse, et qu’Elle l’élève assez haut pour nous rendre capables de la contempler en elle-même et face à face.
C’est la lumière de la Gloire qui réalisera en nous cette merveille, lorsque nous serons éclairés par sa splendeur, et que nous verrons Dieu qui est la vraie lumière, dans sa propre lumière528. Les bienheureux contempleront éternellement Dieu présent devant eux ; et ce don, le plus excellent et le plus admirable de tous, les rendra participants de la nature divine529, et les mettra en possession de la vraie et définitive Béatitude. Béatitude à laquelle nous devons avoir une foi si grande que le Symbole des Pères de Nicée nous ordonne de l’attendre de la Bonté de Dieu, avec la plus ferme espérance, j’attends la Résurrection des morts et la Vie du siècle à venir.
Ces choses sont tellement divines qu’il nous est absolument impossible de les concevoir et de les exprimer. Cependant nous pouvons en trouver quelque image dans les choses sensibles. Ainsi le fer que l’on soumet à l’action du feu, prend la forme du feu ; et bien qu’il ne change pas de substance, cependant il est tout autre, et semble n’être plus que du feu. De même ceux qui ont été introduits dans la gloire du Ciel sont tellement enflammés par l’amour de Dieu que, sans changer de nature, ils diffèrent néanmoins beaucoup plus de ceux qui vivent sur la terre que le fer incandescent ne diffère de celui qui est froid. Pour tout dire en un mot, la félicité souveraine et absolue, que nous appelons essentielle, consiste dans la possession de Dieu. Que peut-il manquer en effet au parfait bonheur de celui qui possède le Dieu de toute Bonté et de toute Perfection.
À cette Béatitude essentielle, il se joint encore quelques avantages accessoires, communs à tous les Saints. Avantages qui sont plus à la portée de nos moyens, et qui, par le fait, sont ordinairement plus puissants pour remuer nos cœurs et exciter nos désirs530. De ce nombre sont ceux que l’Apôtre avait en vue, quand il écrivait aux Romains : Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien !531 En effet, outre cette gloire qui se confond avec la béatitude essentielle, ou du moins qui en est inséparable, il est une autre espèce de gloire dont jouiront les Saints. C’est celle qui résultera de la connaissance claire et distincte que chacun aura du mérite et de l’élévation des autres.
Ne sera-ce pas aussi un très grand honneur pour les Saints d’être appelés par le Seigneur, non plus ses serviteurs, mais ses amis532, ses frères533, et les enfants de Dieu534 ? Et dans ces paroles que notre Sauveur adressa aux élus : Venez, les bénis de mon Père, possédez le Royaume qui vous a été préparé535, il y a autant de tendresse et d’amour, elles sont si honorables et si glorieuses que nous avons le droit de nous écrier : Seigneur, Vous honorez vraiment trop vos amis !536
De plus Jésus-Christ les comblera de louanges devant son Père céleste et devant les Anges.
Enfin, si la nature a gravé dans tous les cœurs le désir d’obtenir l’estime de ceux qui brillent par leur sagesse — précisément parce qu’ils sont les témoins et les juges les plus capables d’apprécier le mérite — quelle augmentation de gloire pour les Bienheureux de ce qu’ils auront les uns pour les autres l’estime la plus profonde ?
Ce serait un travail sans fin d’énumérer les plaisirs dont les Saints seront comblés au sein de la gloire. Il n’est même pas possible de les concevoir tous. Cependant les Fidèles doivent être bien persuadés que tout ce qu’ils peuvent éprouver et même désirer ici-bas d’agréable, qu’il s’agisse des joies de l’esprit, ou bien des plaisirs qui se rapportent à l’état normal et parfait du corps, ils posséderont tout sans exception, et avec une pleine abondance, mais d’une manière si élevée et si incompréhensible que, suivant l’Apôtre, l’œil n’a rien vu, l’oreille n’a rien entendu, et le cœur de l’homme n’a jamais rien conçu de semblable537.
Ainsi le corps, auparavant grossier et matériel, quand il aura perdu sa mortalité dans le ciel, et qu’il sera devenu subtil et spirituel, le corps n’aura plus besoin de nourriture.
De son côté, l’âme trouvera une volupté ineffable à se rassasier de cet aliment éternel de la Gloire, que le Maître de ce grand festin distribuera à tous538.
Qui donc pourrait désirer encore des vêtements précieux, ou les ornements des rois, alors qu’ils ne seront plus d’aucun usage, et que tous les Saints se verront revêtus d’immortalité, brillants de lumière et couronnés d’une éternelle Gloire ?
Sur la terre, on est heureux de posséder une maison vaste et magnifique, mais peut-on imaginer rien de plus vaste et de plus magnifique que le Ciel qui brille de toutes parts, et qui reçoit sa splendeur de la Lumière même de Dieu ? Aussi, lorsque le Prophète se représentait la beauté de ce séjour, et qu’il brûlait du désir d’arriver à ces heureuses demeures : Que vos tabernacles sont aimables, s’écriait-il, Seigneur Dieu des vertus ! Mon âme soupire et se consume du désir de la maison du Seigneur. Mon cœur et ma chair brûlent d’ardeur pour le Dieu Vivant539.
Tels sont les sentiments et le langage que les Pasteurs ne doivent pas seulement désirer pour les Fidèles, mais travailler sans cesse à leur inspirer. Car, dit le Seigneur Jésus, il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père540, et chacun, selon ses mérites, y recevra une récompense plus ou moins grande. Celui qui sème peu recueillera peu ; celui qui sème beaucoup, moissonnera beaucoup541. Il ne suffira donc pas d’exhorter les Fidèles à mériter cette béatitude. Il faudra encore leur représenter fréquemment que le moyen le plus sûr de l’acquérir, c’est de s’armer de la Foi et de la Charité, de persévérer dans la prière et dans la pratique si salutaire des Sacrements, et enfin de remplir, envers le prochain, tous les devoirs de la Charité. C’est le moyen assuré d’obtenir de la Miséricorde de Dieu, qui a préparé cette Gloire bienheureuse à ceux qui L’aiment, l’accomplissement de cette prophétie d’Isaïe : Mon peuple habitera dans une paix délicieuse ; il sera tranquille sous ses tentes, et jouira du repos au milieu de l’abondance542.
Toutes les parties de la Doctrine Chrétienne exigent de la part des Pasteurs des connaissances et des soins. Mais la science des Sacrements, si impérieusement prescrite par Dieu Lui-même, et si féconde en grâces de salut, demande une instruction et un zèle tout particuliers1. Les Pasteurs devront donc traiter fréquemment ce sujet, avec toute l’exactitude possible. C’est le moyen de rendre les Fidèles dignes de participer comme il convient, à des choses si excellentes et si saintes. C’est aussi pour eux-mêmes l’assurance de rester fidèles à cette défense divine. Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux2.
Puisque nous avons à parler des Sacrements en général, il y a lieu d’expliquer tout d’abord ce mot lui-même, d’en donner le sens, la portée, et d’exposer clairement ses diverses acceptions. Il nous sera ensuite plus facile de comprendre la signification spéciale qu’il doit avoir ici. Pour atteindre ce but, il faudra faire remarquer aux Fidèles que le mot de Sacrement n’a pas été pris dans le même sens par les auteurs ecclésiastiques.
Les auteurs profanes entendaient par là l’obligation que nous contractons, lorsque nous nous engageons au service d’un autre, sous la foi du serment. Ainsi le serment que faisaient les soldats de servir fidèlement l’État, s’appelait le sacrement militaire. C’est du moins le sens le plus ordinaire que ce mot avait pour eux.
Les auteurs ecclésiastiques, et principalement les Pères latins, emploient ce mot pour exprimer une chose sacrée et strictement cachée. Chez les Grecs, il a la même signification que le mot mystère. Et c’est précisément le sens qu’il faut lui donner dans ces paroles de saint Paul aux Éphésiens : Il a répandu sur nous la Grâce pour nous faire connaître le Sacrement de sa Volonté3, et dans celle-ci à Timothée : C’est un grand Sacrement de piété4, et enfin dans le Livre de la Sagesse : Ils ont ignoré les Sacrements de Dieu5. Ces textes que nous venons de citer, et beaucoup d’autres nous présentent tous le mot de Sacrement avec le même sens, c’est-à-dire une chose sacrée, mais inconnue et mystérieuse.
Aussi les Docteurs latins ont-ils pensé que certains signes sensibles, qui produisent la grâce, en même temps qu’ils la représentent et la mettent sous les yeux, pouvaient très bien s’appeler Sacrements. Cependant Saint Grégoire le Grand prétend que ce nom de Sacrement leur a été donné, parce qu’ils renferment, sous une enveloppe corporelle et sensible, une Vertu divine qui opère invisiblement le salut6.
Et qu’on ne s’imagine pas que cette expression est nouvelle dans l’Église. Il suffit de lire Saint Augustin7 et Saint Jérôme8 pour se convaincre que nos Docteurs les plus anciens, en parlant de ce qui nous occupe, ont employé le plus souvent le mot de Sacrement, quelquefois celui de Symbole, de signe mystique, ou de signe sacré.
Ces explications suffisent. Elles conviennent aussi d’ailleurs aux Sacrements de l’Ancienne Loi. Mais comme ces Sacrements ont été abolis par l’Évangile et la loi de Grâce, les Pasteurs n’ont rien à en dire.
Nous n’avons expliqué que le mot, il faut maintenant examiner avec soin la nature et les propriétés de la chose, et bien apprendre aux Fidèles ce que c’est qu’un Sacrement. Personne ne peut douter que les Sacrements ne soient nécessaires pour obtenir la Justice et le Salut. Mais de toutes les définitions que l’on peut en donner, pour les expliquer clairement, il n’en est point de plus lumineuse et de plus parfaite que celle de Saint Augustin, et que tous les Docteurs et théologiens ont adoptée après lui. Le Sacrement, dit-il, est le signe d’une chose sacrée, ou, en d’autres termes : un Sacrement est le signe visible d’une Grâce invisible, institué pour notre sanctification9.
Mais pour rendre cette définition encore plus lumineuse, les Pasteurs doivent en exposer toutes les parties, les unes après les autres.
Et d’abord, il faut enseigner que les choses perçues par nos sens sont de deux sortes. Les unes n’ont été inventées que pour signifier quelque chose ; les autres au contraire ont été faites uniquement pour elles-mêmes, et non pour en signifier d’autres.
Presque toutes les choses que produit la nature appartiennent à cette deuxième catégorie. Mais il faut ranger dans la première les mots, l’écriture, les enseignes, les images, les trompettes et une foule d’autres objets du même genre. Si l’on ôte aux mots par exemple leur signification, ne semble-t-il pas que l’on détruit du même coup la raison qui les avait fait inventer ? Toutes ces choses ne sont donc que des signes. Car, d’après Saint Augustin, le signe est quelque chose qui, outre l’objet qu’il offre à nos sens, nous fait penser à une chose différente de lui-même. Ainsi lorsque nous trouvons des pas marqués sur le sol, nous concluons aussitôt que quelqu’un a passé par là, et qu’il y a laissé ces traces10.
Ceci posé, il est clair que les Sacrements se rapportent à ces choses qui ont été instituées pour en signifier d’autres. Ils représentent à nos yeux, par une image sensible et une sorte d’analogie, ce que Dieu opère dans nos âmes par sa Vertu invisible11. Un exemple fera toucher du doigt cette vérité. Lorsque, dans le Baptême, on verse l’eau sur la tête, comme pour la laver, et qu’on prononce en même temps les paroles prescrites et consacrées, c’est un signe sensible que la Vertu du Saint-Esprit lave intérieurement toutes les taches et les souillures du péché, et qu’elle enrichit et orne nos âmes du don précieux de la Justice céleste. Mais, comme nous l’expliquerons en temps et lieu, ce que cette ablution du corps signifie, elle le produit en même temps dans l’âme.
Au surplus il résulte clairement de l’Écriture Sainte elle-même que les Sacrements doivent être regardés comme des signes. Dans son épître aux Romains, l’Apôtre Saint Paul parlant de la circoncision prescrite à Abraham, le Père de tous les croyants12, s’exprime ainsi : il reçut la marque de la circoncision, comme signe de la justice qu’il avait acquise par la Foi13. Et lorsque, dans un autre endroit, il dit que tous, tant que nous sommes, qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés dans sa mort14, il est facile de conclure qu’il regarde le Baptême comme un signe que nous avons été ensevelis avec Jésus-Christ par le Baptême pour mourir au péché15.
Ce n’est pas peu de chose pour le Fidèle de savoir que les Sacrements sont des signes. Ils comprendront mieux la sainteté et l’excellence des effets qu’ils signifient, renferment et produisent tout à la fois. Dès lors ils seront plus portés à honorer et à reconnaître, comme elle le mérite, l’infinie Bonté de Dieu pour nous.
Il nous reste maintenant à expliquer ces mots : d’une chose sacrée, qui sont la seconde partie de notre définition. Et pour le bien faire, nous reprendrons les choses d’un peu plus haut, en rapportant ce que Saint Augustin a dit, avec autant de finesse que de vérité sur la diversité des signes16.
Il y a des signes naturels qui nous conduisent à la connaissance d’une chose, tout en se faisant connaître eux-mêmes. — Et, en général, tous les signes ont cette propriété, comme nous l’avons déjà dit. — Ainsi, quand on voit de la fumée, on conclut aussitôt qu’il y a du feu. Ce signe est appelé naturel, parce que la fumée ne révèle point le feu par convention, mais parce que l’expérience fait qu’en apercevant seulement de la fumée, on conclut aussitôt qu’il y a au-dessous un feu réel et actif, quoiqu’on ne le voie pas encore17.
Il est d’autres signes qui ne viennent pas de la nature. Ce sont les hommes qui les ont inventés et établis pour s’entretenir entre eux, pour communiquer aux autres leurs pensées, et pour connaître à leur tour les sentiments et les desseins des autres. Ces signes sont nombreux et variés. Pour en avoir une idée, il suffit de remarquer qu’il y en a beaucoup qui s’adressent aux yeux, un plus grand nombre encore à l’ouïe, et d’autres enfin aux autres sens. Ainsi lorsque voulant faire entendre quelque chose à quelqu’un, nous élevons un étendard, évidemment ce signe ne se rapporte qu’à la vue. Au contraire, les sons de la trompette, de la flûte et de la guitare qui servent non seulement à nous charmer, mais encore le plus souvent à signifier quelque chose, sont du ressort de l’ouïe. C’est en ce sens que les paroles aussi sont des signes, parce qu’elles expriment d’une manière admirable les pensées les plus intimes de l’âme.
Mais, outre ces signes naturels ou de convention purement humaine, il en est d’autres, et de plus d’un genre — tout le monde en convient — qui viennent de Dieu Lui-même. Les uns ont été institués pour signifier seulement ou rappeler quelque chose, comme les purifications de la Loi, le pain azyme, et la plupart des cérémonies du culte mosaïque18. Les autres ont été établis, non seulement pour représenter, mais encore pour produire quelque chose. Tels sont évidemment les Sacrements de la Loi nouvelle. Car ce sont vraiment des signes d’institution divine, et non point d’invention humaine, et nous croyons fermement qu’ils possèdent en eux-mêmes la vertu d’opérer les effets sacrés qu’ils expriment.
Il y a plusieurs sortes de choses sacrées, comme il y a plusieurs sortes de signes. En ce qui concerne notre définition du Sacrement en général, les auteurs ecclésiastiques entendent par les mots de chose sacrée, la Grâce de Dieu qui nous sanctifie et qui embellit notre âme, en l’ornant de toutes les vertus. Et ils ont eu grandement raison de donner cette dénomination de chose sacrée, à une grâce dont le propre est de consacrer et d’unir notre âme à Dieu.
Pour faire mieux comprendre encore ce que c’est qu’un Sacrement, il faut ajouter que c’est une chose sensible à laquelle Dieu a voulu attacher la vertu de signifier et en même temps de produire la justice et la sainteté. D’où il est facile de conclure que les images des Saints, les croix et autres choses de ce genre, qui sont des signes de choses saintes, ne sont cependant point des Sacrements. Il est aisé également de prouver la justesse de cette définition, en montrant que dans tous les Sacrements — et on peut le vérifier — il y a une chose sensible qui signifie, et qui en même temps produit la Grâce. C’est ce que nous avons dit en parlant du Baptême, lorsque nous avons vu que l’ablution extérieure est tout à la fois le signe et la cause formelle d’un effet sacré produit à l’intérieur, c’est-à-dire dans l’âme, par la Vertu du Saint-Esprit.
Ces signes mystiques, qui sont l’œuvre de Dieu, sont destinés, d’après leur institution même, à signifier non pas une, mais plusieurs choses à la fois. Il est facile de s’en rendre compte, en étudiant les Sacrements qui, outre la sainteté et la justification qu’ils expriment, figurent encore deux autres choses intimement liées à la Sainteté elle-même : la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui en est le principe, et la Vie éternelle, la Béatitude céleste, à laquelle la sainteté se rapporte comme à sa fin nécessaire. Cette propriété est commune à tous les Sacrements. Voilà pourquoi les saints Docteurs ont enseigné avec raison que chacun d’eux possède trois significations différentes, l’une pour rappeler une chose passée, l’autre pour indiquer et exprimer une chose présente, et la troisième pour annoncer une chose future. Et il ne faut pas croire que leur doctrine ne repose pas sur le témoignage des Saintes Écritures. Lorsque l’Apôtre dit : Nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa Mort19, n’enseigne-t-il pas clairement que l’on doit voir dans le Baptême un signe qui nous fait souvenir de la Passion et de la Mort de Notre-Seigneur ? Ensuite, quand il ajoute : Nous avons été ensevelis avec Jésus-Christ par le Baptême pour mourir, afin que, comme Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts par la Gloire du Père, nous marchions aussi nous-mêmes dans les voies d’une vie nouvelle20, ces paroles ne disent-elles pas ouvertement que le Baptême est un signe de la Grâce céleste répandue dans nos âmes, et qui nous donne la force de commencer une vie nouvelle, et d’accomplir avec autant de facilité que de joie tous les devoirs de la piété ? Enfin lorsque le même Apôtre écrit encore : Si nous avons été entés sur Lui, par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi un jour par la ressemblance de sa Résurrection21, il nous apprend évidemment que le Baptême figure sans équivoque la Vie éternelle qu’il doit nous faire obtenir un jour.
Mais outre ces trois sortes de significations générales, il arrive souvent qu’un Sacrement exprime et figure en même temps plusieurs choses actuelles et présentes. Ainsi, pour peu que l’on s’arrête à considérer le très saint Sacrement de l’Eucharistie, il est facile de s’en convaincre. En effet, ce Sacrement exprime tout à la fois la présence du vrai Corps et du vrai Sang de Jésus-Christ, et la Grâce que reçoivent ceux qui participent dignement à cet auguste Mystère.
D’après ce que nous venons de dire, il ne sera pas difficile aux Pasteurs de trouver d’excellentes raisons pour montrer aux Fidèles tout ce qu’il y a de Puissance divine et de merveilles cachées dans les Sacrements de la Loi nouvelle, et pour leur persuader qu’il faut les traiter et les recevoir avec la piété la plus respectueuse et la plus sincère.
Pour apprendre aux Chrétiens à faire des Sacrements un saint usage, rien ne semble plus convenable que de leur exposer soigneusement les motifs qui les ont fait instituer. Ces motifs sont multiples.
Le premier est la faiblesse de l’esprit humain. Cette faiblesse est telle, naturellement parlant, qu’il nous est impossible de parvenir à la connaissance des choses spirituelles et purement intelligibles, sans le secours de celles qui sont perçues par quelques-uns de nos sens. Aussi, le Souverain Auteur de toutes choses, pour nous aider à comprendre plus facilement les effets invisibles et cachés qu’Il opère dans nos âmes, a voulu, dans sa Sagesse et dans sa Bonté infinies, nous les figurer par certains signes qui tombent sous nos sens. Comme l’a si bien dit Saint Jean Chrysostome, si l’homme n’avait point eu de corps, les vrais Biens lui eussent été offerts et donnés à découvert et sans voile ; mais puisque l’âme est unie à un corps, c’était une nécessité pour elle de s’élever de la notion des choses sensibles, à la connaissance des choses invisibles22.
Le second motif, c’est que notre esprit n’est pas très porté à croire les choses qui ne lui sont que promises. Voilà pourquoi, dès le commencement du monde, Dieu prit soin de rappeler très souvent par des paroles d’abord, ce qu’il avait promis de faire. Et s’il arrivait qu’Il annonçât un événement dont la grandeur et la difficulté pouvaient ébranler la foi à ses promesses, Il ajoutait aux paroles certains autres signes qui revêtaient souvent le caractère du miracle. Ainsi quand Il envoya Moïse pour délivrer les Hébreux, celui-ci se défiant du secours même de Dieu qui lui donnait des ordres, craignit qu’un tel fardeau ne fût au-dessus de ses forces, ou bien que ce peuple ne refusât d’ajouter foi aux oracles divins23. Alors le Seigneur daigna confirmer sa Promesse par un grand nombre de prodiges divers24. Or, de même que Dieu, dans l’Ancien Testament, confirmait par des signes miraculeux la certitude de ses plus grandes promesses, de même, dans la Loi nouvelle, Jésus-Christ notre Sauveur, en nous promettant le pardon de nos fautes, la Grâce céleste, et la communication de l’Esprit-Saint, a établi certains signes qui devaient frapper la vue et les autres sens, et nous servir comme de gage des obligations qu’Il contractait, sans nous permettre de douter jamais de sa fidélité à tenir sa promesse25.
Troisième motif : Dieu voulait que les Sacrements, comme des préservatifs et comme les remèdes salutaires du Samaritain de l’Évangile, selon l’expression de Saint Ambroise, fussent toujours à notre disposition, soit pour entretenir, soit pour recouvrer la santé de l’âme26. La Vertu qui découle de la Passion de Jésus-Christ, c’est-à-dire cette Grâce qu’il nous a méritée sur l’autel de la Croix, doit passer par les Sacrements comme par un canal, pour arriver jusqu’à nous. Autrement il n’y a d’espoir de salut pour personne. C’est pourquoi l’infinie Clémence de Notre-Seigneur a voulu laisser dans son Église des Sacrements revêtus du sceau de sa Parole et de sa Promesse ; ainsi nous n’aurions pas de peine à croire qu’Il voulait nous communiquer réellement par eux les fruits de sa Passion. Il suffit que chacun de nous use avec foi et piété de ce moyen de guérison.
Voici un quatrième motif qui semble avoir rendu nécessaire l’institution des Sacrements. Il fallait des marques et certains signes pour distinguer les Fidèles des autres hommes. Jamais, dit Saint Augustin, soit au nom d’une religion vraie, soit au nom d’une religion fausse, jamais société humaine ne saurait faire un corps, si les membres de cette société ne sont pas liés entre eux par quelque signe, ou marque sensible27. Or, les sacrements de la Loi nouvelle produisent ce double effet : d’une part ils distinguent les Chrétiens des infidèles et d’autre part ils sont comme un lien sacré qui les unit entre eux.
Cinquième motif : on trouve encore un excellent motif de l’institution des sacrements dans ces paroles de l’Apôtre saint Paul : par le cœur on croit pour être justifié, mais on professe de bouche pour être sauvé28. Par les Sacrements nous professons extérieurement notre Foi, et nous la faisons connaître devant les hommes. Ainsi en allant recevoir le Baptême, nous faisons publiquement profession de croire que par la Vertu de cette eau qui lave notre corps, notre âme est purifiée de ses souillures spirituelles. Les sacrements d’ailleurs ont une grande efficacité, non seulement pour exciter et nourrir la Foi dans nos esprits, mais encore pour allumer dans nos cœurs le feu de cette Charité que nous devons avoir les uns pour les autres, en nous souvenant que la participation aux mêmes Sacrements nous unit tous par les liens les plus étroits, et qu’elle nous fait membres d’un seul et même corps.
Enfin, — précieux avantage pour la Piété chrétienne — les Sacrements domptent et répriment l’orgueil de notre esprit, en même temps qu’ils nous obligent à pratiquer l’humilité. Par eux, en effet, nous sommes contraints de nous déprendre des éléments de ce monde pour obéir à Dieu, nous qui l’avions abandonné d’une manière outrageante pour nous asservir à ces éléments grossiers.
Voilà ce qui nous a paru le plus digne d’être enseigné sur le nom, la nature et l’institution des Sacrements. Mais après avoir donné ces explications avec tout le soin possible, les Pasteurs auront encore à bien apprendre aux Fidèles de quoi se compose chaque Sacrement, quelles en sont les parties, et enfin quels sont les rites et les cérémonies que l’on doit observer en les administrant.
Les Pasteurs expliqueront d’abord que la chose sensible dont nous parlons — ce mot se trouve dans la définition du Sacrement — n’est pas simple, quoiqu’elle ne constitue réellement qu’un seul signe. En effet tout Sacrement se compose de deux choses, l’une qui est comme la matière et que l’on appelle élément ; l’autre qui est la forme, et qui consiste dans des paroles. Ainsi l’enseignent les Pères, et particulièrement Saint Augustin, par ces mots que tout le monde connaît : La Parole s’unit à l’élément, et le Sacrement existe29. Par conséquent, sous le nom de choses sensibles, les Sacrements comprennent d’abord la matière ou élément, comme l’eau dans le Baptême, le chrême dans la confirmation, l’huile sainte dans l’Extrême-Onction, toutes choses qui tombent sous le sens de la vue ; ensuite les paroles qui sont comme la forme, et qui s’adressent au sens de l’ouïe. C’est ce que l’Apôtre a indiqué très clairement quand il a dit : Jésus-Christ a aimé l’Église et il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant dans le baptême de l’eau, par la parole de Vie30. Dans ce passage, la matière et la forme sont nettement exprimées.
Il fallait ajouter les paroles à la matière, afin de rendre plus claire et plus certaine la signification de l’élément qu’on employait. De tous les signes, le plus expressif est évidemment la parole. Si on la supprimait dans les Sacrements, il serait très difficile de deviner ce que désigne et signifie la matière en elle-même. Nous en avons une preuve dans le Baptême. L’eau n’est pas moins propre à rafraîchir qu’à purifier. Elle peut donc signifier également ces deux effets. Et si l’on n’avait pas joint des paroles, à l’effusion de l’eau, peut-être aurait-il été possible de trouver par conjecture sa véritable signification, mais il eût été impossible de rien affirmer de certain à cet égard. Au contraire, ajoutez les paroles, et l’on comprend immédiatement que la propriété et la signification de l’eau du Baptême, c’est de purifier31.
Et c’est en cela que nos Sacrements l’emportent de beaucoup sur ceux de la Loi ancienne, qui n’avaient, croyons-nous, aucune forme déterminée d’administration. Voilà pourquoi ils étaient si incertains et obscurs. Les nôtres, au contraire, possèdent une forme de paroles si précise, que si par hasard on s’en écarte, l’essence du Sacrement disparaît. Aussi, et pour cette raison ils sont très clairs, et ne laissent aucune place à l’incertitude.
Telles sont les parties qui constituent la nature et la substance des Sacrements, et sans lesquelles ils ne peuvent exister en aucune façon.
À la matière et à la forme on a joint des Cérémonies, que l’on ne peut omettre sans péché à moins d’y être contraint par la nécessité. Cependant, comme ces cérémonies ne touchent point à l’essence du Sacrement, si par hasard on les omettait, la matière et la forme ne perdraient rien de leur vertu. C’est un usage très sage, et qui remonte aux premiers temps de l’Église, d’administrer les sacrements avec des cérémonies solennelles.
D’abord il était de toute convenance d’environner d’un culte particulier les Mystères de la Religion, afin de traiter saintement, aux yeux de tous, les choses sacrées. Ensuite les Cérémonies font bien mieux connaître les effets de chaque Sacrement ; elles les mettent en quelque sorte sous les yeux, et elles impriment plus profondément dans l’esprit des Fidèles l’idée de leur sainteté. Enfin, ceux qui en sont témoins et qui les observent avec soin, s’élèvent facilement à la contemplation des choses célestes, en même temps qu’ils sentent croître dans leurs cœurs la Foi et la Charité. C’est pourquoi il est nécessaire de ne rien négliger pour bien expliquer aux Fidèles la portée des cérémonies qui font partie de l’administration de chaque Sacrement.
Le moment est venu de parler du nombre des Sacrements. Il sera très utile aux Fidèles de le connaître. Car ils s’empresseront de louer et de reconnaître l’infinie Bonté de Dieu envers eux, avec une piété d’autant plus sincère et plus vive, qu’ils verront un plus grand nombre de moyens mis à leur disposition par la Sagesse Divine pour les conduire au Salut et à la Vie bienheureuse.
Les Sacrements de l’Église catholique, d’après les témoignages de la sainte Écriture, la tradition des Pères et la décision des Conciles32, sont au nombre de sept. Mais pourquoi sept, ni plus, ni moins ? En voici une raison assez plausible, tirée de l’analogie qui existe entre la vie naturelle et la vie spirituelle. Pour vivre, pour conserver la vie, pour l’employer utilement, tant pour lui-même que pour la société, l’homme a besoin de sept choses : Il faut qu’il naisse, qu’il croisse, qu’il se nourrisse, qu’il se guérisse, s’il tombe malade, qu’il répare ses forces, lorsqu’elles ont été affaiblies. Ensuite au point de vue social, il faut encore qu’il ne manque jamais de magistrats investis de l’autorité nécessaire pour commander, et enfin qu’il se perpétue, lui-même et le genre humain, par la génération légitime des enfants. Or, ces sept conditions semblent répondre assez bien à la vie spirituelle, c’est-à-dire à la vie de l’âme pour Dieu, et par conséquent, il est facile de trouver dans ce que nous venons de dire la raison du nombre des Sacrements.
Le Baptême, qui est le premier et comme la porte des autres, nous fait naître à Jésus-Christ.
La Confirmation vient ensuite. Elle augmente en nous la Grâce de Dieu et nous fortifie par sa vertu. Les Apôtres étaient déjà baptisés, au témoignage de Saint Augustin, lorsque Notre-Seigneur Jésus-Christ leur dit : Demeurez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la Vertu d’en haut33.
Puis l’Eucharistie qui, comme un aliment vraiment céleste, nourrit et soutient nos âmes. C’est d’elle que le Sauveur dit : Ma Chair est véritablement une nourriture, et mon Sang est vraiment un breuvage34.
En quatrième lieu vient la Pénitence, qui rend la santé à nos âmes, quand elles ont été blessées par le péché.
Ensuite l’Extrême-Onction, qui enlève les restes du péché, et renouvelle les forces de l’âme. L’Apôtre Saint Jacques a dit de ce Sacrement qu’il remet nos péchés, si nous en avons35.
Le sixième est l’Ordre. C’est lui qui perpétue dans l’Église le ministère des Sacrements, en donnant à ceux qui le reçoivent le pouvoir de les administrer publiquement, et d’exercer toutes les autres fonctions du culte36.
Enfin le Mariage. Ce sacrement est institué, afin que, dans une union légitime et sanctifiée, l’homme et la femme puissent donner des enfants pour le service de Dieu et pour la conservation du genre humain, et aussi afin qu’ils soient capables de les élever chrétiennement.
Mais ce qu’il faut bien remarquer, c’est que si tous les Sacrements possèdent en eux-mêmes une Vertu divine et admirable, cependant ils ne sont pas tous d’une égale nécessité, pas plus qu’ils n’ont ni la même dignité, ni la même signification. Ainsi il y en a trois qui sont regardés comme vraiment nécessaires quoique à des titres différents. Le Baptême est absolument nécessaire à tous sans aucune exception : Le Sauveur l’a déclaré Lui-même dans ces paroles : Si quelqu’un ne renaît pas de l’eau et de l’esprit, il ne peut point entrer dans le Royaume de Dieu37. La Pénitence est nécessaire aussi, mais seulement à ceux qui ont commis quelque péché mortel après leur Baptême. Ils ne sauraient éviter la damnation éternelle, s’ils ne font pas une véritable pénitence. Enfin l’Ordre est également d’une nécessité rigoureuse, non pas aux Fidèles en particulier, mais à l’Église en général38.
Si l’on considère dans les Sacrements leur dignité et leur excellence, l’Eucharistie l’emporte de beaucoup sur tous les autres par la sainteté, le nombre et la grandeur des Mystères qu’elle contient.
Tout cela se comprendra mieux, lorsque nous expliquerons ce qui se rapporte à chaque Sacrement en particulier39.
Nous avons à voir maintenant de qui nous avons reçu ces sacrés et divins Mystères. Car, on n’en saurait douter, la dignité et la grandeur de celui qui donne, ajoutent singulièrement à l’excellence du bienfait. Or cette question ne peut soulever aucune difficulté. Puisque c’est Dieu qui nous rend justes, et que les Sacrements ne sont autre chose que des instruments merveilleux qui nous communiquent la justice, il est évident que nous sommes obligés de reconnaître le même Dieu comme Auteur en Jésus-Christ de la justification et des Sacrements40. D’ailleurs ces Sacrements possèdent une vertu et une efficacité qui pénètrent jusqu’au fond de notre âme. Or Dieu seul a le pouvoir de descendre ainsi dans les esprits et dans les cœurs. C’est donc Dieu Lui-même qui a institué les Sacrements par Jésus-Christ, comme nous devons croire d’une Foi ferme et inébranlable, que c’est Lui qui en dispense intérieurement les effets.
C’est le témoignage que Jésus-Christ Lui-même en donna à Saint Jean-Baptiste : Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit, assure le précurseur, Celui sur qui vous verrez le Saint-Esprit descendre et se reposer, Celui-là baptise dans le Saint-Esprit41.
Mais quoique Dieu soit le véritable Auteur et Dispensateur des Sacrements, Il n’a pas voulu qu’ils fussent administrés dans l’Église par des Anges, mais par des hommes. Et la tradition constante des saints Pères nous apprend que pour produire un Sacrement, l’office du Ministre est aussi nécessaire que la matière et la forme.
Or, ces Ministres, dans l’exercice de leurs fonctions saintes, n’agissent pas en leur propre nom, mais au nom de Jésus-Christ, dont ils représentent la Personne. Et c’est pourquoi, qu’ils soient bons ou qu’ils soient mauvais, pourvu qu’ils emploient la matière et la forme que l’Église Catholique a toujours employées, d’après l’institution de Jésus-Christ, et qu’ils aient l’intention de faire ce que fait l’Église elle-même en les administrant, les Sacrements qu’ils produisent et confèrent, sont de véritables Sacrements. D’où il suit que rien ne peut empêcher le fruit de la Grâce, si ceux qui reçoivent les Sacrements ne veulent se priver eux-mêmes d’un si grand bien, et résister au Saint-Esprit42. Telle a toujours été la Foi très explicite de l’Église. Saint Augustin le démontre très clairement dans ses disputes contre les Donatistes43. Et si nous voulons recourir au témoignage de l’Écriture Sainte, écoutons l’Apôtre lui-même qui nous dit : C’est moi qui ai planté, c’est Apollon qui a arrosé, mais c’est Dieu qui a donné l’accroissement. Or, ce n’est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne l’accroissement44. De même donc que les arbres ne peuvent souffrir en rien de la perversité de celui qui les plante, de même, d’après le texte que nous venons de citer, ceux qui sont entés en Jésus-Christ par le ministère d’hommes coupables, ne peuvent recevoir aucun dommage spirituel de fautes qui leur sont étrangères. Judas, par exemple, comme l’ont enseigné nos saints Pères, d’après l’Évangile de Saint Jean45, baptisa plusieurs personnes, et cependant nous ne lisons nulle part qu’aucune d’elles ait été baptisée de nouveau. Ce qui a fait dire à Saint Augustin ces paroles remarquables : Judas a donné le Baptême, et l’on n’a point baptisé après Judas. Jean l’a donné aussi, et l’on a baptisé après Jean. C’est que le Baptême que donnait Judas était le Baptême de Jésus-Christ, tandis que celui que donnait Jean était le baptême de Jean46. Certes, nous ne préférons point Judas à Jean, mais nous préférons à bon droit le Baptême de Jésus-Christ, donné par Judas, au baptême de Jean donné par les mains de Jean lui-même47.
Mais que les Pasteurs et les autres Ministres des Sacrements, en entendant ces choses, n’aillent pas s’imaginer qu’ils peuvent négliger la pureté de la conscience et l’intégrité de la vie, et qu’il leur suffit d’observer exactement les règles prescrites par l’administration des Sacrements. À coup sûr ce point mérite toute leur attention, mais il est loin de renfermer toutes les obligations qui se rapportent à ce ministère. Les Sacrements ne perdent jamais leur divine Vertu, mais les Pasteurs ne doivent jamais oublier non plus qu’ils causent la mort et le malheur éternel de ceux qui les administrent avec une conscience souillée. Il faut le répéter en effet, et on ne saurait trop le redire : les choses saintes doivent être traitées saintement, et avec un profond respect48. Nous lisons dans le Prophète David : Dieu a dit au pécheur : Pourquoi annoncez-vous mes préceptes, pourquoi parlez-vous de mon alliance, vous qui haïssez ma Loi ?49 Mais si c’est un péché de parler des choses de Dieu, quand on n’a pas le cœur pur, que ne sera pas le crime de celui qui sentant sa conscience chargée d’une foule d’iniquités ne craint pas cependant de prononcer de sa bouche impure les paroles sacrées, de prendre dans ses mains souillées, de toucher, de présenter et d’administrer les sacrés Mystères ?50 Surtout quand nous entendons Saint Denis affirmer qu’il n’est pas même permis aux méchants de toucher les Symboles (c’est le nom qu’il donne aux Sacrements)51. Que les Ministres des choses saintes s’appliquent donc avant tout à acquérir la Sainteté, qu’ils apportent un cœur pur à l’administration des Sacrements, et qu’ils s’exercent à la Piété avec un zèle si parfait, qu’ils ne manquent pas, avec le secours de Dieu, de retirer de l’administration fréquente et de l’usage des saints Mystères, une Grâce de jour en jour plus abondante.
Après ces explications, il y aura lieu de bien marquer les effets des Sacrements. Ainsi l’on mettra encore plus en lumière la définition que nous avons donnée plus haut. Ces effets sont au nombre de deux principaux : Le premier sans contredit est la Grâce, que tous les Docteurs appellent sanctifiante, et que l’Apôtre Saint Paul exprime très clairement quand il dit : Jésus-Christ a aimé son Église, il s’est livré pour elle, pour la sanctifier, en la Purifiant par le Baptême de l’eau dans la Parole de vie52. Mais comment s’opère un effet si merveilleux, et si étonnant ? Comment se fait-il, dit très bien Saint Augustin, que l’eau touche le cœur, en lavant le corps53 ? La raison et l’intelligence de l’homme ne peuvent le comprendre. C’est un principe incontestable que nul objet sensible n’a, par lui-même et de sa nature, la force de pénétrer jusqu’à l’âme. Mais à la lumière de la Foi nous découvrons que la toute Puissance de Dieu a déposé dans les Sacrements une vertu surnaturelle, qui précisément leur fait opérer ce que les choses sensibles ne pourraient naturellement atteindre54.
Et pour que les Fidèles ne fussent jamais tentés de concevoir des doutes sur cette vérité, Dieu, dans son infinie bonté pour nous, lorsque son Église se mit à administrer les Sacrements, Dieu daigna manifester par des miracles les effets qu’ils opéraient dans les cœurs, et nous convaincre que ces effets ne changeraient pas, qu’ils seraient toujours les mêmes, bien qu’ils dussent rester absolument cachés à nos sens. Ainsi, sans rappeler qu’au Baptême de notre Sauveur les cieux s’ouvrirent, et que l’Esprit-Saint descendit sur Lui sous la forme d’une colombe55, pour nous avertir qu’au moment même où nous sommes lavés par l’eau sainte du Baptême, la Grâce est répandue dans nos âmes ; sans rappeler ce prodige qui d’ailleurs se rapporte à la sainteté du Sacrement plus encore qu’à ses effets, ne lisons-nous pas que le Jour de la Pentecôte lorsque les Apôtres reçurent le Saint-Esprit qui allait leur donner la force et l’ardeur de prêcher la Foi, et le courage d’affronter tous les périls pour la gloire de Jésus-Christ, il se fit tout à coup un grand bruit venant du ciel, comme le souffle d’un vent violent, et que l’on vit comme des langues de feu se partager, et se reposer sur chacun d’eux56 ? Et n’est-ce pas là pour nous une preuve que, dans le Sacrement de Confirmation, nous recevons le même esprit et les mêmes forces pour résister avec courage à la chair, au monde et à Satan, nos éternels ennemis57. Aux premiers temps de l’Église, lorsque les Apôtres administraient les Sacrements, on voyait se renouveler ces sortes de miracles, et ils ne cessèrent qu’au moment où la Foi fut suffisamment affermie et consolidée.
Ce que nous venons de dire de la Grâce sanctifiante, qui est le premier effet des Sacrements, nous montre clairement que les Sacrements de la Loi nouvelle ont une force et une efficacité bien supérieures à celles qu’avaient jadis les Sacrements de l’ancienne Loi58, éléments stériles, sans force et sans vertu59, dit l’Apôtre saint Paul, qui ne purifiaient que les souillures du corps et non celles de l’âme60. Aussi n’avaient-ils été institués que comme des signes, pour figurer les effets que les nôtres devaient opérer. Mais dans la Loi nouvelle, les Sacrements sortis du côté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s’est offert lui-même à Dieu, par le Saint-Esprit, comme une Victime sans tache, purifient nos consciences des œuvres de mort, pour nous consacrer au service du Dieu Vivant61, et opèrent par la vertu du Sang de Jésus-Christ la Grâce qu’ils signifient. Si donc nous les comparons aux Sacrements anciens, nous leur trouverons tout ensemble plus d’efficacité et de vertu, des fruits plus abondants, et une sainteté bien plus auguste62.
Le second effet des Sacrements ne leur est point commun à tous ; il n’appartient qu’à trois d’entre eux, au Baptême, à la Confirmation et à l’Ordre. Cet effet, c’est le caractère qu’ils impriment dans l’âme. Lorsque l’Apôtre dit : Dieu nous a oints de son onction. Il nous a marqués de son sceau, et Il a mis comme gage le Saint-Esprit dans nos cœurs63, ces paroles : Il nous a marqués de son sceau, désignent clairement un caractère, puisque l’effet propre du caractère est de marquer et de former une empreinte. Or ce caractère est comme une marque imprimée dans l’âme, qui ne peut s’effacer ni être détruite : elle y demeure éternellement64. Les Sacrements de la Loi nouvelle auraient-ils moins de force, dit Saint Augustin, que cette marque corporelle dont les soldats sont honorés ? Cependant si le soldat quitte les armes, et les reprend, on ne lui imprime point une marque nouvelle ; on reconnaît l’ancienne et l’on l’admet65.
Ce caractère a deux effets : l’un nous rend capables de recevoir et de faire certaines choses du domaine de la Religion, l’autre est comme un signe qui nous distingue de ceux qui n’en ont pas été marqués. Double résultat que nous retrouvons dans le caractère du Baptême. D’un côté il nous rend propres à recevoir les autres Sacrements, de l’autre il sert à distinguer les Fidèles des nations qui n’ont pas la Foi. Il serait facile de découvrir les mêmes effets dans le caractère de la Confirmation et dans celui de l’Ordre. Le premier nous arme et nous munit, comme des soldats de Jésus-Christ, pour confesser et défendre publiquement son nom, et pour combattre contre les ennemis qui sont au dedans de nous, et contre les esprits mauvais qui sont dans l’air66 ; ensuite il nous sépare des nouveaux baptisés qui ne sont que des enfants nouvellement nés. Le second, (c’est-à-dire le caractère du sacrement de l’Ordre), donne le pouvoir de produire et d’administrer les Sacrements, et il distingue du reste des Fidèles ceux qui en sont revêtus. Il faut donc croire, comme une vérité constante dans l’Église catholique, que ces trois Sacrements impriment un caractère, et qu’ils ne doivent jamais être renouvelés.
Voilà ce qu’il y a lieu d’enseigner sur les Sacrements en général. Et en traitant ce sujet, les Pasteurs feront tous leurs efforts pour obtenir surtout deux choses : la première, de faire comprendre aux Chrétiens combien ces dons célestes et divins méritent d’honneur, de respect et de vénération ; la seconde, de les amener à faire un pieux et saint usage de ces moyens surnaturels que l’infinie Bonté de Dieu a préparés pour le salut de tous, et d’allumer en eux un tel désir de la perfection, qu’ils regardent comme un très grand dommage pour leurs âmes d’être privés pendant quelque temps de l’usage si salutaire du sacrement de Pénitence, et principalement de la sainte Eucharistie. Or, ils obtiendront facilement ce double résultat, s’ils répètent souvent aux Fidèles ce que nous avons dit de la divinité et de l’utilité des Sacrements, à savoir, qu’ils ont été institués par Jésus-Christ notre Sauveur, qui ne peut rien produire que de très parfait ; que, quand nous les recevons, la Vertu toute puissante de l’Esprit-Saint pénètre jusqu’au fond de nos cœurs ; qu’ils possèdent la propriété merveilleuse et infaillible de nous guérir ; qu’ils sont comme autant de canaux qui nous communiquent les richesses infinies de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et qu’enfin, si l’édifice de la Religion repose sur le fondement inébranlable de la pierre angulaire qui est Jésus-Christ, il a besoin cependant d’être soutenu de tous les côtés par la prédication de la Parole de Dieu, et par l’usage des Sacrements. Sans quoi il serait bien à craindre qu’il ne vint à tomber en ruine en grande partie. Car si les Sacrements nous font entrer dans la Vie spirituelle, ils sont aussi l’Aliment qui nous nourrit, nous conserve, et nous donne l’accroissement.
Ce que nous avons dit jusqu’ici des Sacrements en général, suffit pour faire comprendre combien il est nécessaire de savoir ce que la Foi catholique enseigne sur chaque Sacrement en particulier, si l’on veut être instruit comme il convient de la Doctrine chrétienne, et pratiquer la vraie piété. Il y a plus : quiconque lira Saint Paul avec un peu d’attention sera forcé de conclure qu’une connaissance parfaite du Baptême est absolument requise pour les Fidèles ; tant il rappelle souvent, en termes solennels et remplis de l’Esprit de Dieu, le souvenir de ce Mystère ; tant il en relève avec soin le côté divin, et s’efforce de le mettre sous nos yeux, pour nous y faire contempler et imiter la Mort, la Sépulture et la Résurrection de notre Rédempteur67. C’est pourquoi les Pasteurs ne doivent jamais croire qu’ils ont trop fait, ou déployé trop de zèle, pour parler de ce Sacrement. Ils ne se contenteront pas d’en expliquer, à l’exemple de nos ancêtres, les divers mystères, la veille de Pâques ou de la Pentecôte, dans ces deux jours où l’Église autrefois avait coutume d’administrer ce Sacrement avec un respect si profond et des cérémonies solennelles, ils devront encore saisir dans les autres temps toutes les occasions d’en dire quelque chose68. Une des plus favorables sera la circonstance du Baptême à administrer à quelqu’un, et lorsqu’ils verront un certain nombre de personnes assister à cette cérémonie. Alors il leur sera facile, sinon de passer en revue tous les points qui se rapportent à ce Sacrement, du moins d’en développer un ou deux, avec d’autant plus de fruit que les Fidèles auront sous les yeux des rites sacrés, où ils verront exprimées d’une manière sensible les vérités qu’ils entendront, et qu’ils seront occupés à les contempler avec plus d’attention et de piété. De là il résultera que chacun, frappé de ce qui se fera pour un autre sous ses yeux, ne manquera pas de se rappeler les obligations qu’il a contractées lui-même avec Dieu au jour de son Baptême, et il sera amené à se demander si sa vie et ses mœurs sont bien celles que suppose et exige la profession de Chrétien.
Pour mettre de l’ordre et de la clarté en cette matière, il convient d’expliquer d’abord la nature et l’essence du Sacrement, après avoir donné toutefois le sens du mot lui-même.
Ce mot de Baptême est comme on le sait un mot grec, qui, dans les Saintes Écritures, ne signifie pas seulement cette ablution qui est unie au Sacrement, mais encore toute sorte d’ablution69, et quelquefois même la Passion70. Toutefois les Auteurs ecclésiastiques s’en servent pour exprimer, non une ablution corporelle quelconque, mais uniquement celle qui se fait dans le Sacrement, et qui, de plus, est toujours accompagnée de la forme prescrite des paroles. C’est dans ce sens que les Apôtres l’ont employé très souvent, après Notre-Seigneur Jésus-Christ71.
Les Saints Pères ont encore donné au Baptême d’autres dénominations. Ainsi, parce que, en recevant le Baptême, on fait en même temps profession de toute la Foi chrétienne, Saint Augustin l’appelle le Sacrement de la Foi72. Et parce que la foi que nous professons dans le Baptême illumine nos cœurs, d’autres lui ont donné le nom d’illumination. Souvenez-vous, dit l’Apôtre aux Hébreux, de ces premiers jours, où après avoir été illuminés, vous avez soutenu la grande épreuve des afflictions73. Saint Paul parle évidemment du temps où les Hébreux avaient reçu le Baptême. Saint Jean Chrysostome, dans un discours qu’il prononça devant les Catéchumènes, l’appelle encore, tantôt sépulture, plantation, croix de Jésus-Christ74. Expressions dont il est facile de trouver la raison dans l’Épître aux Romains75. Enfin Saint Denys le nomme le principe des saints Commandements76, parce qu’il est comme la porte par laquelle on entre dans la Société chrétienne, et que c’est par ce Sacrement que l’on commence à obéir aux préceptes divins. Voilà en peu de mots ce que l’on pourra dire sur le nom de Baptême77.
Quant à la définition de la chose, on peut en trouver plusieurs dans les Auteurs ecclésiastiques. La plus juste et la plus convenable est celle qui se tire des paroles de Notre-Seigneur dans Saint Jean, et de l’Apôtre dans l’Épître aux Éphésiens. Quand le Sauveur dit : Celui qui ne sera pas régénéré par l’eau et par l’Esprit, ne pourra pas entrer dans le Royaume de Dieu78 ; lorsque l’Apôtre, parlant de l’Église, nous enseigne que Jésus-Christ l’a purifiée par l’eau dans la parole79 ; n’en résulte-t-il pas que le Baptême peut très bien et avec justesse se définir le Sacrement de la Régénération dans l’eau par la parole ? Par la nature, nous naissons d’Adam, et nous naissons enfants de colère ; mais par le Baptême nous renaissons en Jésus-Christ, comme enfants de la miséricorde, car Dieu a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous les hommes qui croient en son nom, qui ne sont nés ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu80.
Au reste, quelles que soient les expressions que l’on emploie pour définir le Baptême et l’expliquer, ce qu’il faut apprendre au peuple, c’est que ce Sacrement consiste dans une ablution à laquelle doivent nécessairement s’unir les paroles solennelles que Notre-Seigneur a déterminées et fixées Lui-même81. Ainsi l’ont toujours enseigné les Saints Pères ; et Saint Augustin en particulier l’affirme de la manière la plus formelle et la plus nette : La parole, dit-il, s’unit à l’élément, et le Sacrement existe. Les Fidèles ont besoin d’être parfaitement instruits sur ce point. Autrement, ils pourraient tomber dans cette erreur assez commune, et qui consiste à croire que l’eau conservée dans les Fonts baptismaux pour l’administration du Sacrement est le Sacrement lui-même. Le Baptême n’existe que lorsque l’on verse l’eau sur quelqu’un, en prononçant au même moment les paroles instituées par Notre-Seigneur82.
Nous avons dit, en traitant des Sacrements en général, que chacun d’eux se compose de la matière et de la forme. Les Pasteurs auront donc soin de bien faire connaître la matière et la forme du Baptême.
La matière, ou l’élément de ce Sacrement, c’est toute espèce d’eau naturelle, eau de mer, de rivière, de marais, de puits, de fontaine, en un mot tout ce qui porte simplement le nom d’eau, et rien de plus. En effet notre Sauveur a dit : Celui qui ne sera pas régénéré par l’eau et par l’Esprit, ne pourra pas entrer dans le Royaume de Dieu83. Saint Paul enseigne que l’Église a été purifiée par l’eau84. Et nous lisons aussi dans Saint Jean : qu’il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre, l’esprit, l’eau et le sang85. Plusieurs autres endroits de l’Écriture renferment la même vérité.
Saint Jean-Baptiste, il est vrai, disait que notre Seigneur viendrait, et qu’Il baptiserait dans le Saint-Esprit et dans le feu86. Mais ces paroles ne doivent nullement s’entendre de la matière du Baptême. Il faut les rapporter à l’effet intérieur que le Saint-Esprit opère dans l’âme, ou plutôt au miracle qui se manifesta le jour de la Pentecôte, lorsque le Saint-Esprit descendit du ciel sur les Apôtres, sous la forme du feu87, miracle que Notre-Seigneur leur avait prédit, en disant : Jean a baptisé dans l’eau, mais vous, sous peu de jours, vous serez baptisés dans le Saint-Esprit88.
C’est également cette matière de notre Sacrement que Dieu, selon les Saintes Écritures, a voulu exprimer par des figures, et par les oracles des Prophètes. Ainsi le Déluge qui purifia la terre, parce que la malice des hommes était à son comble, et que toutes leurs pensées étaient tournées vers le mal89, le Déluge était une figure et une image de l’eau du Baptême. C’est le témoignage formel du Prince des Apôtres, dans sa première épître90. Et Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, leur déclare que le passage de la mer Rouge avait la même signification91. Et nous ne parlons pas de l’ablution du Syrien Naaman92, ni de la vertu miraculeuse de la piscine probatique93, ni de plusieurs autres choses de ce genre dans lesquelles il est facile d’apercevoir autant de symboles de ce Mystère.
Quant aux Prophètes qui l’avaient annoncé, personne ne peut en douter. Et ces eaux auxquelles le Prophète Isaïe invite avec tant de zèle tous ceux qui ont soif94 et celles qu’Ézéchiel voyait en esprit sortir du temple95, et cette fontaine que Zacharie montrait dans l’avenir à la maison de David, et aux habitants de Jérusalem, comme une source préparée pour purifier le pécheur et la femme impure96, toutes ces eaux excellentes n’étaient-elles pas la figure et le signe de l’eau salutaire du Baptême ?
Au reste, la nature même et la vertu de ce Sacrement demandaient que l’eau en fût la matière propre. Saint Jérôme, écrivant à Océanus, le démontre très bien, et par de nombreuses raisons97.
Mais les Pasteurs, traitant le même sujet, enseigneront avant tout aux Fidèles que ce Sacrement étant absolument nécessaire à tous sans aucune exception, pour obtenir la Vie éternelle, rien n’était plus indiqué ni plus convenable, pour en devenir la matière, que l’eau, qui se trouve partout et que l’on peut se procurer si facilement. Au surplus l’eau représente admirablement l’effet du Baptême. Elle lave les souillures du corps, et par là elle exprime très bien l’action et l’efficacité de ce Sacrement sur l’âme, qu’il purifie de ses péchés. Enfin l’eau a la propriété de rafraîchir les corps, comme le Baptême a la vertu d’éteindre en grande partie l’ardeur des passions98.
Mais si l’eau naturelle et sans aucun mélange est une matière suffisante pour administrer le Baptême dans tous les cas de nécessité, cependant c’est un usage constant dans l’Église catholique, fondé sur la tradition des Apôtres, d’ajouter à l’eau le saint Chrême, quand on donne ce Sacrement avec les cérémonies prescrites ; ce qui en représente plus clairement encore les effets99. Le peuple doit savoir également que, si dans la nécessité, on peut employer une eau dont on doute si elle est telle que le Sacrement l’exige, c’est cependant une vérité incontestable que jamais et pour aucune cause le Baptême ne peut exister, s’il n’est administré avec de l’eau naturelle.
Après avoir expliqué la première des deux choses qui constituent le Baptême, c’est-à-dire la matière, les Pasteurs n’auront pas moins de zèle pour instruire les Fidèles de la forme, seconde partie du Sacrement, tout aussi indispensable que l’autre. Ils devront même apporter à ces explications un soin et un labeur d’autant plus soutenus, que la connaissance d’un aussi saint Mystère n’est pas seulement propre à donner par elle-même à leurs peuples une vive satisfaction — effet ordinaire de la science des choses de Dieu — mais qu’elle est encore infiniment désirable, à cause de l’usage presque journalier qu’on est obligé d’en faire. Il arrive souvent en effet, comme nous le verrons plus tard, et plus en détail, que des gens du peuple, et presque toujours de simples femmes, sont obligés d’administrer le Baptême. C’est donc une chose nécessaire d’apprendre et d’expliquer à tous les Fidèles sans exception, et d’une manière bien exacte, tout ce qui tient à l’essence de ce Sacrement.
Ainsi les Pasteurs enseigneront, en termes très clairs et à la portée de tous, que la forme essentielle et parfaite du Baptême est dans ces mots : Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. C’est en ces termes en effet qu’elle fut donnée par Jésus-Christ, notre Sauveur et notre Dieu, lorsqu’Il dit formellement à ses Apôtres : Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit100. Par ce mot : baptisez, l’Église catholique, inspirée de Dieu, a toujours compris que dans la forme de ce Sacrement, il fallait exprimer l’action du ministre. Et c’est ce que l’on fait, en disant : Je te baptise. Mais, outre les ministres, il fallait encore exprimer et la personne qui reçoit le Baptême, et la cause principale qui produit le Sacrement. Voilà pourquoi l’on ajoute le mot : te, et le nom de chacune des trois Personnes de la Sainte Trinité. De sorte que la forme entière et complète du Sacrement est renfermée dans ces paroles que nous venons de citer : Je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ce n’est pas en effet la Personne seule du Fils qui opère l’effet de ce Sacrement, quoique Saint Jean dise : c’est Lui qui baptise101, mais ce sont les trois Personnes de la Sainte Trinité ensemble. Et si l’on dit : Au nom, et non pas, dans les noms, c’est pour marquer qu’il n’y a qu’une seule nature et une seule divinité dans la Trinité. Ce mot ne se rapporte donc point aux Personnes ; il désigne la substance, la vertu, la puissance divine qui est une et la même dans les trois Personnes102.
Dans cette forme que nous venons de donner, comme entière et parfaite, il y a des mots tellement nécessaires que l’on ne pourrait les supprimer sans détruire la validité du Sacrement, mais il y en a d’autres qui ne sont point aussi essentiels, et dont l’omission n’empêche point la validité. De ce nombre est (dans la langue latine) le mot ego, dont le sens est renfermé dans le verbe baptizo. Il y a plus : les Églises Grecques ont varié la tournure, et sont dans l’usage de supprimer complètement ce pronom, persuadées qu’il n’était pas nécessaire de faire mention du ministre. Ainsi, dans ces Églises, on se sert généralement de cette forme : Que le serviteur de Jésus-Christ soit baptisé au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ces paroles suffisent pour que le Sacrement soit conféré validement ; le Concile de Florence en a ainsi décidé. Et en effet, elles expriment assez clairement la vraie propriété de ce Sacrement, c’est-à-dire l’ablution qui se fait réellement quand on les prononce.
Si l’on est obligé d’avouer qu’à un moment donné les Apôtres baptisaient seulement au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ103, nous devons tenir pour certain qu’ils ne l’ont fait que par l’inspiration du Saint-Esprit. Dans ces commencements de l’Église, ils voulaient donner plus d’éclat à leur prédication par le nom de Jésus-Christ, et faire connaître davantage sa puissance divine et sans bornes. D’ailleurs, en examinant la chose à fond, on voit bientôt qu’il ne manque rien à cette formule de ce qui a été prescrit par notre Sauveur Lui-même. En effet dire Jésus-Christ c’est dire par là même la Personne du Père de qui Il a reçu l’onction sacrée, et la Personne du Saint-Esprit par lequel Il l’a reçue.
Au reste il est très permis de douter que les Apôtres aient conféré le Baptême de cette manière. Saint Ambroise104, Saint Basile105 et plusieurs autres Pères d’une sainteté et d’une autorité considérables, croient que ce Baptême donné au nom de Jésus-Christ, n’est autre chose que le Baptême institué par Jésus-Christ, et qu’il fut ainsi appelé pour le distinguer du Baptême de Jean, sans qu’il s’ensuive que les Apôtres se soient écartés pour le conférer de la forme ordinaire et commune, qui exprime distinctement les trois Personnes. Saint Paul semble se servir de la même manière de parler dans son épître aux Galates : Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ106 Que signifient ces paroles, sinon que les Galates avaient été baptisés dans la Foi de Jésus-Christ, mais non avec une formule différente de celle que notre Dieu et Sauveur avait Lui-même prescrite ?
Ce que nous venons de dire suffit pour instruire les Fidèles sur la matière et la forme, ces deux parties si importantes de l’essence même du Baptême. Mais pour produire le Sacrement, il y a une manière d’employer l’eau — manière déterminée par l’Église — dont il n’est pas permis de s’écarter. Les Pasteurs auront donc soin de donner la doctrine sur ce point, et d’expliquer en peu de mots l’usage et la pratique de l’Église. Elle admet trois manières de baptiser : ou bien en plongeant dans l’eau ceux que l’on baptise, ou bien en versant l’eau sur eux, ou enfin en les arrosant par aspersion. Mais de ces trois rites, quel que soit celui qu’on suive, il est certain que le Baptême est valide. L’eau n’est employée dans le Baptême que pour signifier l’ablution intérieure de l’âme, que ce Sacrement opère. Voilà pourquoi Saint Paul l’appelle un bain107. Or il y a également ablution, soit qu’on plonge dans l’eau, comme on le fit longtemps dans les premiers siècles de l’Église ; soit qu’on verse l’eau, comme c’est aujourd’hui l’usage général ; soit enfin qu’on fasse seulement une aspersion, comme Saint Pierre, dit-on, lorsqu’il convertit et baptisa en un seul jour trois mille personnes108.
Peu importe d’ailleurs que l’on fasse une ou trois ablutions. Saint Grégoire le Grand, écrivant à Léandre, dit que le Baptême s’est donné dans l’Église, et peut se donner de deux manières109. Néanmoins les fidèles devront observer le rite en usage dans leurs églises particulières.
Mais il faut avoir grand soin d’apprendre au peuple que l’eau doit être versée, non sur une partie quelconque du corps, mais principalement sur la tête, parce que la tête est comme le siège où aboutissent tous les sens intérieurs et extérieurs. De plus, les paroles de la forme du Sacrement doivent être prononcées non pas avant ou après l’ablution, mais dans le moment même où cette ablution se fait et par celui-là même qui la fait.
Après ces explications, il importe d’enseigner — et de rappeler aux Fidèles — que le Baptême, comme tous les autres Sacrements, a été institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Mais ce qu’il faut expliquer souvent et avec soin, c’est que pour le Baptême, il y a deux choses bien différentes à distinguer : d’une part le temps précis où Notre-Seigneur l’institua, et de l’autre celui où l’obligation de le recevoir a été imposée à tous.
Et d’abord, en ce qui regarde le premier objet, il apparaît clairement que ce Sacrement fut institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsque recevant Lui-même le Baptême par le ministère de Jean, Il voulut bien donner à l’eau la vertu de nous sanctifier. Saint Grégoire de Nazianze110 et Saint Augustin nous assurent que ce fut en ce moment-là même que l’eau reçut la vertu de nous régénérer pour la vie spirituelle. Nous lisons dans Saint Augustin111 : Depuis que Jésus-Christ a été plongé dans l’eau, l’eau a le pouvoir d’effacer tous les péchés. Et encore : Le Seigneur s’est fait baptiser, non qu’Il eût besoin d’être purifié, mais pour purifier l’eau au contact de sa Chair sans tache, et pour lui communiquer la vertu de nous purifier ensuite.
Mais ce qui nous fournit une preuve sans réplique de cette vérité, c’est que, à ce moment solennel, la Sainte Trinité tout entière, au nom de laquelle on confère le Baptême, manifesta sa présence. On entendit la voix du Père, le Fils était là en personne, et le Saint-Esprit descendit en forme de colombe. De plus les cieux s’ouvrirent, comme ils s’ouvrent pour nous par le Baptême112.
Que si quelqu’un demande pourquoi il a plu à notre Seigneur d’attribuer à l’eau une vertu si admirable et si divine, il faut répondre que cela dépasse notre intelligence.
Mais ce que nous pouvons comprendre d’une manière suffisante, c’est que, notre Sauveur s’étant fait baptiser, l’eau, en touchant sa Chair très sainte et très pure, se trouva consacrée à l’usage de ce Sacrement. Mais nous ne devons pas perdre de vue que pour avoir été institué avant la Passion, le Baptême ne laissa pas d’en tirer toute sa vertu et toute son efficacité, parce que la Passion était comme la fin à laquelle le Rédempteur rapportait toutes ses actions113.xxx
Quant au temps où l’obligation de recevoir le Baptême a été imposée à tous, il ne peut y avoir aucun doute. Les Auteurs ecclésiastiques conviennent que lorsque notre Seigneur, après sa Résurrection, dit à ses Apôtres : Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit114, au même moment, l’obligation de recevoir le Baptême fut imposée à tous les hommes qui voudraient se sauver. Cette conclusion peut se tirer également de ces paroles si autorisées du Prince des Apôtres : Il nous a fait renaître à l’espérance de la vie par la Résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts115 ; et aussi de ces paroles de Saint Paul, qui, en parlant de l’Église, s’exprime ainsi : Il s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le Baptême de l’eau dans la parole de vie116. Tous les deux, en effet, semblent rapporter l’obligation du Baptême au temps qui suivit la mort du Sauveur, de sorte que ces paroles de Jésus-Christ : Celui qui ne renaîtra point de l’eau et de l’esprit, ne pourra entrer dans le Royaume de Dieu117, s’appliquent évidemment au temps qui devait suivre sa Passion.
Si les Pasteurs ont soin de traiter ce sujet comme il convient, il est impossible que les Fidèles ne reconnaissent point l’excellence et la dignité du Baptême, et ne conçoivent point des sentiments profonds de vénération et de reconnaissance pour un bienfait si admirable et si étonnant, surtout s’ils veulent réfléchir que les effets miraculeux, qui se manifestèrent au Baptême de Notre-Seigneur Jésus-Christ, se produisent intérieurement par la vertu du Saint-Esprit dans l’âme de tous ceux qui reçoivent le Baptême. Et de fait, si, comme il arriva au serviteur d’Élisée118, nos yeux pouvaient s’ouvrir de manière à voir les choses célestes, il n’est personne assez dépourvu de sens commun, pour ne pas être saisi d’admiration en présence des divins mystères du Baptême. Mais pourquoi n’en serait-il pas de même, si les Pasteurs exposaient toutes les richesses de ce Sacrement avec une clarté si parfaite que les Fidèles fussent capables de les contempler, sinon avec les yeux du corps, du moins avec les yeux de l’esprit éclairé par la Foi ?
Voyons maintenant quels sont les Ministres de ce Sacrement. Non seulement il est utile, mais il est nécessaire de le dire, d’une part, afin que ceux qui sont chargés de cette fonction, s’appliquent à la remplir saintement et avec piété ; de l’autre, afin que personne ne sorte des limites de ses attributions, et ne cherche à s’introduire à contretemps, ou à pénétrer avec insolence sur le terrain d’autrui. Car, dit l’Apôtre, il faut garder l’ordre en toutes choses119.
Les Fidèles doivent donc savoir qu’il y a trois classes de Ministres du Baptême. À la première appartiennent les Évêques et les Prêtres, qui exercent ce ministère de plein droit, et non en vertu d’un pouvoir extraordinaire. C’est aux Évêques que Notre-Seigneur a dit dans la personne des Apôtres : Allez, baptisez !120 et si, dès les premiers temps, ils ont pris l’habitude de laisser aux Prêtres l’administration du Baptême, c’était uniquement pour ne pas être obligés d’abandonner la charge plus importante encore de la prédication. Quant aux Prêtres, la doctrine des Pères121 et l’usage constant de l’Église attestent qu’ils exercent cette Fonction en vertu d’un droit qui leur est tellement propre, qu’ils peuvent baptiser même en présence de l’Évêque. Et de fait, puisqu’ils étaient établis pour consacrer l’Eucharistie qui est le Sacrement de la paix et de l’unité122, il était tout naturel qu’ils reçussent en même temps le pouvoir de faire tout ce qui est nécessaire pour mettre les hommes en participation de cette paix et de cette unité. Et si quelques Pères ont pu dire que les Prêtres n’avaient pas le droit de baptiser sans la permission de l’Évêque, cela doit s’entendre seulement du Baptême que l’on avait coutume d’administrer plus solennellement à certains jours de l’année.
La seconde classe est celle des diacres. Mais ils ne peuvent baptiser qu’avec le consentement de l’Évêque, ou du Prêtre. De nombreux textes des Pères ne laissent aucun doute sur ce point123.
En troisième et dernier lieu, viennent ceux qui dans le cas de nécessité, peuvent administrer ce Sacrement, sans les cérémonies habituelles. De ce nombre sont tous les humains, hommes ou femmes, même les derniers du peuple et de quelque religion qu’ils soient. En effet, Juifs, infidèles, hérétiques, quand la nécessité l’exige, tous peuvent baptiser, pourvu qu’ils aient l’intention de faire ce que fait l’Église, en administrant ce Sacrement. Ainsi l’avaient déjà décidé plusieurs fois les Pères et les anciens Conciles. Mais la sainte Assemblée de Trente vient au surplus de prononcer l’anathème contre tous ceux qui oseraient soutenir que le Baptême donné par les hérétiques au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, avec l’intention de faire ce que fait l’Église, n’est pas un Baptême valide et véritable.124
Et certes, c’est là pour nous une belle occasion d’admirer la Bonté parfaite et l’infinie Sagesse de notre Dieu. Parce que le Baptême est nécessaire à tous, Il a choisi et institué pour matière de ce Sacrement l’eau, que l’on trouve partout, et en même temps Il n’a voulu refuser à personne le pouvoir de l’administrer. Seulement, comme nous l’avons déjà dit, tous n’ont pas le droit de le conférer avec les cérémonies établies par l’Église ; non que ces rites et ces cérémonies soient quelque chose de plus auguste que le Sacrement lui-même, mais parce qu’elles sont moins nécessaires.
Au reste, s’il est permis à tous de baptiser, les Fidèles ne doivent point s’imaginer pour cela que les convenances n’obligent pas à établir un certain ordre parmi les divers Ministres de ce Sacrement. Une femme, par exemple, ne doit pas se permettre d’administrer le Baptême, s’il y a un homme présent ; ni un Laïque, s’il y a un Clerc ; ni un Clerc s’il y a un Prêtre. Cependant les sages-femmes qui sont accoutumées à baptiser ne sont nullement répréhensibles, si dans certains cas, et en présence d’un homme qui ne sait pas conférer ce Sacrement, elles se chargent elles-mêmes de cette fonction, qui dans d’autres circonstances semble convenir beaucoup mieux à l’homme.
Outre ces différents Ministres qui peuvent, comme nous venons de le dire, administrer le Baptême, il en est d’autres qu’un usage très ancien de l’Église catholique fait concourir à la cérémonie de la sainte et salutaire Ablution. Ce sont ceux que nous appelons aujourd’hui Parrains, et que les auteurs ecclésiastiques appelaient communément autrefois receveurs, répondants, ou cautions125. Comme ces sortes de Fonctions peuvent être remplies par presque tous les laïques, les Pasteurs devront les passer en revue avec soin, afin que les Fidèles sachent bien ce qu’il faut faire pour les remplir convenablement. Avant tout, il sera nécessaire d’expliquer pour quelles raisons on a joint aux Ministres du Sacrement des Parrains et des répondants. Et cette raison paraîtra très juste et très sage à tous ceux qui voudront se souvenir que le Baptême est une régénération spirituelle, par laquelle nous naissons véritablement enfants de Dieu. C’est ainsi que l’enseigne Saint Pierre : Comme des enfants nouvellement nés, désirez le lait spirituel, et pur de tout mélange126.
Dès qu’un enfant a vu le jour, il a besoin des secours et des soins d’une nourrice et d’un maître, pour s’élever d’abord, et ensuite pour s’instruire dans les sciences et dans les arts. Ainsi ceux qui commencent à vivre de la vie spirituelle puisée aux Fonts du Baptême, ont besoin d’être confiés à une personne remplie de Foi et de prudence, capable de les instruire des préceptes de la religion chrétienne, de les former à la pratique de toutes les Vertus, et de les faire croître peu à peu en Jésus-Christ, jusqu’à ce qu’ils deviennent, avec la Grâce de Dieu, des hommes (des Chrétiens) parfaits.
Et cela est d’autant plus nécessaire que les Pasteurs chargés de la conduite des Paroisses, n’ont généralement pas assez de loisir pour se charger du soin d’instruire les enfants en particulier sur les éléments de la Foi. Saint Denys nous a laissé un témoignage remarquable de l’ancienneté de cet usage : Nos divins Maîtres, dit-il, car c’est ainsi qu’il appelle les Apôtres, ont eu la pensée, et ont jugé à propos de donner des répondants aux enfants, conformément à cette sainte coutume qui porte les parents naturels à choisir pour leurs enfants des personnes éclairées dans les choses de Dieu, capables de leur tenir lieu de maîtres, et sous la direction desquels ces enfants doivent passer le reste de leur vie, comme sous les auspices d’un père spirituel, et du gardien de leur salut127. Le Pape Hygin dit la même chose, et son autorité confirme notre doctrine128.
C’est donc avec une profonde sagesse que la sainte Église a décrété que les liens de l’affinité spirituelle existeraient non seulement entre celui qui baptise et celui qui est baptisé, mais encore entre le Parrain, son Filleul. Et les Parents de ce dernier. De sorte qu’il ne peut y avoir de légitime mariage entre ces différentes personnes, et que si par hasard un mariage était contracté dans ces conditions, il serait nul de plein droit.
Puis il faudra instruire les Fidèles sur les obligations des Parrains ; on s’acquitte aujourd’hui de ce devoir avec tant de négligence, qu’il ne reste plus de cette charge que le nom. On ne paraît même pas soupçonner qu’elle renferme quelque chose de sacré. Or, en général, les Parrains ne doivent jamais perdre de vue qu’ils ont contracté l’obligation spéciale et rigoureuse de considérer dans leurs enfants spirituels des personnes confiées pour toujours à leurs soins, de les former avec un grand zèle à toutes les pratiques de la Vie chrétienne, et de faire tous leurs efforts pour les engager à remplir fidèlement, pendant leur vie, ce qu’ils ont si solennellement promis pour eux au Baptême. Écoutons là-dessus saint Denys. Voici ce qu’il fait dire à un répondant (au Parrain) : Je promets d’exhorter et d’engager soigneusement cet enfant, lorsqu’il sera en âge de comprendre la Religion, à renoncer à tout ce qui est contraire au bien, à professer et à remplir exactement les promesses qu’il fait maintenant à Dieu129.
Vous tous, s’écrie à son tour saint Augustin130, hommes et femmes qui avez reçu des enfants au Baptême, je vous en avertis, surtout n’oubliez pas que vous êtes devenus auprès de Dieu les cautions de ceux qu’on vous a vus recevoir sur les Fonts sacrés. Et en effet n’est-il pas bien juste que celui qui s’est chargé d’un emploi, ne se lasse jamais de s’en acquitter avec exactitude, et que celui qui a promis publiquement d’être le maître et le guide d’un autre, ne se permette point d’abandonner celui qu’il a pris sous sa garde et sous sa protection, tant qu’il sait que ce dernier a besoin de ses services et de son appui ?
Mais quels sont les enseignements que les Parrains doivent donner à leurs Filleuls ? Saint Augustin nous le dit en peu de mots, en traitant de leurs obligations. Ils doivent les avertir de garder la chasteté, d’aimer la justice, de conserver la charité, et leur apprendre le plus tôt possible, et avant tout le reste, le symbole, l’Oraison Dominicale, le Décalogue et les premiers Principes de la Religion chrétienne131.
D’après cela, il est facile de voir à quelles personnes on ne doit point confier la direction de cette sainte tutelle. Ce sont toutes celles qui ne veulent pas, ou qui ne peuvent pas s’en acquitter fidèlement et avec zèle. D’abord le père et la mère sont exclus. Il ne leur est pas permis d’être les Parrains de leurs enfants. L’Église veut nous faire comprendre par là combien l’éducation spirituelle diffère de l’éducation selon la chair. Ensuite, on ne doit jamais confier cette fonction aux hérétiques, aux Juifs, aux infidèles, puisqu’ils ne pensent et ne cherchent qu’à obscurcir la vérité de la Foi par leurs mensonges, et à détruire toute la piété chrétienne132.
Le Concile de Trente défend également de faire tenir le même enfant sur les Fonts du Baptême par plusieurs Parrains ou Marraines. On doit se borner à un seul Parrain, ou à une seule Marraine, ou du moins prendre seulement l’un et l’autre. Et en voici la double raison : d’une part la multitude des maîtres pourrait introduire de la confusion dans la direction et l’instruction des enfants, de l’autre il était bon de restreindre les affinités provenant de ce chef, entre un trop grand nombre de personnes, pour ne point gêner le développement des alliances dans la société par légitime mariage.
Ce que nous avons dit jusqu’ici de ce Sacrement est très utile à connaître pour les Fidèles. Mais ce qu’il est absolument nécessaire de ne pas leur laisser ignorer, c’est que Notre-Seigneur a fait à tous les hommes une loi de se faire baptiser, loi si rigoureuse que ceux qui ne seraient pas régénérés en Dieu par la grâce de ce Sacrement, ne viendraient au monde que pour leur malheur et leur perte éternelle, que leurs parents d’ailleurs fussent chrétiens ou païens. C’est pourquoi les Pasteurs ne sauraient expliquer trop souvent ces paroles de l’Évangile. Si quelqu’un n’est pas régénéré par l’eau et par l’Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume des cieux133.
Et cette loi ne regarde pas seulement les adultes, l’autorité et les témoignages des Pères établissent qu’elle atteint même les petits enfants, et que l’Église l’a reçue de la tradition apostolique. D’ailleurs, est-il possible de croire que Notre-Seigneur Jésus-Christ eût refusé aux enfants le sacrement et la grâce du Baptême, Lui qui disait : Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi, parce que le Royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent134 ; Lui qui les embrassait, qui leur imposait les mains, et les bénissait ?
Nous lisons que Saint Paul baptisa un jour une famille tout entière135. Or n’est-il pas assez naturel de supposer que les enfants qui faisaient partie de cette famille furent également purifiés par cette eau salutaire ?
La Circoncision qui était la figure du Baptême apporte aussi son témoignage, et un témoignage considérable, en faveur du Baptême des enfants. En effet, personne n’ignore que l’on avait coutume de donner la Circoncision aux enfants le huitième jour après leur naissance. Or, puisque la Circoncision, qui dépouille la chair par la main des hommes136, était utile à ces enfants, pourquoi le Baptême, qui est la circoncision spirituelle de Jésus-Christ, ne produirait-il pas en eux ses effets ?
Enfin, comme l’enseigne l’Apôtre, si la mort a régné par un seul, et par le péché d’un seul, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la Grâce et du don de la Justice, doivent régner dans la vie par un seul qui est Jésus-Christ137. Or les enfants, par le péché d’Adam, ont contracté la tache originelle ; à plus forte raison donc peuvent-ils recevoir la Grâce et la Justice par Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour régner dans la vie ; ce qui est absolument impossible sans le Baptême.
C’est pourquoi les Pasteurs enseigneront qu’il est de toute nécessité de baptiser les enfants, et ensuite de les former peu à peu dès l’âge le plus tendre, et par les préceptes de la Religion chrétienne, à la pratique de la vraie piété. Car, comme le Sage l’a très bien dit : Le jeune homme, même quand il aura vieilli, ne quittera point la voie qu’il aura suivie dans sa jeunesse138. On ne peut douter que les enfants, au moment où ils reçoivent le Baptême, ne reçoivent en même temps le don mystérieux de la Foi ; non pas qu’ils croient par l’adhésion de leur intelligence, mais parce qu’ils sont comme revêtus et imprégnés de la Foi de leurs Parents, si leurs Parents sont croyants, ou s’ils sont infidèles, de la Foi de toute la société des Saints. (C’est la parole même de Saint Augustin). Car on peut dire avec vérité que les enfants sont présentés au Baptême par tous ceux qui désirent les y voir présenter, et dont la charité les fait admettre dans la Communion du Saint-Esprit.
Il faut donc engager fortement les Fidèles à porter leurs enfants à l’Église, et à les faire baptiser avec les cérémonies consacrées, dès qu’ils pourront le faire sans danger. Les enfants n’ont pas d’autre moyen de salut que le Baptême. Ce serait une faute, et une faute grave, de les laisser dans la privation de la grâce de ce Sacrement plus longtemps que la nécessité ne l’exige. Et il ne faut pas oublier que la faiblesse de leur âge les expose à une infinité de périls mortels.
Quant aux adultes qui ont le parfait usage de leur raison, et qui sont nés de parents infidèles, la conduite à tenir est toute différente. Selon la coutume de la primitive Église, il faut les instruire d’abord des vérités de la Foi chrétienne, et puis les exhorter, les exciter, les inviter avec la plus grande ardeur à l’embrasser. S’ils se convertissent au Seigneur, on les avertira de ne pas différer à recevoir le Baptême au-delà du temps prescrit par l’Église. Car il est écrit : ne tardez pas à vous convertir au Seigneur, et ne différez pas de jour en jour139. Il faut leur apprendre que la conversion complète ne se trouve que dans la régénération baptismale. Que plus ils viendront tard au Baptême, plus longtemps aussi ils demeureront privés de l’usage et de la grâce des autres Sacrements, qui sont l’âme, en quelque sorte, de toute la Religion chrétienne, puisque le Baptême seul ouvre les portes qui conduisent jusqu’à eux ; enfin qu’ils renonceraient également aux avantages immenses que ce premier Sacrement renferme. C’est qu’en effet l’eau salutaire du Baptême efface et détruit les taches et les souillures de tous les péchés commis auparavant, en même temps qu’elle orne notre âme de cette Grâce divine dont le secours et la force nous font désormais éviter le mal et conserver la justice et l’innocence, deux choses dans lesquelles se résume toute la Vie chrétienne, comme il est facile de le voir.
Malgré cela l’Église n’est pas dans l’usage de donner le Baptême aux adultes aussitôt après leur conversion. Elle veut au contraire qu’on le diffère un certain temps. Ce retard n’entraîne point pour eux les dangers qui menacent les enfants, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Comme ils ont l’usage de la raison, le désir et la résolution de recevoir le Baptême, joints au repentir de leurs péchés, leur suffiraient pour arriver à la grâce et à la justification, si quelque accident soudain les empêchait de se purifier dans les Fonts salutaires. Au contraire, ces retards ont bien leur utilité. Puisque l’Église est chargée de veiller, et avec la plus grande sollicitude, à ce que personne ne s’approche de ce Sacrement par un esprit de dissimulation et d’hypocrisie, elle connaît et apprécie mieux, en différant le Baptême, la sincérité de ceux qui le demandent. Voilà pourquoi les anciens Conciles avaient décrété que les Juifs qui se convertiraient à la Foi catholique, resteraient pendant plusieurs mois au rang de simples Catéchumènes, avant d’être admis à recevoir le Baptême. D’un autre côté ce retard permet d’instruire les Adultes d’une manière plus parfaite des règles de la Vie chrétienne, et des principes de la Foi dont ils doivent faire profession. Enfin on rend à ce Sacrement tout l’honneur qu’il mérite, en le recevant d’une manière solennelle, et avec les cérémonies de l’Église, aux fêtes de Pâques et de la Pentecôte.
Cependant il y a quelquefois des raisons graves et même nécessaires de ne pas différer le Baptême aux Adultes, par exemple s’ils se trouvent en danger de mort, ou s’ils sont parfaitement instruits des Mystères de la Foi. C’est ce que firent Saint Philippe et le prince des Apôtres. Saint Philippe baptisa le serviteur de la reine d’Éthiopie, et Saint Pierre le centurion Corneille, l’un et l’autre sans aucun retard, et dès qu’ils eurent déclaré qu’ils étaient prêts à embrasser la Foi.
Il faut aussi apprendre au peuple, et bien lui expliquer quelles doivent être les dispositions de ceux qui se présentent au Baptême. La première de toutes, c’est le désir et la volonté ferme d’être baptisés. Puisque par le Baptême on meurt au péché, et on embrasse une vie nouvelle, et des principes nouveaux, il est juste de ne le conférer à qui que ce soit malgré lui, et de ne le donner qu’à ceux qui l’acceptent volontairement et avec plaisir. La tradition nous apprend que la coutume a toujours existé de demander à celui que l’on va baptiser s’il a la volonté de l’être. Et il ne faut pas penser que cette volonté manque, même chez les plus jeunes enfants, puisque l’Église répond pour eux, et que sa propre volonté à cet égard est bien évidente.
Les insensés et les fous qui ont joui quelque temps de leur bon sens, et l’ont perdu ensuite, ne peuvent pas avoir dans cet état la volonté de recevoir le baptême. Ils ne doivent donc pas être baptisés, à moins qu’ils ne soient en danger de mort. Car dans ce cas il faut les baptiser, pourvu toutefois qu’ils aient manifesté le désir de recevoir ce Sacrement avant de tomber en démence. Dans le cas contraire, on ne doit pas les baptiser. Il en est de même de ceux qui sont en enfance. S’ils n’ont jamais joui de leur bon sens, s’ils n’ont jamais eu l’usage de leur raison, la coutume et l’autorité de l’Église demandent qu’on les baptise comme les enfants qui viennent de naître.
Mais outre le désir formel du Baptême que doivent avoir ceux qui sont raisonnables, la Foi leur est également nécessaire pour recevoir la grâce du Sacrement, et nécessaire au même titre que la volonté. Car ce n’est pas sans motif que Notre-Seigneur a dit : Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé140. De plus il faut qu’ils aient un repentir sincère de tous leurs péchés, de toute leur mauvaise conduite antérieure, et une ferme résolution de ne plus pécher à l’avenir. Celui qui demanderait le Baptême, sans avoir la volonté bien arrêtée de corriger ses habitudes coupables, devrait être absolument écarté. Rien n’est plus opposé à la grâce et aux effets du Baptême que les dispositions et les sentiments d’un pécheur qui ne veut mettre aucun terme à ses désordres. Puisqu’on ne désire ce Sacrement que pour revêtir Jésus-Christ, et pour s’unir à Lui, c’est donc un devoir indispensable d’éloigner de l’Ablution sacrée celui qui se propose de persévérer dans ses vices et dans ses fautes. D’ailleurs on ne doit jamais abuser en aucune façon de ce qui touche à Jésus-Christ et à son Église. Or ce serait abuser du Baptême, et le recevoir en vain, du moins en ce qui concerne la sanctification et le salut, que de conserver, en le recevant, la volonté de vivre selon la chair et non pas selon l’esprit. Toutefois, même avec cette disposition, on recevrait véritablement le caractère du Sacrement, pourvu que le Baptême fût administré régulièrement, et que l’on eût l’intention de recevoir ce que l’Église elle-même a l’intention de donner. Voilà pourquoi le Prince des Apôtres répondit à cette multitude d’hommes qui, nous dit l’Écriture, étaient venus, le cœur contrit, lui demander, à lui et aux autres Apôtres, ce qu’ils avaient à faire (pour être sauvés) : Faites pénitence, et que chacun de vous reçoive le Baptême141 ; et dans un autre endroit : Repentez-vous, et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés142. De même Saint Paul, dans son épître aux Romains, fait voir clairement que celui qui est baptisé doit absolument mourir au péché. Voilà pourquoi il nous avertit de ne point abandonner nos membres au péché, comme des armes d’iniquités, mais de nous donner à Dieu, comme étant revenus de la mort à la vie143.
Si les Fidèles savent méditer fréquemment ces Vérités, ils seront d’abord forcés d’admirer sans réserve la bonté infinie de Dieu, qui sans aucun mérite de notre part, et par la seule inspiration de sa miséricorde, a bien voulu nous accorder le bienfait si extraordinaire et si précieux du baptême. Et s’ils viennent ensuite à considérer combien doit être pure et éloignée de tout mal la vie de ceux qui ont reçu un présent si magnifique, ils n’auront aucune peine à comprendre qu’un vrai Chrétien doit passer tous les jours de sa vie aussi saintement, et avec autant de piété, que s’il venait seulement de recevoir ce jour-là le sacrement et la grâce du Baptême.
Un des moyens les plus efficaces pour allumer dans le cœur des Chrétiens le feu du véritable amour de Dieu, c’est de leur expliquer avec soin les effets du Baptême. Il faudra donc revenir souvent sur ce sujet, afin qu’ils sachent bien que ce Sacrement les a élevés à un très haut degré de dignité, et qu’ils ne doivent jamais souffrir que les artifices, ou la violence de leurs ennemis les en fassent déchoir.
La première chose à leur apprendre sur ce point, c’est que tous nos péchés, soit le péché originel qui nous vient de nos premiers parents, soit le péché actuel que nous commettons par notre propre volonté, — quand même ce péché dépasserait en malice tout ce qu’on peut imaginer, — tous nos péchés, disons-nous, nous sont remis et pardonnés par la vertu merveilleuse du Sacrement de Baptême. Longtemps avant Notre-Seigneur, Ézéchiel avait prédit cet effet : Je verserai sur vous une eau pure, dit Dieu Lui-même, par la bouche du Prophète, et vous serez purifiés de toutes vos souillures144. Et l’Apôtre saint Paul, après avoir fait aux Corinthiens une longue énumération de diverses sortes de péchés, ajoute : C’est ce que vous avez été autrefois : mais vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés145. Telle a été en effet, et manifestement, la doctrine constante de l’Église. Saint Augustin, dans son livre du Baptême des enfants, dit que par la génération du Saint-Esprit, on obtient la rémission des péchés volontaires, avec celle du péché originel146. Et saint Jérôme à Océanus : Tous les crimes, dit-il, sont pardonnés dans le Baptême147. Et pour qu’il ne put rester aucun doute sur cette vérité, même après les définitions des autres Conciles, la sainte assemblée de Trente a prononcé l’anathème contre ceux qui oseraient penser autrement, et qui auraient la témérité de soutenir que la rémission des péchés par le Baptême n’est pas entière, et qu’ils ne sont pas absolument effacés et comme déracinés de l’âme, mais seulement coupés et rasés en quelques sortes, de manière que les racines en demeurent encore dans notre cœur. Car, pour employer les propres expressions du Concile, Dieu ne hait rien dans ceux qui sont régénérés, parce qu’il n’y a aucune cause de condamnation dans ceux qui ont été véritablement ensevelis avec Jésus-Christ par le Baptême, pour mourir au péché ; qui ne vivent plus selon la chair ; qui ont dépouillé le vieil homme ; qui se sont revêtus de l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu ; et qui sont devenus innocents, purs, sans tache, et agréables à Dieu148.
Cependant il faut le reconnaître, et le saint Concile l’a formellement décrété dans le même endroit, la concupiscence ou le foyer du péché subsiste encore chez les baptisés ; mais la concupiscence n’est point le péché. Saint Augustin enseigne que chez les enfants le Baptême remet la faute de la concupiscence, mais qu’il leur laisse la concupiscence, pour les exercer. Et ailleurs il dit positivement que la faute est détruite dans le Baptême, mais que la faiblesse reste. La concupiscence qui vient du péché n’est autre chose en effet qu’une inclination ou tendance de l’âme, essentiellement contraire à la raison ; mais cette tendance cependant est bien différente de la véritable nature du péché, quand il ne s’y joint ni consentement de la volonté pour la suivre, ni négligence pour la combattre. Et lorsque saint Paul a dit : Je n’aurais pas connu la concupiscence, si la Loi ne m’avait dit : tu ne convoiteras pas149, il a voulu parler, non des mouvements mêmes de la concupiscence, mais du vice de la volonté. Nous trouvons la même doctrine dans saint Grégoire : Si quelqu’un prétend, dit-il, que par le baptême les péchés sont remis seulement jusqu’à la surface, qu’y a-t-il de moins chrétien que cette opinion ? Car, par le sacrement de la Foi, l’âme, entièrement dégagée de ses fautes, n’est plus attachée qu’à Dieu150. Puis, en preuve de ce qu’il affirme, il rapporte les paroles de Notre Sauveur dans saint Jean : Celui qui a été lavé, n’a plus besoin que de se laver les pieds, et il est pur dans tout le reste151.
Si l’on veut une image sensible et une figure frappante de cette vérité, il n’y a à considérer ce que l’Écriture rapporte de Naaman, le lépreux de Syrie. Après s’être baigné sept fois dans le Jourdain, il fut si parfaitement guéri que sa chair semblait être celle d’un enfant. Pareillement l’effet propre du Baptême est de nous remettre tous nos péchés, aussi bien le péché originel que ceux que nous avons commis par notre propre faute. C’est pour cette fin-là même que notre Sauveur l’a institué. Le Prince des Apôtres, pour n’en point citer d’autres, nous l’apprend formellement, quand il dit : Faites pénitence, et que chacun de vous reçoive le Baptême au nom de Jésus-Christ, pour la rémission de ses péchés152.
Et non seulement le Baptême remet tous les péchés, mais grâce à l’infinie bonté de Dieu, il remet en même temps toutes les peines qui leur sont dues. Il est vrai que les Sacrements ont la vertu de nous communiquer les mérites de la Passion de Jésus-Christ. Mais c’est du Baptême que l’Apôtre a dit que par lui nous mourons et sommes ensevelis avec Jésus-Christ153. Voilà pourquoi la sainte Église a toujours compris qu’on ne pouvait, sans faire une très grande injure à ce Sacrement, imposer à celui qui doit le recevoir et être purifié par lui, ces œuvres de piété que les saints Pères appellent communément des œuvres satisfactoires. Et ce que nous disons ici n’a rien de contraire à l’usage de la primitive Église, qui ordonnait aux Juifs, lorsqu’ils recevaient le Baptême, de jeûner pendant quarante jours. Ce jeune n’avait point rapport à la satisfaction ; mais c’était un moyen de rappeler à ceux qui recevaient le Baptême, que par respect pour la dignité de ce Sacrement, ils devaient se livrer sans interruption pendant quelque temps au jeûne et à la prière.
Mais s’il est absolument certain que le Baptême remet toutes les peines dues aux péchés, cependant il n’exempte point de ces châtiments que les tribunaux humains infligent aux grands criminels. Ainsi celui qui aurait mérité la mort ne pourrait se soustraire par le Baptême au supplice ordonné par la loi. Mais on ne saurait trop louer la religion et la piété de ces princes qui, pour faire éclater davantage la gloire de Dieu dans ses Sacrements, accorderaient sa grâce au coupable en cette circonstance, et lui remettraient sa peine.
De plus le Baptême, après le court passage de cette vie, nous délivre de toutes les peines qui sont dues au péché originel. C’est une grâce que la mort de Jésus-Christ nous a méritée. Comme nous l’avons dit plus haut, par le Baptême nous mourons avec Jésus-Christ ; or, dit l’Apôtre, si nous sommes entés en Lui, par la ressemblance de sa Mort, nous le serons aussi par la ressemblance de sa Résurrection154.
Pourquoi donc, dira peut-être quelqu’un, ne sommes-nous pas, aussitôt après le Baptême, et dès cette vie mortelle, délivrés de tous les inconvénients qui l’accompagnent et rétablis par la vertu de l’ablution sacrée dans cet état de dignité et de perfection, où Adam le père du genre humain avait été placé avant son péché ? Nous pouvons donner de ce fait deux principales raisons.
La première, c’est que nous sommes unis au corps de Jésus-Christ, et que nous en devenons les membres par le Baptême. Or il ne convenait pas de nous accorder plus de privilèges qu’à notre Chef lui-même. Notre-Seigneur Jésus-Christ, tout en possédant dès le premier instant de sa conception, la plénitude de la Grâce et de la Vérité, n’a point déposé pour cela la fragilité de la nature humaine qu’il avait prise, avant d’avoir enduré les tourments de sa Passion et de sa Mort, et avant de s’être ressuscité Lui-même à la vie glorieuse de l’immortalité. Dès lors, qui pourrait s’étonner de voir les Fidèles, qui possèdent déjà par le Baptême la grâce de la justice céleste, continuer de vivre encore dans une chair périssable et fragile ? Quand ils auront supporté pour Jésus-Christ toutes sortes de peines et de travaux, quand ils auront subi la mort, et qu’ils seront ensuite revenus à la vie, alors ils seront dignes de jouir avec Lui de l’éternité bienheureuse.
La seconde raison qui a fait laisser en nous après le Baptême l’infirmité du corps, les maladies, le sentiment de la douleur et les mouvements de la concupiscence, c’est que Dieu voulait nous ménager comme une ample moisson de mérites de toute sorte, et par ce moyen, nous faire obtenir un jour des fruits plus abondants de gloire, et de plus magnifiques récompenses. Si nous souffrons patiemment toutes les misères de la vie, si avec l’aide de Dieu, nous soumettons les affections déréglées de notre cœur à l’empire de la raison, nous avons le droit d’espérer fermement, avec l’Apôtre, que, ayant bien combattu, achevé notre course et conservé la Foi, le Seigneur nous réservera la couronne de justice, et que ce juste Juge nous la rendra au dernier jour155. C’est de la même manière que Dieu semble avoir agi avec les enfants d’Israël. Il les délivra de la servitude d’Égypte, de la poursuite de Pharaon et de son armée, qu’Il précipita dans la mer ; et cependant Il ne les introduisit point immédiatement dans l’heureuse terre de la promesse ; mais auparavant, Il les fit passer par plusieurs épreuves, et les exposa à de nombreux périls. Et plus tard, lorsqu’Il les mit en possession de la terre promise, Il chassa, il est vrai, de cette terre la plupart de ses habitants, mais Il y conserva cependant quelques nations, qu’on ne put jamais détruire, afin que le peuple de Dieu eût sans cesse l’occasion d’exercer son courage, et sa vertu guerrière.
Joignons à cela que si le Baptême, tout en ornant l’âme des dons célestes, procurait en même temps les biens du corps, plusieurs probablement voudraient le recevoir, plutôt à cause de ces avantages temporels et présents, que par l’espérance de la gloire future. Et cependant les biens que le Chrétien ne doit jamais perdre de vue, ne sont pas ces biens faux et incertains qui se voient, mais les biens véritables et éternels qui ne se voient pas.
Toutefois, la vie présente, si remplie de misères qu’elle soit, n’est pas sans joies et sans douceurs. Pour nous en effet, qui sommes comme des branches entées sur Jésus-Christ par le Baptême, que peut-il y avoir de plus doux, et de plus désirable, que de prendre la croix sur nos épaules, de suivre notre Sauveur comme un chef, sans nous laisser ni rebuter par la fatigue, ni arrêter par les dangers, et de tendre sans cesse de toutes nos forces à la récompense céleste à laquelle Dieu nous appelle, pour recevoir de sa main, ceux-ci le laurier de la virginité, ceux-là, la couronne de la science et de la prédication, les uns la palme du martyre, les autres enfin les récompenses dues à leurs vertus ? Or, tous ces titres et tous ces insignes ne pourraient nous être accordés, si auparavant nous ne nous étions point exercés dans la carrière de cette vie si pénible, et si nous n’avions pas remporté la victoire dans le combat.
Pour en revenir aux effets du Baptême, il faudra expliquer que ce Sacrement, non seulement nous délivre, par la vertu qui lui est propre, de tout ce que l’on peut vraiment appeler les maux, mais qu’il nous enrichit encore des biens et des dons les plus précieux. Ainsi il remplit notre âme de cette Grâce divine qui nous rend justes, et nous fait enfants de Dieu, héritiers du salut éternel. Car, comme il est écrit : celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé156 ; et l’Apôtre affirme que l’Église a été Purifiée par le Baptême de l’eau par la parole157. Or, d’après le décret du Concile de Trente, qui nous oblige de le croire sous peine d’anathème, la grâce reçue dans le Baptême n’efface pas seulement nos péchés, mais elle est encore comme une qualité divine qui s’attache à l’âme, c’est comme un rayon, une lumière qui en absorbe toutes les taches, et qui la rend plus belle et plus brillante. Cette vérité se déduit aussi très clairement de l’Écriture sainte, lorsqu’elle dit que la grâce est répandue dans nos cœurs158, et qu’elle est un gage du Saint-Esprit159.
Mais cette grâce que le Baptême communique est accompagnée du glorieux cortège de toutes les vertus qui, par un don spécial de Dieu, pénètrent dans l’âme en même temps qu’elle. L’Apôtre écrivait à Tite : Dieu nous a sauvés par l’eau de la régénération et du renouvellement du Saint-Esprit, qu’Il a répandu sur nous avec abondance, par Jésus-Christ notre Sauveur160. Et Saint Augustin affirme que ces paroles, Il a répandu en abondance, doivent s’entendre de toute la rémission des péchés et de l’abondance de toutes les vertus.
Le Baptême nous unit aussi et nous attache à Jésus-Christ comme des membres à leur chef. C’est la tête qui communique à chaque partie du corps la force et le mouvement nécessaires pour remplir les fonctions qui lui sont propres. De même aussi c’est de la plénitude de notre Seigneur Jésus-Christ que se répand sur tous ceux qui sont justifiés, cette Vertu, cette Grâce divine qui nous rend capables d’accomplir tous les devoirs de la Piété chrétienne.
Et personne ne doit trouver étrange qu’avec une aussi grande abondance de vertus qui viennent orner et fortifier notre âme, nous ne puissions cependant commencer ou du moins achever aucune bonne œuvre, sans les peines et les difficultés les plus grandes. Ce n’est pas que Dieu dans sa bonté ne nous ait accordé réellement les vertus qui engendrent les bonnes œuvres. Mais c’est que, même après le Baptême, la lutte acharnée de la chair contre l’esprit n’est pas finie. Au contraire. Et il serait indigne d’un Chrétien de se décourager dans cette lutte, ou de se laisser abattre. S’il s’appuie sur la bonté de Dieu, et s’il s’applique chaque jour à bien vivre, il doit garder dans son cœur l’espérance certaine que bientôt il trouvera facile et agréable tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint161. Méditons souvent ces saintes pensées, pratiquons avec joie ce qu’elles nous enseignent, et le Dieu de la paix sera avec nous162.
En outre le Baptême imprime dans notre âme un caractère ineffaçable. Mais nous n’avons plus besoin d’en parler ici. Car nous avons développé plus haut, en traitant des Sacrements en général, toutes les explications qui se rapportent à cet objet. Il est facile de les y trouver. Cependant, comme c’est en se fondant sur la nature et la vertu de ce caractère que l’Église a décidé que le Baptême ne pouvait jamais être réitéré, les Pasteurs ne négligeront pas de le rappeler souvent aux Fidèles, afin de prévenir toute erreur à cet égard. Au reste, cette doctrine est celle que professe l’Apôtre dans ces paroles : il n’y a qu’un Seigneur, une Foi, un Baptême163. Ensuite quand il exhorte les Romains à conserver soigneusement la vie, qu’ils ont reçue de Jésus-Christ, en mourant avec Lui par le Baptême, ce qu’il ajoute, si Jésus-Christ est mort pour le péché, il n’est mort qu’une fois164, ne semble-t-il pas vouloir dire ouvertement que si Jésus-Christ ne peut mourir une seconde fois, il ne nous est pas permis non plus à nous-mêmes de mourir deux fois par le Baptême. Aussi la Sainte Église fait-elle publiquement profession de n’admettre qu’un seul Baptême. Et pour trouver cette doctrine absolument conforme à la raison et à la nature de ce Sacrement, il suffit de se rappeler que le Baptême est une régénération spirituelle. De même que selon l’ordre de la nature nous ne naissons et ne venons au monde qu’une seule fois, de même encore, pour parler le langage de Saint Augustin, qu’il est impossible de rentrer dans le sein de sa mère, ainsi il ne peut y avoir non plus qu’une seule génération spirituelle, et dans aucun cas, le Baptême ne peut être renouvelé.
Et que personne ne s’imagine que l’Église le renouvelle, lorsque dans l’incertitude si le Baptême a eu lieu, elle fait l’ablution sacrée, en disant : si tu as été baptisé, je ne te baptise pas de nouveau, mais si tu ne l’as pas été, je te baptise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ce n’est point là recommencer le Baptême d’une manière criminelle, c’est au contraire remplir un devoir très saint que de l’administrer ainsi sous condition.
Cependant les Pasteurs ont quelques précautions à prendre sur ce point, pour éviter des fautes journalières qui sont très contraires au respect dû au Sacrement. Ainsi, il en est qui ne croient pas commettre la moindre faute en baptisant sous condition tous ceux qu’on leur présente indistinctement. Si on leur apporte un enfant, ils ne songent point du tout à s’informer, s’il a été baptisé auparavant, mais ils le baptisent eux-mêmes sur le champ. Bien plus, s’ils savent que le Sacrement a été administré à la maison, ils n’hésitent point à réitérer l’Ablution sainte, en y joignant les cérémonies prescrites. Cependant ils ne sauraient agir ainsi sans faire un sacrilège, et sans contracter cette indignité que les Auteurs ecclésiastiques appellent une irrégularité. Le Pape Alexandre165 n’autorise cette manière de baptiser qu’à l’égard de ceux sur le Baptême desquels, après un examen attentif, il reste encore quelque doute. Dans tous les autres cas, il n’est jamais permis d’administrer de nouveau ce Sacrement, même sous condition.
Enfin après tous les avantages que nous retirons du Baptême, il en est un dernier auquel tous les autres se rapportent, c’est de nous ouvrir la porte du ciel, que le péché nous tenait auparavant fermée. Au reste, ces effets que nous attribuons à l’efficacité du Baptême, nous pouvons parfaitement les inférer de ceux qui, au témoignage de l’Évangile, se manifestèrent au Baptême de Notre-Seigneur. Les cieux s’ouvrirent alors, et l’on vit le Saint-Esprit descendre sur Jésus-Christ sous la forme d’une colombe166. Ce prodige signifiait que ceux qui sont baptisés reçoivent les dons du Saint-Esprit, et que la porte du ciel leur est ouverte, non à la vérité pour qu’ils entrent dans la jouissance de la gloire céleste, immédiatement après leur Baptême, mais quand le temps sera venu ; c’est-à-dire, lorsque délivrés de toutes les misères terrestres, qui ne sauraient atteindre la vie des bienheureux, ils se dépouilleront de leur condition mortelle, pour jouir de l’immortalité.
Tels sont les effets du Baptême. À ne considérer que la vertu du Sacrement, ils sont, sans aucun doute, les mêmes pour tous. Mais si l’on s’arrête aux dispositions de ceux qui le reçoivent, il est bien certain que chacun en tire une grâce céleste, et des fruits plus ou moins abondants, suivant l’état particulier de son cœur.
Il ne nous reste plus maintenant qu’à parler en peu de mots et d’une manière claire, des Prières, des Rites et des Cérémonies du Baptême. Ce que l’Apôtre dit du don des langues qu’il est inutile quand les Fidèles ne comprennent pas ce que l’on dit167, peut s’appliquer presque aussi bien aux Rites et aux Cérémonies du Baptême. Ce sont là en effet les signes et l’image visible des effets invisibles de ce Sacrement. Mais si les fidèles ignorent le sens et la portée de ces signes, on ne voit plus guère à quoi les Cérémonies peuvent être utiles. Il faut donc que les Pasteurs travaillent à les faire bien comprendre, et à persuader aux Chrétiens que si elles ne sont pas absolument nécessaires, elles sont cependant très importantes, et dignes de toute notre vénération. C’est de quoi il est aisé de les convaincre en leur rappelant et l’autorité de ceux qui les ont établies, (et qui ne sont autres que les Apôtres), et la fin pour laquelle elles ont été instituées. Elles nous portent en effet à administrer le Baptême plus religieusement, et plus saintement ; elles placent pour ainsi dire sous nos yeux les effets admirables et les dons divins renfermés dans ce Sacrement ; enfin elles impriment plus fortement dans nos cœurs le souvenir des immenses bienfaits de Dieu.
Mais pour mettre un certain ordre dans leurs explications, et pour aider en même temps la mémoire de leurs auditeurs, les Pasteurs devront ramener à trois catégories toutes les Cérémonies et toutes les Prières dont l’Église se sert dans l’administration du Baptême. La première renfermera les Cérémonies qui ont lieu avant que l’on soit arrivé aux Fonts, la seconde celles qui se pratiquent aux Fonts mêmes, et la troisième celles qui suivent l’administration du Sacrement.
En premier lieu, il faut préparer l’eau que l’on doit employer dans le Baptême. On la consacre en y mêlant l’huile de l’Onction mystique, mais cette consécration ne se fait point dans tous les temps. Selon la coutume de nos ancêtres, on attend pour cela certains Jours de Fêtes qui passent à bon droit pour les plus saints et les plus solennels de l’année. C’est aux vigiles de ces Fêtes que l’on bénit l’eau de l’Ablution sacrée ; et même autrefois, dans la primitive Église, le Baptême n’était administré que ces jours-là, quand la nécessité n’obligeait point d’agir autrement. Et quoique l’Église n’ait pas jugé à propos de conserver cet usage, à cause des dangers habituels de la vie, cependant elle a toujours religieusement gardé la coutume de ne bénir l’eau et les Fonts du Baptême, que dans les saints jours de Pâques et de la Pentecôte.
Après cette bénédiction de l’eau, il faut expliquer les autres Cérémonies qui précèdent immédiatement le Baptême. On apporte, ou l’on conduit ceux qui doivent être baptisés, aux portes de l’église ; et là on les oblige à s’arrêter, parce qu’ils sont indignes d’entrer dans la Maison de Dieu, tant qu’ils n’ont pas brisé le joug de l’esclavage le plus honteux, et qu’ils ne se sont pas consacrés entièrement à Notre-Seigneur Jésus-Christ, et à son très légitime empire. Alors le Prêtre leur demande ce qu’ils désirent de l’Église. Sur leur réponse, il les instruit d’abord de la Foi Chrétienne dont ils doivent faire profession au Baptême. Cette instruction se fait sous forme de catéchisme. On ne peut douter que cette coutume ne soit un effet du commandement même que fit notre Sauveur aux Apôtres, quand Il leur dit : Allez par tout le monde, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à observer tout ce que Je vous ai commandé168. Ces paroles font bien voir qu’il ne faut pas administrer le Baptême, avant d’avoir exposé, au moins en abrégé, les principaux articles de notre sainte Religion.
Or cette instruction se faisant par manière de catéchisme, c’est-à-dire, par une suite de plusieurs interrogations, les réponses doivent être données par celui qui veut être baptisé, s’il est adulte, et, s’il est enfant, par le répondant ou Parrain, qui s’engage solennellement pour lui.
Vient ensuite l’Exorcisme, qui a pour objet de chasser le démon, de détruire ses forces, et d’affaiblir son pouvoir ; il consiste en prières et en Formules sacrées et religieuses.
À l’Exorcisme se joignent d’autres Cérémonies, qui, pour être mystiques, n’en ont pas moins une signification propre et très claire. Ainsi le sel que l’on met dans la bouche de celui que l’on baptise, signifie évidemment que par la profession de la Foi et par le don de la Grâce il va être délivré de la corruption de ses péchés, prendre le goût des œuvres saintes, et aimer à se nourrir de la divine Sagesse. — ensuite on fait le signe de la Croix sur son front, sur ses yeux, sur sa poitrine, sur ses épaules et sur ses oreilles, pour montrer que l’effet du Baptême est d’ouvrir et de fortifier les sens, afin que le Chrétien puisse recevoir Dieu en lui, comprendre ses Commandements et les observer. Aussitôt après on lui met de la salive sur les narines et sur les oreilles, et on l’introduit aux Fonts baptismaux. Cette cérémonie nous rappelle l’aveugle de l’Évangile sur les yeux duquel Notre-Seigneur mit un peu de boue faite avec de la salive, et qu’Il envoya ensuite se laver dans la piscine de Siloe, où il recouvra aussitôt la vue. Ainsi telle est la vertu de l’eau sacrée du Baptême, qu’elle éclaire notre âme d’une Lumière céleste et lui fait comprendre la doctrine sainte du Salut.
Ces préliminaires achevés, on se rend aux Fonts. Là, on accomplit encore d’autres Rites et d’autres Cérémonies, qui comprennent en abrégé les obligations imposées au Chrétien. D’abord le prêtre demande par trois fois, à celui qui va être baptisé : Renoncez-vous à Satan, à toutes ses œuvres, et à toutes ses pompes ? et à chaque demande il répond, lui, ou le Parrain en son nom : Oui, j’y renonce. Ainsi donc celui qui se consacre au service de Jésus-Christ doit promettre en premier lieu, avec toute la sincérité et toute la religion possibles, d’abandonner le démon et le monde, et désormais de les regarder sans cesse comme ses plus cruels ennemis. Puis, le Prêtre l’arrête devant les Fonts sacrés, et lui fait cette question : Croyez-vous en Dieu le Père tout Puissant ? Il répond : Oui, j’y crois. Interrogé de même sur chacun des autres Articles du Symbole, il fait une profession solennelle de Foi, profession qui, avec la promesse précédente, contient certainement toutes les obligations et tous les principes de la Loi chrétienne.
Mais lorsque le moment d’administrer le Baptême est enfin arrivé, le Prêtre lui demande s’il veut être baptisé. Sur l’affirmation qu’il en donne lui-même, ou que le Parrain donne en son nom, s’il ne parle pas encore, aussitôt on fait couler sur lui l’eau salutaire, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. L’homme n’avait été si justement condamné que pour avoir volontairement obéi au serpent, ainsi Notre-Seigneur n’a voulu inscrire au nombre des siens que le soldat de bonne volonté qui mériterait le salut éternel, en obéissant de son plein gré à ses divins Commandements.
Le Baptême étant achevé, le Prêtre fait sur le haut de la tête du baptisé une onction avec le saint Chrême, afin qu’il sache que dès ce moment il est uni et attaché à Jésus-Christ, comme un membre à son chef, qu’il vient d’être enté sur son Corps, et que son nom de Chrétien lui vient de Christ, comme celui de Christ vient de chrême.
Quant à la signification du saint Chrême, elle se révèle très bien, dit Saint Ambroise169, dans la Prière que fait alors le Prêtre.
Il revêt le nouveau baptisé d’une robe blanche, en disant : Recevez cet habit blanc, et portez-le sans souillure au tribunal de Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin que vous obteniez la Vie éternelle. Aux enfants qui ne portent pas encore la robe, on donne un petit linge blanc, qu’on leur met sur la tête, en prononçant les mêmes paroles. Ce symbole représente tout à la fois, selon les Saints Docteurs, la gloire de la Résurrection, pour laquelle nous venons de naître par le Baptême ; l’éclat et la beauté dont ce Sacrement orne notre âme après l’avoir purifiée des souillures du péché ; et enfin l’innocence et l’intégrité des mœurs, que le nouveau baptisé doit conserver toute sa vie.
Puis, on lui met à la main un cierge allumé. C’est la figure de la Foi embrasée par la Charité, qui lui a été communiquée par le Baptême, et qu’il doit ensuite entretenir et augmenter par la pratique des bonnes œuvres.
Enfin, on donne un nom au baptisé, mais ce nom, on doit toujours l’emprunter à un personnage que sa piété et ses vertus éminentes ont fait placer au nombre des Saints. La ressemblance du nom le portera à imiter sa justice et sa sainteté ; et non seulement il l’imitera, mais encore il voudra l’invoquer comme un Protecteur et un Avocat auprès de Dieu, qui l’aidera à sauver tout ensemble, et son âme et son corps.
On doit donc blâmer fortement ceux qui affectent de donner aux enfants des noms de personnages païens, et particulièrement de ceux qui ont été les plus impies. Ils font bien voir par là le peu d’estime et de respect qu’ils ont pour la Piété chrétienne, puisqu’ils prennent plaisir à rappeler la mémoire de ces hommes mauvais, et qu’ils veulent que les Fidèles aient continuellement les oreilles frappées de ces noms profanes.
Si les Pasteurs ont soin d’expliquer tout ce que nous venons de dire du Sacrement de Baptême, ils n’auront pas de peine à voir qu’il ne manque rien d’essentiel à l’instruction des Chrétiens sur cette matière. En effet nous avons montré ce que signifie le nom de ce Sacrement, quelle est sa nature et son essence, et de quelles parties il se compose. Nous avons dit par qui il a été institué, qui sont ceux qui peuvent et qui doivent l’administrer, et quelles personnes il faut admettre comme guides pour soutenir la faiblesse des nouveaux baptisés. Nous avons dit aussi à qui le Baptême peut être donné, quelles doivent être les dispositions de ceux qui le reçoivent, quelle est sa vertu et son efficacité. Enfin nous avons expliqué, autant que notre sujet le demandait, les Rites et les Cérémonies qui en accompagnent l’administration. Et la raison principale qui oblige les Pasteurs à ne point négliger l’enseignement de ces vérités, c’est qu’elles doivent faire l’objet continuel des pensées et de la sollicitude des Chrétiens, qui voudront rester fidèles aux promesses solennelles et sacrées de leur Baptême, et mener une vie qui réponde à la profession si sainte du nom qu’ils ont l’honneur de porter.
Si ce fut toujours un devoir pour les Pasteurs d’expliquer avec soin ce qui concerne le sacrement de Confirmation, jamais ce devoir n’a paru plus nécessaire qu’aujourd’hui, où l’on voit un si grand nombre de Chrétiens, au sein même de l’Église de Dieu, négliger entièrement de le recevoir, et un si petit nombre s’appliquer à en retirer les fruits salutaires qu’il peut produire. Il faut donc que les Pasteurs instruisent les Fidèles de sa nature, de son efficacité et de son excellence, soit au jour de la Pentecôte, qui est le temps principal où on l’administre, soit à d’autres jours où ils pourront le faire commodément. Ils doivent leur persuader non seulement de ne point le négliger, mais encore de le recevoir avec beaucoup de respect et de piété ; autrement il arriverait, par notre faute et pour notre malheur, que ce grand bienfait de Dieu nous aurait été accordé en vain.
En commençant par le mot même, on devra dire que l’Église a donné le nom de Confirmation à ce Sacrement, parce que celui qui après son Baptême reçoit de l’Évêque l’onction du Saint Chrême avec ces paroles sacramentelles Je vous marque du Signe de la Croix et je vous confirme par le Chrême du salut, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, reçoit aussi, quand rien n’arrête l’efficacité du Sacrement, une Vertu nouvelle qui le rend plus fort, et qui en fait un parfait soldat de Jésus-Christ.
Or que la Confirmation soit un Sacrement réel et véritable, la sainte Église catholique l’a toujours reconnu ; et le pape Melchiade et plusieurs autres Souverains Pontifes très anciens, et d’une sainteté éminente, l’ont enseigné clairement.
Saint Clément ne pouvait pas l’affirmer d’une manière plus positive : Tous doivent se hâter, dit-il, de se régénérer en Dieu, et de se faire marquer par l’Évêque, c’est-à-dire de recevoir la Grâce et les sept Dons du Saint-Esprit ; autrement, si on néglige de recevoir ce Sacrement, non par nécessité, mais par mépris et volontairement, il est impossible que l’on soit parfait Chrétien, comme nous l’apprenons de Saint Pierre et des autres Apôtres, qui le tenaient de Jésus-Christ Lui-même170.
Les Papes Urbain, Fabien, Eusèbe, qui, animés du même esprit, ont répandu leur sang pour Jésus-Christ, confirment la même vérité par leurs décrétales. Tous les Pères l’ont aussi soutenue.
Saint Denys l’Aréopagite, évêque d’Athènes, expliquant comment on prépare le saint Chrême, et la manière de s’en servir, dit : Les Prêtres revêtent le nouveau baptisé d’un habit conforme à son innocence, et le conduisent à l’Évêque. Celui-ci le marque d’une Onction sacrée et toute divine, et le fait participer de la très sainte Communion171. Eusèbe de Césarée attribue tant de vertu à ce Sacrement qu’il ne craint pas de dire que l’hérétique Novat ne put obtenir le Saint-Esprit, parce qu’étant malade, quand il reçut le Baptême, il ne fut pas marqué par le signe du saint Chrême.
Mais les témoignages les plus formels que nous possédons sur ce point, sont celui de Saint Ambroise dans le livre qu’il écrivit sur les nouveaux baptisés, et celui de Saint Augustin dans les traités qu’il composa contre les lettres du donatiste Pétilien. Tous deux étaient si persuadés de la vérité de ce Sacrement, qu’ils l’ont prouvée et appuyée par plusieurs textes de la Sainte Écriture. Saint Ambroise rapporte à la Confirmation ces paroles de l’Apôtre : ne contristez pas l’Esprit-Saint de Dieu, dans lequel vous avez été marqués172. Et Saint Augustin en fait autant des passages suivants, dont l’un se lit dans les Psaumes : Comme l’huile répandue sur la tête d’Aaron, et qui coule jusque sur sa barbe173 ; et l’autre dans Saint Paul : L’Amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné174.
Et quoique le Pape Melchiade ait dit que le Baptême est intimement lié avec la Confirmation, il ne faut pas croire pour cela que l’un ne soit pas tout à fait distinct de l’autre. La différence des grâces que chacun d’eux communique, les signes sensibles que représentent ces grâces établissent nettement que ce sont aussi deux Sacrements différents.
Par le Baptême les hommes sont engendrés à une vie nouvelle ; par la Confirmation au contraire, déjà engendrés auparavant, ils deviennent des hommes faits, en laissant ce qui tient de l’enfance ; dès lors, autant il y a de différence entre la naissance et l’accroissement dans la vie naturelle, autant il y en a entre le Baptême qui nous régénère spirituellement et la Confirmation qui nous fait croître, et nous donne la force parfaite de l’âme.
D’ailleurs, ne fallait-il pas établir une espèce particulière de Sacrement, là où l’âme rencontre une espèce particulière et nouvelle de difficulté ? Si nous avons d’abord besoin de la grâce du Baptême pour réformer notre âme par la Foi, n’est-il pas également très convenable que nos cœurs soient affermis par une autre grâce, afin que rien, ni la crainte des châtiments, des supplices et de la mort, ne puisse nous empêcher de confesser la vrai Foi. Or c’est ce dernier effet qui est produit par la Confirmation.
D’où l’on doit conclure qu’elle est un Sacrement différent du Baptême. Et voici comment le Pape Melchiade exprime cette différence d’une manière très précise : Au Baptême, dit-il, l’homme est enrôlé dans la milice ; et dans la Confirmation il est armé pour le combat. Sur les fonts du Baptême, le Saint-Esprit accorde la plénitude de l’innocence ; et dans la Confirmation il perfectionne pour conserver la Grâce. Dans le Baptême nous sommes régénérés pour vivre ; après le Baptême, confirmés pour combattre. Dans l’un, nous sommes lavés ; dans l’autre, nous sommes fortifiés. La régénération sauve par elle-même dans la paix ceux qui reçoivent le Baptême, et la Confirmation donne des armes et prépare les combats175.
Cette Vérité, enseignée déjà par plusieurs Conciles, a été l’objet d’un décret spécial du saint Concile de Trente ; de sorte que loin qu’une opinion contraire soit permise sur ce point, le doute même ne l’est pas. Mais puisque nous avons dit plus haut combien il est important d’apprendre aux Fidèles par qui tous les Sacrements en général ont été institués, il faut faire connaître aussi l’Auteur de la Confirmation. C’est un moyen de donner une plus haute idée de sa sainteté. Les Pasteurs enseigneront donc que non seulement Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a instituée, mais qu’Il a déterminé Lui-même, au témoignage du Pape Saint Fabien, l’usage du saint Chrême, et les paroles que l’Église catholique emploie pour l’administrer. Ils n’auront pas de peine à en convaincre tous ceux qui voient dans la Confirmation un Sacrement véritable. En effet, tous les Sacrements sont au-dessus des forces de la nature, et par conséquent ils ne peuvent avoir pour Auteur que Dieu seul.
Voyons maintenant quelles sont les parties qui composent ce Sacrement, et parlons d’abord de ce qui en fait la matière.
La matière du Sacrement de Confirmation s’appelle Chrême. Ce mot tiré du grec, est employé par les écrivains profanes ; pour désigner toute espèce de parfums. Mais les Auteurs ecclésiastiques ne l’appliquent communément qu’à cette composition d’huile et de baume, qui se fait avec la bénédiction solennelle de l’Évêque. Ainsi, deux choses sensibles mêlées ensemble sont la matière de ce Sacrement. Et par le mélange des éléments différents qui la composent, cette matière nous montre la diversité des dons du Saint-Esprit, communiqués au confirmé. Elle fait voir très bien également l’excellence de la Confirmation.
L’Église, dans ses Conciles, a toujours enseigné que cette matière était bien telle que nous venons de la décrire. Nous en trouvons la tradition dans les écrits de Saint Denys, de beaucoup d’autres Pères d’une grande autorité, et surtout du Pape Saint Fabien, qui assure que Notre-Seigneur Jésus-Christ a prescrit Lui-même la composition du baume aux Apôtres, et qu’ils l’on ensuite transmise à l’Église176.
Il n’y avait en effet aucune matière plus propre que le saint Chrême à représenter les effets de la Confirmation. L’huile, qui de sa nature est grasse, qui coule et se répand facilement, exprime la plénitude de la grâce qui, par le Saint-Esprit déborde et s’étend de Jésus-Christ notre Chef sur nous comme ce parfum qui coule sur la barbe d’Aaron, et jusque sur ses vêtements177. Dieu, en effet, a versé l’huile de joie sur son Fils avec plus d’abondance que sur tous les autres, et nous avons tous reçu de sa plénitude178.
Le baume dont le parfum est très agréable, signifie la bonne odeur de toutes les vertus que les Fidèles répandent, après avoir été rendus parfaits par la Confirmation, et qui leur permet de dire avec Saint Paul : nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ devant Dieu179.
Une autre propriété du baume, c’est de ne pas laisser corrompre les choses qui en ont été enduites ; ce qui exprime admirablement la vertu du sacrement de Confirmation, puisqu’il est constaté que les cœurs des Fidèles, prémunis par la grâce céleste qu’il communique, se préservent facilement de la contagion du péché.
Quant à la consécration du saint Chrême, c’est l’Évêque qui la fait avec des cérémonies solennelles. Et cet usage vient de notre Sauveur Lui-même, qui l’enseigna et le prescrivit aux Apôtres, dans la dernière Cène. Nous le savons par le pape Fabien, aussi illustre par sa sainteté que par la gloire de son martyre. Mais d’ailleurs, la raison seule suffirait pour nous montrer qu’il devait en être ainsi. Pour la plupart des autres Sacrements, Jésus-Christ a choisi une matière qu’Il avait sanctifiée Lui-même. Ainsi, il ne s’est pas contenté d’instituer l’eau pour la matière du Baptême, en disant : Si quelqu’un n’est pas régénéré par l’eau et par l’esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu180 ; mais quand il fut baptisé lui-même, Il communiqua à l’eau la vertu de sanctifier. Ce qui a fait dire à Saint Jean Chrysostome : Que l’eau ne pourrait pas effacer les péchés de ceux qui croient, si elle n’avait été sanctifiée en touchant le corps de Notre-Seigneur181. Comme donc Il n’a point consacré Lui-même la matière du Chrême, n’en ayant fait aucun usage, il était nécessaire qu’elle le fût par des Prières saintes et sacrées, et qu’une telle consécration fût réservée spécialement à l’Évêque, qui est le Ministre ordinaire de ce Sacrement.
Après cela il faudra expliquer la seconde partie de la Confirmation, c’est-à-dire la forme, ou les paroles qui accompagnent l’onction sainte. Il y aura lieu d’avertir les fidèles qui doivent recevoir ce Sacrement, que l’instant où ils entendent prononcer ces paroles est aussi celui où ils doivent exciter dans leurs cœurs des sentiments de Foi, de Piété, de Religion, afin qu’il n’y ait rien en eux qui puisse mettre obstacle à la Grâce. Voici ces paroles qui contiennent la forme entière de ce Sacrement : Je vous marque du signe de la Croix, et je vous confirme par le Chrême du salut, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Et il est facile de montrer par la raison que c’est bien là la forme essentielle. En effet la forme d’un sacrement doit renfermer tout ce qui peut en faire connaître la nature et la substance. Or, qu’y-a-t-il de plus important à remarquer dans la Confirmation ? Trois choses : la Puissance divine qui y opère comme cause principale, la force de l’esprit et du cœur que l’Onction sainte communique aux Fidèles pour leur salut, et enfin le signe dont celui qui va entrer dans la milice chrétienne demeure marqué, ces trois choses sont clairement exprimées, dans les paroles que nous venons de citer ; la première dans ces mots qui se trouvent à la fin, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ; la seconde dans ceux-ci, placés au milieu : Je vous confirme par le Chrême du salut ; et la troisième par ces mots qui sont au commencement : Je vous marque du Signe de la Croix. Au reste, quand même la raison ne pourrait pas prouver que telle est la véritable forme du sacrement de Confirmation, l’autorité de l’Église catholique qui a toujours officiellement enseigné cette doctrine, ne nous permettrait pas d’avoir le moindre doute sur ce point.
Les Pasteurs doivent enseigner aussi à qui l’administration de ce Sacrement a été plus spécialement confiée.
Il y en a plusieurs, dit le prophète, qui courent sans être envoyés ?182 Il faut donc apprendre au peuple quels sont les Ministres véritables et légitimes de la Confirmation, afin qu’il puisse en recevoir la grâce et les effets. Or, d’après la Sainte Écriture, l’Évêque seul est le Ministre ordinaire de ce Sacrement. Nous lisons dans les Actes des Apôtres, que les habitants de Samarie, ayant reçu la parole de Dieu, on leur envoya Pierre et Jean qui prièrent pour eux, afin qu’ils reçussent le Saint-Esprit ; car Il n’était pas encore descendu sur aucun d’eux, et ils n’avaient reçu que le Baptême183. On peut voir par ce passage que celui qui les avait baptisés, n’étant que Diacre, n’avait pas le pouvoir de confirmer et que cette Fonction était réservée à des Ministres d’un ordre supérieur, c’est-à-dire aux Apôtres. On pourrait faire la même observation partout où l’Écriture fait mention de ce Sacrement.
Les témoignages des saints Pères et des Souverains Pontifes ne manquent pas non plus pour prouver cette vérité. Nous en trouvons de très clairs dans les décrets des Papes Urbain, Eusèbe, Damase, Innocent et Léon. Saint Augustin en particulier se plaint fortement de la coutume tout-à-fait abusive de l’Égypte et d’Alexandrie, où les Prêtres avaient la témérité d’administrer la Confirmation.
Voici une comparaison que les Pasteurs pourront employer pour faire comprendre combien il était raisonnable et légitime de réserver aux Évêques cette fonction. Quand on élève un édifice, les ouvriers, qui sont comme des ministres inférieurs, préparent et disposent le ciment, la chaux, le bois et tous les autres matériaux ; mais c’est à l’architecte qu’il appartient de mettre la dernière forme et la perfection à l’ouvrage. De même aussi ce Sacrement, qui est comme le couronnement de l’édifice spirituel du salut, devait être administré par l’Évêque, comme souverain Prêtre, et non par d’autres ministres inférieurs.
Pour la Confirmation, comme pour le Baptême, on prend aussi un Parrain. Si ceux qui exercent le métier de gladiateurs ont besoin d’un maître, dont la science et les conseils leur apprennent à diriger une attaque, et à porter des coups pour abattre leurs adversaires, sans se laisser blesser eux-mêmes, combien, à plus forte raison, les Fidèles n’ont-ils pas besoin d’un chef qui les guide et qui les instruise, lorsqu’ils ont été couverts et revêtus des armes puissantes que donne la Confirmation, et qu’ils sont descendus dans cette arène spirituelle où le salut éternel est en jeu ? C’est donc avec raison que l’on fait venir des Parrains pour l’administration de ce Sacrement. Ils contractent les mêmes affinités que les Parrains de Baptême, et le mariage leur est interdit avec les mêmes personnes. (Voir au chapitre du Baptême, ce que nous avons dit sur ce même point.)
Il arrive souvent que les Fidèles apportent trop de précipitation, ou une molle insouciance et une lenteur paresseuse à recevoir ce Sacrement. (Quant à ceux qui sont tombés assez bas dans l’impiété pour le mépriser et s’en moquer, nous n’avons point à nous en occuper ici.) Les Pasteurs auront donc soin de dire qui sont ceux à qui on doit donner la Confirmation, à quel âge, et avec quelles dispositions il convient de la recevoir. Et d’abord ils apprendront aux Fidèles que ce Sacrement n’est pas d’une nécessité absolue qu’il soit impossible de se sauver sans lui. Mais quoiqu’il ne soit pas nécessaire, personne cependant ne doit s’en abstenir, loin de là, il faut craindre au contraire, dans une chose si sainte qui nous communique d’une manière si abondante les dons de Dieu, de commettre la moindre négligence. Ce que Dieu a établi pour la sanctification de tous, tous doivent aussi le rechercher avec le plus grand empressement.
Saint Luc, racontant l’effusion miraculeuse du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte, s’exprime ainsi : Il se fit tout à coup dans le ciel comme le bruit d’un vent violent qui approchait et qui remplit toute la maison184 ; puis, peu après, il ajoute que tous furent remplis du Saint-Esprit185. Or, il est permis de conclure de ces paroles que cette maison étant l’image et la figure de l’Église, tous les Fidèles ont droit au sacrement de Confirmation dont la première application date de ce jour.
La même conclusion se tire encore sans peine de la nature même du Sacrement. Ceux-là en effet doivent être confirmés par le saint Chrême, qui ont besoin de croître spirituellement, et de tendre à la perfection chrétienne. Or tous les Fidèles sont évidemment dans ce cas. De même que le but de la nature est de donner l’accroissement à ceux qui naissent et de les amener à l’âge parfait, quoiqu’elle n’y réussisse pas toujours ; ainsi l’Église catholique, notre mère commune, désire ardemment que le Chrétien parfait se forme et s’achève dans ceux qu’elle a régénérés par le Baptême. Or cet effet ne peut se produire que par le sacrement de Confirmation ; dès lors il est manifeste que ce Sacrement doit être reçu par tous.
Mais ici il y a une observation à faire. Tous ceux qui sont baptisés peuvent être confirmés ; cependant il ne convient pas d’administrer ce Sacrement à ceux qui n’ont pas encore l’usage de la raison ; et si l’on ne croit pas qu’il soit nécessaire d’attendre l’âge de douze ans, au moins est-il convenable de ne pas l’administrer avant l’âge de sept ans. D’ailleurs la Confirmation n’a pas été instituée comme chose nécessaire au salut, mais pour nous donner le courage et les armes dont nous avons besoin, dans les combats qu’il nous faut soutenir pour la Foi de Jésus-Christ. Or les enfants qui n’ont pas l’âge de raison, ne soutiennent pas encore ces sortes de combats.
Il faut conclure de ce que nous venons de dire, que ceux qui, parvenus à l’âge adulte, veulent être confirmés, ne peuvent obtenir la grâce et les effets du Sacrement, qu’autant qu’ils apportent à sa réception la Foi et la Piété, et surtout qu’ils se repentent sincèrement des fautes graves qu’ils ont commises. Les Pasteurs travailleront donc à les faire confesser auparavant, ils les exhorteront à jeûner, à pratiquer d’autres œuvres de piété, et à se conformer à la louable coutume de la primitive Église, en recevant la Confirmation à jeun. Et il sera facile d’obtenir tout cela des Fidèles, si on leur fait bien comprendre les effets admirables de ce Sacrement, et les grâces qu’il nous apporte.
On leur apprendra donc que la Confirmation a cela de commun avec les autres Sacrements, qu’elle donne une grâce nouvelle, si elle ne trouve aucun empêchement dans celui qui la reçoit. Nous l’avons démontré plus haut : tous les Sacrements sont des signes mystiques et sacrés, qui signifient et produisent tout à la fois la Grâce sanctifiante. Ainsi la Confirmation remet et pardonne les péchés, puisqu’il est impossible de supposer un instant la grâce avec le péché. Mais outre ces effets qui sont ceux de tous les Sacrements en général, la Confirmation a d’abord cela de particulier, qu’elle perfectionne la grâce du Baptême. Ceux qui sont devenus Chrétiens par le Baptême demeurent encore faibles et sans énergie, comme des enfants nouvellement nés, mais ensuite le sacrement du saint Chrême les rend plus forts pour résister aux attaques de la chair, du monde et du démon ; il fortifie la foi dans leurs cœurs, pour qu’ils puissent confesser et glorifier le nom de notre Seigneur Jésus-Christ ; et c’est pour cela sans doute que ce Sacrement a reçu le nom de Confirmation.
Car il ne faut pas croire, comme quelques-uns l’ont supposé avec autant d’ignorance que d’impiété, que ce mot de Confirmation vienne de ce qu’autrefois ceux qui avaient été baptisés dans leur enfance étaient conduits à l’âge adulte devant l’Évêque pour confirmer en sa présence la profession de Foi qu’ils avaient faite au Baptême ; autrement il faudrait dire qu’il n’y avait aucune différence entre la Confirmation et l’instruction que l’on faisait aux Catéchumènes ; ce qui ne peut se soutenir par aucun témoignage certain. Non ; la Confirmation tire son nom de ce que Dieu, par la vertu de ce Sacrement, confirme en nous ce que le Baptême a commencé d’y produire, et nous conduit à la perfection de la Vie chrétienne. Et non seulement ce Sacrement confirme en nous la Grâce, mais il l’augmente encore. Le Pape Melchiade nous l’assure en ces termes : l’Esprit-Saint, en descendant sur les eaux du Baptême, les rend salutaires, et leur communique la plénitude de la Grâce pour réparer l’innocence de l’homme ; mais par la Confirmation Il donne une augmentation de grâce. Et non seulement Il l’augmente, mais Il l’augmente d’une manière admirable. C’est ce que l’Écriture a parfaitement exprimé par l’image d’un vêtement nouveau, dans ces paroles de notre Sauveur à ses Apôtres : Demeurez dans la ville, jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la Vertu d’en haut186.
Si les Pasteurs veulent faire connaître la divine efficacité de ce Sacrement (et rien assurément ne sera plus propre à toucher le cœur des Fidèles) il leur suffira d’expliquer ce qui arriva aux Apôtres. Avant la Passion, et à l’heure même de la Passion, ils étaient si timides et si faibles, qu’ils prirent la fuite aussitôt qu’ils virent arrêter Jésus-Christ. Pierre lui-même, qui avait été désigné pour être la pierre fondamentale de l’Église, qui avait montré d’ailleurs beaucoup de courage et de grandeur d’âme, Pierre s’effraye à la voix d’une simple femme, et soutient non pas une fois, ni deux, mais trois fois de suite, qu’il n’est point le disciple de Jésus-Christ. Tous enfin, après la Résurrection, se retirent dans une maison et s’y renferment par la crainte qu’ils ont des Juifs. Le jour de la Pentecôte, au contraire ils sont tellement remplis de la vertu du Saint-Esprit, qu’ils se mettent à prêcher hardiment, et en toute liberté, l’Évangile qui leur a été confié non seulement aux Juifs, mais à l’univers tout entier, et qu’ils ne trouvent pas de plus grand bonheur que celui d’être jugés dignes de souffrir pour le nom de Jésus-Christ, les affronts, la prison, les tourments et les croix187.
Enfin la Confirmation a la vertu d’imprimer un caractère qui fait qu’on ne peut la recevoir plus d’une fois, ainsi que nous l’avons déjà dit du Baptême, et comme nous le dirons encore plus au long, en parlant du sacrement de l’Ordre.
Si les Pasteurs expliquent souvent, et avec soin, ces vérités aux Fidèles, il est impossible que, après avoir connu l’excellence et l’utilité de ce Sacrement, ils ne s’empressent pas de le recevoir avec beaucoup de zèle, de piété, et de foi.
Il nous reste maintenant à dire quelques mots des rites et des cérémonies de l’Église dans l’administration de ce Sacrement. Les Pasteurs comprendront très bien les avantages de ces sortes d’explications, s’ils veulent se rappeler ce que nous avons dit plus haut en traitant ce sujet.
D’abord les personnes que l’on confirme reçoivent sur le front l’onction du saint Chrême. Par la vertu de ce Sacrement le Saint-Esprit se répand dans le cœur des Fidèles ; Il augmente leur force et leur courage, afin qu’ils puissent combattre vaillamment dans la lutte spirituelle, et résister invinciblement aux ennemis du salut. L’onction faite sur le front marque qu’ils ne doivent jamais être empêchés de confesser librement la foi du nom Chrétien, ni par la crainte, ni par la honte, parce que c’est sur le front que se manifestent le plus sensiblement ces diverses affections de l’âme.
D’ailleurs cette marque qui distingue un Chrétien confirmé de ceux qui ne le sont pas, comme certains insignes distinguent un soldat des autres, devait être imprimée sur la partie la plus noble et la plus visible du corps, qui est le front.
Il est encore un usage religieusement conservé dans l’Église de Dieu, c’est d’administrer la Confirmation de préférence le jour de la Pentecôte. C’est surtout en ce jour que la vertu du Saint-Esprit fortifia et confirma les Apôtres ; et le souvenir de cet événement miraculeux fait très bien comprendre aux Fidèles la grandeur et l’excellence des Mystères qui sont renfermés dans l’onction sacrée.
L’onction étant faite, et la Confirmation donnée, l’Évêque frappe légèrement avec la main la joue du nouveau confirmé pour lui faire entendre que, comme un athlète généreux, il doit être prêt à souffrir avec un courage invincible toutes les contradictions, pour le nom de Jésus-Christ.
Enfin il lui donne la Paix, pour lui rappeler qu’il vient de recevoir la plénitude de la grâce divine, et cette paix qui surpasse toutes nos pensées188.
Telles sont, en abrégé, les Vérités que les Pasteurs doivent enseigner sur le Sacrement de Confirmation, non pas d’une manière sèche et nue, et uniquement en paroles, mais avec le zèle d’une piété capable d’enflammer les cœurs. De cette manière ils réussiront à les imprimer profondément dans l’esprit des Fidèles.
Parmi les signes mystiques et sacrés institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour être comme les canaux fidèles de sa Grâce, il n’en est aucun que l’on puisse comparer à l’auguste sacrement de l’Eucharistie. Mais aussi il n’est pas de crime dont les Fidèles doivent craindre d’être plus sévèrement punis, que de manquer de respect et de piété envers un Sacrement qui renferme tant de sainteté, ou plutôt qui contient l’Auteur même, et le Principe de toute sainteté. C’est ce que l’Apôtre avait bien compris, et dont il nous a expressément avertis. Car après avoir montré combien est énorme le crime de ceux qui ne discernent pas le Corps du Seigneur, il ajoute aussitôt : c’est pourquoi plusieurs parmi nous sont malades et languissants, et plusieurs sont morts189. Par conséquent, pour que les Fidèles puissent retirer des fruits abondants de grâce, et se mettre à l’abri de la juste colère de Dieu, en rendant à ce céleste Sacrement les honneurs divins qu’il mérite, il sera nécessaire que les Pasteurs développent avec le plus grand soin tout ce qui est capable de faire ressortir davantage la majesté de l’Eucharistie.
Pour cela, ils suivront la marche de l’Apôtre Saint Paul, qui proteste n’avoir transmis aux Corinthiens que ce qu’il avait appris du Seigneur, et ils expliqueront en premier lieu comment ce Sacrement fut institué. Voici ce que l’Évangéliste en rapporte ; rien de plus clair : Le Seigneur ayant aimé les siens, les aima jusqu’à la fin190 ; et pour leur donner un gage tout-à-fait divin et admirable de cet amour, sachant que l’heure était venue pour Lui de passer de ce monde à son Père, il employa, pour être toujours avec les siens, un moyen incompréhensible et infiniment au-dessus de toutes les choses naturelles. Après avoir célébré la Pâque en mangeant l’agneau pascal avec ses disciples, voulant enfin mettre la vérité à la place des figures, et la réalité à la place de l’ombre, Il prit du pain, puis rendant grâces à Dieu, il le bénit, le rompit, le donna à ses disciples, et leur dit : prenez et mangez, ceci est mon Corps qui sera livré pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. Ensuite Il prit pareillement la coupe, après avoir soupé, et Il dit : ce calice est le Nouveau Testament dans mon sang. Toutes les fois que vous Le boirez, faites-le en mémoire de Moi191.
Convaincus qu’ils ne pourraient jamais avec un seul mot donner une assez haute idée de l’excellence et de la dignité de ce Sacrement, les Auteurs sacrés ont essayé de l’exprimer par des dénominations nombreuses. Ainsi ils l’appellent quelquefois l’Eucharistie, mot que nous pouvons traduire en français par Grâce excellente, ou Action de grâces : deux choses qui lui conviennent parfaitement. C’est une grâce excellente, soit parce qu’Il figure la Vie Éternelle, dont il a été dit : la grâce de Dieu est la Vie Éternelle192 ; soit parce qu’il contient Jésus-Christ qui est la grâce même, et la source de toutes les grâces. C’est encore évidemment une action de grâces, puisque en immolant cette victime de toute pureté, nous rendons tous les jours à Dieu d’infinies actions de grâces pour tous les bienfaits dont Il nous comble, et spécialement pour le don si parfait de la grâce qu’Il nous communique par ce Sacrement. De plus, ce nom s’accorde aussi très bien avec les circonstances qui en accompagnèrent l’institution. Car Jésus-Christ ayant pris du pain, le rompit et rendit grâces. Et David en contemplant la grandeur de ce Mystère, s’écrie : le Seigneur, le Dieu de bonté et de miséricorde a perpétué la mémoire de ses merveilles ; Il a donné la nourriture à ceux qui Le craignent193. Mais ce chant, il le fait précéder de celui de l’action de grâces, et il dit : la magnificence et la gloire du Seigneur reluisent dans ses ouvrages194.
Souvent aussi, on lui donne le nom de Sacrifice ; mais nous parlerons bientôt de ce Mystère avec plus d’étendue.
On le nomme encore Communion, mot évidemment emprunté à ce passage de l’Apôtre : le calice de bénédiction que nous bénissons, n’est-il pas la communication du Sang de Jésus-Christ ? Et le pain que nous rompons, n’est-il pas la participation du Corps du Seigneur ?195 Car, comme l’explique Saint Jean Damascène, ce Sacrement nous unit à Jésus-Christ, et nous fait participer à sa chair et à sa divinité ; puis il nous rapproche, il nous unit en Lui, pour ne plus faire de nous tous qu’un seul corps.
C’est pour cette raison qu’on l’appelle aussi le Sacrement de la Paix et de la Charité. Et ces mots nous font comprendre combien sont indignes du nom de Chrétiens ceux qui entretiennent des inimitiés les uns contre les autres, et avec quel zèle nous devons bannir loin de nous les haines, les dissensions, et les discordes, qui sont une peste si terrible ; d’autant, que par le Sacrifice quotidien de notre Religion nous protestons hautement que nous voulons avant tout conserver la Paix et la Charité.
Les Auteurs sacrés lui donnent encore souvent le nom de Viatique, soit parce qu’il est la nourriture spirituelle, qui nous soutient dans le pèlerinage de cette vie ; soit parce qu’il nous prépare et nous assure le chemin qui conduit à la gloire et à la félicité éternelle. C’est pour cela que la coutume a toujours été observée dans l’Église, de ne laisser mourir personne sans l’avoir muni de ce Sacrement.
Enfin il y a des Pères de l’Église très anciens, qui, fondés sur l’autorité de l’Apôtre196 ont donné quelquefois à l’Eucharistie le nom de Cène parce que Notre-Seigneur Jésus-Christ l’institua dans le mystère, si précieux pour nous, de la dernière Cène.
Toutefois, il ne faudrait pas conclure de là qu’il est permis de consacrer, ou de recevoir, la sainte Eucharistie, après avoir pris quelque nourriture ou quelque boisson. On a toujours retenu et conservé ce salutaire usage, introduit (selon les anciens Auteurs) par les Apôtres eux-mêmes, de ne la donner, qu’à ceux qui sont à jeun.
Après ces explications sur le sens du mot, il faudra enseigner que l’Eucharistie est un véritable Sacrement, et l’un des sept que l’Église a toujours reconnus et vénérés. D’abord dans la consécration du calice, il est appelé le mystère de la Foi. Ensuite, sans parler de ces témoignages presque innombrables des Auteurs ecclésiastiques qui ont constamment placé l’Eucharistie au rang des vrais Sacrements, on trouve une preuve de son existence dans sa propre essence. En effet, nous y voyons des signes extérieurs et sensibles ; la Grâce y est figurée et produite ; enfin les Évangélistes et l’Apôtre ne laissent aucun lieu de douter que Jésus-Christ n’en soit l’Auteur. Or, ce sont là précisément les caractères qui conviennent exclusivement aux Sacrements, et là où ils se rencontrent, il n’est pas besoin de chercher d’autres preuves.
Mais il faut observer, et avec soin, qu’il y a plusieurs choses dans ce Mystère auxquelles les Auteurs ecclésiastiques ont donné le nom de Sacrement. Ainsi ils ont appelé Sacrement la Consécration, la Communion, et souvent même le Corps et le Sang de Notre-Seigneur qui sont renfermés dans l’Eucharistie. Saint Augustin dit que ce Sacrement consiste en deux choses, l’apparence visible des éléments, et la vérité invisible de la chair et du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ197. C’est dans le même sens que nous disons qu’il faut adorer ce Sacrement, c’est-à-dire, le Corps et le Sang de Notre-Seigneur. Mais il est évident que toutes ces choses ne s’appellent Sacrement que d’une manière impropre. Ce nom ne convient essentiellement et réellement qu’aux seules espèces du pain et du vin.
On voit par là combien l’Eucharistie diffère de tous les autres Sacrements. Ceux-ci ne subsistent que par l’emploi de la matière, c’est-à-dire, à l’instant même où ils sont administrés. Le Baptême, par exemple, ne s’élève à l’état de Sacrement, que dans le moment où l’on emploie l’eau pour baptiser quelqu’un. Mais pour compléter et parfaire l’Eucharistie, il suffit de la consécration de la matière, laquelle ne cesse point d’être un vrai Sacrement, dans le vase même où on la tient en réserve.
De plus dans les autres Sacrements, la matière et les éléments employés ne se changent point en une autre substance. L’eau du Baptême et l’huile de la Confirmation ne perdent point leur nature primitive d’eau et d’huile, lorsqu’on administre ces Sacrements. Mais dans l’Eucharistie, ce qui était du pain et du vin avant la consécration, change après la consécration et devient véritablement le Corps et le Sang de Notre-Seigneur.
Cependant, quoiqu’il y ait deux éléments, le pain et le vin, pour faire la matière intégrale de l’Eucharistie, il n’y a qu’un seul Sacrement et non pas plusieurs, selon la doctrine enseignée par l’Église. Autrement, on ne pourrait plus soutenir, avec toute la tradition, avec les Conciles de Latran, de Florence et de Trente, qu’il y a sept Sacrements, ni plus ni moins. D’ailleurs la grâce de ce Sacrement a pour but de faire de nous tous un seul corps mystique. Mais pour qu’il soit lui-même en harmonie avec l’effet qu’il produit, il faut qu’il soit un, non qu’il ne puisse être composé de plusieurs parties, mais parce que tout doit n’y représenter qu’une seule chose. La nourriture et la boisson qui sont deux choses différentes, s’emploient pour une seule et même fin, qui est de réparer les forces du corps. Pareillement il était de toute convenance d’instituer ce Sacrement avec deux matières différentes entre elles, mais analogues aux substances dont nous venons de parler, pour représenter l’Aliment spirituel qui soutient nos âmes et répare leurs forces. Aussi le Seigneur a-t-il dit : Ma chair est véritablement une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage198.
Les Pasteurs auront ensuite à expliquer avec un grand soin ce que signifie ce Sacrement, afin que les Fidèles, en voyant les saints Mystères des yeux de leurs corps, nourrissent en même temps leur âme par la contemplation des Vérités divines que ces Mystères rappellent.
Or l’Eucharistie exprime principalement trois choses. La première est une chose passée ; c’est la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il nous l’apprend Lui-même par ces paroles : faites ceci en mémoire de moi199. Puis, l’Apôtre dit positivement : toutes les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort de Jésus-Christ, jusqu’à ce qu’Il vienne200.
La seconde est une chose présente. C’est la Grâce divine et céleste que ce Sacrement nous communique pour nourrir et conserver nos âmes. Dans le Baptême nous sommes engendrés à une vie nouvelle ; dans la Confirmation nous sommes fortifiés, afin de pouvoir résister à Satan, et confesser publiquement Jésus-Christ. Mais dans l’Eucharistie nous recevons la nourriture qui entretient en nous la Vie spirituelle.
La troisième regarde l’avenir, ce sont les délices et la gloire éternelle dont Dieu a promis de nous faire jouir dans la céleste patrie.
Ces trois choses, qui ont évidemment rapport au passé, au présent et à l’avenir, sont néanmoins si bien signifiées par le mystère sacré de l’Eucharistie, que le Sacrement, quoique composé d’espèces différentes, représente chacune d’elles en particulier, comme si elles n’en faisaient qu’une seule.
Mais avant tout, il est nécessaire aux Pasteurs de bien connaître la matière de l’Eucharistie, soit afin qu’ils puissent la consacrer eux-mêmes comme l’Église le demande, soit afin qu’ils puissent faire comprendre aux Fidèles ce que signifie ce Sacrement, et exciter dans leurs cœurs le désir et l’ardeur d’en recueillir les fruits.
Ce Sacrement a deux matières : la première dont nous allons parler, c’est le pain de pur froment ; puis, la seconde que nous verrons plus loin. Les Évangélistes Saint Matthieu, Saint Marc et Saint Luc nous apprennent que Notre-Seigneur Jésus-Christ prit du pain, le bénit et le rompit en disant : Ceci est mon corps201. Dans Saint Jean, le Sauveur se donne à Lui-même le nom de pain : Je suis, dit-il, le Pain vivant descendu du ciel.202 Mais il y a plusieurs sortes de pain. Tantôt c’est dans la matière qu’il varie ; il peut être de froment, d’orge ou de légumes, ou d’autres fruits de la terre. Tantôt ce sont les qualités seules qui seront différentes ; l’un renfermera du levain, tandis que l’autre n’en contiendra point. Or, pour l’Eucharistie, les paroles de Notre-Seigneur font voir que le pain doit être de pur froment. Dans le langage ordinaire, ce mot employé simplement et sans modification, signifie le pain de froment seul. Une figure de l’Ancien Testament vient encore confirmer cette Vérité. Le Seigneur avait ordonné que les pains de proposition, qui figuraient le sacrement de l’Eucharistie, fussent de pure fleur de froment203.
Mais si le pain de froment doit seul être regardé comme la matière de l’Eucharistie, (conformément à la tradition apostolique et à l’enseignement formel de l’Église catholique), il est facile de se convaincre que ce pain doit être sans levain, d’après ce que fit Notre-Seigneur le jour où Il institua ce Sacrement. C’est en effet le premier des azymes, et chacun sait que ce jour-là il était défendu aux Juifs d’avoir du pain levé dans leurs maisons.
Si l’on oppose à cette doctrine l’autorité de Saint Jean l’Évangéliste, qui rapporte que tout cela se fit avant la fête de Pâques, il est facile de détruire cette objection. La fête des azymes commençait dès le soir de la cinquième férie, temps où le Sauveur célébra la Pâque. Et ce que les autres Évangélistes ont appelé le premier jour des azymes, Saint Jean l’appela la veille de Pâques, parce qu’il crut devoir noter surtout le jour naturel, dont la durée commence au lever du soleil. C’est pourquoi Saint Jean Chrysostome entend par le premier des azymes le jour où l’on devait, sur le soir, manger les azymes. D’ailleurs la consécration du pain sans levain est en parfaite harmonie avec la pureté et l’innocence de cœur que les Fidèles doivent apporter à la réception de ce Sacrement. C’est ce que l’Apôtre nous apprend par ces paroles : Purifiez-vous du vieux levain, afin que vous soyez une pâte nouvelle, comme vous êtes un pain azyme ; car Jésus-Christ est l’Agneau pascal immolé pour nous. Célébrons donc notre Pâque ; non avec le vieux levain, ce levain de malice et d’iniquité, mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité204.
Cependant cette qualité (pour le pain) d’être sans levain n’est pas tellement nécessaire, que le Sacrement ne puisse exister, si elle venait à manquer. Le pain azyme et le pain levé conservent également le nom, les propriétés et toute la nature du pain véritable, toutefois il n’est permis à personne, de changer de son autorité privée, ou pour mieux dire d’avoir la témérité de changer la sainte coutume de son Église. Et cela est d’autant moins permis aux Prêtres de l’Église latine, que les Souverains Pontifes ont ordonné de ne célébrer les saints Mystères qu’avec le pain azyme.
Mais en voilà assez sur cette première partie de la matière eucharistique. Remarquons cependant encore, en finissant, qu’on n’a jamais déterminé une quantité particulière de pain pour la consécration, par la raison que l’on ne peut déterminer davantage d’une manière précise le nombre de ceux qui peuvent et doivent participer à ces sacrés Mystères.
Venons maintenant à l’autre matière de l’Eucharistie. Cette seconde matière est le vin exprimé du fruit de la vigne, mais auquel il faut mêler un peu d’eau. L’Église catholique a toujours enseigné que notre Sauveur avait employé du vin dans l’institution de ce Sacrement, puisqu’il dit Lui-même : Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne jusqu’à cet autre jour...205 Si c’est le fruit de la vigne, remarque Saint Jean Chrysostome, c’est donc du vin et non pas de l’eau, comme s’il eût voulu détruire longtemps d’avance l’hérésie de ceux qui prétendaient que l’eau seule devait être employée dans le mystère de l’Eucharistie.
Cependant l’usage a toujours été dans l’Église de mêler un peu d’eau au vin. D’abord parce que l’autorité des Conciles et le témoignage de Saint Cyprien nous apprennent que Notre-Seigneur le fit Lui-même ; ensuite parce que ce mélange nous rappelle le Sang et l’eau qui coulèrent du côté de Jésus-Christ. Enfin l’eau, comme nous le voyons dans l’Apocalypse, représente le peuple. L’eau mêlée au vin, exprime très bien l’union du peuple fidèle avec Jésus-Christ son Chef. Au reste cet usage est de tradition apostolique, et l’Église l’a toujours observé. Mais quelques graves que soient les raisons de mettre de l’eau dans le vin, et bien qu’on ne puisse la supprimer sans pécher mortellement, si elle venait à manquer, le Sacrement n’en existerait pas moins. Enfin ce que les Prêtres devront bien observer, c’est que si dans la célébration des saints Mystères, il est nécessaire de mêler un peu d’eau au vin, ce ne doit être qu’en petite quantité, puisque, au jugement des théologiens, cette eau se change en vin. Voilà pourquoi le Pape Honorius écrivait : Il s’est introduit un abus très répréhensible parmi vous, c’est de mettre beaucoup plus d’eau que de vin, contre la coutume très raisonnable de toute l’Église, qui est de mettre beaucoup plus de vin que d’eau206.
Il n’y a donc que le pain et le vin qui soient la matière de l’Eucharistie ; et c’est à bon droit que l’Église a défendu, par plusieurs décrets, d’offrir autre chose que le pain et le vin, comme quelques-uns avaient la témérité de le faire.
Voyons maintenant combien les deux symboles du pain et du vin sont propres à représenter la nature et les effets que nous reconnaissons dans ce Sacrement.
Et d’abord ils nous représentent Jésus-Christ comme notre vie véritable. Lui-même n’a-t-Il pas dit : Ma Chair est véritablement une nourriture, et mon Sang est vraiment un breuvage ?207 Le Corps de Jésus-Christ est donc, pour ceux qui Le reçoivent saintement et avec piété, un Aliment qui donne la Vie éternelle, et par là même il était de toute convenance que ce Sacrement fût constitué précisément avec les éléments qui servent à soutenir la vie présente. Cela fait très bien comprendre aux Fidèles que l’esprit et le cœur sont rassasiés par la communion du Corps et du Sang du Seigneur.
Ces deux éléments avaient encore cet avantage qu’ils pouvaient servir à convaincre les hommes de la présence réelle du Corps et du Sang de Jésus-Christ dans l’Eucharistie. Tous les jours nous voyons le pain et le vin se changer, par les seules forces de la nature, en notre chair et en notre sang. C’est une image qui peut facilement nous amener à croire que la substance du pain et du vin est changée, par les paroles de la Consécration, au vrai Corps et au vrai Sang de Notre-Seigneur.
Le changement miraculeux de ces éléments peut servir aussi à nous faire entrevoir ce qui se passe dans l’âme. De même, en effet, que la substance du pain et du vin est changée réellement au Corps et au Sang de Jésus-Christ, quoiqu’il n’y ait aucune apparence visible de ce changement ; de même, quoique rien ne paraisse changer en nous au dehors, cependant nous nous trouvons intérieurement renouvelés pour la Vie spirituelle, en recevant la Vie véritable, dans le sacrement de l’Eucharistie.
Enfin l’Église est un seul corps composé de plusieurs membres, dont l’union ne pouvait être plus parfaitement représentée que par les éléments du pain et du vin. Le pain est fait d’une multitude de grains, et le vin de plusieurs grappes ; ils nous rappellent donc très bien que, si nombreux que nous soyons, le mystère divin de l’Eucharistie nous unit par le lien le plus étroit, et fait de nous tous comme un seul corps.
Il nous reste maintenant à parler de la forme qu’il faut employer pour la Consécration du pain, non pas qu’il soit utile de livrer ces Mystères, même au peuple fidèle, sans nécessité — puisqu’il n’est pas nécessaire que ceux qui ne sont pas dans les Ordres sacrés les connaissent — mais de peur que certains Prêtres ne l’ignorent, et ne commettent quelque faute considérable dans la Consécration.
Les Évangélistes Saint Matthieu, Saint Luc et l’Apôtre Saint Paul, nous apprennent que cette forme consiste dans ces paroles : Ceci est mon Corps, car voici ce qui est écrit : pendant qu’ils soupaient, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples en disant : prenez et mangez ; ceci est mon Corps208. Cette forme, employée par Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même pour la consécration de son Corps, a été constamment en usage dans l’Église catholique. Nous passons ici sous silence les témoignages des Saints Pères, qu’il serait beaucoup trop long de rapporter, ainsi que le décret du Concile de Florence, que tout le monde connaît, et nous nous bornons à rappeler encore ces mots de Notre-Seigneur : faites ceci en mémoire de Moi209. (Ils établissent clairement le point que nous traitons.) Cet ordre qu’Il donna à ses Apôtres doit se rapporter non seulement à ce qu’Il avait fait Lui-même, mais encore à ce qu’Il avait dit, et spécialement aux paroles qui furent prononcées, autant pour produire que pour signifier l’effet du Sacrement.
D’ailleurs, on pourrait encore aisément se convaincre de cette vérité par la raison. La forme d’un Sacrement consiste dans les paroles qui expriment l’effet produit par ce Sacrement. Or, les paroles que nous avons citées indiquent et signifient très bien ce qui s’opère dans l’Eucharistie, à savoir le changement du pain au vrai Corps de Notre-Seigneur, et par conséquent elles en sont véritablement la forme. On peut entendre dans ce sens ce qui est dit dans l’Évangéliste : qu’Il bénit le pain210. C’est la même chose, ce semble, que s’Il eût dit qu’Il bénit le pain en disant : ceci est mon Corps. Il est vrai que l’Évangéliste, avant les paroles que nous venons de citer, dit également : prenez et mangez ; mais ces deux mots ne regardent que l’usage de la chose, et non la consécration de la matière. Aussi, quoique le Prêtre soit obligé de les prononcer, ne sont-elles pas nécessaires à l’existence du Sacrement, pas plus que la conjonction car, que l’on prononce néanmoins dans la consécration du Corps et du Sang de Jésus-Christ. Autrement s’il n’y avait personne pour recevoir l’Eucharistie, on ne devrait, et on ne pourrait même pas la consacrer. Et cependant, il est incontestable que le Prêtre qui prononce les paroles du Seigneur suivant l’usage et la coutume de l’Église, sur un pain propre à devenir la matière de l’Eucharistie, consacre réellement et validement cette matière quand même il arriverait que l’Eucharistie ne serait administrée à personne.
Quant à la Consécration du vin qui est la seconde matière du Sacrement, il faut pour les mêmes raisons que nous avons apportées plus haut, que le Prêtre en connaisse parfaitement la forme. Or, nous devons tenir pour certain qu’elle est ainsi formulée : Ceci est le Calice de mon Sang, de la nouvelle et éternelle Alliance, le mystère de la Foi, qui sera versé pour vous et pour plusieurs, pour la rémission des péchés211. De ces paroles plusieurs sont tirées de l’Écriture, et l’Église a reçu les autres d’une tradition apostolique. On trouve dans Saint Luc et dans l’Apôtre : Ceci est le Calice212 ; et dans Saint Luc ainsi que dans Saint Matthieu : de mon sang, ou mon Sang de la nouvelle Alliance, qui sera versé pour vous et pour plusieurs, pour la rémission des péchés213. Quant à ces autres expressions, éternelle, et, mystère de la Foi, nous les tenons de la tradition interprète et gardienne de la Vérité catholique.
Personne ne pourra douter que ces paroles ne soient la forme de la Consécration du vin, s’il se rappelle ce que nous avons dit sur la forme de la Consécration du pain, car il est certain qu’elle consiste dans les paroles qui expriment le changement de la substance du vin au Sang de Notre-Seigneur. Or, celles que nous venons de rapporter indiquent clairement ce changement ; et par conséquent il ne saurait y avoir d’autre forme que celle-là, pour consacrer le vin. Ces paroles expriment en outre quelques effets admirables du Sang de Jésus-Christ répandu dans sa Passion, et qui appartiennent d’une manière spéciale à ce Sacrement. Le premier de ces effets c’est l’accès à l’héritage éternel, auquel nous donne droit l’Alliance nouvelle et éternelle. Le second, c’est l’accès à la justice par le mystère de la Foi. Car Dieu a établi Jésus-Christ pour être la Victime de propitiation, par la Foi dans son Sang, montrant tout ensemble qu’Il est juste Lui-même, et qu’Il justifie celui qui a la Foi en Jésus-Christ214. Le troisième effet est la rémission des péchés.
Mais comme ces paroles de la Consécration du vin sont pleines de mystères ; et qu’elles sont parfaitement appropriées à ce qu’elles expriment, il y a lieu de les examiner avec le plus grand soin. Quand on dit : Ceci est le calice de mon Sang215, ces mots signifient ceci est mon Sang qui est contenu dans ce calice. Et c’est avec beaucoup de sagesse et de raison que l’on fait mention du calice, en consacrant le Sang qui doit être le breuvage des Fidèles. Le Sang par lui-même n’exprimerait pas assez nettement qu’il doit être bu, s’il ne nous était présenté dans une coupe. Ensuite on ajoute : de la nouvelle Alliance, pour nous faire comprendre que le Sang de Jésus-Christ ne nous est pas seulement donné en figure, comme dans l’ancienne Alliance dont Saint Paul a dit : qu’elle ne fut point confirmée sans effusion de Sang216, mais en vérité et réellement. Ce qui ne convient qu’à l’Alliance nouvelle.
Voilà pourquoi Saint Paul a écrit : Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament, afin que, par sa mort, ceux qui sont appelés reçoivent l’héritage éternel qui leur a été promis217 ; quant au mot éternel, il se rapporte précisément à cet héritage éternel qui nous est échu par le droit que nous confère la mort de Jésus-Christ notre testateur éternel.
Les mots qui suivent, à savoir : Le Mystère de la Foi, n’excluent pas la réalité de la chose, ils indiquent seulement qu’il faut admettre un effet caché et infiniment éloigné de la portée de nos yeux. Le sens qu’on leur donne ici est tout différent de celui qu’ils ont, quand on les applique au Baptême. Comme c’est par la Foi que nous voyons le Sang de Jésus-Christ caché sous l’apparence du vin, c’est pour ce motif que nous l’appelons le mystère de la Foi. Le Baptême, au contraire, s’appelle chez nous le sacrement de la Foi, ou chez les grecs, le mystère de la Foi, parce qu’il contient une profession entière de la Foi chrétienne.
Ce qui fait encore que nous appelons mystère de la Foi le Sang du Seigneur, c’est que la raison a beaucoup de difficulté et de peine à admettre et à croire, d’après l’enseignement de la Foi, que Notre-Seigneur Jésus-Christ, véritable Fils de Dieu, vrai Dieu Lui-même et vrai homme tout ensemble, a souffert la mort pour nous. Or cette mort nous est représentée par le Sacrement de son Sang. C’est pourquoi il était de toute convenance de rappeler ici, plutôt que dans la consécration du pain, la Passion du Sauveur par ces paroles : Qui sera répandu pour la rémission des péchés. Le Sang, consacré séparément, possède beaucoup plus de force et plus d’efficacité pour mettre sous les yeux de tous la Passion de notre Seigneur, sa Mort et la nature de ses souffrances. Les autres mots : pour vous et pour plusieurs, sont empruntés les uns à saint Matthieu218, et les autres à saint Luc219. Et c’est l’Église qui, inspirée par l’esprit de Dieu, les a réunis. Ils servent à exprimer les fruits et les avantages de la Passion. Si nous en considérons en effet la vertu et l’efficacité, nous sommes obligés d’avouer que le Sang du Seigneur a été répandu pour le salut de tous. Mais si nous examinons les fruits que les hommes en retirent, il est évident que plusieurs seulement, et non pas tous, en profitent. Lorsque Jésus-Christ dit : pour vous, Il entendait par là, à l’exception de Judas, ceux qui étaient présents, et à qui il parlait, ou bien les élus d’entre les Juifs, tels que ses disciples. En ajoutant : pour plusieurs, Il voulait désigner tous les autres élus, soit d’entre les Juifs, soit d’entre les Gentils. Ainsi c’est avec raison qu’il n’a pas été dit : pour tous, puisqu’il s’agissait en cet endroit du fruit de la Passion, qui n’a procuré le salut qu’aux élus seulement. C’est dans ce sens qu’il faut entendre ces paroles de l’Apôtre : Jésus-Christ n’a été immolé qu’une fois pour effacer les péchés de plusieurs220 ; et ce que dit Notre-Seigneur dans Saint Jean : Je prie pour eux, je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que Vous m’avez donnés, parce qu’ils sont à vous221.
Il y a encore beaucoup d’autres Mystères renfermés dans ces paroles de la Consécration. Mais les Pasteurs zélés, et fidèles à méditer souvent les choses célestes, les découvriront aisément d’eux-mêmes avec l’aide de Dieu.
Le moment est venu de reprendre l’explication de certains points de doctrine que, pour aucun motif, on ne doit laisser ignorer aux Fidèles.
L’Apôtre nous enseigne que ceux qui ne discernent point le Corps de Notre-Seigneur222, commettent un grand crime. Les Pasteurs devront donc, avant tout, exhorter les Chrétiens à faire tous leurs efforts pour élever ici leur esprit et leur raison au-dessus des choses sensibles. S’ils se persuadaient que le sacrement de l’Eucharistie ne contient que ce que les sens y aperçoivent, ils tomberaient fatalement dans cette impiété énorme de croire qu’il ne renferme que du pain et du vin, puisque les yeux, le toucher, l’odorat, le goût ne rapportent que des apparences de pain et de vin. Il faut donc faire en sorte qu’ils renoncent, autant que possible, au jugement des sens, pour s’élever uniquement à la contemplation de la Vertu et de la Puissance infinie de Dieu ; car la Foi catholique enseigne et croit, sans hésitation aucune, que les paroles de la Consécration produisent spécialement trois effets admirables.
Le premier, c’est que le vrai corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Celui-là même qui est né de la Vierge Marie, qui est assis à la droite du Père, est contenu dans l’Eucharistie.
Le second c’est que dans le Sacrement il ne reste rien de la substance des deux éléments, quoique cela semble tout-à-fait opposé et contraire au rapport des sens.
Le troisième, qui se déduit aisément des deux autres, et qui est positivement exprimé par les paroles de la Consécration, c’est que par une disposition inexplicable et toute miraculeuse, les accidents qui apparaissent aux yeux, et que les autres sens perçoivent aussi, se soutiennent sans le secours d’aucun sujet. Ils présentent encore toutes les apparences du pain et du vin. Mais ils ne tiennent à aucune substance ; ils subsistent par eux-mêmes. Quant à la substance même du pain et du vin, elle est tellement changée au Corps et au Sang de Jésus-Christ, qu’il n’en reste absolument rien, et qu’il n’y a réellement plus ni substance du pain, ni substance du vin.
Parlons d’abord du premier de ces effets. Les Pasteurs s’efforceront de faire comprendre combien sont claires et positives les paroles de Notre Sauveur, qui établissent la présence réelle de son Corps dans l’Eucharistie. En effet, il a dit : Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang223. Or, il n’est personne de bon sens qui ne comprenne immédiatement ce que ces paroles signifient : d’autant plus qu’il est ici question de la nature humaine, et qu’il est hors de doute, dans la Foi catholique, que Jésus-Christ était véritablement homme. Aussi saint Hilaire, ce personnage si distingué par sa sainteté et par sa science, parlant de la présence réelle de la Chair et du Sang de Jésus-Christ, a-t-il dit nettement : qu’il est impossible pour nous de douter de cette vérité, puisque Jésus-Christ a déclaré lui-même, et que la Foi nous enseigne, que sa Chair est vraiment une nourriture224.
Les Pasteurs auront encore à développer un autre passage dont l’explication fera aisément conclure que l’Eucharistie contient vraiment le Corps et le Sang de Jésus-Christ. Saint Paul, après avoir rappelé la consécration que le Seigneur avait faite du pain et du vin, et la distribution des saints Mystères à ses Apôtres, ajoute : que l’homme s’éprouve donc lui-même, et qu’après cela il mange de ce pain et boive de ce calice : car celui qui le mange et le boit indignement, mange et boit sa propre condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur225. Si, comme le prétendent les hérétiques, nous n’avions autre chose à vénérer dans ce Sacrement que le souvenir et le signe de la Passion de Jésus-Christ, pourquoi l’Apôtre se servirait-il d’expressions aussi fortes pour exhorter les Fidèles à s’éprouver ? Ce mot terrible de condamnation, employé par lui, montre que c’est un crime abominable de recevoir indignement le Corps du Seigneur caché sous les espèces eucharistiques, et de ne pas distinguer cette nourriture de toutes les autres. Mais le même Apôtre s’exprime encore plus formellement dans le Chapitre précédent de la même Épître, lorsqu’il dit : Le calice de bénédiction que nous bénissons, n’est-il pas la communication du Sang de Jésus-Christ ? Et le pain que nous rompons, n’est-ce pas la participation du Corps du Seigneur ?226
On ne peut désigner plus clairement la véritable substance du Corps et du Sang de Jésus-Christ. Mais en expliquant ces passages de la sainte Écriture, les Pasteurs auront soin de faire remarquer aux Fidèles, qu’ils ne renferment rien de douteux ni d’incertain, surtout parce que l’Église de Dieu, avec son autorité infaillible, les a toujours entendus dans le sens que nous venons d’exposer. Pour nous en convaincre nous avons deux moyens faciles.
Le premier, c’est de consulter les Pères qui ont fleuri à l’origine et dans tous les âges de l’Église, et qui sont les meilleurs témoins de sa doctrine. Or, ils ont tous enseigné, et d’un accord unanime, la vérité du dogme en question. Mais ce serait un travail infini de citer tous les témoignages. Il nous suffira d’en rapporter, ou d’en indiquer quelques-uns, qui nous permettront de juger des autres. Que Saint Ambroise produise, le premier, sa profession de Foi : dans le livre qu’il a écrit sur ceux qui sont initiés aux Mystères227 , il affirme que l’on reçoit dans l’Eucharistie le vrai Corps de Jésus-Christ, comme Il l’avait pris lui-même très réellement dans le sein de la bienheureuse Vierge et que c’est un article de Foi incontestable. Avant la Consécration, dit-il ailleurs, il n’y a que du pain, mais après la Consécration, il n’y a que la Chair de Jésus-Christ.
Que Saint Jean Chrysostome se présente ensuite ; c’est un autre témoin non moins digne de confiance, et d’une autorité non moins grande. Il professe et enseigne la même vérité dans une foule de passages, mais surtout dans la 60e homélie, de ceux qui participent indignement aux saints Mystères et dans les homélies 41 et 45, sur Saint Jean. Obéissons à Dieu, dit-il, et ne refusons pas de Le croire, lors même qu’Il semble dire des choses contraires à la raison et aux sens. Sa parole est infaillible, tandis que notre jugement s’égare facilement.
Et Saint Augustin, ce défenseur si zélé de la Foi catholique, a toujours pensé et parlé de même, mais spécialement dans son commentaire sur le Psaume 33 : se porter soi-même dans ses mains est impossible à l’homme, dit-il, cela ne peut convenir qu’à Jésus-Christ ; car il se portait dans ses propres mains, lorsque, donnant son Corps, il dit : ceci est mon Corps.
Enfin, sans parler de Saint Justin et de Saint Irénée, Saint Cyrille, dans son 4e livre sur Saint Jean, affirme si clairement que la véritable Chair de Jésus-Christ est dans l’Eucharistie, que nulle interprétation fausse et captieuse ne pourra jamais obscurcir ses paroles.
Si les Pasteurs désiraient connaître encore d’autres témoignages des Pères, il serait facile de leur citer Saint Denys, Saint Hilaire, Saint Jérôme, Saint Jean Damascène et une foule d’autres dont les sentiments si importants sur cette matière ont été réunis en corps d’ouvrage, par des hommes pieux et savants, et se lisent partout.
Le second moyen de connaître la doctrine de l’Église dans les choses de la Foi, c’est la condamnation qu’elle a faite des doctrines et des opinions contraires. Or, il est impossible de le nier, le dogme de la Présence réelle de Jésus-Christ dans l’Eucharistie a toujours été tellement répandu et popularisé dans toute l’Église, il a toujours été si universellement reçu par tous les Fidèles, qu’au moment où Bérenger, dans le onzième siècle, osa l’attaquer et prétendre qu’il n’y avait là qu’un signe, il fut aussitôt condamné, et d’une voix unanime, au Concile de Verceil, convoqué par le Pape Léon IX, et lui-même y anathématisa son hérésie. Et lorsque plus tard il revint encore à cette erreur impie, il fut de nouveau condamné par trois autres Conciles, l’un de Tours, et les deux autres de Rome, ces deux derniers assemblés successivement par les Papes Nicolas II et Grégoire VIII. Toutes ces décisions furent confirmées ensuite par Innocent III dans le Concile général de Latran. Enfin les Conciles de Florence et de Trente sont venus tour à tour fixer ce dogme avec une clarté et une précision invincibles.
Si les Pasteurs ont soin de bien mettre en lumière toutes ces autorités, ils pourront, non pas ramener les hérétiques qui, aveuglés par leurs erreurs, ne baissent rien tant que la vérité, mais affermir les faibles, et remplir les âmes pieuses de consolation et de joie ; d’autant plus — et cela est évident pour les Fidèles — que la foi de cette vérité est renfermée dans les autres articles de la Doctrine chrétienne. Quiconque en effet croit et confesse que Dieu est Tout Puissant, croit par là-même qu’Il n’a pas manqué de pouvoir pour opérer le chef-d’œuvre que nous admirons et que nous révérons dans l’Eucharistie. Quiconque encore croit la sainte Église catholique, doit nécessairement reconnaître pour vraie la doctrine que nous venons d’expliquer.
Mais ce qui met le comble au bonheur et à l’édification des âmes pieuses, c’est de contempler la sublime dignité de ce Sacrement. Par là elles comprennent d’abord toute la perfection de la Loi évangélique, laquelle possède en réalité ce que la Loi de Moïse n’avait qu’en figures et en images. Ce qui a fait dire admirablement à Saint Denys que Notre Église tient le milieu entre la Synagogue et la Jérusalem céleste, et qu’elle participe de l’une et de l’autre228. Les fidèles ne sauraient donc trop admirer la perfection, la gloire et la grandeur de la sainte Église, puisqu’il n’y a, pour ainsi dire, qu’un seul degré qui la sépare de la béatitude céleste. Nous avons cela de commun avec les habitants des cieux, que les uns et les autres nous possédons Jésus-Christ, Dieu et homme, présent au milieu de nous. Le seul degré qui nous sépare d’eux, c’est qu’ils jouissent de la Présence de Jésus-Christ par la vision béatifique, tandis que nous, nous adorons seulement sa Présence, Présence invisible à nos yeux, et cachée sous le voile miraculeux des saints Mystères, mais que cependant nous confessons avec une Foi ferme et inébranlable.
Enfin Jésus-Christ nous a laissé dans ce Sacrement, la preuve de l’immense amour qu’Il a pour nous. N’était-ce pas en effet un des plus beaux traits de cet amour, de n’avoir pas emporté loin de nous cette nature qu’Il nous avait empruntée, mais d’avoir voulu, autant que cela était possible, demeurer sans cesse avec nous, afin que sans cesse on pût dire de Lui en toute vérité : mes délices sont d’être avec les enfants des hommes ?229
Ici les Pasteurs auront à expliquer que l’Eucharistie ne contient pas seulement le Corps de Jésus-Christ avec tout ce qui constitue un corps véritable, comme les os et les nerfs, mais encore Jésus-Christ tout entier. Il faut enseigner que Jésus-Christ, c’est le nom d’un Dieu et d’un homme tout à la fois, c’est-à-dire d’une personne dans laquelle la nature divine et la nature humaine sont réunies ; Jésus-Christ possède les deux substances et ce qui les caractérise, la divinité d’abord, puis la nature humaine tout entière avec l’âme, les parties du corps et le sang qui la composent. Nous devons donc croire que toutes ces choses se trouvent dans l’Eucharistie. Car de même qu’au ciel l’humanité de Jésus-Christ est unie à la divinité dans une seule personne, (et dans une seule hypostase), de même ce serait un crime de supposer que le Corps, présent dans l’Eucharistie, y est séparé de la divinité.
Cependant les Pasteurs auront soin de faire observer que toutes ces choses ne sont point contenues de la même manière et par la même raison dans ce Sacrement. Il en est qui s’y trouvent en vertu, et par la force même de la Consécration. Ces paroles en effet produisent ce qu’elles signifient, et les Théologiens disent qu’une chose se trouve dans le Sacrement, par la force du Sacrement, quand elle est exprimée par la forme des paroles. Selon eux, s’il pouvait arriver que les choses fussent détachées les unes des autres, il y aurait dans le Sacrement uniquement ce que sa forme signifie ; le reste ne s’y trouverait point. Au contraire, il est certaines choses qui sont renfermées dans le Sacrement, par cette seule et unique raison qu’elles sont inséparablement liées avec celles que la forme exprime. Ainsi, comme la forme employée pour la Consécration du pain exprime le Corps de Notre-Seigneur, puisqu’on y dit : ceci est mon Corps, c’est donc par la force même du Sacrement que le Corps de Jésus-Christ est renfermé dans l’Eucharistie. Mais parce que le Sang, l’âme et la Divinité sont inséparables du Corps, toutes ces choses seront aussi dans le Sacrement, non en vertu de la Consécration, mais par l’union qu’elles ont avec le Corps, ou comme disent les Théologiens, par concomitance. C’est de cette manière que manifestement Jésus-Christ est tout entier dans l’Eucharistie. Car lorsque deux choses sont absolument liées entre elles, il faut que l’une soit partout où l’autre se trouve. Il suit de là que Jésus-Christ est tellement tout entier, (si nous pouvons ainsi dire), et sous l’espèce du pain et sous l’espèce du vin, que, comme l’espèce du pain contient non seulement le Corps, mais le Sang, et Jésus-Christ tout entier, de même l’espèce du vin renferme non seulement le Sang, mais aussi le Corps et toute la Personne de Jésus-Christ.
Quoique les Fidèles doivent avoir la certitude et la persuasion que les choses se passent ainsi, cependant l’Église a été très sage de faire séparément les deux Consécrations. D’abord cela exprime bien mieux la Passion du Sauveur, dans laquelle le Sang fut séparé du Corps. C’est même pour cette raison que l’on fait mention de l’effusion du Sang, dans la Consécration. Ensuite, comme ce Sacrement était destiné à nourrir nos âmes, il était convenable qu’il fût établi sous la forme de nourriture et de breuvage, puisque ces deux choses constituent évidemment l’aliment complet de nos corps.
Il ne faut pas non plus oublier de dire que non seulement Jésus-Christ est tout entier dans chacune des espèces du pain et du vin, mais qu’Il est aussi tout entier dans la moindre parcelle de chaque espèce. Chacun reçoit Jésus-Christ, écrivait Saint Augustin, et Jésus-Christ est tout entier dans la portion de chacun ; Il ne se divise pas entre tous, mais il se donne tout à tous.230 Nous avons d’ailleurs une preuve de cette vérité dans les Évangélistes. Il n’est pas à croire en effet que Jésus-Christ ait consacré séparément chacun des morceaux de pain qu’Il distribua aux Apôtres ; il paraît au contraire qu’il consacra, en prononçant une seule fois les paroles de la forme, tout le pain qui était nécessaire, et qu’Il le distribua ensuite à chacun. C’est évidemment ce qui eut lieu pour le calice, c’est-à-dire pour l’espèce du vin, puisque Jésus-Christ lui-même dit : prenez et partagez entre vous231.
Tout ce que nous avons dit jusqu’ici a pour but de faire enseigner par les Pasteurs que le vrai Corps et le vrai Sang de Jésus-Christ sont contenus dans l’Eucharistie.
Les Pasteurs enseigneront également — et c’était là notre second point, — qu’après la Consécration il ne reste absolument rien de la substance du pain et du vin dans le Sacrement. Si extraordinaire, si prodigieux que puisse nous paraître ce miracle, cependant il est une conséquence nécessaire de ce que nous venons de démontrer. En effet, si après la Consécration le Corps et le Sang de Jésus-Christ sont réellement présents sous les espèces du pain et du vin où Ils n’étaient pas auparavant, ce ne peut être que par changement de lieu, ou par création, ou par le changement d’une autre substance en la sienne. Or il est impossible que le Corps de Jésus-Christ soit présent dans l’Eucharistie, en y venant d’un autre lieu, puisque autrement Il devrait quitter le ciel, un corps ne pouvant être mis en mouvement sans s’éloigner du lieu d’où part le mouvement. Il est encore bien moins croyable que le Corps de Jésus-Christ soit dans l’Eucharistie par création, ou plutôt il n’est même pas permis de le penser. Que reste-t-il donc, sinon que le pain soit changé en son Corps, et par conséquent que la substance du pain soit totalement détruite par la Consécration ? Aussi les Pères du Concile général de Latran, et ceux du Concile de Florence ont-ils nettement enseigné cette vérité. Et après eux, le Concile de Trente l’a définie plus formellement encore en ces termes : Si quelqu’un dit que dans le très saint sacrement de l’Eucharistie, la substance du pain et du vin demeure avec le Corps et le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu’il soit anathème !232 Il est très facile d’ailleurs d’arriver à la même conclusion par les textes mêmes de la Sainte Écriture. Et d’abord Notre-Seigneur, en instituant ce Sacrement, s’exprime ainsi : ceci est mon Corps. Or la propriété du mot : ceci, est d’exprimer toute la substance de l’objet présent. Si donc la substance du pain était demeurée, Jésus-Christ n’aurait pas pu dire avec vérité : ceci est mon Corps. D’un autre côté, le Seigneur dit, dans Saint Jean, le pain que Je donnerai, c’est ma Chair pour la vie du monde233 désignant ainsi sa Chair par le nom du pain ; puis un instant après, Il ajoute Si vous ne mangez la Chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son Sang, vous n’aurez point la vie en vous234 ; et encore ma Chair est véritablement une nourriture, et mon Sang est vraiment un breuvage235. Or appeler en termes si clairs et si formels sa Chair un vrai pain, une véritable nourriture, et son Sang un vrai breuvage, n’est-ce pas évidemment pour nous apprendre que ni la substance du pain ni celle du vin ne demeurent dans ce Sacrement ?
Ceux qui auront seulement parcouru les Saints Pères, reconnaîtront sans peine que telle a toujours été leur croyance unanime. Voici ce qu’écrit Saint Ambroise : vous direz peut-être : ce pain est tout ordinaire. Oui c’est du pain ordinaire avant la Consécration ; mais aussitôt après la Consécration, ce pain devient la Chair de Jésus-Christ236. Puis, pour rendre ses preuves plus sensibles, il apporte plusieurs exemples et plusieurs comparaisons. Dans un autre endroit, en expliquant ces paroles du Psalmiste : le Seigneur a fait dans le ciel et sur la terre tout ce qu’Il a voulu, il dit : quoique l’on voie la figure et la forme du pain et du vin, il n’y a cependant rien autre chose après la Consécration, que la Chair et le Sang de Jésus-Christ237. Saint Hilaire s’est servi presque des mêmes termes pour exprimer la même vérité, il enseigne que le Corps et le Sang du Seigneur sont réellement dans l’Eucharistie, quoique, au dehors, on n’aperçoive que du pain et du vin238.
Ici les Pasteurs feront bien d’avertir les Fidèles qu’ils ne doivent pas s’étonner qu’on ait conservé le nom de pain à l’Eucharistie, même après la Consécration. La raison en est que l’Eucharistie garde les apparences du pain et même la propriété naturelle du pain, qui est de nourrir et de fortifier le corps. C’est d’ailleurs une coutume de la Sainte Écriture de nommer les objets d’après leurs formes extérieures. C’est ce qu’on voit dans la Genèse, où il est dit que trois hommes apparurent à Abraham, et cependant c’étaient trois Anges. De même nous lisons dans les Actes que deux hommes apparurent aux Apôtres, au moment où Notre-Seigneur Jésus-Christ venait de monter au ciel, et ces hommes étaient des Anges.
L’explication de ce Mystère est extrêmement difficile. Cependant les Pasteurs tâcheront de faire comprendre à ceux qui sont assez avancés dans la connaissance des Vérités saintes, comment s’opère ce changement admirable. Car pour ceux qui sont encore faibles dans la Foi, il serait à craindre qu’ils ne fussent accablés sous le poids d’une Vérité si haute. Ce changement est tel que, par la puissance de Dieu, toute la substance du pain est convertie en la substance entière du Corps de Jésus-Christ, et toute la substance du vin en la substance entière de son Sang, sans aucun changement de la part de Notre-Seigneur Lui-même. En effet, Il n’y est ni engendré, ni changé, ni augmenté ; mais Il demeure intact dans sa substance. C’est ce qui a fait dire à Saint Ambroise, en parlant de ce Mystère : vous voyez combien la parole de Jésus-Christ est efficace. Si elle a eu assez de force pour faire exister ce qui n’était pas, le monde, par exemple, combien ne lui en a-t-il pas fallu pour donner un nouvel être aux choses qui existaient déjà et pour les changer en d’autres ?239
Plusieurs autres Pères très anciens, et d’une grande autorité, ont parlé dans le même sens. Nous le déclarons sans hésiter, dit Saint Augustin, avant la Consécration, il n’y a que le pain et le vin formés par la nature ; mais après la Consécration, il n’y a plus que la Chair et le Sang de Jésus-Christ, rendus présents par les paroles sacrées240. Le Corps de Notre-Seigneur, dit de son côté Saint Jean Damascène, Celui-là même qui est né d’une Vierge, est véritablement uni dans l’Eucharistie à sa divinité ; non qu’Il descende du ciel où Il est monté, mais parce que le pain et le vin sont transsubstantiés au Corps et au Sang du Seigneur241.
C’est donc avec beaucoup de raison et de justesse que l’Église catholique appelle ce merveilleux changement transsubstantiation, comme l’enseigne le Concile de Trente. En effet de même que la génération naturelle peut très bien s’appeler transformation, parce qu’il s’y fait un changement de forme ; de même le mot de transsubstantiation a été très convenablement créé par nos Pères, pour exprimer le changement d’une substance tout entière en une autre substance, tel que celui qui s’opère dans l’Eucharistie.
Mais ainsi que les Saints Pères l’ont très souvent recommandé, il faut avertir les Fidèles de ne pas rechercher avec trop de curiosité comment un tel changement peut se faire. Il nous est impossible de le comprendre, et nous ne pouvons en trouver aucune image ni aucun exemple dans les changements naturels, ni même dans la création. La Foi nous apprend que la chose est ainsi, nous ne devons point chercher avec curiosité pourquoi ou comment la chose est ainsi.
Il ne faudra pas moins de prudence aux Pasteurs, lorsqu’ils expliqueront comment dans ce Mystère le Corps de Jésus-Christ se trouve contenu tout entier dans chacune des plus petites parcelles du pain eucharistique. Autant qu’on le peut il faut éviter soigneusement ces sortes de discussions ; cependant, si la Charité chrétienne en fait un devoir, qu’on n’oublie pas tout d’abord de prémunir et de fortifier l’esprit des Fidèles par ces paroles de l’Évangile Rien n’est impossible à Dieu242. Après cela les Pasteurs pourront enseigner que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’est point dans ce Sacrement comme dans un lieu. Les choses ne sont dans un lieu qu’autant qu’elles ont quelque étendue. Or, quand nous disons que Jésus-Christ est dans l’Eucharistie, nous ne faisons pas attention à l’étendue plus ou moins grande de son Corps, mais à la substance elle-même, considérée indépendamment de l’étendue. Car la substance du pain est changée en la substance, et non pas en la quantité, ni en la grandeur du Corps de Jésus-Christ. Or personne ne doute qu’une substance ne puisse être également renfermée dans un petit espace aussi bien que dans un grand. Ainsi la substance de l’air est aussi entière dans une petite partie d’air que dans une grande ; la nature (ou la substance) de l’eau n’est pas moins entière dans un petit vase que dans un grand. Et comme le Corps de Notre-Seigneur remplace la substance du pain dans l’Eucharistie, on est obligé de convenir qu’Il est dans le Sacrement de la même manière que la substance du pain y était avant la Consécration. Or la substance du pain était aussi bien et aussi entière dans la plus petite partie que dans le tout. Cela ne se discute même pas.
La troisième merveille de ce Sacrement, la plus grande et la plus étonnante de toutes, mais que les Pasteurs pourront aborder plus aisément, après avoir expliqué les deux précédentes, c’est que les espèces du pain et du vin y subsistent sans être soutenues d’aucun sujet. En effet, nous avons démontré d’une part que le Corps et le Sang de Notre-Seigneur sont véritablement présents dans ce Sacrement, et de manière qu’il ne reste absolument rien de la substance du pain et du vin. Mais d’autre part il est impossible que les accidents qui demeurent, s’attachent à son Corps et à son Sang. Par conséquent il est de toute nécessité que, contre toutes les lois de la nature, ces accidents subsistent en eux-mêmes, et sans être soutenus par aucune substance. Telle a toujours été la doctrine constante de l’Église catholique, doctrine qui peut du reste se déduire des témoignages que nous avons rapportés plus haut en faveur de la vérité qui nous occupe, à savoir qu’après la Consécration, il ne demeure plus rien de la substance du pain et du vin dans l’Eucharistie.
Mais rien ne convient mieux à la piété des Fidèles que de laisser de côté ces questions difficiles, et de se borner à vénérer, à adorer la majesté de ce Sacrement, et ensuite à admirer la souveraine Providence de Dieu, qui a établi ces sacrés Mystères, pour être administrés sous les espèces du pain et du vin. Toutefois, comme il répugne absolument à la nature de manger la chair et de boire le sang de l’homme, c’est une grande marque de Sagesse de la part de Notre-Seigneur de nous avoir donné sa Chair et son Sang adorables sous les apparences du pain et du vin, qui sont notre nourriture journalière, la plus ordinaire, et en même temps la plus agréable.
Nous trouvons encore en cela deux autres avantages ; le premier, c’est d’être à l’abri d’accusations calomnieuses, et qu’il nous eût été difficile d’éviter de la part des infidèles, s’ils nous avaient vus manger la Chair de Jésus-Christ dans sa propre forme. Le second, c’est qu’en prenant le Corps et le Sang de Notre-Seigneur, sans que nos sens puissent saisir la réalité de leur existence, c’est un puissant moyen d’augmenter la Foi dans nos âmes. Car la Foi, dit Saint Grégoire, ne mérite plus, quand la raison démontre243.
Tout ce que nous avons dit sur ces vérités si profondes ne doit être présenté aux Fidèles qu’avec de grandes précautions, et en tenant compte du développement de leur intelligence, aussi bien que des circonstances.
De la Communion et du sacrifice de la Messe
La vertu et les fruits du sacrement de l’Eucharistie méritent toute notre admiration. Il n’est personne, à coup sûr, à qui il ne soit utile et même nécessaire de les connaître. Et même toute la doctrine que nous avons exposée jusqu’ici sur ce Sacrement avait principalement pour but de mettre les Pasteurs en état de mieux en instruire les Fidèles. Mais comme les biens et les avantages qu’ils renferment sont presque infinis, les plus beaux et les plus longs discours ne pourraient les expliquer en détail. Voilà pourquoi les Pasteurs seront forcés de s’attacher à une ou deux considérations principales qui suffiront pour montrer l’étendue et l’abondance des fruits salutaires contenus dans ce sacré Mystère.
Voici un moyen d’atteindre en partie ce but : c’est de faire voir, en comparant entre elles la nature et l’efficacité de tous les Sacrements, que l’Eucharistie est comme la source, tandis que les autres sont les ruisseaux. En effet l’Eucharistie est vraiment la source de toutes les grâces, puisqu’elle renferme d’une manière admirable Notre-Seigneur Jésus-Christ, la Source même de tous les dons célestes, l’Auteur de tous les Sacrements, le Principe enfin d’où dérive tout ce qu’il y a de bien et de parfait dans les autres Sacrements. Après cela il ne sera pas difficile de comprendre combien sont magnifiques les dons de la Grâce divine que nous communique la sainte Eucharistie.
On pourra encore en juger aisément, en examinant la nature du pain et du vin, qui sont les symboles de l’Eucharistie. Ce que le pain et le vin produisent pour le corps, l’Eucharistie le produit également, mais d’une manière infiniment plus parfaite, pour le salut et le bonheur de l’âme. Ce n’est pas le Sacrement qui se convertit comme le pain et le vin en notre substance, c’est nous-mêmes au contraire qui sommes changés pour ainsi dire en sa nature. En sorte que l’on peut très bien appliquer ici ces paroles que Saint Augustin met dans la bouche de Notre-Seigneur : Je suis la nourriture des hommes faits ; croissez, et vous Me mangerez ensuite. Et vous ne Me changerez point en vous, comme il arrive à la nourriture de votre corps mais c’est vous qui vous changerez en Moi244.
Si la Grâce et la Vérité ont été apportées par Jésus-Christ245, ne doivent-elles pas nécessairement se répandre dans l’âme de celui qui reçoit ce Sacrement avec un cœur pur et saint ? Car Notre-Seigneur a dit : Celui qui mange ma Chair et qui boit mon Sang, demeure en Moi, et Moi en lui246. Personne ne doit douter que ceux qui participent à ce Sacrement avec des sentiments de Foi et de piété, ne reçoivent le Fils de Dieu, de manière à se trouver en quelque sorte greffés sur son Corps, comme des membres vivants. Celui qui Me mange, dit le Sauveur, vivra aussi pour Moi. Le pain que je donnerai, c’est ma Chair pour la vie du monde247. Sur quoi Saint Cyrille a fait cette remarque : Le verbe de Dieu, en s’unissant à sa propre chair, l’a rendue vivifiante. Il était donc convenable qu’Il s’unît à nos corps d’une manière admirable par sa Chair sacrée et par son Sang précieux qu’Il nous livre sous les espèces du pain et du vin, pour nous sanctifier et nous donner la vie248.
Mais en disant que l’Eucharistie donne la Grâce, que les Pasteurs fassent bien entendre aux Fidèles que pour recevoir ce Sacrement d’une manière vraiment utile, il est nécessaire de la posséder auparavant. De même que les aliments naturels ne servent de rien aux morts, de même aussi il est certain que les saints Mystères sont inutiles à celui qui n’a pas la vie de l’âme. Si même ils se présentent sous les apparences du pain et du vin, c’est précisément pour nous faire comprendre qu’ils n’ont pas été institués pour rendre la vie à l’âme, mais seulement pour la lui conserver.
On veut donc dire par là que la première grâce nécessaire à tous ceux qui veulent recevoir ce Sacrement, sans manger et boire leur condamnation, ne se donne qu’à ceux qui ont le désir et la résolution bien arrêtée d’y participer, car il est la fin de tous les autres Sacrements, le symbole de l’unité et de l’union de tous les membres de l’Église, hors de laquelle il est impossible d’obtenir la Grâce.
D’un autre côté, la nourriture naturelle n’est pas destinée seulement à la conservation du corps, mais aussi à son accroissement, et même à ses jouissances et à son plaisir. De même la nourriture eucharistique non seulement soutient l’âme, mais la fortifie et lui donne plus de goût pour les choses spirituelles. Nous avions donc raison de dire que ce Sacrement communique la Grâce, et qu’on peut le comparer justement à la manne, dans laquelle on trouvait les délices de toutes les saveurs.
On ne peut douter non plus que l’Eucharistie ne remette et pardonne les péchés légers, que l’on appelle ordinairement véniels. Tout ce que l’âme entraînée par l’ardeur de la concupiscence, a perdu de la vie de la Grâce en commettant des fautes légères, ce Sacrement le lui rend en effaçant ces petites fautes. De même aussi, pour nous servir toujours de notre comparaison, la nourriture corporelle répare peu à peu et nous rend ce que nous perdons tous les jours par l’effet de la chaleur naturelle. Ce qui a fait dire si justement à Saint Ambroise, parlant de ce céleste Sacrement : Ce pain de chaque jour est un remède aux infirmités de chaque jour249. Toutefois ceci ne s’applique qu’aux péchés dont le sentiment et l’attrait n’émeuvent plus l’âme.
C’est encore un autre effet de l’Eucharistie de nous conserver exempts et purs de tout péché, de nous sauvegarder contre les attaques furieuses des tentations, et de nous servir comme d’un céleste antidote qui nous empêche d’être infectés et corrompus par le venin mortel des mauvaises passions. Aussi, au rapport de Saint Cyprien, lorsque dans les premiers temps de l’Église, les Fidèles étaient condamnés par les tyrans aux supplices et à la mort pour avoir confessé la Foi de Jésus-Christ, les Évêques avaient coutume de leur administrer le sacrement du Corps et du Sang de Notre-Seigneur, de peur que vaincus par la violence des tourments ils ne vinssent à succomber dans ce combat suprême du salut.
L’Eucharistie réprime et modère aussi l’ardeur des désirs de la chair. Par cela même qu’elle augmente dans les cœurs le feu de l’Amour de Dieu, elle éteint nécessairement celui de la concupiscence. Enfin, pour exprimer en un seul mot tous les avantages et tous les bienfaits de ce Sacrement, il suffit de dire qu’il possède une puissance souveraine pour nous faire acquérir la gloire éternelle. Car il est écrit, (et c’est une parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ) : Celui qui mange ma Chair, et qui boit mon Sang, a la Vie Éternelle, et Je le ressusciterai au dernier jour250. Et en effet, par la grâce de l’Eucharistie, les Fidèles jouissent déjà dès cette vie d’une paix et d’une tranquillité de conscience parfaites. Puis, quand il faut mourir, c’est encore par sa Vertu qu’ils s’élèvent à la gloire et à la béatitude éternelle ; semblables à Élie qui fortifié par le pain cuit sous la cendre marcha jusqu’à Horeb, la montagne de Dieu251.
Il sera facile aux Pasteurs d’expliquer plus longuement tous ces bienfaits de l’Eucharistie, s’ils veulent commenter devant les Fidèles le sixième chapitre de l’Évangile de Saint Jean, où un grand nombre des effets de ce Sacrement se trouvent marqués ; ou bien encore, si en parcourant la suite admirable des actions de Notre-Seigneur, ils comparent le bonheur de ceux qui Le reçurent dans leur maison, pendant sa vie mortelle, ou qui recouvrèrent la santé en touchant ses vêtements et le bord de sa robe252, avec le bonheur beaucoup plus considérable de ceux qui Le reçoivent dans leur cœur (maintenant qu’Il est en possession de la gloire immortelle) pour guérir toutes leurs blessures et enrichir leur âme de ses dons les plus excellents.
Il faut montrer à présent qui sont ceux qui reçoivent véritablement tous ces fruits admirables de l’Eucharistie. Il faut faire voir également qu’il y a plus d’une manière de participer à ce Sacrement, afin que les Fidèles s’efforcent d’employer celle qui est la plus salutaire. Or, dans leur sagesse, nos pères ont très bien distingué, et le Concile de Trente après eux, qu’il y a trois manières de recevoir l’Eucharistie.
Les uns reçoivent seulement le Sacrement. Ce sont ces pécheurs qui ne craignent pas de prendre les saints Mystères avec une bouche et un cœur impurs, et dont l’Apôtre a dit : Qu’ils mangent et boivent indignement le Corps du Seigneur253. C’est à eux aussi que s’appliquent ces paroles de Saint Augustin : Celui qui ne demeure pas en Jésus-Christ, et en qui Jésus-Christ ne demeure pas, ne change certainement point sa Chair spirituellement, quoique matériellement et visiblement il presse sous ses dents les Sacrements de son Corps et de son Sang254. Mais ceux qui reçoivent les saints Mystères dans cette disposition, non seulement n’en retirent aucun fruit, mais même, au témoignage de l’Apôtre, ils mangent et boivent leur propre condamnation255.
Il y en a d’autres qui ne participent à l’Eucharistie que spirituellement : ce sont ceux qui, animés de cette Foi vive qui opère par la Charité256, se nourrissent de ce Pain céleste par des désirs et des vœux ardents. S’ils ne retirent pas de ce Sacrement tous les fruits qu’il contient, ils en reçoivent néanmoins de très considérables.
Enfin il en est qui participent à l’Eucharistie réellement et spirituellement tout à la fois. Fidèles aux avertissements de l’Apôtre, ils ont soin de s’éprouver eux-mêmes, et de se revêtir de la robe nuptiale, avant de s’approcher de la sainte table. Aussi ils ne manquent jamais d’en recueillir les avantages si abondants dont nous avons parlé.
Voilà pourquoi ceux qui peuvent se mettre en état de recevoir le sacrement du corps de Notre-Seigneur, et qui se contentent de faire la Communion spirituelle, se privent eux-mêmes volontairement de biens immenses et célestes.
Mais il est temps de dire comment les Fidèles doivent se préparer à recevoir le sacrement de l’Eucharistie. Et d’abord, afin de les bien convaincre de la nécessité de cette préparation, il convient de leur proposer l’exemple de notre Sauveur. Lorsqu’Il voulut donner à ses Apôtres le sacrement de son Corps et de son Sang précieux, bien qu’ils fussent déjà purs, (Il le leur avait dit Lui-même,) Il ne laissa pas néanmoins de leur laver les pieds, afin de nous faire comprendre par là que nous ne devons rien négliger pour nous mettre en état de grâce, et de grâce parfaite, lorsque nous allons recevoir les saints Mystères. N’oublions pas non plus que si l’on reçoit toute l’abondance des dons de Dieu, quand on participe à l’Eucharistie avec un cœur bien disposé et parfaitement préparé, on y trouve au contraire les inconvénients et les malheurs les plus grands — bien loin d’en retirer le moindre fruit — lorsqu’on la reçoit sans la préparation nécessaire. Les choses les plus excellentes et les plus salutaires ont cela de particulier qu’elles produisent les plus heureux effets, si l’on s’en sert à propos, et qu’elles sont au contraire funestes et pernicieuses, si on les emploie à contretemps. Il n’est donc pas étonnant que ces dons si précieux et si brillants de la pure bonté de Dieu, lorsque nous les recevons dans un cœur bien préparé, soient pour nous un puissant secours capable de nous faire obtenir la gloire du ciel, mais que par contre ils nous apportent la mort — et la mort éternelle — si nous avons le malheur de les recevoir indignement.
Nous voyons une preuve frappante de cette vérité dans l’Arche d’alliance. Les Israélites n’avaient rien de plus sacré. Dieu s’en était servi souvent pour leur accorder les plus signalés bienfaits. Mais enlevée un jour par les Philistins, elle fit tomber sur eux un terrible fléau, aussi affligeant que honteux, et qui les couvrit d’opprobre. De même aussi la nourriture, qui arrive dans un estomac bien préparé, soutient et fortifie le corps, mais au contraire elle engendre de graves maladies, si l’estomac est mal disposé et plein d’humeurs mauvaises.
La première disposition nécessaire, c’est de savoir distinguer entre table et table, c’est-à-dire, discerner cette table sacrée des tables profanes, ce Pain céleste du pain ordinaire. Pour cela, il faut croire fermement que l’Eucharistie renferme le vrai Corps et le vrai Sang du même Dieu que les Anges adorent dans le ciel, qui fait trembler par ses ordres les colonnes du ciel, dont la gloire remplit le ciel et la terre. C’est là discerner en effet, comme le recommande l’Apôtre, le Corps du Seigneur. Mais il faut se contenter d’adorer la profondeur de ce Mystère, sans chercher à en pénétrer l’essence par des recherches trop curieuses.
Une seconde disposition absolument indispensable, c’est de nous demander à nous-mêmes si nous sommes en paix avec les autres, si nous aimons notre prochain sincèrement, et du fond du cœur. Si en offrant votre don à l’autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose contre vous, laissez-là votre don devant l’autel, et allez vous réconcilier avec votre frère, puis après vous viendrez faire votre offrande257.
En troisième lieu, nous devons examiner notre conscience avec le plus grand soin, de peur qu’elle ne soit souillée de quelque faute mortelle, dont il soit nécessaire de nous repentir et d’obtenir le pardon par la contrition et la confession. Le saint Concile de Trente a décidé en effet, qu’il n’était point permis à celui qui a sur la conscience un péché mortel, de recevoir la sainte Communion, quelque repentir qu’il croie éprouver, avant de s’être purifié par la confession, si toutefois il a pu trouver un Confesseur258.
La quatrième disposition, c’est de réfléchir en silence au-dedans de nous-mêmes combien nous sommes indignes de ce bienfait divin que nous recevons dans la sainte Eucharistie. Comme le Centurion, auquel Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même rendit ce témoignage, qu’Il n’avait point trouvé une si grande Foi en Israël259, nous devons répéter du fond du cœur : Seigneur, je ne suis pas digne que Vous entriez dans ma maison. Demandons-nous également si nous aurions le droit de dire avec Saint Pierre : Seigneur, Vous savez que je Vous aime !260 Car n’oublions pas que celui qui était allé s’asseoir au festin de son maître sans la robe nuptiale, fut jeté dans une prison ténébreuse, pour y subir d’éternels châtiments.
Mais la préparation de l’âme ne suffit pas ; il faut aussi apporter à la Communion certaines dispositions du corps. Ainsi nous devons nous approcher de la sainte table à jeun, c’est-à-dire sans avoir rien mangé ni rien bu depuis le milieu de la nuit, jusqu’au moment où nous recevons l’Eucharistie. La sainteté d’un si grand Sacrement demande en effet que le corps lui-même qui va devenir le temple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit purifié, et autant que possible conservé digne de l’Hôte divin qui daigne descendre en lui. Voilà, à peu près, ce qu’il y a de plus nécessaire à observer pour se préparer à recevoir utilement les saints Mystères. Toutes les autres dispositions peuvent facilement se rapporter et se réduire à celles que nous venons d’indiquer ici.
Il peut arriver que certains Chrétiens montrent de la négligence, et même de la lâcheté, à recevoir ce Sacrement, sous prétexte que la préparation qu’il demande est trop pénible et trop difficile. Il est donc nécessaire de rappeler aux Fidèles que l’obligation de communier atteint tout le monde. Il y a plus ; car l’Église a décrété que celui qui ne s’approche pas de la sainte table au moins une fois chaque année dans le temps de Pâques, doit être excommunié. Mais n’allons pas croire qu’il suffit d’obéir à ce Commandement et de recevoir une fois seulement chaque année le Corps de Notre-Seigneur. Soyons bien persuadés au contraire qu’il faut renouveler très souvent la sainte Communion. Mais faut-il communier tous les mois, toutes les semaines ou tous les jours ? On ne saurait établir là dessus une règle précise et générale. Ce que l’on peut prescrire de mieux : Vivez de manière à pouvoir communier tous les jours !261
C’est pourquoi les Pasteurs auront soin d’exhorter souvent les Fidèles à ne point négliger de nourrir chaque jour leur âme de ce Pain salutaire, en leur représentant qu’ils ne manquent pas de donner chaque jour à leur corps les aliments dont il a besoin, et que la nourriture spirituelle n’est pas moins nécessaire à l’âme que la nourriture matérielle au corps. Il sera aussi très utile de leur rappeler en même temps ces immenses et divins bienfaits que nous procure la Communion eucharistique, ainsi que nous l’avons montré plus haut. On pourra invoquer encore, et le pain figuratif de la manne, dont les Israélites étaient obligés de se nourrir tous les jours, pour réparer les forces de leur corps, et l’autorité des Saints Pères qui recommandent fortement la réception fréquente de ce Sacrement. Ce n’est pas seulement Saint Augustin qui a dit : Vous péchez tous les jours ; communiez tous les jours262. Quiconque voudra étudier sérieusement les Pères qui ont écrit sur ce sujet, se convaincra facilement qu’ils sont tous du même avis.
Aussi voyons-nous dans les Actes des Apôtres qu’il fut un temps autrefois où les Fidèles communiaient tous les jours. Tous ceux qui professaient alors la Religion chrétienne étaient enflammés d’une Charité si vraie et si sincère, que sans cesse appliqués à la prière et aux autres devoirs de la piété, ils se trouvaient prêts à s’approcher chaque jour des saints Mystères. Cet usage ayant paru s’affaiblir, le très saint Pape et martyr Anaclet le renouvela en partie. Il ordonna que tous les ministres de l’Église qui assisteraient au Sacrifice de la Messe, y communieraient, suivant l’institution des Apôtres. Au reste ce fut pendant longtemps un usage dans l’Église que le Prêtre, après avoir achevé le Sacrifice, et pris lui-même l’Eucharistie, se tournait vers le peuple et invitait les Fidèles à la table sainte par ces paroles : Venez, mes frères, à la Communion, et alors ceux qui étaient préparés recevaient les saints Mystères, avec de grands sentiments de religion.
Mais ensuite la Charité et l’amour de la piété se refroidirent tellement que les Fidèles n’approchaient plus que très rarement de la sainte Communion. C’est pourquoi le Pape Fabien décréta que tous les Chrétiens devraient recevoir l’Eucharistie au moins trois fois par an, aux fêtes de la naissance de Notre-Seigneur, de sa Résurrection, et de la Pentecôte. Cette règle fut confirmée plus tard par plusieurs Conciles, et spécialement par le premier Concile d’Agde.
Enfin les choses en étant venues à ce degré de relâchement que non seulement on n’observait plus cette ordonnance si sainte et si salutaire, mais qu’on différait même pendant plusieurs années de communier, le Concile général de Latran porta ce décret que tous les Fidèles devraient recevoir au moins une fois par an, à Pâques, le Corps sacré de Notre-Seigneur, et que ceux qui négligeraient de le faire seraient exclus de l’entrée de l’Église.
Cependant quoique cette Loi, fondée également sur l’autorité de Dieu et sur celle de l’Église, s’étende à tous les fidèles, il faut excepter de l’obligation qu’elle impose ceux qui n’ont point encore l’usage de la raison, à cause de la faiblesse de leur âge. Ils sont incapables en effet de discerner la sainte Eucharistie d’un pain ordinaire et profane, et par suite de la recevoir avec les sentiments de religion et de piété qu’elle demande. Il semble même qu’il serait absolument contraire à l’institution de ce Sacrement d’agir d’une autre manière ; Notre-Seigneur Jésus-Christ ayant dit, en l’instituant : Prenez et mangez263, paraît avoir exclu les enfants qui ne peuvent d’eux-mêmes ni prendre ni manger. Il est vrai qu’anciennement quelques Églises étaient dans l’usage de donner la sainte Eucharistie aux enfants ; mais il y a longtemps que l’autorité de l’Église a fait disparaître cet usage, soit pour les raisons que nous venons de dire, soit pour d’autres motifs très conformes à la piété chrétienne.
Quant à l’âge où l’on doit donner les saints Mystères aux enfants, personne ne peut mieux le déterminer que leurs parents, et le Prêtre auquel ils confessent leurs péchés. C’est à eux qu’il appartient d’examiner et d’interroger les enfants pour savoir s’ils ont une connaissance suffisante de cet admirable Sacrement, et s’ils sont capables d’en goûter les fruits.
On ne doit point non plus administrer l’Eucharistie aux insensés, parce qu’ils sont incapables d’aucun sentiment de piété. Cependant, si avant de tomber en démence, ils avaient montré de la piété et des sentiments religieux, on pourrait, à l’article de la mort, leur donner la sainte Communion, suivant le décret du Concile de Carthage, pourvu que l’on n’eût à craindre ni vomissement, ni indécence, ni aucun autre inconvénient.
En ce qui regarde la manière de communier, les Pasteurs auront soin d’enseigner que l’Église a défendu la Communion sous les deux espèces à tous les Chrétiens, excepté aux Prêtres lorsqu’ils consacrent l’Eucharistie dans le Sacrifice de la Messe ; car, comme l’explique le Concile de Trente, quoique Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la dernière Cène, ait institué cet auguste Sacrement sous la double espèce du pain et du vin, et qu’Il l’ait donné ainsi à ses Apôtres, il ne s’ensuit pas néanmoins qu’Il ait voulu faire une loi d’administrer les saints Mystères aux Fidèles sous ces deux espèces. Lui-même d’ailleurs, quand Il parle de ce Sacrement, ne fait le plus souvent mention que d’une seule espèce : Si quelqu’un mange de ce pain, dit-Il, il vivra éternellement. Et ce pain que Je donnerai, c’est ma Chair, pour la vie du monde. Celui qui mange ce Pain vivra éternellement264.
Ce n’est pas sans motifs — et les motifs les plus graves — que l’Église s’est déterminée non seulement à approuver, mais encore à sanctionner par l’autorité d’un décret la coutume de ne communier que sous une seule espèce.
D’abord il fallait prendre les plus grandes précautions pour que le Sang de Notre-Seigneur ne se répandit point à terre, ce qu’il était très difficile, pour ne pas dire impossible, d’éviter lorsqu’on avait à le distribuer à une grande multitude de peuple.
En second lieu, l’Eucharistie devant être toujours réservée et prête pour les malades, il était bien à craindre que l’espèce du vin conservée un peu longtemps ne vînt à s’aigrir.
Troisièmement, il est un grand nombre de personnes qui ne peuvent supporter ni le goût, ni même l’odeur du vin. Voilà pourquoi l’Église a très sagement ordonné que les Fidèles ne recevraient, dans la sainte Communion, que l’espèce du pain. Autrement ce que l’on donnait pour le salut de l’âme aurait pu nuire à la santé du corps.
Ajoutons à toutes ces raisons que dans beaucoup de contrées, on trouve difficilement du vin, et que l’on ne peut s’en procurer qu’à grands frais, à cause de l’éloignement des lieux et de la difficulté des chemins.
Enfin — et c’est là le point principal dans cette question — il fallait abattre l’hérésie de ceux qui prétendaient que Jésus-Christ n’est pas tout entier sous chaque espèce ; que l’espèce du pain contenait seulement son Corps, séparé de son Sang, et l’espèce du vin son Sang, séparé de son Corps. Et dès lors, pour manifester d’une manière plus sensible aux yeux de tous la vérité de la Foi catholique, l’Église a très sagement ordonné la Communion sous une seule espèce, qui est celle du pain.
Il est encore d’autres raisons de cet usage, rapportées par ceux qui ont traité cette matière, et que les Pasteurs pourront leur emprunter, s’ils le jugent à propos.
Nous avons à parler maintenant du Ministre de l’Eucharistie, non qu’il soit possible à personne de l’ignorer, mais pour ne rien omettre de tout ce qui semble se rattacher à la doctrine de ce Sacrement. On enseignera donc que les Prêtres seuls ont reçu le pouvoir de consacrer l’Eucharistie, et de la distribuer aux Fidèles. L’usage de l’Église a toujours été, dit le Concile de Trente, que le peuple reçût la communion des mains des Prêtres, et que les Prêtres se communiassent eux-mêmes, quand ils célèbrent les saints Mystères ; usage que ce saint Concile fait remonter aux Apôtres et qu’il ordonne de conserver religieusement, d’autant plus qu’il est fondé sur l’exemple si frappant de Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même, qui consacra son Corps adorable et Le présenta aux Apôtres de ses propres mains. Et même afin de rehausser encore par tous les moyens possibles, la dignité d’un Sacrement si auguste, non seulement le pouvoir de l’administrer n’a été donné qu’aux Prêtres, mais l’Église a défendu par une loi, à tous ceux qui ne sont pas dans les Ordres, de manier ou de toucher les vases sacrés, les linges et autres choses nécessaires pour la Consécration, sauf le cas de quelque grave nécessité. Et c’est ce qui doit faire comprendre, tant aux Prêtres eux-mêmes, qu’aux simples Fidèles, avec quels sentiments de piété et quelle innocence il convient de consacrer, d’administrer et de recevoir l’Eucharistie. Néanmoins, ce que nous avons dit plus haut des autres Sacrements, qu’ils peuvent être administrés validement, même par des Ministres indignes, pourvu que la matière et la forme soient exactement employées, n’est pas moins vrai du Sacrement de l’Eucharistie. La Foi nous enseigne que leur effet ne dépend pas du mérite de celui qui les administre, mais de la puissance et des mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Voilà ce qu’il faudra dire de l’Eucharistie considérée comme Sacrement. Il reste à la considérer maintenant comme Sacrifice. Après cela, les Pasteurs n’ignoreront rien de ce qu’ils sont obligés, d’après le décret du Concile de Trente, d’enseigner aux peuples sur ce Mystère ; les jours de Dimanches et de Fêtes.
L’Eucharistie n’est pas seulement le trésor des richesses spirituelles dont le bon usage nous assure la grâce et l’amitié de Dieu. Elle possède en outre une vertu particulière qui nous donne le moyen de témoigner à Dieu notre reconnaissance pour les immenses bienfaits que nous avons reçus de Lui. Or, pour comprendre combien ce Sacrifice Lui est agréable et cher, lorsqu’on le Lui offre comme il convient, il suffit de se rappeler les sacrifices de l’ancienne Loi. De ces sacrifices les Prophètes avaient dit : Vous n’avez voulu ni sacrifices ni offrandes265. Si vous aimiez les sacrifices, je Vous en offrirais ; mais les holocaustes ne Vous sont point agréables266. Et cependant le Seigneur les agréait, puisque l’Écriture atteste qu’Il les a reçus en odeur de suavité267, c’est-à-dire qu’ils Lui ont été réellement agréables. Dès lors que ne devons-nous pas attendre d’un Sacrifice où l’on immole et où l’on offre Celui dont une voix céleste a dit deux fois : Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui J’ai mis toutes mes complaisances ?268 Les Pasteurs devront donc expliquer soigneusement ce Mystère aux Fidèles, afin que, lorsqu’ils assisteront à la Messe, ils soient capables de méditer avec attention et avec piété sur ce très saint Sacrifice.
Ils enseigneront avant tout que Notre-Seigneur Jésus-Christ a institué l’Eucharistie pour deux raisons : la première, afin qu’elle servit à notre âme de nourriture spirituelle pour soutenir et conserver en elle la vie de la grâce ; la seconde, afin que l’Église possédât un Sacrifice perpétuel, capable d’expier nos péchés, et au moyen duquel notre Père céleste, trop souvent offensé d’une manière grave pour nos iniquités, pût être ramené de la colère à la miséricorde et des justes rigueurs du châtiment à la clémence. Double effet dont nous avons une figure et une image dans l’Agneau pascal que les enfants d’Israël avaient coutume d’offrir comme sacrifice, et de manger comme sacrement. Et à coup sûr, au moment de s’offrir Lui-même à son Père sur l’Autel de la Croix, notre divin Sauveur ne pouvait nous donner une marque plus éclatante de son immense Charité que de nous laisser ce Sacrifice visible, afin de renouveler sans cesse cette immolation sanglante qu’Il allait offrir une fois le lendemain sur la Croix, afin aussi d’en conserver la mémoire jusqu’à la fin des siècles et d’en répandre chaque jour les fruits infinis dans tout l’univers, par le moyen de son Église.
Mais il y a une grande différence entre le Sacrement et le Sacrifice. Le Sacrement a lieu par la Consécration, et le Sacrifice consiste surtout dans l’Offrande. Ainsi, pendant qu’elle est conservée dans le ciboire, ou bien quand on la porte aux malades, l’Eucharistie n’a que le caractère de Sacrement, et non celui de Sacrifice. De plus, en tant que Sacrement, elle est une cause de mérite pour ceux qui la reçoivent, et leur procure tous les avantages dont nous avons parlé plus haut. Mais, en tant que Sacrifice, elle possède outre la vertu de nous faire mériter, celle de satisfaire. De même, en effet, que Notre-Seigneur Jésus-Christ a mérité et satisfait pour nous dans sa Passion, ainsi ceux qui offrent ce Sacrifice, par lequel ils communiquent avec nous, méritent de participer aux fruits de la Passion de Notre-Seigneur, et ils satisfont pour leurs péchés.
Quant à l’institution de ce Sacrifice, il n’est pas permis d’avoir le moindre doute, après la déclaration du Concile de Trente ; en effet cette sainte assemblée dit formellement que Jésus-Christ l’institua dans la dernière Cène, et elle frappe d’anathème ceux qui prétendent qu’on n’offre point à Dieu de Sacrifice véritable dans l’Église, ou du moins que celui qu’on offre consiste uniquement à donner la Chair de Notre-Seigneur à manger.
Le Concile n’a point oublié non plus de rappeler soigneusement que le Sacrifice ne s’offre et ne peut s’offrir qu’à Dieu. Quoique l’Église ait coutume de célébrer de temps en temps des Messes en mémoire et à l’honneur des Saints, le saint Concile nous enseigne que ce Sacrifice ne leur est point offert, mais à Dieu seul qui les a couronnés d’une gloire immortelle. C’est pourquoi le Prêtre ne dit pas : Pierre, ou Paul, je vous offre ce Sacrifice ; mais en sacrifiant à Dieu seul, il Lui rend des actions de grâces pour les victoires signalées des bienheureux Martyrs, et il implore leur protection, afin qu’ils daignent intercéder pour nous dans le ciel, pendant que nous honorons leur mémoire sur la terre. Au surplus, cette doctrine sur la réalité du Sacrifice eucharistique, l’Église l’a reçue de Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même, lorsque dans cette nuit suprême, où Il ordonna à ses Apôtres de célébrer les saints Mystères, Il leur dit : Faites ceci en mémoire de Moi269.
En effet, comme l’a déclaré le saint Concile, c’est en ce moment-là même qu’Il les institua Prêtres, et qu’Il leur ordonna, à eux et à leurs successeurs, d’immoler et d’offrir le sacrifice de son Corps. On tire également une autre preuve de cette vérité de ces paroles de l’Apôtre aux Corinthiens : Vous ne pouvez pas boire le Calice du Seigneur, et le calice des démons ; vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur, et à la table des démons270. Or, par la table des démons, il faut nécessairement entendre l’autel sur lequel on leur immolait des victimes, donc, pour que le raisonnement de l’Apôtre soit concluant, la table du Seigneur ne peut signifier rien autre chose que l’Autel sur lequel on Lui sacrifie.
Si nous cherchons dans l’Ancien Testament des figures et des prophéties de ce Sacrifice, nous y trouvons d’abord ces paroles de Malachie, qui l’annoncent avec une clarté parfaite : Depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, mon nom est grand parmi les nations : en tout lieu on sacrifie et on offre à mon Nom une victime pure, parce que mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur des armées271. Cette même victime était figurée par tous les sacrifices qui eurent lieu, soit avant, soit après la promulgation de la Loi. C’est que, en effet, tous les biens qui étaient signifiés par ces sacrifices se trouvent renfermés dans celui de l’Eucharistie, qui est la perfection et l’accomplissement de tous les autres.
Mais de toutes les figures qui l’ont annoncé, il n’en est point de plus frappante que le sacrifice de Melchisédech, puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même, pour bien nous marquer qu’Il avait été établi Prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech272, offrit à Dieu son Père, dans la dernière Cène, son Corps et son Sang sous les espèces du pain et du vin.
Nous reconnaissons donc que le Sacrifice qui s’accomplit à la Messe, et celui qui fut offert sur la Croix ne sont et ne doivent être qu’un seul et même Sacrifice, comme il n’y a qu’une seule et même Victime, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s’est immolé une fois sur la Croix d’une manière sanglante. Car il n’y a pas deux hosties, l’une sanglante, et l’autre non sanglante, il n’y en a qu’une ; il n’y a qu’une seule et même Victime dont l’immolation se renouvelle tous les jours dans l’Eucharistie depuis que le Seigneur a porté ce Commandement Faites ceci en mémoire de Moi273.
Il n’y a non plus qu’un seul et même Prêtre dans ce Sacrifice, c’est Jésus-Christ. Car les Ministres qui l’offrent n’agissent pas en leur propre nom. Ils représentent la Personne de Jésus-Christ, lorsqu’ils consacrent son Corps et son Sang, comme on le voit par les paroles mêmes de la Consécration. Car les prêtres ne disent pas : Ceci est le Corps de Jésus-Christ, mais : Ceci est mon Corps274, se mettant ainsi à la place de Notre-Seigneur, pour convertir la substance du pain et du vin en la véritable substance de son Corps et de son Sang.
Les choses étant ainsi, il faut sans aucune hésitation enseigner avec le saint Concile que l’auguste Sacrifice de la Messe n’est pas seulement un Sacrifice de louanges et d’actions de grâces, ni un simple mémorial de celui qui a été offert sur la Croix, mais encore un vrai Sacrifice de propitiation, pour apaiser Dieu et nous le rendre favorable. Si donc nous immolons et si nous offrons cette victime très sainte avec un cœur pur, une Foi vive et une douleur profonde de nos péchés, nous obtiendrons infailliblement miséricorde de la part du Seigneur, et le secours de sa Grâce dans tous nos besoins. Le parfum qui s’exhale de ce Sacrifice lui est si agréable qu’Il nous accorde les dons de la grâce et du repentir, et qu’Il pardonne nos péchés. Aussi l’Église dit-elle dans une de ses Prières solennelles : Chaque fois que nous renouvelons la célébration de ce sacrifice, nous opérons l’œuvre de notre salut275. Car tous les mérites si abondants de la Victime sanglante se répandent sur nous par ce Sacrifice non sanglant.
Enfin, telle est la vertu de ce Sacrifice, — et les Pasteurs ne doivent pas manquer de l’enseigner — qu’il profite non seulement à celui qui l’immole et à celui qui y participe, mais encore à tous les Fidèles, soit à ceux qui vivent avec nous sur la terre, soit à ceux qui déjà sont morts dans le Seigneur, mais sans avoir suffisamment expié leurs fautes. Car c’est une tradition très certaine des Apôtres que le saint sacrifice de la Messe s’offre avec autant d’avantage pour les morts, que pour les péchés, les peines, les satisfactions et tous les genres de calamités et d’afflictions des vivants. D’où il suit clairement que toutes les Messes sont communes, (ou générales) puisqu’elles s’appliquent au bien général, et au salut commun de tous les Fidèles.
Ce sacrifice est accompagné de cérémonies imposantes et majestueuses. Et non seulement il n’en est aucune qui puisse être regardée comme inutile et superflue, mais encore elles ont toutes pour but de faire briller davantage la majesté d’un si grand Sacrifice, et de porter les Fidèles par ces signes salutaires et mystérieux qui frappent la vue, à la contemplation des choses divines voilées dans le Sacrifice. Mais nous ne croyons pas devoir nous arrêter plus longtemps sur ce sujet, qui demanderait des développements trop considérables pour le travail que nous avons en vue. D’autre part il existe — dans le même ordre d’idées — un très grand nombre de traités et de commentaires qui sont l’œuvre d’hommes aussi pieux que savants, et que tous les Prêtres peuvent se procurer. Nous nous en tiendrons donc à ce que nous avons exposé jusqu’ici, avec la grâce de Dieu, sur les points principaux de la Doctrine catholique par rapport à la sainte Eucharistie considérée comme Sacrement, et comme Sacrifice.
La faiblesse et la fragilité de la nature humaine sont assez connues, et chacun en éprouve assez les effets en soi-même, pour que personne ne puisse ignorer combien le sacrement de Pénitence est nécessaire. Si donc le zèle que les Pasteurs sont obligés d’apporter dans leurs explications, doit se mesurer sur la grandeur et l’importance de la matière qu’ils traitent, nous conviendrons volontiers qu’ils ne pourront jamais paraître assez empressés à faire connaître le sujet que nous abordons. Le sacrement de Pénitence demande même à être expliqué avec plus de soin que le Baptême, car le Baptême ne s’administre qu’une seule fois et ne peut se réitérer, tandis que le sacrement de Pénitence devient nécessaire, et veut être renouvelé, toutes les fois que l’on tombe dans le péché après le Baptême. C’est ce qui a fait dire au Concile de Trente que la Pénitence n’est pas moins nécessaire pour le salut à ceux qui pèchent après le Baptême, que le Baptême à ceux qui ne sont pas encore régénérés. De là aussi cette parole si remarquable de Saint Jérôme, parole approuvée ensuite sans réserve par tous ceux qui ont écrit sur cette matière : La pénitence est une seconde planche276. En effet, lorsque le vaisseau se brise, l’unique ressource pour sauver sa vie, c’est de pouvoir saisir une planche au milieu du naufrage ; ainsi, quand on a perdu l’innocence baptismale, si on n’a pas recours à la planche de la pénitence, il n’y a plus de salut possible. Et ce que nous disons ici ne s’adresse pas seulement aux Pasteurs, mais aux Fidèles eux-mêmes qui ont besoin qu’on excite leur zèle, afin qu’on n’ait jamais à blâmer en eux d’incurie pour une chose aussi nécessaire. Pénétrés de la fragilité humaine, leur premier et plus ardent désir doit être de marcher dans la voie de Dieu, avec le secours de sa Grâce, sans faux pas et sans chute. Mais cependant s’ils viennent à tomber quelques fois, qu’ils tournent alors leurs regards vers l’infinie bonté de Dieu, qui, comme un bon Pasteur, daigne panser les plaies de ses brebis et les guérir, et qu’ils comprennent que le remède si salutaire du sacrement de Pénitence ne doit pas être renvoyé à un autre temps.
Mais pour entrer immédiatement en matière, il convient d’expliquer d’abord les différentes significations du mot de Pénitence, afin que l’ambiguïté de cette expression n’induise personne en erreur. Les uns prennent la Pénitence pour la Satisfaction. D’autres, d’un sentiment tout opposé à la doctrine de la Foi catholique, prétendent que la Pénitence n’est autre chose qu’une vie nouvelle, sans repentir du passé. Voilà pourquoi il faut montrer que ce mot a plusieurs sens différents.
Premièrement, on dit de quelqu’un qu’il se repent lorsqu’une chose qui lui était agréable auparavant, commence à lui déplaire ; que cette chose soit bonne ou mauvaise, peu importe. Tel est le repentir de ceux dont la tristesse est selon le monde277, et non selon Dieu ; repentir qui opère la mort, et non le salut.
Un autre repentir, c’est la douleur que l’on éprouve non pas à cause de Dieu, mais à cause de soi-même, après avoir commis une mauvaise action, qui auparavant nous souriait.
Un troisième repentir enfin, est celui qui ne se borne pas au regret sincère et profond du mal que l’on a fait, ni même à des signes extérieurs qui expriment ce regret, mais qui vient principalement ou uniquement de ce que nous avons offensé Dieu.
Le nom de Pénitence convient également à ces trois sortes de repentir.
Mais quand nous lisons dans les Saintes Écritures que Dieu se repentit278, évidemment ce n’est là qu’une métaphore. Cette manière de parler est toute humaine et conforme à nos habitudes. Nos Livres Saints l’emploient pour exprimer que Dieu a résolu de changer quelque chose, parce qu’en cela Dieu semble ne pas agir autrement que les hommes qui, après avoir fait une chose dont ils se repentent, travaillent de toutes leurs forces à la changer. C’est dans ce sens qu’il est écrit que Dieu se repentit d’avoir créé l’homme279, — et d’avoir fait roi Saül280.
Cependant il faut observer une grande différence entre ces trois sortes de Pénitence. La première est un défaut ; la seconde n’est que l’affliction d’une âme agitée et troublée. Et la troisième est tout ensemble une Vertu et un sacrement. C’est dans ce dernier sens que nous allons entendre ici le mot de Pénitence.
Mais d’abord nous avons à parler de la Pénitence considérée comme vertu non seulement parce que les Pasteurs sont obligés de former les Fidèles à toutes les vertus en général, mais encore parce que les actes de cette vertu sont comme la matière sur laquelle s’exerce l’action du sacrement de Pénitence. Et de fait, si l’on ne connaît d’abord la vertu de Pénitence, il est impossible de jamais bien comprendre l’efficacité du Sacrement.
En premier lieu on doit donc exhorter les Fidèles à faire tous leurs efforts et à déployer toute leur ardeur pour obtenir ce repentir du cœur, que nous appelons la vertu de Pénitence. Sans lui, la Pénitence extérieure est peu profitable. Or cette Pénitence intérieure consiste à retourner à Dieu du fond du cœur, à détester sincèrement les péchés que nous avons commis, et à être fermement décidés et absolument résolus à réformer nos mauvaises habitudes et nos mœurs corrompues. Mais en même temps nous devons avoir l’espérance que Dieu nous pardonnera, et nous fera miséricorde. À cette Pénitence vient toujours se joindre, comme inséparable compagne de la détestation du péché, une douleur, une tristesse, qui est une véritable émotion, un trouble, et même une passion, comme plusieurs l’appellent. Voilà pourquoi quelques saints Pères définissent la Pénitence par ces sortes de tourments de l’âme. Cependant il est nécessaire que la Foi précède la Pénitence. Personne sans la Foi ne peut se convertir à Dieu. D’où il suit qu’on ne peut en aucune façon considérer la Foi comme une partie de la Pénitence. Mais que cette Pénitence intérieure soit une vertu, comme nous l’avons dit, c’est ce que démontrent clairement les nombreux Commandements que Dieu nous en fait. Car la Loi ne prescrit que les actes qui s’accomplissent par vertu. Or, personne ne peut nier qu’il ne soit bon et louable de se repentir quand, comment, et comme il le faut. Et c’est là précisément ce qui fait la vertu de Pénitence.
Il arrive quelquefois que les hommes n’ont pas un repentir proportionné à leurs péchés ; et même, comme le dit Salomon : Il y en a qui se réjouissent, lorsqu’ils ont fait le mal281. D’autres, au contraire, s’abandonnent à tel point au chagrin et à la désolation, qu’ils viennent à désespérer entièrement de leur salut. Tel semble avoir été Caïn, qui disait : Mon crime est trop grand pour obtenir le pardon282. Et tel fut certainement Judas que le repentir de son crime conduisit à se pendre lui-même283, perdant ainsi la vie et son âme tout ensemble. La vertu de Pénitence nous aide donc à garder une juste mesure dans notre douleur.
Ce qui prouve encore que la Pénitence est une vertu, c’est la fin que se propose celui qui se repent véritablement de son péché. Il veut d’abord effacer sa faute et laver toutes les taches et toutes les souillures de son âme. Ensuite il désire satisfaire à Dieu pour ses iniquités. Or c’est là évidemment un acte de justice. Car s’il ne peut y avoir de justice stricte et rigoureuse entre Dieu et les hommes, puisqu’ils sont séparés par un intervalle infini, cependant il est certain qu’il existe entre eux une sorte de justice, que l’on peut comparer à celle que nous trouvons entre un père et ses enfants, entre un maître et ses serviteurs.
La troisième fin que se propose celui qui se repent, c’est de rentrer en grâce avec Dieu, dont il a encouru l’inimitié et la disgrâce par la laideur de son péché. Toutes choses qui montrent assez que la Pénitence est véritablement une vertu.
Mais il est nécessaire d’apprendre aux Fidèles par quels degrés on peut s’élever jusqu’à cette vertu divine.
D’abord la miséricorde de Dieu nous prévient, et tourne nos cœurs vers Lui, pour nous convertir. C’est cette grâce que demandait le Prophète, quand il disait : Convertissez-nous à vous, Seigneur, et nous serons convertis !284
Ensuite illuminés par cette lumière, nous tendons vers Dieu par la Foi. Car comme l’Apôtre nous l’assure : Celui qui veut aller à Dieu doit croire qu’il existe, et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent285.
Puis viennent les mouvements de crainte, c’est alors que frappé par la considération des supplices rigoureux qu’il a mérités, le pécheur détache son cœur du péché. C’est à cet état d’âme que semblent se rapporter ces paroles d’Isaïe : Nous sommes devenus comme celle qui approche du temps où elle doit enfanter, et qui crie au milieu des douleurs qu’elle ressent286.
À ces sentiments se joint l’espérance d’obtenir miséricorde du Seigneur, espérance qui nous relève de notre abattement, et nous fait prendre la résolution d’amender notre vie et nos mœurs.
Enfin la Charité enflamme nos cœurs et fait naître en nous cette crainte filiale qui convient à des enfants généreux et bien nés. Dès lors ne craignant plus qu’une seule chose, qui est de blesser en quoi que ce soit la majesté de Dieu, nous abandonnons entièrement l’habitude du péché.
Tels sont les degrés par lesquels on parvient à cette sublime vertu de la Pénitence, vertu qui doit être à nos yeux toute céleste et toute divine, car la sainte Écriture lui promet le Royaume des cieux. Ainsi il est écrit dans Saint Matthieu : Faites pénitence, car le Royaume des cieux est proche287. Et dans Ézéchiel : Si l’impie fait pénitence de tous les péchés qu’il a commis ; s’il garde tous mes préceptes ; s’il accomplit le jugement et la justice, il vivra et ne mourra point288. Et dans un autre endroit : je ne veux point la mort de l’impie, mais qu’il se convertisse de sa voie, et qu’il vive289. Or, toutes ces paroles doivent évidemment s’entendre de la Vie Éternelle et bienheureuse.
Quant à la Pénitence extérieure, il faut enseigner que c’est elle qui constitue, à proprement parler, le Sacrement, et qu’elle consiste dans certaines actions extérieures et sensibles qui expriment ce qui se passe dans l’intérieur de l’âme. Mais avant tout il nous semble qu’il faut instruire les Fidèles des raisons pour lesquelles Notre-Seigneur Jésus-Christ a placé la Pénitence au nombre des Sacrements. Or la raison principale a été certainement de lever tous les doutes que nous aurions pu concevoir sur la rémission de nos péchés. Quoique Dieu en effet nous l’ait promise (cette rémission) dans ces paroles du Prophète : Si l’impie fait pénitence, etc290, nous n’en serions pas moins dans de continuelles inquiétudes sur la vérité de notre repentir, car personne ne peut se fier au jugement qu’il porte sur ses propres actions. C’est donc pour détruire toute inquiétude à cet égard, que notre Seigneur a fait de la Pénitence un Sacrement capable de nous donner la confiance que nos péchés nous sont pardonnés par l’absolution du Prêtre, et par suite de mettre plus de calme dans notre conscience par cette Foi légitime que nous devons avoir dans la vertu des Sacrements. Lorsqu’en effet le Prêtre nous absout de nos fautes suivant la forme du Sacrement, ses paroles n’ont point d’autre sens que celles de Notre-Seigneur au paralytique : Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis !291
En second lieu, personne ne peut obtenir le salut que par Jésus-Christ, et par les mérites de sa Passion. Il était donc très convenable en soi, et très utile pour nous qu’il y eût un Sacrement qui ferait couler sur nos âmes le Sang de Jésus-Christ ; un Sacrement qui par sa vertu et son efficacité serait capable d’effacer tous les péchés commis après le Baptême, et nous obligerait à reconnaître que c’est à notre divin Sauveur, et à Lui seul, que nous devons le bienfait de notre réconciliation.
Or, que la Pénitence soit un véritable Sacrement, c’est ce que les Pasteurs n’auront pas de peine à démontrer. Le Baptême est un Sacrement parce qu’il efface tous les péchés, et spécialement celui que nous contractons à notre origine. Par la même raison, la Pénitence qui efface tous les péchés de désirs et d’actions volontairement commis après le Baptême, doit être un véritable Sacrement, au sens propre du mot. D’ailleurs, (et c’est ici la raison principale), dès lors que ce que le Prêtre et le pénitent font au dehors et d’une manière sensible, exprime nettement les effets qui s’opèrent dans l’âme, qui oserait soutenir que la Pénitence ne renferme pas toutes les propriétés d’un véritable Sacrement ? Un Sacrement est le signe d’une chose sacrée. Or, d’une part, le pécheur qui se repent exprime très bien par ses paroles et par ses actions qu’il a détaché son cœur du péché, et d’autre part les paroles et les actions du Prêtre expriment aussi sensiblement que Dieu, par sa miséricorde, remet Lui-même les péchés. Au reste une preuve évidente de cette vérité se trouve dans ces paroles du Sauveur : Je vous donnerai les clefs du Royaume des cieux ; et dans celles-ci : Tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le ciel292. Car l’absolution prononcée par le Prêtre exprime la rémission des péchés qu’elle produit dans l’âme.
Mais il ne suffit pas d’apprendre aux Fidèles que la Pénitence est un Sacrement, ils doivent savoir encore qu’elle est du nombre de ceux qui peuvent se réitérer. L’Apôtre Saint Pierre ayant demandé à Notre-Seigneur si l’on pouvait accorder jusqu’à sept fois le pardon d’un péché, reçut cette réponse : Je ne vous dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois293. Si donc on doit traiter avec des personnes qui paraissent se défier de la bonté et de la clémence infinie de Dieu, il faut raffermir leur courage, et relever leurs espérances vis-à-vis de la Grâce divine. Et l’on obtiendra facilement ce but, soit en leur citant ce passage que nous venons de rappeler, et une foule d’autres qui se rencontrent si souvent dans la sainte Écriture, soit en empruntant les arguments et les raisons de Saint Jean Chrysostome, dans son livre : De ceux qui sont tombés, et ceux de Saint Ambroise, dans ses traités : De la Pénitence.
Rien ne doit être plus connu des Fidèles que la matière du Sacrement de Pénitence. Il faut donc leur faire remarquer que la grande différence entre ce Sacrement et les autres, c’est que la matière de ces derniers est toujours une chose naturelle ou artificielle, tandis que les actes du pénitent, la Contrition, la Confession, et la Satisfaction sont, dit le Concile de Trente, comme la matière de ce Sacrement. Et ces actes sont nécessaires, de la part du pénitent, pour l’intégrité du Sacrement, et pour l’entière rémission des péchés. Ceci est d’institution divine. Aussi bien les actes dont nous parlons sont regardés comme les parties mêmes de la Pénitence. Et si le saint Concile dit simplement qu’ils sont comme la matière du Sacrement, ce n’est pas à dire qu’ils ne sont pas la vraie matière ; mais c’est qu’ils ne sont pas du genre des autres matières sacramentelles, lesquelles se prennent au dehors, comme l’eau dans le Baptême et le chrême dans la Confirmation. Que si quelques-uns ont regardé les péchés eux-mêmes comme la matière du sacrement de Pénitence, leur sentiment ne paraît pas contraire au nôtre, si l’on veut y regarder de près. De même que nous disons du bois, qu’il est la matière du feu, parce que le feu le consume ; ainsi nous pouvons très bien dire des péchés, qu’ils sont la matière de la Pénitence, puisque ce Sacrement les efface et les consume en quelque sorte.
Les Pasteurs ne doivent pas négliger non plus d’instruire les Fidèles de la forme de ce Sacrement. Cela ne peut qu’exciter davantage leur ferveur quand ils voudront le recevoir, et leur inspirer plus de respect et de vénération pour s’en approcher. Or voici cette forme : Je vous absous. On pourrait déjà la tirer de ces paroles du Sauveur : Tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le ciel294. Mais les Apôtres nous l’ont transmise comme l’ayant reçue de Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même. D’ailleurs puisque les Sacrements signifient ce qu’ils produisent, ces paroles : Je vous absous, montrent très bien que la rémission des péchés s’opère par l’administration de ce Sacrement ; par conséquent il est clair qu’elles en sont la forme complète. Les péchés, en effet, sont comme des liens qui tiennent nos âmes enchaînées, et que le sacrement de Pénitence vient briser. Et le Prêtre ne dit pas moins la vérité, lorsqu’il prononce ces paroles sur un pénitent qui par la vivacité d’une Contrition parfaite, accompagnée du vœu de la Confession, a déjà obtenu de Dieu le pardon de ses péchés.
À ces paroles, on ajoute plusieurs prières qui ne sont pas nécessaires pour la forme du Sacrement, mais qui ont pour but d’écarter tout ce qui pourrait empêcher sa vertu et son efficacité par la faute de celui auquel il est administré.
Quelles actions de grâces ne doivent donc point rendre à Dieu les pécheurs, de ce qu’Il a donné un si grand pouvoir aux Prêtres de son Église ? Il ne s’agit plus maintenant comme autrefois, sous la Loi ancienne, du témoignage du Prêtre qui se bornait à déclarer que le lépreux était guéri. Non, le pouvoir des Prêtres dans l’Église est si étendu qu’ils ne se contentent pas de déclarer que le pécheur est absous de ses péchés, mais qu’ils donnent réellement, comme Ministres du Seigneur, l’Absolution qui est ratifiée en même temps par Dieu Lui-même, Auteur et Principe de la grâce et de la justification.
Quant aux rites prescrits pour la réception de ce Sacrement, les Fidèles auront soin de s’y conformer exactement. Par là ils graveront plus profondément dans leurs cœurs le souvenir de ce qu’ils lui devront, c’est-à-dire la grâce d’avoir été réconciliés, comme des serviteurs avec le plus doux des maîtres, ou plutôt comme des enfants avec le meilleur des pères ; et puis ils comprendront mieux aussi comment ceux qui le veulent, (et tous doivent le vouloir), peuvent prouver à Dieu leur reconnaissance pour un si grand bienfait.
Tout pécheur qui se repent, doit donc en premier lieu se jeter aux pieds du Prêtre, avec des sentiments d’humilité et d’abaissement, afin qu’en s’humiliant ainsi, d’une part il apprenne à reconnaître plus aisément qu’il doit arracher de son cœur jusqu’à la racine de l’orgueil qui a été la source et le principe de toutes les fautes qu’il déplore, et d’autre part qu’il sache révérer dans le Prêtre, qui est son juge légitime, la Personne et la puissance de Jésus-Christ Lui-même. Car dans l’administration du sacrement de Pénitence, comme dans tous les autres Sacrements, le Prêtre tient la place de Notre-Seigneur.
Puis il confessera tous ses péchés les uns après les autres, de manière à convenir qu’il mérite les châtiments les plus grands et les plus rigoureux. Ensuite, il implorera le pardon de ses fautes. Nous trouvons dans Saint Denys les témoignages les plus formels sur l’antiquité de toutes ces pratiques.
Mais rien ne sera plus utile aux Fidèles, rien ne leur donnera plus d’empressement à recevoir le sacrement de Pénitence que d’entendre les Pasteurs expliquer souvent les grands avantages que nous en retirons. Ils comprendront alors que la Pénitence est comme un arbre, dont les racines sont amères, mais dont les fruits sont pleins de douceur.
Et d’abord la Pénitence possède la vertu de nous rétablir dans la grâce de Dieu, et de nous unir à Lui par une étroite amitié.
Ensuite cette réconciliation produit ordinairement chez les personnes pieuses, qui reçoivent ce Sacrement avec Foi et piété, une paix profonde, une tranquillité parfaite de conscience, et des joies ineffables de l’Esprit-Saint.
Il n’y a point d’ailleurs de crime si grand et si horrible, qui ne puisse être effacé par le sacrement de Pénitence, non seulement une fois, mais deux fois, mais toujours. Dieu Lui-même nous en donne l’assurance par ces paroles du prophète : Si l’impie fait pénitence de tous les péchés qu’il a commis, s’il garde mes commandements, s’il pratique le jugement et la justice, il vivra de la vie et il ne mourra point ; et Je ne me souviendrai point de toutes les iniquités qu’il a commises295. C’est là ce qui a fait dire à Saint Jean : Si nous confessons nos péchés, Dieu est fidèle et juste pour nous les pardonner296. Et plus loin : Si quelqu’un a péché, dit-il, sans excepter aucune sorte de péché, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ qui est juste, qui est Lui-même propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier.
Si nous lisons dans l’Écriture que certains personnages n’ont point obtenu de Dieu miséricorde, bien qu’ils l’eussent demandée avec ardeur, nous savons que cela tenait à ce qu’ils n’avaient pas un repentir et une douleur sincères de leurs fautes. Ainsi lorsque nous trouvons dans nos Saints Livres, ou dans les saints Pères, quelques passages qui semblent affirmer que certains péchés sont irrémissibles, il faut entendre par là que le pardon de ces péchés est extrêmement difficile à obtenir. De même qu’il est des maladies que l’on dit incurables parce qu’elles inspirent au malade l’horreur des médicaments qui pourraient le guérir ; de même il y a des péchés dont on n’obtient pas le pardon parce qu’ils font repousser la grâce de Dieu, cet unique remède du salut. C’est dans ce sens que Saint Augustin disait : Lorsqu’un homme arrivé à la connaissance de Dieu par la grâce de Jésus-Christ, blesse ensuite la Charité fraternelle, et que s’élevant contre la grâce même, il s’abandonne aux fureurs de l’envie, le mal de son péché est tel qu’il ne peut même s’abaisser à en demander pardon, quoique d’ailleurs les remords de sa conscience le forcent à reconnaître et à avouer sa faute297.
Mais pour revenir aux effets du sacrement de Pénitence, la vertu d’effacer les péchés lui est tellement propre, qu’il est impossible de l’obtenir, ni même de l’espérer par un autre moyen. Si vous ne faites pénitence, dit notre Seigneur, vous périrez tous298. Il est vrai que ces paroles ne s’appliquent qu’aux péchés graves et mortels. Cependant les péchés légers, que l’on nomme véniels, exigent aussi leur genre de pénitence. Car, dit Saint Augustin, cette espèce de pénitence qui se fait tous les jours dans l’Église pour les péchés véniels serait tout-à-fait vaine, si ces péchés pouvaient se remettre sans pénitence299.
Mais comme ce n’est pas assez, dans les choses qui sont de pratique, de donner des notions et des explications générales, les Pasteurs auront soin d’expliquer séparément tout ce que les fidèles ont besoin de savoir sur les qualités de la véritable et salutaire Pénitence. Or ce Sacrement a cela de particulier que, outre la matière et la forme qui sont communes à tous les Sacrements en général, il contient de plus, comme nous l’avons déjà remarqué, la Contrition, la Confession, la Satisfaction, qui sont nécessaires pour le rendre entier et parfait. Ce qui a fait dire à Saint Jean Chrysostome : La Pénitence porte le pécheur à tout endurer volontiers. La Contrition est dans son cœur, la Confession sur les lèvres, et l’humilité ou la Satisfaction salutaire dans toutes ses œuvres300. Or ces trois parties sont semblables à celles qui entrent nécessairement dans la composition d’un tout. De même que le corps humain est formé de plusieurs membres, les mains, les pieds, les yeux, et d’autres parties semblables dont une seule ne saurait lui manquer sans que nous le trouvions imparfait — tandis qu’il est parfait lorsqu’il les possède toutes — de même aussi la Pénitence est tellement composée de ces trois parties que si la Contrition et la Confession qui justifient le pécheur sont seules requises d’une manière absolue pour la constituer dans son essence, elle n’en reste pas moins nécessairement imparfaite et défectueuse, quand elle ne possède point en même temps la Satisfaction. Ces trois parties sont donc inséparables et si bien liées les unes aux autres, que la Contrition renferme la résolution et la volonté de se confesser et de satisfaire, que la Contrition et le désir de satisfaire impliquent la Confession, et que la Satisfaction est la suite des deux autres.
La raison que l’on peut donner de la nécessité de ces trois parties, c’est que nous offensons Dieu de trois manières, en pensées, en paroles et en actions. Il était donc juste et raisonnable, en nous soumettant aux clefs de l’Église, d’apaiser la colère de Dieu et d’obtenir de Lui le pardon de nos péchés par les mêmes moyens que nous avons employés à outrager son infinie Majesté. Mais on peut encore donner une autre raison de cette nécessité. La Pénitence est une sorte de compensation pour les péchés, émanant du cœur du pécheur, et fixée au gré de Dieu, contre qui le péché a été commis. Il faut donc d’une part que le pénitent ait la volonté de faire cette compensation, ce qui implique spécialement la Contrition, et que de l’autre il se soumette au jugement du Prêtre qui tient la place de Dieu, afin que ce même Prêtre puisse fixer une peine proportionnée à la grandeur de ses offenses. De là il est facile de voir le principe et la nécessité de la Confession et de la Satisfaction.
Mais puisque l’on doit faire connaître distinctement aux Fidèles la nature et les propriétés de chacune de ces parties, il faut commencer par la Contrition, et l’expliquer avec le plus grand soin. Avec un soin d’autant plus grand que nous devons l’exciter immédiatement dans notre cœur, si le souvenir de nos péchés passés se présente à notre esprit, ou si nous avons le malheur d’en commettre de nouveaux.
De la Contrition
Voici comment la définissent les Pères du Concile de Trente : La Contrition est une douleur de l’âme et une détestation du péché commis, avec un ferme propos de ne plus pécher à l’avenir301. Puis parlant un peu plus loin du mouvement de la Contrition, ils ajoutent : Ce mouvement prépare à la rémission des péchés, pourvu qu’il soit accompagné de la confiance en la miséricorde de Dieu et de la volonté de faire tout ce qui est nécessaire pour bien recevoir le sacrement de Pénitence.
Cette définition fera très bien comprendre aux Fidèles que l’essence de la Contrition ne consiste pas seulement à cesser de pécher, à prendre la résolution de mener une vie nouvelle, ou même commencer déjà ce nouveau genre de vie, mais encore et surtout à détester et à expier le mal de la vie passée. C’est ce que prouvent parfaitement ces gémissements des Saints que nous retrouvons si souvent dans nos saintes Lettres. Je m’épuise à gémir, dit David, je baigne toutes les nuits mon lit de mes larmes302. Et encore Le Seigneur a écouté la voix de mes pleurs303.
Isaïe s’écrie à son tour : Je repasserai en votre présence, Seigneur, toutes mes années dans l’amertume de mon âme304. Paroles qui, comme tant d’autres semblables, sont l’expression évidente d’un repentir profond des fautes commises et de la détestation de la vie antérieure.
Mais quand on dit que la Contrition est une douleur, il faut avertir les Fidèles de ne point s’imaginer qu’il est ici question d’une douleur extérieure et sensible. La Contrition est un acte de la volonté. Et Saint Augustin nous avertit que la douleur accompagne le repentir, mais qu’elle n’est pas le repentir305. Les Pères du Concile se sont servis du mot douleur pour exprimer la haine et la détestation du péché, soit parce que la sainte Écriture s’en sert elle-même : Jusqu’à quand, s’écrie David, mon âme sera-t-elle agitée de pensées diverses, et mon cœur en proie à la douleur durant le jour entier ?306, soit aussi parce que la Contrition engendre la douleur dans cette partie inférieure de l’âme qui est le siège de la concupiscence. Ce n’est donc pas à tort qu’on a défini la Contrition une douleur, puisqu’elle produit précisément de la douleur, et que les pénitents, pour exprimer plus sensiblement celle qu’ils ressentent, ont coutume de changer même leurs vêtements ; ainsi qu’on le voit par ces paroles de notre Seigneur dans Saint Matthieu : Malheur à toi Corozaïn ! Malheur à toi Bethsaide ! Parce que si les miracles qui ont été faits au milieu de vous, avaient été accomplis Tyr et à Sidon, ces villes auraient fait pénitence sous le cilice et la cendre307.
C’est encore avec raison que la détestation du péché dont nous parlons a reçu le nom de Contrition. On voulait exprimer par là la violence de la douleur qu’elle cause. Il y a dans ce mot une figure empruntée aux choses matérielles qui se brisent en morceaux, quand on les frappe avec une pierre ou un autre corps plus dur. De même le mot de Contrition signifie que nos cœurs endurcis par l’orgueil sont brisés et broyés par la force du repentir. Et c’est pourquoi aucune autre douleur — qu’elle soit causée par la mort de parents et d’enfants chéris, ou par toute autre calamité — ne prend jamais ce nom ; il est absolument réservé à cette douleur que nous fait éprouver la perte de la grâce de Dieu et de l’innocence.
Il est encore d’autres termes que l’on emploie assez fréquemment pour désigner cette détestation du péché. Tantôt elle s’appelle brisement du cœur, parce que l’Écriture Sainte prend souvent le cœur pour la volonté. De même que le cœur est le principe des mouvements du corps, de même aussi la volonté règle et gouverne toutes les autres puissances de l’âme. Tantôt les Pères lui donnent le nom de componction du cœur, en sorte qu’ils ont donné ce titre aux ouvrages qu’ils ont écrits sur la Contrition. De même en effet qu’on ouvre avec le fer un ulcère qui est enflé, afin que le pus qu’il renferme puisse en sortir, ainsi le scalpel de la Contrition — si l’on peut parler de la sorte — ouvre les cœurs, pour en faire sortir le poison mortel du péché. Aussi le Prophète Joël appelle-t-il la Contrition un déchirement du cœur. Convertissez-vous à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, dans les pleurs et dans les gémissements, et déchirez vos cœurs308.
La douleur d’avoir offensé Dieu par le péché doit être souveraine, et telle que l’on ne puisse en concevoir de plus grande. Il est facile de démontrer cette vérité par les considérations suivantes.
Puisque la vraie Contrition est un acte de Charité qui procède de la crainte filiale, il est évident que la Contrition ne doit point avoir d’autre mesure que la Charité elle-même. Et comme la Charité par laquelle nous aimons Dieu est l’amour le plus grand, il s’en suit que la Contrition doit emporter avec elle la douleur de l’âme la plus vive. Dès lors que nous devons aimer Dieu plus que toutes choses, plus que toutes choses aussi nous devons détester ce qui nous éloigne de Lui. Et ce qui confirme notre raisonnement, c’est que les saintes Écritures emploient les mêmes termes pour exprimer l’étendue de la Charité et celle de la Contrition. Ainsi, en parlant de la première elles disent : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur309 ; et, quand il s’agit de la Contrition, le Seigneur nous crie par la bouche du Prophète : Convertissez-vous de tout votre cœur310.
En second lieu, de même que Dieu est le premier de tous les biens que nous devons aimer, de même aussi le péché est le premier et le plus grand de tous les maux que les hommes doivent haïr. Et par conséquent la même raison qui nous oblige à reconnaître que Dieu doit être souverainement aimé, nous oblige également à concevoir pour le péché une haine souveraine. L’amour de Dieu doit être préféré à tout. Même pour conserver sa vie il n’est pas permis de pécher. Il y a là pour nous un devoir formel. Écoutons plutôt ces paroles de Notre-Seigneur : Celui qui aime son père ou sa mère plus que Moi n’est pas digne de Moi311. Et encore : Celui qui voudra sauver sa vie la perdra312.
Remarquons encore que la charité, au témoignage de Saint Bernard, ne peut avoir ni limite, ni mesure. Car, dit-il : La mesure d’aimer Dieu, est de L’aimer sans mesure. Par conséquent il doit en être de même de la détestation du péché. Elle ne peut être limitée.
Ce n’est pas assez que cette détestation du péché soit souveraine, il faut encore qu’elle soit si vive et si profonde, qu’elle exclue toute négligence et toute paresse. Il est écrit dans le Deutéronome : Lorsque vous chercherez le Seigneur votre Dieu, vous Le trouverez, pourvu cependant que vous Le cherchiez de tout votre cœur, et dans toute la douleur de votre âme313. Et dans Jérémie : Vous Me chercherez, et vous Me trouverez lorsque vous M’aurez cherché de tout votre cœur ; car alors Je me laisserai trouver par vous, dit le Seigneur314.
Mais, quand même notre Contrition ne serait pas aussi parfaite que nous venons de le dire, notre repentir pourrait cependant être véritable et efficace. Il arrive souvent que les choses sensibles font sur nous des impressions plus vives que les choses spirituelles. Et l’on voit des personnes à qui la mort de leurs enfants, par exemple, cause une douleur plus vive que la laideur du péché. Il n’est pas non plus nécessaire, pour que la Contrition soit réelle, qu’elle fasse verser des larmes. Toutefois ces larmes sont bien désirables dans la Pénitence, et il faut y exciter fortement. Vous n’avez point les entrailles de la piété chrétienne, dit très bien Saint Augustin, vous qui pleurez un corps que l’âme a quitté, et qui ne pleurez point une âme dont Dieu s’est éloigné315. C’est aussi ce que signifient ces paroles de notre-Sauveur que nous avons rapportées plus haut : Malheur à toi, Corozaïn ! Malheur à toi, Bethsaïde ! Parce que si les miracles qui ont été faits au milieu de vous s’étaient accomplis dans Tyr et dans Sidon, ces villes auraient fait pénitence sous le cilice et la cendre316. Mais il nous suffit, pour établir cette vérité, de rappeler les exemples fameux des ninivites317, de David318, de la femme pécheresse319 et du prince des Apôtres320, qui tous implorèrent avec des larmes abondantes la miséricorde de Dieu, et obtinrent par là le pardon de leurs péchés.
Il sera bon d’apprendre aux Fidèles et de les exhorter de la manière la plus pressante à former un acte particulier de Contrition pour chaque péché mortel. Nous le concluons de ces paroles d’Ézéchias : Je repasserai en votre Présence toutes les années de ma vie dans l’amertume de mon âme321. Repasser toutes ses années dans son esprit, c’est rechercher ses péchés les uns après les autres, pour les déplorer du fond du cœur, chacun en particulier. Nous lisons encore dans Ézéchiel : Si l’impie fait pénitence de tous ses péchés, il vivra322. C’est dans le même sens que Saint Augustin dit : Que le pécheur examine la qualité de son péché d’après le lieu, le temps, la chose et la personne323.
Mais que les Fidèles ne désespèrent jamais de la bonté et de la clémence infinie de notre Dieu, souverainement désireux de notre salut. Ce Dieu n’apporte jamais de retard à nous accorder notre pardon ; Il étend sa tendresse paternelle sur le pécheur aussitôt qu’il rentre en lui-même et qu’il déteste tous ses péchés en général, pourvu seulement qu’il ait l’intention de les rappeler plus tard, s’il le peut, à son souvenir, et de les détester chacun en particulier.
C’est ce que le Seigneur Lui-même nous ordonne d’espérer, quand Il dit par son Prophète : Du jour où l’impie se sera converti, son impiété ne lui nuira plus324.
Après ce que nous venons de dire, il est facile de voir quelles sont les conditions nécessaires à une véritable Contrition. Ces conditions doivent être expliquées aux Fidèles avec le plus grand soin, afin que tous sachent par quels moyens ils pourront l’acquérir, et qu’ils aient une règle sûre pour discerner jusqu’à quel point ils peuvent être éloignés de la perfection de cette vertu.
La première chose nécessaire, c’est de haïr et de détester tous les péchés que nous avons eu le malheur de commettre. Si nous n’éprouvions de repentir que pour quelques-uns seulement, notre Pénitence ne serait point salutaire. Elle serait fausse et simulée. Car, comme il est écrit dans l’Apôtre Saint Jacques : Celui qui observe toute la Loi excepté en un seul point qu’il transgresse est coupable de la Loi tout entière325.
La seconde, c’est que notre Contrition renferme la volonté de nous confesser et de satisfaire : deux points dont nous parlerons tout à l’heure.
La troisième, c’est que le pénitent prenne la résolution ferme et sincère de réformer sa conduite. Le Prophète nous l’enseigne clairement par ces paroles : Si l’impie fait pénitence de tous les péchés qu’il a commis, s’il observe tous mes Commandements, et qu’il pratique la justice et le jugement, il vivra de la vie, et il ne mourra point ; et Je ne me souviendrai point de toutes les iniquités qu’il a commises326. Et un peu plus loin il dit encore : Lorsque l’impie aura quitté l’impiété qu’il a commise, et qu’il pratiquera la justice et le jugement, il donnera la vie à son âme. Et enfin il ajoute : Convertissez-vous et faites pénitence de tous vos péchés, et votre iniquité ne tournera pas à votre ruine. Jetez loin de vous toutes vos prévarications, par lesquelles vous avez péché, et faites vous un cœur nouveau et un esprit nouveau. C’est là aussi ce que Notre-Seigneur ordonne Lui-même à la femme qui avait été surprise en adultère : Allez, lui dit-il, et ne péchez plus327, et au paralytique qu’Il avait guéri près de la piscine : Voilà que vous êtes guéri, prenez garde de ne plus pécher328.
D’ailleurs la nature et la raison elle-même nous montrent clairement qu’il y a deux choses absolument nécessaires pour rendre la Contrition sincère et véritable, à savoir le repentir des péchés commis, et la résolution de n’en plus commettre à l’avenir. Quiconque veut se réconcilier avec un ami qu’il a offensé doit tout ensemble déplorer l’injure et l’outrage dont il s’est rendu coupable à son égard, et ne rien négliger dans la suite pour éviter de blesser en quoi que ce soit la religion de l’amitié.
Mais ces deux choses doivent encore être nécessairement accompagnées de l’obéissance, car il est juste que l’homme obéisse à la loi naturelle, divine ou humaine à laquelle il est soumis. Si donc un pénitent a dérobé quelque chose à son prochain par violence ou par fraude, il est obligé de restituer. De même il doit faire satisfaction par quelque service et quelque bienfait à celui qu’il a lésé, en parole ou en action, dans ses emplois ou dans sa vie. Tout le monde connaît cette parole de Saint Augustin qui est devenue un véritable axiome : Le péché n’est point remis, si ce que l’on a pris n’est point rendu329.
Mais parmi les conditions que la Contrition exige, il ne faudrait pas considérer comme peu important et peu essentiel de remettre et de pardonner entièrement toutes les injures qu’on a reçues. Notre-Seigneur et Sauveur nous en avertit et nous dénonce Lui-même cette obligation : Si vous remettez aux hommes leurs offenses envers vous, votre Père céleste vous remettra les vôtres ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, mon Père non plus ne vous pardonnera point330.
Voilà ce que les Fidèles ont à observer dans la Contrition. Toutes les autres dispositions que les Pasteurs pourront facilement déduire de celle-ci peuvent bien rendre la Contrition plus parfaite et plus entière en son genre ; mais elles ne doivent pas être regardées comme absolument nécessaires, et l’on peut, sans elles, avoir un repentir véritable et suffisant.
Mais comme ce n’est pas assez pour les Pasteurs d’enseigner aux Fidèles toutes les obligations qui ont trait au salut, et qu’ils doivent encore, par toute sorte de soins et d’efforts les amener à conformer leur vie tout entière aux devoirs qui leur sont prescrits, ils feront une chose extrêmement utile, s’ils leur rappellent souvent la vertu et les effets de la Contrition. Les autres œuvres de piété, comme le soulagement des pauvres, les jeûnes, la prière et beaucoup d’autres choses semblables, d’ailleurs très bonnes et très saintes de leur nature, sont quelquefois rejetées de Dieu par la faute de ceux qui les font. Mais la Contrition ne saurait jamais cesser de Lui être chère et agréable. Vous ne rejetterez point, ô mon Dieu, dit le Prophète, un cœur contrit et humilié331. Bien plus, nous n’avons pas plus tôt conçu cette Contrition dans notre cœur, que Dieu sur le champ nous accorde la rémission de nos péchés. C’est ce que nous déclare le même Prophète dans un autre endroit : J’ai dit, je confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur, et Vous, Vous m’avez remis aussitôt l’impiété de mon péché332. Et nous avons une figure sensible de cette vérité dans les dix lépreux que Notre-Seigneur envoya vers les Prêtres, et qui furent guéris avant d’arriver jusqu’à eux. Ce qui fait voir que la véritable Contrition dont nous venons de parler possède une vertu si grande qu’à cause d’elle le Seigneur nous accorde immédiatement la rémission de tous nos péchés.
Un autre puissant motif pour stimuler le zèle des Fidèles, sera de leur donner une méthode pour s’exciter à la Contrition. Il faudra donc les avertir d’examiner souvent leur conscience et de voir s’ils ont gardé fidèlement les Commandements de Dieu et de l’Église. S’ils se reconnaissent coupables de quelque faute, qu’ils s’en accusent aussitôt devant Dieu, et qu’ils Lui demandent très humblement pardon. Qu’ils Le conjurent de leur accorder le temps de se confesser et de satisfaire. Et surtout qu’ils implorent le secours de sa Grâce pour ne plus retomber dans des péchés qu’ils ont un si grand regret d’avoir commis.
Enfin les Pasteurs tâcheront d’inspirer aux Fidèles une haine souveraine pour le péché, soit à cause de la honte et de l’infamie qu’il porte avec lui, soit à cause des inconvénients et des maux extrêmes qu’il attire sur nous. Car il éloigne de nous la bonté infinie de Dieu, de qui nous avons reçu les plus grands biens, et qui nous en promettait encore de plus précieux ; et il nous voue à la mort éternelle, à des tourments sans fin, à des supplices infinis.
Voilà ce que nous avions à dire sur la Contrition. Venons maintenant à la seconde partie du sacrement de Pénitence, qui a besoin d’être expliquée par les Pasteurs avec le plus grand soin et la plus grande exactitude, comme on le verra facilement par ce qui va suivre.
Tous les Chrétiens croyants et pratiquants sont persuadés que tout ce qu’il a plu à la bonté de Dieu de conserver, en ce temps-ci, dans son Église, de sainteté, de piété et de religion, on le doit en grande partie à la Confession. Il ne faut donc pas s’étonner que l’ennemi du genre humain, qui voudrait par ses satellites et ses ministres détruire la Foi catholique jusque dans ses fondements, ait fait tous ses efforts pour renverser cette sorte de citadelle de la Vertu chrétienne.
Il faudra enseigner tout d’abord que l’institution de la Confession ne nous était pas seulement avantageuse ; mais qu’elle nous était même nécessaire. Sans doute, — et nous le reconnaissons — la Contrition efface les péchés, mais ne voit-on pas qu’elle doit être dans ce cas, si forte, si vive, si ardente, que la violence de la douleur puisse égaler et atteindre l’énormité des fautes commises ? Et comme il y en a peu qui soient capables de parvenir à un si haut degré de repentir, il y en a peu aussi qui doivent espérer par ce moyen le pardon de leurs péchés. Il était donc nécessaire que Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans son infinie clémence, pourvût au salut de tous par une voie plus facile. Et c’est ce qu’il a réalisé d’une manière admirable, en donnant à son Église les clefs du Royaume des cieux. En effet, l’enseignement de la Foi catholique est formel. Nous devons tous croire et affirmer sans réserve, que si quelqu’un est sincèrement repentant de ses péchés, s’il est bien résolu à ne plus les commettre à l’avenir, — lors même qu’il ne ressentirait pas une Contrition suffisante pour obtenir son pardon — tous ses péchés lui sont remis et pardonnés par le pouvoir des clefs, s’il les confesse à un Prêtre approuvé. Aussi tous les saints Pères ont eu soin de proclamer, et avec raison, que le ciel nous est ouvert par les clefs de l’Église, et le Concile de Florence a mis cette vérité hors de doute en décrétant que l’effet du sacrement de Pénitence est de purifier du péché.
Voici encore une autre considération qui nous montre les avantages et l’utilité de la Confession. L’expérience prouve que rien n’est plus propre à réformer les mœurs des personnes corrompues, que la confidence réitérée de leurs pensées, de leurs paroles et de leurs actions à un ami sage et fidèle qui peut les aider de ses services et de ses conseils. De même, et pour la même raison, nous devons regarder comme très salutaire à ceux qui sont troublés des remords de leurs fautes, de découvrir les maladies et les plaies de leur âme au Prêtre qui tient la place de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et qui est soumis par les lois les plus sacrées au plus inviolable silence. Ils trouveront aussitôt par ce moyen des remèdes tout prêts, et qui possèdent une vertu céleste, non seulement pour guérir les maladies dont ils souffrent, mais encore pour les fortifier en vue de l’avenir, et rendre leurs rechutes très difficiles.
Il ne faut pas oublier non plus un autre avantage de la Confession, qui intéresse vivement la société tout entière. En effet, retranchez de la Religion chrétienne la Confession sacramentelle, et bientôt le monde sera inondé de crimes cachés et monstrueux. Puis, en peu de temps l’habitude du mal rendra les hommes si dépravés qu’ils ne rougiront plus de commettre publiquement ces iniquités, et d’autres beaucoup plus graves encore. Au contraire, la honte salutaire attachée à la Confession est un frein à la licence et à l’audace du vice, et elle retient les plus pervertis.
Ces avantages une fois exposés, les Pasteurs auront à faire connaître la nature et la vertu de la Confession. Voici comment on la définit : une accusation de ses péchés faite pour en recevoir la rémission par la vertu des clefs, dans le sacrement de Pénitence.
Et d’abord, c’est avec raison qu’on l’appelle une accusation, parce que nous ne devons point confesser nos péchés, comme pour en faire parade, à l’exemple de ceux qui se réjouissent quand ils ont fait le mal333 ; ni pour faire un récit, comme s’il s’agissait d’amuser des auditeurs oisifs ; mais il faut les énumérer avec l’intention de nous avouer coupables, et le désir de les venger sur nous-mêmes par la Pénitence.
Mais si nous confessons nos péchés, c’est pour en obtenir le pardon. Car le tribunal de la Pénitence est bien différent des tribunaux humains. Là, en effet, la peine et la confusion des aveux sont loin de compter pour l’acquittement de la faute, et pour le pardon des égarements.
Les Saints Pères semblent avoir donné de la Confession une définition semblable à la nôtre, quoique en termes différents, quand ils disent comme Saint Augustin : La Confession, c’est la révélation d’une maladie cachée, avec l’espoir d’en obtenir la guérison334 ; ou bien, comme Saint Grégoire : C’est la détestation des péchés335. Ces deux définitions peuvent facilement se rapporter à la nôtre, puisque la nôtre les contient.
Mais ici — et c’est une de leurs obligations les plus importantes — les Pasteurs auront soin d’enseigner aux Fidèles, et sans la moindre hésitation, que la Confession a été instituée par Notre-Seigneur Jésus-Christ (qui a bien fait toutes choses, et uniquement pour notre salut), et qu’elle est un effet de sa bonté et de sa miséricorde infinies envers nous. En effet, un jour que ses Apôtres, après sa Résurrection, étaient réunis dans le même lieu, Il souffla sur eux, en disant : Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez336.
Mais si Notre-Seigneur a donné aux Prêtres le pouvoir de retenir et de remettre les péchés, évidemment Il les a aussi établis juges en cette matière. C’est ce qu’Il semble avoir voulu exprimer, lorsque, au moment de la résurrection de Lazare, Il chargea les Apôtres de le dégager des liens qui le tenaient enseveli. Voici en effet comment Saint Augustin explique ce passage : Maintenant, dit-il, les Prêtres peuvent eux-mêmes être encore plus utiles et remettre beaucoup plus aux pénitents dont ils pardonnent les péchés dans la Confession ; car en donnant à délier à ses Apôtres Lazare qu’Il venait de ressusciter, Jésus-Christ montrait par là que les Prêtres ont reçu le pouvoir de délier337. C’est encore pour nous apprendre la même vérité que le Sauveur ayant guéri les dix lépreux, sur le chemin, leur ordonna d’aller se faire voir aux Prêtres et de se soumettre à leur décision. Et comme, selon la sage remarque du Concile de Trente, il est impossible de porter un jugement équitable, et de garder les véritables règles de la justice en punissant le crime dans une cause qui n’est point suffisamment instruite, et que l’on ne connaît point à fond, il s’ensuit que les pénitents sont obligés de révéler aux Prêtres, par la Confession, tous leurs péchés les uns après les autres.
Voilà donc ce que les Pasteurs enseigneront, conformément aux décisions du Concile de Trente. Et à la doctrine constante de l’Église catholique. Partout en effet nous trouvons, en lisant les Saints Pères avec attention, les témoignages les plus clairs pour établir que le sacrement de Pénitence a été institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ, et qu’il faut regarder comme vraiment évangélique la loi de la Confession sacramentelle, appelée par les Grecs exomologèse et exagoreuse (c’est-à-dire confession et manifestation d’une chose secrète). Et même, si nous consultons les figures de l’Ancien Testament, nous n’aurons pas de peine à reconnaître que c’est encore à la Confession qu’il faut rapporter ces sacrifices si variés qui étaient offerts par les Prêtres, pour expier les différentes sortes de péchés.
Mais s’il faut apprendre aux Fidèles que Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même a institué la Confession, il faut aussi les avertir que l’Église y a ajouté de son autorité certains rites, certaines cérémonies consacrées, qui, sans tenir à l’essence même du Sacrement, ne servent pas moins à en faire ressortir davantage la dignité et l’excellence ; toutes choses qui excitent la piété des pénitents, et qui disposent mieux leur cœur à recevoir la grâce de Dieu. En effet, lorsque nous confessons nos péchés, prosternés aux pieds du Prêtre, la tête découverte, les yeux baissés vers la terre, élevant des mains suppliantes, et donnant d’autres marques semblables d’humilité chrétienne qui ne sont pas essentielles, tout cela nous fait entendre clairement que nous devons reconnaître dans ce Sacrement une vertu vraiment céleste, et solliciter, en l’implorant avec la plus vive ardeur, la miséricorde divine.
Et qu’on se garde bien de penser que la Confession a été instituée par Notre-Seigneur Jésus-Christ dans des conditions telles que nous ne serions pas obligés d’en faire usage. Au contraire il faut que les Fidèles soient bien persuadés que tout homme coupable d’un péché mortel ne peut revenir à la vie de la Grâce que par la Confession sacramentelle. Et nous en avons une preuve sensible dans la figure employée par Notre-Seigneur pour exprimer le pouvoir d’administrer ce Sacrement ; il l’appelle la clef du Royaume des cieux. De même en effet qu’il n’est pas possible de pénétrer dans un endroit fermé sans le secours de celui qui en a la clef, de même aussi personne ne peut entrer au ciel, si les portes n’en sont ouvertes par les Prêtres à qui Jésus-Christ en a confié les clefs. Autrement l’usage des clefs semblerait nul dans l’Église, et ce serait en vain que celui qui aurait reçu le pouvoir de ces clefs voudrait interdire à quelqu’un l’accès du ciel, s’il y avait un autre moyen de s’en faire ouvrir l’entrée. Saint Augustin comprenait admirablement cette vérité, lorsqu’il s’écriait : non, que personne ne se dise : Je fais en secret pénitence devant le Seigneur, et Dieu de qui vient le pardon connaît bien ce que j’éprouve au fond du cœur. Car alors on aurait dit sans raison : ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel ; sans raison aussi les clefs auraient été confiées à l’Église de Dieu338. Tel est également le sentiment exprimé par Saint Ambroise, dans son livre de la Pénitence, livre qu’il écrivit pour détruire l’erreur des Novatiens qui prétendaient que Dieu seul a le pouvoir de remettre les péchés. Lequel des deux, dit-il, honore Dieu davantage, de celui qui obéit à ses Commandements, ou de celui qui y résiste ? Dieu nous a ordonné d’obéir à ses Ministres, et lorsque nous leur obéissons, c’est Dieu seul que nous honorons.
Puisqu’il est impossible de douter que la loi de la Confession a été portée et établie par Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même, il reste à examiner qui sont ceux que cette loi oblige, à quel âge, et en quel temps de l’année on doit la remplir.
Et d’abord, d’après le Canon du Concile de Latran, qui commence par ces mots : Tout Fidèle de l’un et de l’autre sexe, il est sûr et certain que personne n’est tenu à la loi de la Confession avant l’âge de raison. Mais cet âge ne peut être fixé d’une manière générale et positive. La règle en cette matière est de faire confesser les enfants, dès le moment où ils distinguent le bien du mal, et commencent à être capables de quelque ruse. Lorsqu’un homme est parvenu à cette époque de la vie où il peut et doit penser à son salut éternel, dès lors il est obligé de confesser ses péchés à un Prêtre, puisqu’il n’y a pas d’autre moyen de salut pour lui s’il est coupable de quelque péché mortel.
Quant au temps où il est particulièrement nécessaire de se confesser, l’Église l’a décidé et décrété dans le Canon dont nous avons déjà parlé. Elle ordonne à tous les Fidèles de confesser leurs péchés au moins une fois chaque année. Mais si nous faisons attention à ce que réclament les intérêts de notre salut, sans aucun doute, toutes les fois que nous sommes en danger de mort, ou bien que nous sommes obligés de faire une chose qu’un homme souillé de péchés n’est pas digne d’accomplir, comme par exemple d’administrer et de recevoir les Sacrements, toujours alors nous devons recourir à la Confession. Mais surtout nous devons user de ce moyen lorsque nous craignons d’oublier quelque faute. Car nous ne pouvons confesser que les péchés dont nous nous souvenons ; et nous n’obtenons point du Seigneur le pardon de nos fautes, si le sacrement de Pénitence ne les efface par la Confession.
Il y a encore plusieurs choses à observer dans la Confession. De ces choses, les unes sont nécessaires pour la validité du Sacrement, et les autres ne le sont pas absolument, toutes néanmoins doivent être expliquées avec exactitude. Il ne manque ni de traités, ni de commentaires où l’on peut puiser facilement, sur ces différents points, les explications désirables. Les Pasteurs enseigneront avant tout que nous devons nous efforcer de rendre nos confessions entières et complètes. Nous sommes obligés de découvrir au Prêtre tous nos péchés mortels. Pour les fautes vénielles, qui ne nous font pas perdre la grâce de Dieu, et dans lesquelles nous tombons plus souvent, s’il est bon et utile de les confesser, comme le prouve la pratique des personnes pieuses, cependant on peut les omettre sans péché, et les expier par beaucoup d’autres moyens. Mais pour les péchés mortels, il faut, comme nous venons de le dire, les énumérer tous, les uns après les autres, quand même ils seraient extrêmement secrets, et du genre de ceux qui sont défendus par les deux derniers Commandements du Décalogue. Car il arrive assez souvent que ces sortes de péchés blessent plus dangereusement l’âme que ceux que l’on commet ouvertement et en public. Et c’est ce que le Saint Concile de Trente a défini, et que l’Église catholique a toujours enseigné, comme on peut le voir par le témoignage des saints Pères. Saint Ambroise dit : Nul ne peut être justifié de son péché, s’il ne le confesse339. Saint Jérôme, commentant l’Ecclésiaste, confirme pleinement la même vérité. Quand le serpent infernal, dit-il, a mordu quelqu’un secrètement et sans témoin et qu’il l’a infecté du venin du péché, si celui-ci se tait, qu’il ne fasse point pénitence et qu’il ne veuille point découvrir sa blessure à son frère ou à son supérieur, le supérieur qui avait les paroles pour le guérir, ne pourra lui être utile en rien. Saint Cyprien enseigne clairement la même chose dans le traité de Lapsis, (c’est-à-dire de ceux qui sont tombés dans la persécution.) Quoique ces personnes, dit-il, n’aient point commis en effet le crime de sacrifier ou de recevoir un certificat, néanmoins, parce qu’elles en ont eu la pensée, elles doivent s’en confesser avec douleur au Prêtre de Dieu. Enfin tel est le sentiment et la voix unanime de tous les Docteurs de l’Église. D’où il suit qu’il faut apporter dans la Confession la même application et le même soin que l’on a coutume de donner aux affaires les plus importantes, et de concentrer si bien ses efforts sur ce point que l’on puisse guérir les plaies de son âme, et arracher de son cœur les racines du péché.
Mais ce n’est pas assez de confesser et d’expliquer les fautes graves ; nous devons également faire connaître les circonstances qui les ont accompagnées, et qui en augmentent ou en diminuent notablement la malice. Car il y a des circonstances si considérables qu’elles suffisent seules pour imprimer à une faute le caractère du péché mortel. C’est pourquoi on est toujours obligé de les confesser. Si par exemple quelqu’un a tué un homme, il doit dire si cet homme était laïque ou ecclésiastique. De même, si le péché a entraîné un complice, il est nécessaire de faire connaître si cette personne était libre, mariée, parente, ou consacrée à Dieu par un vœu. Car toutes ces circonstances sont autant de péchés d’espèce différente. C’est pourquoi les Docteurs dans la science sacrée distinguent toujours les fautes en les désignant suivant les circonstances qui les accompagnent et qui peuvent augmenter ou diminuer le degré de culpabilité. Le vol aussi est un péché, mais celui qui vole un écu fait un péché moins grave que celui qui en prend cent, deux cents, ou davantage, ou qui s’empare des biens d’Église. Il faut dire la même chose des circonstances de temps et de lieu ; mais on trouve là-dessus dans un grand nombre de livres des exemples trop connus pour que nous les citions ici. On est donc obligé, avons-nous dit, de déclarer toutes ces circonstances. Quant à celles qui n’augmentent pas beaucoup la malice du péché, on peut les omettre sans crime. Mais c’est une chose tellement nécessaire que la Confession soit entière et parfaite, comme nous le disions plus haut, que si quelqu’un omettait exprès et de propos délibéré, quelqu’une de ces circonstances, en confessant les autres d’ailleurs, non seulement il ne tirerait aucun fruit de cette Confession, mais encore il commettrait un nouveau péché. Une semblable déclaration ne saurait être regardée comme une véritable Confession sacramentelle. Bien plus, le pénitent est obligé de recommencer cette Confession, et de s’accuser spécialement d’avoir profané la sainteté du sacrement de Pénitence par une Confession simulée. Mais s’il arrive pour quelque autre motif que la Confession ne soit pas entière, soit parce que le pénitent aura oublié quelque péché, soit parce qu’il aura mis quelque négligence à examiner sa conscience, lorsque cependant il avait l’intention positive de confesser entièrement tous ses péchés, il ne sera point nécessaire de la recommencer ; et si ces péchés oubliés lui reviennent à la mémoire, il suffira de les déclarer au Prêtre dans un autre moment. Toutefois il faut bien voir ici si l’on n’a point examiné sa conscience avec trop de mollesse et de lâcheté, et si le peu de soin qu’on a mis à se rappeler ses péchés ne montre pas que précisément l’on n’avait point la volonté de s’en souvenir. S’il en était ainsi, il faudrait absolument recommencer la Confession.
Il est nécessaire en second lieu que l’accusation soit claire, simple et sincère. Elle ne doit point être faite avec art, comme il arrive à quelques-uns qui semblent plutôt exposer la justification de leur conduite que confesser leurs péchés. Non, la Confession doit être telle qu’elle nous fasse connaître au Prêtre, comme nous nous connaissons nous-mêmes, et qu’elle donne le certain pour certain, et pour douteux ce qui n’est pas sûr. Qualité qui manque évidemment à la Confession, quand on ne passe pas en revue chacun de ses péchés, ou que l’on dit des choses étrangères à ce que l’on doit dire.
D’autre part, on ne saurait trop louer ceux qui mettent de la discrétion et de la modestie dans l’accusation et l’explication de leurs fautes, trop de paroles ne valent rien. Il faut dire brièvement et avec retenue ce qui est nécessaire pour faire connaître la nature et la qualité de chaque faute.
En quatrième lieu, un des principaux soins, aussi bien du pénitent que du Confesseur, c’est de faire en sorte que tout ce qui se dit en Confession reste enseveli dans le secret. C’est pourquoi il n’est pas permis de se confesser par procureur ou par lettre, parce que le secret ne peut être assez exactement gardé par ces deux moyens.
Mais ce que les Fidèles doivent avoir le plus à cœur, c’est de purifier souvent leur conscience par la confession de leurs fautes. Dès qu’on a eu le malheur de tomber en quelque péché mortel, rien ne peut être plus salutaire, à cause des dangers nombreux qui nous menacent sans cesse, que de s’en confesser sans retard. Et d’ailleurs, quand même nous pourrions tous nous promettre une longue carrière ici-bas, ne serait-ce pas une chose vraiment honteuse que, nous qui sommes si empressés à enlever les taches de nos corps et de nos vêtements, nous fussions moins zélés pour purifier notre âme des hideuses souillures du péché ?
Parlons maintenant du Ministre du sacrement de Pénitence.
Ce Ministre, c’est le Prêtre qui a le pouvoir ordinaire ou délégué d’absoudre. Sur ce point les Lois ecclésiastiques sont très claires. Toutefois, pour remplir la fonction dont il s’agit, le pouvoir d’Ordre ne suffit pas, il faut de plus le pouvoir de juridiction. Nous avons une preuve très frappante de cette vérité dans les paroles que Saint Jean met dans la bouche de Notre-Seigneur Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez340. Or, ce pouvoir n’a pas été donné à tous les hommes, mais seulement aux Apôtres. Et les Apôtres ont eu les Prêtres pour successeurs dans ce ministère. C’est d’ailleurs une chose très naturelle et entièrement conforme à la raison. Car les grâces que nous recevons dans ce Sacrement nous viennent toutes de Jésus-Christ, comme d’un Chef dont nous sommes les membres ; et par conséquent ceux-là seuls doivent administrer la Pénitence au corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire aux Fidèles, qui possèdent le pouvoir de consacrer son véritable Corps ; d’autant plus que c’est par ce même Sacrement que les Chrétiens se rendent capables et dignes de recevoir la sainte Eucharistie.
Pour comprendre combien en cette matière le droit du Prêtre ordinaire était réservé et sacré dans la primitive Église, il suffit de connaître les anciens Décrets des Pères, qui défendaient à tout Évêque et à tout Prêtre d’exercer le moindre ministère dans la Paroisse d’un autre, sans l’autorisation de celui qui la gouvernait, ou bien sans une pressante nécessité. Ainsi l’avait réglé l’Apôtre Saint Paul lui-même, lorsqu’il ordonnait à Tite d’établir des Prêtres dans toutes les villes341, pour nourrir et fortifier les Fidèles par le céleste Aliment de la Doctrine et des Sacrements.
Cependant quand il y a danger de mort et que l’on ne peut se confesser à son propre Pasteur, le Concile de Trente nous enseigne que l’Église, pour ne laisser perdre aucune âme dans ces circonstances, a toujours été dans l’usage de permettre à tous les Prêtres d’absoudre de toutes sortes de péchés, quel que fût le pouvoir nécessaire à cet effet, et même de l’excommunication.
Ce n’est pas assez que le Prêtre soit revêtu des pouvoirs d’Ordre et de juridiction, qui d’ailleurs lui sont absolument nécessaires ; il est indispensable qu’il possède les lumières, la science et la prudence de son état, puisqu’il remplit en même temps les fonctions de juge et de médecin. Comme juge, il est évident qu’il lui faut une science plus qu’ordinaire, soit pour découvrir les péchés, soit pour distinguer, au milieu de leurs nombreuses espèces, ceux qui sont graves de ceux qui sont légers, selon la condition, le rang et la classe de chacun. Comme médecin, il a besoin aussi de la plus grande prudence, puisqu’il doit mettre tous ses soins à donner au malade les remèdes les plus propres à guérir son âme, et à le prémunir contre les rechutes dans le mal. Et c’est ce qui doit faire comprendre aux Fidèles avec quelle attention chacun d’eux doit se choisir un Prêtre recommandable par l’intégrité de sa vie, par sa science, sa sagesse, son jugement sûr, un Prêtre enfin qui se rende compte de l’importance et de la gravité du ministère qui lui est confié, qui sache appliquer dans les divers cas les pénitences convenables, et reconnaître qui sont ceux qu’il faut lier, ou délier.
Mais comme il n’y a personne qui ne désire très vivement cacher ses crimes et la honte de ses fautes il faut avertir les Fidèles qu’ils ne doivent craindre en aucune façon que le Prêtre à qui ils se seront confessés révèle jamais à personne les péchés qu’ils lui auront fait connaître, ni qu’il puisse jamais leur arriver aucun mal par suite de la Confession. Les lois et décrets de l’Église veulent que l’on sévisse de la manière la plus rigoureuse contre les Prêtres qui ne tiendraient pas ensevelis dans un silence éternel et sacré tous les péchés qu’ils auraient connus par la Confession. Aussi lisons-nous dans les actes du Concile général de Latran : Que le Prêtre tremble de jamais trahir le pécheur par un mot, par un signe, ou de toute autre manière342.
Après avoir parlé du ministre du sacrement de Pénitence, l’ordre des choses demande que nous expliquions certains points principaux, qui ont rapport à l’usage de la Confession et à la manière dont le Prêtre doit agir dans l’administration de ce Sacrement. Un grand nombre de Fidèles, hélas ! ne désirent rien tant que de voir s’écouler les jours fixés par l’Église pour la Confession. Ils sont si éloignés de la perfection chrétienne qu’ils cherchent à peine à se rappeler leurs péchés pour les accuser au Prêtre, bien loin d’apporter la diligence et le soin qui seraient nécessaires pour attirer sur eux la grâce de Dieu. Néanmoins, comme les Prêtres ne doivent rien négliger pour le salut de leurs pénitents, leur premier soin sera d’examiner attentivement s’ils ont une véritable Contrition de leurs péchés, et s’ils sont sincèrement et fermement résolus à ne plus pécher dans la suite. S’ils les trouvent réellement dans ces dispositions, ils s’appliqueront de toutes leurs forces à les exhorter vivement à rendre grâces à Dieu de tout leur cœur, pour un bienfait si grand et si précieux, et à implorer sans cesse le secours de la grâce céleste, afin que protégés et couvert par elle, ils puissent résister et tenir tête à leurs mauvaises passions.
Une autre pratique qu’il faut également recommander aux pénitents, c’est de ne passer aucun jour sans méditer quelqu’un des Mystères de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et sans s’exciter, avec toute l’ardeur possible, à L’imiter et à L’aimer d’un amour souverain. Cette méditation les rendra de jour en jour plus forts contre les tentations du démon. En effet si nous succombons si promptement et si facilement à la moindre attaque de l’ennemi, c’est que nous négligeons d’entretenir et d’exciter dans nos cœurs par la contemplation des choses du ciel le feu de cet amour divin qui seul peut raffermir et relever notre courage. Mais si le Confesseur s’aperçoit que celui qui lui accuse ses péchés n’est pas véritablement contrit et repentant, il doit s’efforcer de lui inspirer un amour très vif de la Contrition, afin qu’enflammé par le désir d’obtenir un don si excellent, il se mette aussitôt à l’implorer et à le solliciter humblement de la miséricorde de Dieu.
Mais il faut particulièrement s’attacher à réprimer l’orgueil de ceux qui cherchent par des excuses, soit à justifier, soit à diminuer leurs péchés. Il en est, par exemple, qui, en s’accusant de s’être mis dans une violente colère, en rejettent aussitôt la cause sur un autre dont ils se plaignent d’avoir reçu les premiers une injure. Il faut les avertir que ces sortes d’excuses sont la marque d’un esprit orgueilleux, et d’un homme qui ne réfléchit pas à la grandeur de son péché, ou qui ne la comprend nullement ; et qu’elles sont bien plus propres à augmenter leurs fautes qu’a les diminuer. Car prétendre justifier ainsi sa conduite, c’est sembler dire ouvertement que l’on aura de la patience quand on ne sera injurié par personne. Y a-t-il rien qui soit plus indigne d’un Chrétien ? Au lieu de déplorer le sort de celui qui a fait l’injure, et d’être affligé de la perversité de son action, on s’irrite contre lui, contre son frère ; et bien loin de profiter d’une si belle occasion d’honorer Dieu par la patience, et de corriger son frère par mansuétude, on fait tourner à sa perte un sujet de mérites.
Cependant, c’est une faute bien plus funeste encore de ne pas oser confesser ses péchés, parce qu’on est retenu par une mauvaise honte. Il faut encourager ceux qui ont ce malheur, et leur représenter qu’ils n’ont rien à craindre en découvrant leurs fautes, puisque leur Confesseur ne s’étonnera jamais de trouver les hommes pécheurs : c’est là en effet un mal qui est commun à tous, et qui est une suite naturelle de la faiblesse et de la fragilité humaine.
Il en est d’autres qui, parce qu’ils se confessent trop rarement, ou parce qu’ils n’ont pris aucune peine, pour examiner leur conscience et reconnaître leurs péchés, ne savent ni expliquer leurs fautes, ni par où commencer l’accomplissement de ce devoir. Ceux-là doivent être repris plus vivement, et surtout il faut bien leur montrer qu’avant de se présenter au Prêtre, chacun de nous doit faire tous ses efforts pour avoir la Contrition de ses péchés et que l’on ne peut jamais atteindre ce but, si l’on ne s’applique à les reconnaître en les repassant dans sa mémoire les uns après les autres. C’est pourquoi, lorsque le Confesseur rencontrera des pénitents aussi peu préparés, ils les renverra dans les termes les plus bienveillants, et il les exhortera à prendre quelque temps pour penser à leurs fautes, et à revenir ensuite. Mais si ces pénitents affirment qu’ils ont apporté à cette affaire tous leurs soins et toute leur diligence, le Prêtre — dans la crainte trop fondée qu’une fois renvoyés, ils ne reviennent plus — se fera un devoir de les entendre, surtout s’ils montrent quelque désir de s’amender, et si lui-même peut les amener à reconnaître leur négligence, et à promettre qu’une autre fois ils feront un examen plus soigné et plus exact. Cependant ceci demande beaucoup de précautions : car si après avoir entendu la Confession de ces pénitents, le Prêtre juge qu’ils n’ont manqué ni d’exactitude en accusant leurs péchés, ni de douleur et de Contrition en les regrettant, il pourra les absoudre. Mais s’il s’aperçoit que l’une et l’autre de ces deux choses ont fait défaut, il leur conseillera et tâchera de les persuader d’examiner leur conscience avec plus d’attention, ainsi que nous venons de le dire, et il les renverra, après leur avoir parlé avec toute la douceur possible.
Et comme il arrive quelquefois aux femmes, lorsqu’elles ont oublié quelque péché en Confession, de n’oser pas retourner au Confesseur dans la crainte d’être soupçonnées de quelque grand désordre, ou de chercher à se donner la réputation d’une piété extraordinaire, il faudra enseigner souvent, et en public et en particulier, que personne ne peut avoir assez de mémoire pour se rappeler toutes ses actions, toutes ses paroles, et toutes ses pensées ; que par conséquent rien ne doit empêcher les Fidèles d’aller de nouveau trouver le Prêtre, lorsqu’ils se souviennent de quelque péché oublié auparavant.
Telles sont en général les règles que les Prêtres ont à observer dans la Confession. Venons maintenant à la troisième partie du sacrement de Pénitence, qui s’appelle la Satisfaction.
De la Satisfaction
Il convient d’abord d’expliquer le mot de Satisfaction, et d’en préciser la portée. Car les ennemis de la Foi catholique ont pris occasion de ce mot pour semer la division et la discorde parmi les Chrétiens, et au grand détriment de la Religion.
La Satisfaction est le paiement intégral d’une dette : Car qui dit satisfaction, dit une chose à laquelle rien ne manque. Par exemple, en matière de réconciliation, satisfaire signifie accorder à un cœur irrité tout ce qu’il faut pour le venger de l’injure qu’on lui a faite. D’où il suit que la satisfaction n’est pas autre chose que la compensation, (ou réparation) de l’injure faite à quelqu’un. Et pour en venir à l’objet qui doit nous occuper ici, les Docteurs de l’Église ont employé ce mot de Satisfaction pour exprimer cette compensation qui s’établit, lorsque l’homme paie quelque chose à Dieu pour les péchés qu’il a commis.
Et comme cette compensation peut avoir plusieurs degrés différents, on a distingué aussi plusieurs sortes de Satisfaction. La première et la plus excellente est celle qui a payé suffisamment à Dieu tout ce que nous devions pour nos péchés, quand même il aurait voulu traiter avec nous en toute rigueur de justice. Mais nous ne regardons comme telle que la Satisfaction qui a apaisé Dieu et nous L’a rendu propice. Et c’est à Jésus-Christ seul que nous en sommes redevables. Car c’est Lui qui sur la Croix a payé la dette de nos péchés, et a satisfait surabondamment à la justice de Dieu pour nous. Rien de créé n’aurait pu être d’un prix assez grand pour nous libérer d’une dette si considérable. Mais, comme dit Saint Jean : Jésus-Christ est Lui-même la Victime de propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux du monde entier343. Cette Satisfaction est donc pleine et complète. Elle est proportionnée d’une manière parfaite et adéquate au poids de tous les crimes qui ont été commis, et qui se commettent en ce monde. C’est elle seule qui donne du prix et du mérite à nos actions devant Dieu. Sans elle, elles seraient vaines et dénuées de toute valeur réelle. C’est là ce que David semblait avoir en vue quand, se recueillant en lui-même, il s’écriait : Que rendrai-je au Seigneur pour tous les bienfaits qu’Il m’a accordés ?344 et que ne trouvant, pour reconnaître tant de faveurs, que la Satisfaction dont nous parlons, et à laquelle il donne le nom de calice, il ajoutait : Je prendrai le calice de salut, et j’invoquerai le nom du Seigneur.
Une autre espèce de Satisfaction est celle que l’on appelle canonique, et qui s’accomplit dans un temps fixe et déterminé. C’est un usage suivi dès la plus haute antiquité dans l’Église, d’infliger quelque peine aux pénitents, lorsqu’ils reçoivent l’Absolution de leurs péchés, et l’accomplissement de cette peine s’est toujours appelé Satisfaction.
Enfin on donne encore le nom de Satisfaction à toutes les peines que nous subissons pour nos péchés, sans les recevoir des mains du Prêtre, mais en nous les imposant nous-mêmes, et en nous les infligeant par notre propre volonté. Mais ces peines ne font point partie du sacrement de Pénitence. Celles-là seules lui appartiennent qui nous sont imposées par l’autorité du Prêtre, pour payer à Dieu ce que nous Lui devons pour nos péchés : encore faut-il que nous ayons dans l’âme la résolution très sincère et très ferme de faire tous nos efforts pour éviter de l’offenser à l’avenir. En effet quelques-uns ont dit que satisfaire, c’est rendre à Dieu l’honneur qui lui est dû. Mais il est évident que nul ne peut Lui rendre cet honneur, s’il n’est résolu à fuir absolument le péché. Par conséquent satisfaire, c’est détruire les causes du péché, et lui fermer l’entrée de nos cœurs. Dans le même ordre d’idées, d’autres ont affirmé que la satisfaction purifie notre âme des restes de souillures que la tache du péché y avait laissées et qu’elle acquitte les peines temporelles qui nous restaient à supporter.
Les choses étant ainsi, il ne sera pas difficile de faire sentir aux Fidèles combien il est nécessaire aux pénitents de s’exercer à cette pratique de la Satisfaction. Il faudra leur apprendre que le péché entraîne après lui deux choses, la tâche et la peine. Et bien que la remise de la faute renferme toujours en elle celle du supplice de la mort éternelle, préparé dans les enfers, cependant il arrive souvent, comme l’a déclaré le Concile de Trente345 que Dieu ne remet pas en même temps certains restes du péché, et la peine temporelle qui lui est due. Nous avons des preuves non équivoques de cette vérité dans plusieurs endroits de nos Saintes Lettres, au 3e chapitre de la Genèse, aux 12e et 22e chapitres des nombres, et dans beaucoup d’autres passages, mais dont le plus célèbre et le plus frappant est celui de David. Le Prophète Nathan lui avait dit : Le Seigneur n’a point retenu votre péché, vous ne mourrez point346. Et cependant il s’imposa volontairement des peines très grandes, implorant jour et nuit la miséricorde de Dieu en ces termes : Lavez-moi de plus en plus de mon iniquité, et purifiez-moi de mon péché ; parce que je connais mon iniquité, et mon péché est toujours devant moi347. Par ces paroles il demandait au Seigneur, non seulement le pardon de son crime, mais encore la remise de la peine qu’il avait méritée ; et il Le conjurait de le purifier de tous les restes de ses fautes, et de le rétablir dans son premier état d’innocence et de gloire. Cependant, malgré toute la ferveur de ses prières, le Seigneur ne laissa pas de le punir, et par la perte de l’enfant né après sa faute, et par la révolte et la mort d’Absalon qu’il aimait tendrement, et par plusieurs autres peines et châtiments, dont Il l’avait auparavant menacé. Nous voyons encore dans l’Exode que le Seigneur apaisé par les prières de Moïse, pardonna au peuple son idolâtrie : ce qui ne L’empêcha pas d’annoncer qu’Il en tirerait une vengeance très sévère et Moïse lui-même déclara que le Seigneur le punirait de ce crime, avec la dernière rigueur, jusqu’à la troisième et quatrième génération. Quant à l’Église catholique, sa Doctrine n’a jamais varié sur ce point, et tous les écrits des Pères prouvent qu’elle n’a pas cessé de croire cette vérité.
Mais comment se fait-il que le sacrement de Pénitence ne remette pas avec le péché toutes les peines qui lui sont dues, aussi bien que le Baptême ? C’est ce que nous explique fort bien le Concile de Trente, en ces termes : La justice divine semble exiger, dit-il, que la réconciliation soit accordée différemment à ceux qui ont péché par ignorance avant le Baptême, et à ceux qui, délivrés du péché et de l’esclavage du démon, après avoir reçu le don du Saint-Esprit, ne craignent pas cependant de profaner sciemment le temple de Dieu, et de contrister le Saint-Esprit.
D’ailleurs, il convient à la clémence divine de ne pas nous remettre nos péchés, sans exiger de nous quelque satisfaction. Autrement nous serions exposés à regarder nos fautes comme moindres qu’elles ne sont, et, à la première occasion, à tomber dans d’autres plus graves, par un mépris souverainement injurieux au Saint-Esprit, nous amassant ainsi à nous-mêmes un trésor de colère pour le jour de la vengeance348. Il est hors de doute que les peines satisfactoires sont comme un frein puissant pour nous retenir, et nous empêcher de retomber dans le mal. Par la même raison elles rendent les pénitents beaucoup plus circonspects et plus vigilants pour l’avenir.
On peut ajouter que ces pénitences sont comme des témoignages Publics de la douleur que nous font éprouver nos péchés, et par là même un moyen de satisfaire à l’Église qui a été grièvement offensée par nos crimes. Car, comme dit Saint Augustin, Dieu ne rejette point un cœur contrit et humilié349. Mais comme la douleur d’un cœur est ordinairement cachée pour un autre, et qu’elle ne se manifeste au dehors ni par des paroles ni par d’autres signes, c’est avec raison que les Pasteurs de l’Église ont établi des temps de Pénitence, pendant lesquels on satisfait à l’Église, de qui l’on reçoit la rémission de ses péchés.
D’un autre côté, nos exemples de pénitence apprennent aux autres comment ils doivent régler leur conduite et pratiquer la piété. Lorsque nos semblables sont témoins des peines qui nous sont infligées pour nos péchés, ils en concluent qu’ils doivent vivre toujours dans la plus grande vigilance et réformer leurs mœurs. Voilà pourquoi l’Église avait voulu avec beaucoup de sagesse imposer une pénitence publique à celui qui avait commis publiquement quelque faute, afin que les autres, frappés d’une salutaire terreur, fussent désormais plus attentifs à éviter le péché. Cette loi s’étendait même quelquefois aux crimes secrets, lorsqu’ils étaient très graves. Mais pour les fautes publiques, c’était un usage constant et invariable de ne point absoudre ceux qui en étaient coupables, avant qu’ils n’eussent subi et achevé leur pénitence publique. Pendant ce temps, les Pasteurs priaient Dieu pour leur salut, et ils ne cessaient d’exhorter les pénitents à faire de même. C’est en cela que l’on vit briller surtout le zèle et la sollicitude de Saint Ambroise. Ses larmes, dit-on, attendrissaient tellement certains pécheurs qui venaient lui demander l’Absolution avec un cœur endurci, qu’il leur inspirait la douleur d’une véritable Contrition. Mais dans la suite, il y eut tant de relâchement dans la sévérité de l’ancienne discipline, et la Charité se trouva si refroidie que la plupart des fidèles ne regardent plus la douleur intérieure de l’âme et les gémissements du cœur comme nécessaires pour obtenir le pardon de leurs péchés, et qu’ils croient suffisant de montrer les dehors et les apparences du repentir.
Les peines satisfactoires qui nous sont imposées ont encore cet avantage de nous faire retracer l’image et la ressemblance de Jésus-Christ notre Chef, qui Lui-même a été éprouvé, et a subi toutes sortes de souffrances. On ne peut rien voir de plus difforme, dit Saint Bernard, qu’un membre délicat sous un chef couronné d’épines350. D’ailleurs au témoignage de l’Apôtre, nous ne sommes les cohéritiers du Sauveur, qu’autant que nous souffrons avec Lui351 et comme il est écrit dans un autre endroit : Si nous mourons avec Lui, nous vivrons aussi avec Lui ; si nous souffrons avec Lui, nous régnerons aussi avec Lui352.
Saint Bernard établit encore que l’on trouve deux choses dans le péché : une tache pour l’âme, et une plaie ; qu’à la vérité la miséricorde de Dieu enlève la tache, mais que pour guérir la plaie du péché, il faut nécessairement ce traitement que l’on emploie comme remède dans la Pénitence. Lorsqu’une blessure est guérie, il demeure encore des cicatrices, qui elles-mêmes ont besoin de guérison ainsi l’âme, après la remise de sa faute, conserve encore quelques restes de ses péchés, dont elle a besoin de se purifier. C’est ce que dit très bien Saint Jean Chrysostome en ces termes : Ce n’est pas assez d’arracher la flèche du corps ; il faut de plus guérir la blessure qui a été faite par la flèche353. De même, après avoir reçu le pardon de ses péchés, il faut encore traiter par la Pénitence la plaie qui reste dans l’âme. Saint Augustin ne cesse de nous représenter qu’il y a deux choses à considérer dans le sacrement de Pénitence : la miséricorde de Dieu et sa justice ; la miséricorde qui remet les péchés et les peines éternelles qui leur sont dues, la justice qui inflige à l’homme des peines limitées par le temps.
Enfin les Satisfactions du Sacrement de Pénitence nous font éviter les châtiments de Dieu et les supplices qui nous étaient réservés. Ainsi l’enseigne l’Apôtre : Si nous nous jugions nous-mêmes, dit-il, nous ne serions certainement point jugés ; mais lorsque nous sommes jugés, c’est le Seigneur qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde354.
Si les Pasteurs expliquent avec soin ces vérités, il est presque impossible que les Fidèles n’embrassent pas avec ardeur les œuvres de la Pénitence. Mais ce qui démontre parfaitement l’efficacité de cette Pénitence, c’est qu’elle tire toute sa vertu des mérites de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ces mérites communiquent à nos bonnes œuvres en général deux immenses avantages : l’un est de nous faire mériter les récompenses et la gloire éternelle, au point qu’un verre d’eau froide, donné au nom du Sauveur, ne sera pas perdu ; et l’autre de satisfaire à Dieu pour nos péchés.
Et n’allons pas croire que nos satisfactions diminuent celle de Notre-Seigneur, si abondante et si parfaite. Au contraire elles ne servent qu’à la rendre plus éclatante et plus glorieuse encore, s’il est possible. En effet la grâce de Jésus-Christ paraît d’autant plus abondante qu’elle nous fait participer non seulement à ce qu’Il a mérité et payé Lui-même, mais encore aux mérites et au prix qu’Il a communiqués aux Justes et au Saints, comme un Chef à ses membres. Et voilà évidemment ce qui donne tant de valeur et d’importance aux bonnes œuvres des vrais Chrétiens ! Comme la tête communique la vie aux membres, comme la vigne fait passer la sève dans toutes ses branches, ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ ne cesse de répandre sa Grâce sur ceux qui Lui sont unis par la Charité. Et cette grâce précède, accompagne et suit toujours nos œuvres. Sans elle nous ne pouvons ni mériter, ni satisfaire en aucune façon à la justice de Dieu. Ainsi rien ne manque aux justes : par les œuvres qu’ils opèrent avec le secours divin, ils peuvent d’un côté satisfaire à Dieu et à sa Loi, autant que le comporte la fragilité humaine, et de l’autre mériter la Vie Éternelle dont ils entreront en possession, s’ils meurent en état de grâce. La parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ est formelle : Celui qui boira l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif ; et cette eau que je lui donnerai deviendra en lui une fontaine qui jaillira pour la Vie Éternelle355.
Mais il y a deux choses nécessaires dans la Satisfaction. La première, que celui qui satisfait soit juste et ami de Dieu. Les œuvres qui ne sont pas faites dans la Foi et dans la Charité ne sauraient être agréables à Dieu. La seconde, que les œuvres que l’on accomplit soient de nature à causer de la douleur et de la peine. Puisqu’elles sont une véritable compensation des péchés passés et, comme parle le martyr Saint Cyprien la rançon des péchés, il est de toute nécessité qu’elles présentent quelque chose de difficile et de pénible — bien qu’il n’arrive pas toujours à ceux qui s’exercent à ces œuvres de mortification d’éprouver le sentiment de la douleur. Souvent l’habitude de souffrir, ou une Charité ardente empêchent de sentir les choses les plus dures à supporter par elles-mêmes. Cependant ces sortes d’actions ne laissent pas de posséder la vertu de satisfaire. C’est même le propre des enfants de Dieu d’être tellement enflammés des sentiments de l’amour et de la piété, qu’au milieu des plus cruelles souffrances, ils ne ressentent aucune douleur ou du moins qu’ils supportent tout avec un cœur plein de joie.
Les Pasteurs enseigneront que tous les genres de Satisfactions peuvent se ramener à trois sortes d’œuvres : la Prière, le Jeûne et l’Aumône, lesquels répondent parfaitement aux trois sortes de biens que nous avons reçus de Dieu, les biens de l’âme, les biens du corps et ceux que l’on appelle les avantages extérieurs. Rien n’est plus propre ni plus efficace que ces trois sortes d’œuvres pour extirper les racines de tous les péchés. Puisque, selon l’Apôtre Saint Jean, Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie356, il n’est personne qui ne voie qu’à ces trois sources de maladies, on a eu bien raison d’opposer trois excellents remèdes, à la première le Jeûne, à la seconde l’Aumône, et à la troisième la Prière. D’autre part, si nous considérons ceux que nos péchés offensent, il nous sera facile de comprendre pourquoi toute satisfaction se rapporte à ces trois choses. En effet le péché offense Dieu, le prochain et nous-mêmes ; or par la Prière nous apaisons Dieu, par l’Aumône nous donnons satisfaction au prochain, et par le Jeûne nous nous mortifions nous-mêmes.
Mais comme une foule de peines et de calamités diverses nous accablent tant que nous sommes dans cette vie, il faut bien apprendre aux Fidèles que ceux qui supportent avec patience tout ce que Dieu leur envoie de pénible et d’affligeant trouvent précisément là une source abondante de satisfaction et de mérites ; tandis que ceux qui n’endurent ces sortes d’épreuves qu’avec répugnance et malgré eux se privent de tous les avantages des œuvres satisfactoires, et ne font que subir la punition et le juste châtiment de Dieu qui se venge de leurs péchés.
Mais ce qui doit nous faire exalter, par les louanges et les actions de grâces les plus vives, l’infinie bonté et la miséricorde de Dieu, c’est qu’Il a bien voulu nous accorder à nous si faibles et si misérables de pouvoir satisfaire les uns pour les autres. C’est là en effet une propriété spéciale qui n’appartient qu’à la Satisfaction. S’il s’agit de la Contrition et de la Confession, personne ne peut ni se repentir, ni se confesser pour un autre ; mais ceux qui possèdent la Grâce divine peuvent au nom d’un autre payer à Dieu ce qui Lui est dû : C’est ainsi que nous portons en quelque sorte le fardeau les uns des autres357. Et personne parmi nous ne saurait douter de cette vérité, puisque nous confessons dans le Symbole des Apôtres la communion des Saints. Dès lors que nous renaissons tous à Jésus-Christ, purifiés par le même Baptême, que nous participons tous aux mêmes Sacrements, et surtout que nous avons pour aliment et pour breuvage réparateurs le même Corps et le même Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il est aussi certain qu’évident que nous sommes tous les membres d’un seul et même corps. Et si le pied, par exemple, ne remplit pas ses fonctions uniquement pour lui, mais encore au profit des yeux, et si les yeux ne voient pas pour eux seuls, mais aussi pour l’avantage commun de tous les membres, les œuvres satisfactoires peuvent être également communes entre nous tous.
Cependant ceci, pour être vrai, ne doit pas s’entendre sans restriction, si nous envisageons en général tous les avantages que la satisfaction nous procure. Car les œuvres satisfactoires sont aussi comme un traitement et un remède prescrits au pénitent pour guérir les affections déréglées de son âme. Mais il est évident que cet effet particulier ne peut s’appliquer à ceux qui ne satisfont point par eux-mêmes.
Voilà donc ce que les Pasteurs auront à exposer d’une manière claire et détaillée sur les trois parties du sacrement de Pénitence : La Contrition, la Confession et la Satisfaction. Toutefois il est une chose que les Confesseurs doivent observer avec le plus grand soin, c’est après avoir entendu l’aveu des fautes du pénitent, et avant de l’absoudre, de l’obliger à la réparation suffisante des torts qu’il a pu faire au prochain, dans ses biens ou dans sa réputation, si ces torts semblent assez grands pour l’exposer à la damnation éternelle. Nul ne doit être absous, s’il ne promet de restituer à chacun ce qui lui appartient. Et comme il s’en trouve plusieurs qui s’engagent par beaucoup de paroles à s’acquitter de ce devoir, mais n’en sont pas moins décidés et résolus à ne point tenir leurs promesses, il faut absolument les obliger à restituer, et leur rappeler souvent ces mots de l’Apôtre : que celui qui dérobait, ne dérobe plus, mais qu’il s’occupe plutôt à travailler de ses mains à quelque ouvrage bon et utile, afin qu’il ait de quoi donner à ceux qui sont dans le besoin358.
Quant aux pénitences à imposer aux pécheurs, les confesseurs ne les prescriront point d’une manière arbitraire ; ils suivront en cela les règles de la justice, de la prudence et de la piété. Et pour montrer aux pénitents qu’ils mesurent leurs fautes d’après ces règles, comme aussi pour leur en faire sentir davantage la gravité, il sera bon qu’ils leur rappellent de temps en temps les peines que les anciens Canons Pénitentiaux avaient fixées pour certains péchés. En un mot la nature de la faute doit être la mesure générale de la Satisfaction.
Mais de toutes les œuvres satisfactoires que l’on peut imposer aux pénitents, la plus convenable, c’est qu’ils s’appliquent à la Prière à certains jours et pendant un certain temps, et qu’ils prient pour tout le monde, et surtout pour ceux qui sont morts dans le Seigneur.
Il faut aussi les exhorter à reprendre quelquefois et à recommencer d’eux-mêmes les œuvres de satisfaction prescrites par le Confesseur, et à acquérir des dispositions telles qu’après avoir accompli tout ce qui se rapporte au Sacrement de Pénitence, ils n’abandonnent jamais les pratiques de la vertu de Pénitence.
Si quelquefois pour un crime public on se voit dans l’obligation d’infliger une pénitence publique, et que le pénitent la repousse et supplie d’en être exempté, on ne devra point l’écouter trop facilement ; au contraire, il faudra lui persuader de se soumettre volontiers et avec empressement à une peine qui doit être salutaire et à lui et aux autres.
En enseignant ces choses sur le sacrement de Pénitence, et sur chacune de ses parties, le Pasteur aura pour but non seulement de les faire connaître exactement, mais encore d’amener les Fidèles à les mettre en pratique avec un véritable esprit de religion et de piété.
Lorsque les saints Oracles des Écritures nous disent : Dans toutes vos actions, souvenez-vous de vos fins dernières, et jamais vous ne pécherez359, ils avertissent assez les Pasteurs de ne laisser échapper aucune occasion d’exhorter les Fidèles à méditer sans cesse sur la mort. Et comme l’Extrême-Onction rappelle nécessairement la pensée de notre dernier jour, il est facile de comprendre qu’il y a lieu de parler souvent de ce Sacrement, non seulement parce qu’il est très convenable de faire connaître et d’expliquer les Mystères qui ont rapport au salut, mais encore parce que les Fidèles en se souvenant que c’est pour tous une nécessité de mourir, s’appliqueront à réprimer leurs passions déréglées. Dès lors la pensée, et l’attente de la mort les troublera beaucoup moins. Et même ils rendront à Dieu d’immortelles actions de grâces de ce que, après nous avoir ouvert par le sacrement du Baptême l’entrée dans la vie véritable, il a bien voulu instituer encore le sacrement de l’Extrême-Onction, afin qu’en sortant de cette vie périssable nous eussions un chemin plus facile et plus sûr pour aller au ciel.
Afin d’exposer à peu près dans le même ordre que nous avons suivi pour les autres Sacrements ce qu’il y a de plus nécessaire à expliquer ici, nous disons d’abord que ce sacrement est appelé Extrême-Onction, parce que de toutes les Onctions saintes qui ont été prescrites par Notre-Seigneur Jésus-Christ à son Église, c’est celle qui s’administre la dernière. C’est pourquoi nos pères dans la Foi donnaient encore à ce Sacrement le nom d’Onction des Malades et de Sacrement des Mourants. Et ces paroles sont bien propres à rappeler aux Fidèles la pensée de leurs derniers moments.
Mais il faut montrer, en premier lieu, que l’Extrême-Onction est un véritable Sacrement. Et il ne peut y avoir aucun doute sur ce point, si l’on veut faire attention aux paroles dont l’Apôtre Saint Jacques s’est servi pour promulguer la loi de ce Sacrement : Si quelqu’un est malade parmi vous, dit-il, qu’il fasse venir les Prêtres de l’Église, et qu’ils prient sur lui en l’oignant d’huile au nom du Seigneur ; et la prière de la Foi sauvera le malade : et le Seigneur le soulagera ; et s’il a des péchés, ces péchés lui seront remis360. Puisque, suivant l’Apôtre, les péchés sont remis par cette Onction, elle a donc la nature et la vertu d’un Sacrement. Telle a toujours été d’ailleurs la Doctrine de l’Église catholique sur l’Extrême-Onction ; un grand nombre de Conciles en font foi. Mais celui de Trente l’a déclaré si formellement qu’il prononce l’anathème contre ceux qui auraient la témérité d’enseigner ou de penser le contraire. Le Pape Innocent Ier recommande également ce Sacrement aux Fidèles, avec beaucoup de force.
Il faut donc que les Pasteurs enseignent sans aucune hésitation que l’Extrême-Onction est un Sacrement véritable ; et de plus un seul Sacrement, quoiqu’on l’administre avec plusieurs Onctions différentes, dont chacune se fait avec des prières et une forme particulière. Ce Sacrement est un, non en ce sens que les parties qui le composent ne puissent être divisées, mais parce que ces parties contribuent chacune à sa perfection. C’est ce qui se voit dans tout ce qui est composé. Ainsi une maison est composée de beaucoup de choses et de parties différentes, mais sa perfection n’est que dans l’unité de la forme. De même le sacrement de l’Extrême-Onction renferme plusieurs choses et plusieurs paroles, et cependant ce n’est qu’un signe unique de l’unique effet qu’il a la vertu de produire.
Les Pasteurs ne manqueront pas de dire quelles sont les parties de ce Sacrement, à savoir la matière et la forme. Car l’Apôtre Saint Jacques n’a pas négligé de nous en instruire, et chacune de ces deux parties renferme des Mystères qu’il est utile de méditer.
L’élément, ou la matière de ce Sacrement, comme l’ont déclaré plusieurs Conciles, et spécialement le Concile de Trente, c’est l’huile consacrée par l’Évêque, non toute sorte d’huile en général, extraite d’une substance adipeuse, mais seulement l’huile d’olive. Cette matière exprime parfaitement les effets que la vertu de l’Extrême-Onction opère dans l’âme. De même que l’huile est très propre à adoucir les douleurs du corps, ainsi la vertu de ce Sacrement diminue la tristesse et les douleurs de l’âme. De plus l’huile rend la santé, donne la joie, et sert d’aliment à la lumière, mais surtout elle est très efficace pour renouveler les forces du corps abattu par la fatigue. Or tous ces effets représentent sensiblement ce que la puissance divine opère chez les malades par l’Extrême-Onction. — Mais en voilà assez sur la matière de ce Sacrement.
Quand à la forme qui lui est propre, elle consiste dans ces paroles et ces prières consacrées que le Prêtre prononce en faisant chacune des Onctions, et en disant : Par cette sainte Onction que le Seigneur vous pardonne tout ce que vous avez fait de mal, par la vue, par l’odorat ou par le toucher. Et ce qui nous indique que c’est bien là la forme propre et véritable du Sacrement dont nous parlons, ce sont ces paroles de Saint Jacques : Et qu’ils prient sur lui, et la prière de la Foi sauvera le malade.
En effet, ce texte nous montre que la forme doit ressembler à une Prière, quoique l’Apôtre ne nous ait pas laissé les termes mêmes dans lesquels elle doit être conçue. Mais pour ceux que nous venons d’employer, nous les avons reçus d’une tradition constante des Pères, et toutes les Églises se servent de cette même forme qui leur vient de la sainte Église romaine, mère et maîtresse de toutes les autres Églises. Quelques-uns, il est vrai, au lieu de ces mots : Que le Seigneur vous pardonne tout le mal que vous avez fait, disent : Qu’Il vous remette, ou qu’Il guérisse tout le mal que vous avez commis. Mais le sens est toujours le même ; et l’on peut dire que partout on emploie religieusement la même forme.
Et personne ne doit être surpris que dans les autres Sacrements la forme signifie d’une manière absolue ce qu’elle opère, comme lorsque nous disons : Je te baptise, ou, je te marque du signe de la Croix, ou encore qu’elle soit impérative, comme dans le sacrement de l’Ordre, où l’on dit : recevez le Pouvoir, etc., tandis que la forme seule de l’Extrême-Onction s’exprime en une Prière. Et c’est avec beaucoup de raison qu’elle a été ainsi établie. Car outre la grâce spirituelle que ce Sacrement confère, il a également pour but de rendre la santé aux malades. Cependant, comme il n’arrive pas toujours que les malades guérissent, on lui a donné pour forme une Prière, afin que par ce moyen nous obtenions de la bonté de Dieu un effet que la vertu du Sacrement ne produit pas nécessairement, ni toujours.
Il y a aussi des Cérémonies particulières qui accompagnent l’administration de ce Sacrement. Ce sont, pour la plupart, des formules de prières que le Prêtre récite pour obtenir le salut du malade. Il n’y a point de Sacrement qui s’administre avec plus de prières. Et certes ce n’est pas sans motifs. Il n’est pas de moment en effet où les Fidèles aient un besoin plus grand de ce pieux secours. C’est pourquoi tous ceux qui se trouvent présents, et surtout les Pasteurs, doivent alors prier Dieu de tout leur cœur, et recommander à sa miséricorde la vie et le salut du malade avec toute la ferveur possible.
Mais puisque, comme nous venons de le démontrer, l’Extrême-Onction est un Sacrement réel et véritable, il faut en conclure qu’elle a été instituée par Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même, et que Saint Jacques plus tard n’a fait que la publier en quelque sorte, et la porter à la connaissance des Fidèles. Au surplus, notre Sauveur Lui-même semble avoir donné déjà comme une image de cette Onction, lorsqu’Il envoya devant Lui ses disciples deux à deux. L’Évangile nous dit en effet que : Étant partis, ils prêchaient la pénitence, chassaient un grand nombre de démons, oignaient d’huile beaucoup de malades et les guérissaient361. Or cette Onction n’était certainement pas de l’invention des Apôtres ; elle était prescrite par notre Seigneur Lui-même, douée d’une vertu mystérieuse et non point naturelle, instituée enfin plutôt pour guérir les âmes que pour soulager le corps. Ainsi l’affirment Saint Denys, Saint Ambroise, Saint Jean Chrysostome et Saint Grégoire le Grand. Il n’est donc pas possible de douter que l’Extrême-Onction soit un des sept Sacrements de l’Église catholique, et que nous devions la recevoir avec de profonds sentiments de religion.
Il convient d’apprendre aux Fidèles qu’il y a un certain nombre de personnes auxquelles il n’est pas permis d’administrer ce Sacrement, bien qu’il ait été institué pour tous les Chrétiens sans exception. Et d’abord, on ne peut le donner à ceux qui sont en bonne santé. Les paroles de l’Apôtre Saint Jacques sont formelles : Si quelqu’un est malade parmi vous, etc. Mais d’un autre côté la raison elle-même nous le montre, puisque ce Sacrement a été institué pour servir de remède non seulement à l’âme mais aussi au corps. Or il n’y a que les malades qui aient besoin de remèdes ; et par conséquent on ne doit administrer ce Sacrement qu’à ceux qui sont dangereusement malades et pour lesquels on peut craindre que le dernier jour soit proche. C’est cependant une faute très grande de ne donner l’Extrême-Onction au malade qu’au moment où tout espoir de guérison est perdu, et où la vie semble déjà l’abandonner avec l’usage de sa raison et de ses sens. Car il est certain que la grâce communiquée par ce Sacrement est beaucoup plus abondante, lorsque le malade possède encore, en le recevant, sa raison pleine et entière, et qu’il peut encore exciter en lui une Foi vive et une Religion sincère. Il faut donc que les Pasteurs aient grand soin d’administrer toujours ce Remède Divin, et si salutaire par sa propre vertu, dans le moment où ils jugeront que la piété et la Foi des malades pourront le rendre utile et plus efficace.
On ne doit pas administrer l’Extrême-Onction à celui qui n’est point attaqué d’une maladie grave, quand même il serait en danger de perdre la vie, comme, par exemple, s’il était sur le point d’entreprendre une navigation très dangereuse, s’il partait pour un combat où il devrait trouver une mort certaine, ou bien si condamné à la peine capitale il était prêt à marcher au supplice. De plus ce Sacrement ne peut être donné ni à ceux qui sont privés de l’usage de leur raison, ni aux enfants qui ne pèchent point encore et qui n’ont pas besoin, par conséquent, de ce moyen pour effacer les restes de leurs fautes ; ni aux insensés, ni aux furieux, à moins qu’ils n’aient des intervalles de raison, qu’ils ne témoignent alors des sentiments de piété, et qu’ils ne demandent l’Onction sainte. Car celui qui n’a jamais eu ni son esprit ni sa raison ne saurait recevoir ce Sacrement ; mais il n’en est pas de même, si le malade n’était tombé dans l’état de folie ou de fureur qu’après avoir demandé lui-même l’Extrême-Onction, lorsqu’il jouissait encore de toutes ses facultés.
On ne fait pas l’Onction sacrée sur toutes les parties du corps, mais seulement sur celles que la nature a données à l’homme pour servir d’instrument aux sens, comme sur les yeux, pour la vue, sur les oreilles, pour l’ouïe, sur les narines, pour l’odorat, sur la bouche, pour le goût et la parole, sur les mains pour le toucher qui, tout en étant répandu sur tout le corps, a néanmoins son principal organe dans cette partie. L’Église a adopté cette manière de donner l’Extrême-Onction, parce qu’elle est très conforme à la nature même de ce Sacrement qui s’administre comme un véritable remède. En effet dans les maladies corporelles, quoique le corps entier soit malade, on n’applique cependant le traitement que sur la partie qui est comme le siège et la source du mal. Ainsi ce n’est pas non plus le corps tout entier qui reçoit l’Onction sacrée, mais seulement les membres, qui sont les organes principaux des sensations, puis les reins comme siège de la concupiscence et de la volupté, et enfin les pieds, ces instruments naturels de nos pas et de nos démarches.
Mais il faut remarquer ici que lorsque le même danger de mort se renouvelle dans une seule et même maladie, le malade ne doit recevoir l’Onction sainte qu’une seule fois. Toutefois si après l’avoir reçue, il recouvre la santé, autant de fois aussi il pourra recevoir le secours du même Sacrement. C’est assez dire que l’Extrême-Onction doit être mise évidemment au nombre des Sacrements qui peuvent se réitérer.
Comme il faut travailler avec le plus grand soin à ce que la grâce du Sacrement ne soit point arrêtée dans son cours, comme d’autre part rien ne lui est plus contraire que le péché mortel, il faut se conformer exactement à l’usage constant de l’Église catholique d’administrer les sacrements de Pénitence et d’Eucharistie avant celui de l’Extrême-Onction. Ensuite les Pasteurs s’appliqueront à persuader au malade de s’offrir au Prêtre pour recevoir l’Onction sainte avec l’esprit de Foi de ceux qui se présentaient aux Apôtres pour être guéris. On doit demander d’abord et avant tout le salut de l’âme, puis la santé du corps, à la condition toutefois qu’elle tournera au profit du bonheur éternel. Les Fidèles doivent être bien persuadés d’ailleurs que Dieu est toujours prêt à exaucer ces prières solennelles et sacrées que le Prêtre lui adresse, non point en son nom propre, mais au nom de l’Église et de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Enfin on doit les exhorter vivement à demander eux-mêmes, avec piété et avec Foi, l’onction de cette huile si salutaire, dès que le combat semble devenir plus violent, et que les forces de l’esprit et du corps commencent à leur manquer.
Quant à celui qui doit être le Ministre de l’Extrême-Onction, le même Apôtre qui a promulgué cette institution de Notre-Seigneur, nous l’apprend quand il dit : Que le malade fasse venir les Prêtres362 ; et par ce mot il n’entend point les plus avancés en âge, comme l’a très bien expliqué le Concile de Trente, ni ceux qui occupent le premier rang parmi le peuple, mais les Prêtres, qui ont été légitimement ordonnés par les Évêques eux-mêmes avec l’imposition des mains. C’est donc aux Prêtres que l’administration de ce Sacrement a été confiée, non à tout Prêtre indistinctement, ainsi que l’a décrété la sainte Église, mais seulement au propre Pasteur qui a juridiction sur le malade, ou à un autre Prêtre autorisé par lui à exercer cette Fonction. — Mais gardons-nous d’oublier que le Prêtre, dans ce Sacrement comme dans tous les autres, agit au nom de Jésus-Christ et de la sainte Église son épouse.
Il faut aussi développer avec beaucoup de soin les avantages que nous retirons de ce Sacrement, afin que si les Fidèles n’ont point d’autre motif pour désirer de le recevoir, ils y soient portés du moins par leur utilité personnelle, puisque telle est notre nature, que nous faisons tout dépendre de notre intérêt. Les Pasteurs enseigneront donc qu’à ce Sacrement se trouve attachée une grâce qui remet les péchés, et même directement les péchés légers ou véniels, comme on les appelle communément ; car, pour les fautes mortelles, elles sont effacées par le sacrement de Pénitence. L’Extrême-Onction n’a pas été instituée directement pour remettre ces sortes de fautes ; le Baptême et la Pénitence seuls ont la vertu de produire cet effet.
Un second avantage de l’Extrême-Onction, c’est de guérir l’âme de cette langueur et de cette infirmité qu’elle a contractées par ses péchés, et de la délivrer de tous les autres restes de ses fautes. Or le temps le plus propre pour opérer cette guérison, c’est celui d’une maladie grave où la vie est en danger. Rien n’est plus naturel à l’homme que de craindre la mort, surtout lorsqu’il se rappelle ses péchés passés, et que sa conscience les lui reproche plus vivement. Ils se souviendront de leurs crimes en tremblant, dit l’Écriture, et leurs iniquités se lèveront contre eux pour les accuser363.
Une autre pensée, un autre souci qui tourmente encore violemment les malades, c’est que bientôt il leur faudra paraître devant le tribunal de Dieu, qui prononcera sur eux, dans sa justice infinie, la sentence qu’ils auront méritée. Souvent il arrive que, sous le coup de cette terreur, les Fidèles se troublent étrangement. Or rien n’est plus propre à faire rentrer l’âme dans la tranquillité à l’heure de la mort, que d’éloigner d’elle toute tristesse, de lui faire attendre avec un cœur plein de joie la venue du Seigneur, et de la disposer à Lui rendre volontiers le dépôt qui lui était confié, dès qu’il le redemandera. Et précisément l’Extrême-Onction possède la vertu de délivrer les Fidèles de cette anxiété, et de remplir leurs cœurs d’une pieuse et sainte joie.
Elle nous procure en outre un autre avantage qui peut passer à bon droit pour le plus grand de tous. Tant que nous vivons, l’ennemi du genre humain ne cesse de méditer notre défaite et notre ruine. Mais jamais toutefois pour nous perdre entièrement et nous ôter s’il est possible toute espérance en la miséricorde de Dieu ; il ne redouble ses efforts avec plus d’énergie que lorsqu’il sent approcher notre dernier jour. Aussi les Fidèles sont-ils heureux de trouver dans ce Sacrement des armes et des forces pour abattre son ardeur et son impétuosité, et pour lui résister victorieusement. Avec l’Extrême-Onction, en effet, l’espérance en la bonté de Dieu ranime et relève le courage du malade, qui se sent rassuré, et qui supporte dès lors avec plus de patience et de force les douleurs qu’il endure, de même qu’il évite plus aisément les pièges et les artifices du démon qui cherche à le perdre.
Enfin un dernier effet de l’Extrême-Onction, c’est de rétablir la santé du corps, quand cela est avantageux aux malades. Si de nos jours la guérison du corps s’obtient moins souvent, croyons bien que cela ne provient point de l’impuissance du Sacrement, mais de ce que la plupart de ceux qui reçoivent l’Extrême-Onction ou qui l’administrent ont une Foi trop faible. Nous lisons dans l’Évangile que Notre Seigneur fit peu de miracles parmi les siens, à cause de leur incrédulité364. Au reste on peut bien dire aussi que la Religion chrétienne, depuis qu’elle a jeté dans les cœurs de plus profondes racines, a moins besoin du secours des miracles que dans le temps où elle ne faisait que de naître. Néanmoins il faut à cet égard stimuler fortement la Foi des Fidèles : et quoi qu’il plaise à Dieu d’ordonner dans sa Sagesse par rapport à la santé du corps, ils doivent conserver la ferme espérance que par la vertu de l’Huile sainte ils obtiendront la santé de l’âme, et qu’ils éprouveront, s’ils viennent à mourir, la vérité de cet oracle sacré : Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur !365
Nous avons exposé en peu de mots ce qui regarde l’Extrême-Onction ; mais si les Pasteurs développent chacun de nos points principaux, d’une manière plus étendue, et avec tout le zèle que le sujet demande, il est hors de doute que les Fidèles retireront de cet enseignement les avantages les plus considérables pour leur avancement dans la piété.
Si l’on veut examiner avec attention la nature et l’essence des autres Sacrements, on reconnaîtra aisément qu’ils dépendent tous du sacrement de l’Ordre ; puisque sans lui, les uns ne pourraient jamais ni exister, ni être administrés, et que les autres demeureraient privés de toutes cérémonies solennelles, ainsi que d’un certain culte et de certains rites religieux. C’est donc un devoir pour les Pasteurs, lorsqu’ils traitent la matière des Sacrements, d’expliquer avec le plus grand soin tout ce qui concerne le sacrement de l’Ordre.
Cette explication leur sera très utile à eux-mêmes d’abord, puis aux autres ecclésiastiques, et même aux simples Fidèles ; à eux-mêmes, parce qu’en traitant cette matière ils seront plus portés à réveiller en eux la Grâce qu’ils ont reçue dans ce Sacrement ; aux autres ecclésiastiques appelés comme eux à l’héritage du Seigneur, parce qu’ils se sentiront animés du même zèle, et qu’en même temps ils pourront acquérir la connaissance des choses qui leur sont nécessaires pour s’élever plus facilement aux Ordres supérieurs ; enfin aux simples Fidèles, d’abord parce qu’ils comprendront combien ils doivent respecter les Ministres de la Religion, et ensuite parce que cette explication pourra souvent être entendue de personnes qui ont l’intention ou le désir de faire entrer leurs enfants dans l’État ecclésiastique, ou d’embrasser eux-mêmes ce genre de vie de leur propre mouvement. Or il ne serait pas convenable de laisser ces personnes dans l’ignorance des choses qui regardent particulièrement cette vocation.
En premier lieu, il faut enseigner aux Fidèles quelle est l’excellence et la dignité de ce Sacrement, considéré dans son degré le plus élevé, c’est-à-dire dans le Sacerdoce. En effet si nous admettons — et il le faut bien — que les Évêques et les Prêtres sont comme les interprètes et les ambassadeurs de Dieu, chargés de nous enseigner en son nom la Loi divine et les règles de notre conduite, en un mot de tenir sur la terre la place de Dieu Lui-même, il est évident qu’on ne saurait imaginer des Fonctions plus nobles que les leurs. Ainsi l’Écriture leur donne-t-elle quelquefois, et à juste titre, les noms d’anges et même de dieux, parce qu’ils exercent en quelque sorte au milieu de nous la Puissance même du Dieu immortel.
Dans tous les temps le Sacerdoce a été entouré des plus grands honneurs ; mais les Prêtres du Nouveau Testament l’emportent infiniment sur tous ceux qui les ont précédés.
Les pouvoirs qu’ils ont de consacrer et d’offrir le Corps et le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et celui de remettre les péchés, dépasse toutes nos conceptions humaines. On ne peut rien trouver de comparable sur la terre. Enfin, comme notre Sauveur a été envoyé par son Père, comme les Apôtres et les disciples à leur tour ont été envoyés par Jésus-Christ dans le monde entier ; ainsi tous les jours les Prêtres sont envoyés avec les mêmes pouvoirs, pour travailler à la perfection des saints, à l’œuvre du Ministère, à l’édification du Corps de notre Seigneur366.
On ne doit donc imposer témérairement à personne le fardeau de Fonctions si augustes. Ceux-là seuls doivent en être revêtus qui peuvent le soutenir par la sainteté de leur vie, par leur science, leur Foi et leur prudence. Que nul ne vienne (donc) s’attribuer à lui-même cet honneur s’il n’y est appelé de Dieu comme Aaron367 c’est-à-dire s’il n’y a été appelé par les Ministres légitimes de l’Église. Quant aux téméraires qui osent s’ingérer et s’introduire d’eux-mêmes dans ce ministère, il ne faut pas manquer de faire observer que Dieu les avait en vue, quand Il disait : Je n’envoyais point ces Prophètes, et ils couraient368. Il n’y a rien tout à la fois de plus pitoyable et de plus misérable que ces intrus, ni de plus funeste à l’Église.
Et comme dans tout ce que l’on entreprend, il est de la plus haute importance de se proposer une bonne fin, puisque c’est de la bonté de la fin que dépend en grande partie la bonté des actes, la première recommandation à faire à ceux qui veulent entrer dans les Ordres, c’est qu’ils n’aient en vue rien qui soit indigne de si hautes Fonctions. — Ce point demande à être traité avec un soin d’autant plus grand que de nos jours, les Fidèles ont l’habitude de manquer d’une manière plus grave à cet égard. — Les uns en effet n’embrassent l’État ecclésiastique que pour se procurer ce qui est nécessaire à la nourriture et au vêtement, ils ne cherchent que le gain dans le Sacerdoce, comme font la plupart de ceux qui prennent les métiers les plus vulgaires. Il est bien vrai comme l’enseigne l’Apôtre, d’après la loi naturelle et la Loi divine, que celui qui sert à l’Autel, doit vivre de l’Autel369, cependant c’est un grand sacrilège d’approcher de l’Autel en vue du profit qui en résulte. D’autres sont conduits au Sacerdoce par la soif des honneurs et par l’ambition. Il en est enfin qui ne recherchent les Ordres que pour s’enrichir ; et la preuve c’est que, si vous ne leur offrez quelque bénéfice considérable, ils ne songent même pas à recevoir un seul des Ordres sacrés. Ce sont ceux-là que notre Sauveur appelle des mercenaires, et dont le Prophète Ézéchiel disait : Ils se paissent eux-mêmes, et non leurs brebis370. Leur bassesse et leur avidité a déshonoré l’État ecclésiastique aux yeux des Fidèles, qui le regardent maintenant presque comme la profession la plus vile et la plus méprisable. Aussi ne tirent-ils point d’autre fruit de leur Sacerdoce, que celui que recueillit Judas de son apostolat, c’est-à-dire leur perte éternelle.
Il n’y a donc que ceux qui, étant légitimement appelés de Dieu, embrassent la carrière ecclésiastique dans le seul but de travailler à sa Gloire, il n’y a que ceux-là dont on peut affirmer qu’ils entrent vraiment par la porte dans l’Église371.
Ce n’est pas dire toutefois que l’obligation d’honorer Dieu en toutes choses ne soit pas commune à tous les hommes. Tous en effet ont été créés pour honorer Dieu et Le servir ; et les Fidèles surtout, qui ont reçu la Grâce du Baptême, doivent remplir ce devoir de tout leur cœur, de tout leur esprit et de toutes leurs forces. Mais ceux qui veulent recevoir le sacrement de l’Ordre, doivent se proposer non seulement de chercher la Gloire de Dieu en toutes choses, (obligation qui leur est évidemment commune avec le reste des hommes, et spécialement avec les Fidèles), mais encore de Le servir dans la sainteté et la justice372, en remplissant l’un ou l’autre des ministères de l’Église. Dans une armée, tous les soldats obéissent aux ordres du Général. Cependant ils n’ont pas tous les mêmes fonctions à remplir ; l’un est Capitaine, l’autre Commandant. De même tous les Fidèles doivent faire tous leurs efforts pour vivre dans la piété et l’innocence, (vertus qui honorent vraiment Dieu) ; et cependant il faut aussi que ceux qui sont engagés dans les Ordres exercent certaines Fonctions et certains Ministères particuliers. Ainsi ils offrent les saints Mystères pour eux-mêmes et pour tout le peuple ; ils enseignent la Loi de Dieu ; ils exhortent et forment les Fidèles à l’observer avec joie et empressement ; ils administrent les Sacrements de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous donnent la Grâce, la conservent et l’augmentent en nous : enfin pour tout dire en un mot, ils vivent séparés de tout le reste du peuple, pour remplir le plus grand et le plus excellent de tous les ministères.
Ces explications une fois données, les Pasteurs passeront à celles qui se rattachent, à proprement parler, à la nature même du Sacrement, afin que les Fidèles qui désirent entrer dans l’État ecclésiastique, sachent bien à quel genre de dignité ils sont appelés, et quelle est l’étendue de la puissance que Dieu a donnée à son Église et à ses Ministres.
La puissance ecclésiastique est double ; elle se partage, 1° en pouvoir d’Ordre, 2° en pouvoir de Juridiction.
Le pouvoir d’Ordre a pour objet le Corps adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la sainte Eucharistie.
Le pouvoir de Juridiction s’exerce tout entier sur son Corps mystique. C’est à lui qu’il appartient de gouverner le peuple chrétien, de le conduire et de le diriger dans la voie de la céleste et éternelle félicité.
Le pouvoir d’Ordre n’a pas seulement la vertu et la propriété de consacrer l’Eucharistie ; il prépare encore les cœurs à recevoir ce Sacrement, il les en rend dignes, et, en général, il s’étend à tout ce qui peut avoir quelque rapport avec l’Eucharistie.
Nos Saints Livres parlent de ce pouvoir en beaucoup d’endroits. Mais nulle part il n’est exprimé plus clairement, ni d’une manière plus expresse, que dans Saint Matthieu et dans Saint Jean. Comme mon Père m’a envoyé, dit Notre-Seigneur, ainsi je vous envoie ; recevez le Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez373. Ailleurs, il disait : En vérité Je vous le dis ; tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel ; et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel374. Ces deux textes pourront jeter une lumière très grande sur la Vérité que nous exposons, si les Pasteurs ont soin de les expliquer d’après la doctrine et l’autorité des saints Pères. Combien une telle puissance ne l’emporte-t-elle pas sur celle qui fut accordée sous la loi de nature aux hommes chargés du soin des choses sacrées ! Car l’âge qui précéda la Loi écrite, eut, lui aussi, son sacerdoce et son pouvoir spirituel, puisqu’il est certain qu’il avait sa loi ; loi et sacerdoce tellement inséparable, au témoignage de l’Apôtre, que le changement de l’une entraîne nécessairement le changement de l’autre. Guidés par un instinct, ou plutôt par une inspiration naturelle, les hommes de ce temps-là sentaient qu’ils devaient honorer Dieu, et, par une conséquence nécessaire, ils durent, dans chaque pays, confier à quelques personnes choisies le soin des choses saintes et du service divin ; ce qui constitue par le fait une sorte de pouvoir spirituel.
Chez les Juifs, on vit aussi un pouvoir sacerdotal, bien supérieur, il est vrai, à celui dont les Prêtres étaient revêtus sous la loi de nature, et cependant infiniment moins excellent que la puissance spirituelle de la Loi Évangélique ; puissance toute céleste, qui surpasse celle des Anges mêmes, qui d’ailleurs vient, non de Moïse, mais de Jésus-Christ, Prêtre selon l’Ordre de Melchisédech, et non selon l’Ordre d’Aaron. Oui, c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, possédant le pouvoir de conférer la Grâce et de remettre les péchés, a laissé à son Église ce même pouvoir, en le limitant il est vrai dans son exercice, et en l’attachant aux Sacrements.
C’est pour exercer ce pouvoir que des Ministres particuliers ont été institués et consacrés avec des Cérémonies solennelles. Cette Consécration a reçu le nom de sacrement de l’Ordre ou de sainte Ordination. Et si les saints Pères ont cru devoir employer cette expression dont la signification est très étendue, c’est que précisément ils voulaient faire mieux apprécier la dignité et l’excellence des Ministres de Dieu.
L’Ordre en effet, à prendre ce mot dans sa force et dans son acception propre, est un arrangement de choses supérieures et de choses inférieures, disposées entre elles de telle sorte que l’une se rattache à l’autre. Par conséquent, puisque dans ce ministère il y a plusieurs degrés et plusieurs fonctions différentes, et que tout est distribué et arrangé selon un ordre déterminé, le nom d’Ordre lui a été très bien et très justement appliqué.
Que l’Ordre, ou l’Ordination sacrée, soit un véritable Sacrement de l’Église, le saint Concile de Trente le prouve par ce raisonnement que nous avons déjà employé plusieurs fois : le Sacrement est le signe d’une chose sacrée ; or ce qui se fait extérieurement dans cette Consécration signifie la grâce et la puissance qui sont accordées à celui que l’on ordonne. Il est donc bien évident d’après cela que l’Ordre est un vrai Sacrement dans toute la rigueur du terme. Aussi quand l’Évêque ordonne un Prêtre, il lui présente le Calice avec le vin et l’eau, et la Patène avec le pain en disant : Recevez le pouvoir d’offrir le Sacrifice, etc... Car l’Église a toujours enseigné que ces paroles, jointes à la matière, confèrent réellement le pouvoir de consacrer l’Eucharistie, et qu’elles impriment dans l’âme un caractère qui porte avec lui la grâce nécessaire pour s’acquitter dignement et légitimement de cette Fonction. Ainsi le déclare l’Apôtre lui-même : Je vous avertis, dit-il à Timothée, de ressusciter la grâce de Dieu qui est en vous par l’imposition de mes mains ; car Dieu ne nous a pas donné un esprit de crainte, mais un esprit de force, d’amour et de sagesse375.
Ainsi, pour nous servir des expressions du saint Concile, l’exercice d’un Sacerdoce si sublime étant une chose toute divine, il était de toute convenance, pour y attacher plus de dignité et lui attirer plus de vénération, qu’il y eût dans l’Église plusieurs sortes de Ministres de rangs différents, et destinés à assister les Prêtres, chacun selon ses fonctions propres. Voilà pourquoi ces fonctions sont distribuées de telle sorte que ceux qui ont reçu la tonsure cléricale, sont élevés ensuite aux Ordres supérieurs, en passant par les Ordres inférieurs.
Il faudra donc enseigner, et l’Église catholique l’a toujours fait, que ces Ordres sont au nombre de sept, désignés sous les noms de Portier, de Lecteur, d’Exorciste, d’Acolyte, de Sous-Diacre, de Diacre et de Prêtre. Et c’est avec une grande sagesse que ces Ordres ont été établis en pareil nombre. Il est facile de le prouver par les différents ministères qui sont nécessaires pour célébrer le Saint Sacrifice de la Messe, et pour administrer la sainte Eucharistie. Car c’est pour ces deux fins qu’ils ont été spécialement institués. Ces Ordres se divisent en majeurs, et en mineurs. Les Ordres majeurs, qu’on appelle aussi Ordres sacrés, sont la Prêtrise, le Diaconat et le Sous-diaconat. Les Ordres mineurs sont ceux d’Acolyte, d’Exorciste, de Lecteur et de Portier. Nous allons dire un mot de chacun d’eux, afin que les Pasteurs puissent les expliquer, surtout à ceux qui, selon eux, seraient appelés à les recevoir.
Parlons d’abord de la tonsure, qui est comme une préparation à la réception des Ordres. (Car c’est ainsi qu’il faut l’envisager). Or on prépare au Baptême par les exorcismes, au Mariage par les Fiançailles. De même aussi ceux à qui on coupe les cheveux, en les consacrant à Dieu, sont introduits par là dans la voie du sacrement de l’Ordre ; car cette Cérémonie est la figure des dispositions que doit avoir celui qui désire se vouer aux ministères sacrés.
Le nom de Clerc qu’on reçoit alors pour la première fois vient de ce que le tonsuré commence à prendre le Seigneur pour sa portion et pour son héritage. Ainsi chez les Hébreux, ceux qui étaient attachés au culte divin, ne devaient avoir aucune part dans le partage de la terre promise, d’après l’ordre même du Seigneur qui leur avait dit : C’est Moi qui suis ta portion et ton héritage376. Et, bien que ces paroles puissent s’appliquer à tous les Fidèles sans exception, il est certain qu’elles conviennent particulièrement à ceux qui se sont consacrés au service de Dieu.
On coupe les cheveux de telle sorte que la tonsure forme une couronne, qu’il faut conserver toujours, et qui doit être plus grande à mesure que l’on avance dans les Ordres. L’Église enseigne que cet usage lui vient des Apôtres ; il en est fait mention dans les Pères les plus anciens et les plus considérables, tels que Saint Denys l’Aréopagite, Saint Augustin, et Saint Jérôme.
On dit même que Saint Pierre, le prince des Apôtres, fut le premier qui introduisit cette coutume, en mémoire de la couronne d’épines qui fut placée sur la tête de notre Sauveur, afin que ce qui avait servi à l’humiliation et au tourment de Jésus-Christ, dans les mains des impies, fût pour les Apôtres un signe d’honneur et de gloire. C’était en même temps un moyen de rappeler aux Ministres de l’Église qu’ils doivent s’étudier à imiter Notre-Seigneur et à le représenter en toutes choses.
Quelques-uns veulent que la tonsure soit la marque de la dignité royale qui semble l’apanage réservé à ceux que Dieu appelle à Le prendre pour leur héritage. Car ce que l’Apôtre Saint Pierre attribue au peuple chrétien tout entier, quand il dit : Vous êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte377, convient bien mieux encore, et d’une manière toute particulière — on le comprend aisément — aux Ministres de la Sainte Église.
Il en est d’autres qui prétendent que la tonsure ou couronne des Clercs est le signe de la vie plus parfaite dont ils font profession. (La figure circulaire étant la plus parfaite de toutes les figures). Enfin quelques autres pensent que la tonsure marque le mépris des choses de ce monde et l’abandon de tous les soins terrestres, parce qu’elle retranche une partie des cheveux qui sont en effet quelque chose de superflu dans le corps humain.
Après la tonsure, le premier degré pour entrer dans les Ordres, c’est l’Ordre des Portiers. Le Portier a pour Fonction de garder les clefs et la porte de l’Église, et d’empêcher d’entrer ceux qui n’en sont pas dignes. Autrefois il assistait au Saint Sacrifice de la Messe pour veiller à ce que personne n’approchât trop près de l’Autel, et ne vînt troubler le Prêtre occupé à célébrer les saints Mystères. On lui confiait encore d’autres charges comme on peut le voir par les Cérémonies qui s’observent à son Ordination. L’Évêque en effet prend les clefs sur l’Autel, les met entre les mains de celui qu’il institue Portier, et lui dit : Conduisez-vous comme devant rendre compte à Dieu des choses qui sont enfermées sous ces clefs. Dans l’ancienne Église, la dignité de cet Ordre était très grande. On le voit par les objets qui se gardaient alors dans les temples. Les Portiers réunissaient la charge de trésorier à celle de Gardien du tabernacle et des vases sacrés. Aujourd’hui encore d’ailleurs ces Fonctions sont des plus honorables dans l’Église.
Le second degré de l’Ordre est celui de Lecteur. La fonction de Lecteur est de lire dans l’Église, d’une voix claire et distincte, les Livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, et surtout ceux qui se récitent pendant la Psalmodie de la nuit. Autrefois il était encore chargé d’enseigner aux Fidèles les premiers éléments de la Religion chrétienne. C’est pourquoi l’Évêque, quand il l’ordonne, lui remet en présence du peuple le Livre où sont renfermées les choses qui regardent ce ministère, et lui dit : Recevez et transmettez la parole de Dieu ; si vous remplissez fidèlement et avec fruit votre ministère, vous aurez part avec ceux qui ont dignement annoncé la parole divine dès le commencement.
Le troisième Ordre est celui des Exorcistes. Ils ont le pouvoir d’invoquer le nom du Seigneur sur ceux qui sont possédés par des esprits immondes. C’est pourquoi l’Évêque, en les ordonnant, leur présente le Livre où sont contenus les exorcismes, et prononce en même temps ces paroles : Prenez ce Livre, et gardez-le dans votre mémoire, et recevez le pouvoir d’imposer les mains sur les énergumènes, tant ceux qui sont baptisés, que ceux qui sont encore catéchumènes.
Enfin le quatrième et dernier des Ordres mineurs est celui des Acolytes. Ils accompagnent les Ministres supérieurs, Diacres et Sous-Diacres, dans le service de l’Autel, et ils ont pour charge de les aider. En outre ils portent et gardent des cierges allumés, pendant la Messe, et surtout pendant la lecture de l’Évangile, ce qui leur a fait donner aussi le nom de Céroféraires. Et voici le rite que l’Évêque a coutume d’observer pour leur Ordination. D’abord il les instruit des devoirs de leur charge, puis il donne à chacun d’eux un flambeau allumé, en disant : Recevez ce chandelier avec ce cierge, au nom du Seigneur, et sachez que vous êtes chargé d’allumer les Cierges de l’Église. Ensuite il leur présente vides les burettes dans lesquelles on met le vin et l’eau du sacrifice, et il ajoute : Recevez au nom du Seigneur ces burettes, pour servir l’eau et le vin nécessaires à la Consécration de l’Eucharistie de notre Seigneur.
Des Ordres mineurs et non sacrés dont nous venons de parler, on peut s’élever légitimement et parvenir aux Ordres majeurs et sacrés. Au premier degré de ces Ordres, on rencontre le Sous-Diacre dont les Fonctions, comme le nom l’indique, sont de servir le Diacre à l’Autel. C’est lui qui doit préparer les linges sacrés, les vases, le pain et le vin nécessaires à la célébration du Sacrifice. Aujourd’hui c’est lui qui présente l’eau à l’Évêque et au Prêtre, lorsqu’ils se lavent les mains à la Messe. C’est à lui également de réciter l’Épître, qui était lue autrefois par le Diacre. Il assiste aux saints Mystères comme témoin, et il est chargé de veiller à ce que personne ne vienne troubler le Célébrant.
Ces différentes Fonctions qui appartiennent au Sous-Diacre sont toutes indiquées dans les Cérémonies sacramentelles de son Ordination. Et d’abord l’Évêque l’avertit qu’une chasteté perpétuelle est imposée au Sous-Diaconat ; il déclare que personne ne doit être admis à cet Ordre, sans avoir la volonté sincère de se soumettre à l’obligation du Célibat ; puis après avoir récité solennellement les Litanies des Saints, il énumère et il expose les obligations et les charges du Sous-Diacre.
Ensuite chacun des Ordinands reçoit des mains de l’Évêque le Calice et la Patène ; et pour leur faire comprendre que le Sous-Diacre doit servir le Diacre, l’Archidiacre leur fait toucher les burettes pleines de vin et d’eau, un bassin avec un linge pour s’essuyer les mains. En même temps l’Évêque prononce ces paroles : Voyez quel ministère vous est confié. Je vous conjure de vous montrer digne de plaire à Dieu.
On ajoute encore d’autres Prières. Et enfin, quand l’Évêque a revêtu le Sous-Diacre des ornements sacrés pour chacun desquels il y a des paroles et des cérémonies particulières, il lui donne le Livre des Épîtres en disant : Recevez le Livre des Épîtres, avec le pouvoir de les lire dans la sainte Église de Dieu, tant pour les vivants que pour les morts.
Le second des Ordres sacrés, c’est le Diaconat, dont les fonctions sont beaucoup plus étendues et ont toujours été regardées comme beaucoup plus saintes. Le Diacre doit toujours être à côté de l’Évêque ; garder sa personne pendant qu’il prêche ; le servir, lui et le Prêtre, dans la célébration du sacrifice comme dans l’administration des Sacrements, et de plus lire l’Évangile à la Messe. Autrefois il avertissait de temps en temps les Fidèles de se rendre attentifs aux saints Mystères. Il distribuait aussi le Sang du Seigneur dans les Églises où les Chrétiens avaient l’habitude de recevoir l’Eucharistie sous les deux espèces. En même temps la dispensation des biens ecclésiastiques lui était confiée et il devait fournir à chacun ce qui lui était nécessaire pour son entretien. C’est encore au Diacre, comme l’œil de l’Évêque en quelque sorte, de voir quels sont ceux qui dans les temps marqués vont aux Sacrifices et aux Sermons, et ceux qui y manquent ; ensuite il doit en rendre compte à l’Évêque, afin qu’il puisse exhorter, avertir, reprendre, blâmer, soit en particulier, soit en public, suivant qu’il le jugera plus utile et plus convenable.
Le Diacre lit aussi les noms des Catéchumènes et il présente à l’Évêque ceux qui doivent être admis au sacrement de l’Ordre. Enfin, à défaut de l’Évêque et du Prêtre, il peut encore expliquer l’Évangile, mais non pas du haut de la chaire, afin qu’il soit bien compris que cette Fonction n’appartient pas proprement à son ministère.
On doit au reste prendre les plus grandes précautions pour ne pas élever des indignes à ce degré de l’Ordre. Saint Paul nous le montre dans son Épître à Timothée en lui exposant ce que doivent être les mœurs, la vertu et l’intégrité du Diacre. Nous le voyons aussi par les rites et les cérémonies solennelles qui se pratiquent à son Ordination. Les prières de l’Évêque sont plus longues et plus augustes que pour l’ordination du Sous-Diacre. Il ajoute pour lui de nouveaux ornements sacrés. Il lui impose les mains, comme nous lisons que les Apôtres le firent, en instituant les premiers Diacres. Enfin il lui remet le Livre des Évangiles en disant : Recevez, au nom du Seigneur, le pouvoir de lire l’Évangile dans l’Église de Dieu, pour les vivants et pour les morts.
Le troisième et le plus élevé des Ordres sacrés, c’est le Sacerdoce. Ceux qui en sont revêtus sont désignés communément sous deux noms distincts par les Pères des premiers siècles. Tantôt ils sont appelés Prêtres, d’un mot grec qui signifie anciens ; et cela non seulement à cause de la maturité de l’âge si nécessaire pour cet Ordre, mais beaucoup plus encore à cause de leur savoir, de leur prudence et de la gravité de leurs mœurs. Car il est écrit : La vieillesse vénérable n’est point celle qui se compte par le nombre des années et la longueur du temps ; c’est la prudence qui est la vieillesse de l’homme, et la vie sans tache est une longue vie378.
Tantôt, on les nomme Sacerdotes, mot latin qui veut dire ou qu’ils sont consacrés à Dieu, ou bien qu’ils administrent les Sacrements, et qu’ils sont chargés de toutes les choses sacrées et divines.
Mais comme les saintes Lettres distinguent deux Sacerdoces, l’un intérieur et l’autre extérieur, il est nécessaire de les caractériser tous deux, afin que les Pasteurs puissent expliquer de quel Sacerdoce il est ici question.
Ainsi lorsqu’on dit des Fidèles purifiés par l’eau du Baptême qu’ils sont prêtres, c’est d’un Sacerdoce intérieur que l’on veut parler. Dans le même ordre d’idées, tous les justes sont prêtres, qui ont l’esprit de Dieu en eux, et qui sont devenus par un bienfait de la Grâce, membres vivants du souverain Prêtre qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ. En effet, ils immolent à Dieu, sur l’autel de leur cœur, des hosties spirituelles, toutes les fois que, éclairés par la Foi et enflammés par la Charité, ils font des œuvres bonnes et honnêtes qu’ils rapportent à la gloire de Dieu. C’est pourquoi nous lisons dans l’Apocalypse : Jésus-Christ nous a lavés de nos péchés dans son Sang, et Il nous a faits rois et prêtres pour Dieu son Père379. C’est aussi ce qui a fait dire au prince des Apôtres : vous êtes posés sur Lui comme des pierres vivantes, pour former un édifice spirituel et un Sacerdoce saint afin d’offrir à Dieu des sacrifices spirituels qui lui soient agréables par Jésus-Christ380. C’est encore pour cette raison que l’Apôtre nous exhorte à offrir à Dieu nos corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux, et à Lui rendre un culte spirituel381. Enfin, longtemps auparavant, David avait dit : le sacrifice que Dieu demande est une âme brisée de douleur, vous ne dédaignerez pas, ô mon Dieu, un cœur contrit et humilié382. Tout cela, évidemment, se rapporte au Sacerdoce intérieur.
Quant au Sacerdoce extérieur, il n’appartient point à tous les Fidèles, mais seulement à certains hommes qui ont reçu l’imposition des mains d’une manière légitime ; qui ont été ordonnés et consacrés à Dieu avec les Cérémonies solennelles de la Sainte Église, et qui, par le fait, se trouvent dévoués à un ministère sacré, et d’une nature toute particulière.
Cette distinction des deux Sacerdoces peut déjà se remarquer dans l’ancienne Loi. David, comme nous venons de le montrer, a parlé du Sacerdoce intérieur. D’autre part personne n’ignore combien le Seigneur fit d’ordonnances relatives au Sacerdoce extérieur, par le ministère de Moïse et d’Aaron. Il y a plus, Il attacha au service du temple la tribu de Lévi tout entière, et Il défendit par une Loi d’admettre à ces Fonctions sacrées aucun homme d’une autre tribu. Ainsi le roi Osias, ayant usurpé le ministère sacerdotal, fut frappé de lèpre par le Seigneur en punition de sa témérité et de son sacrilège. Et comme nous découvrons dans la Loi Évangélique cette même distinction d’un double Sacerdoce, il importe d’avertir les Fidèles qu’il s’agit ici du Sacerdoce extérieur, conféré seulement à certains hommes. Lui seul, en effet, appartient au sacrement de l’Ordre.
Les Fonctions du Prêtre sont d’offrir à Dieu le Saint Sacrifice de la Messe et d’administrer les Sacrements de l’Église. C’est ce qu’il est facile de voir par les Cérémonies mêmes de son Ordination.
D’abord, lorsque l’Évêque ordonne un Prêtre, il lui impose les mains, ainsi que tous les autres prêtres qui sont présents à la Cérémonie.
Ensuite il lui met sur les épaules une étole qu’il ramène et dispose sur sa poitrine en forme de croix pour lui faire entendre qu’il est revêtu de la Force d’en haut avec laquelle il pourra porter la Croix de Jésus-Christ et le joug, plein de douceur, de la Loi divine, et aussi enseigner cette Loi non seulement par ses paroles mais encore par l’exemple d’une vie très sainte et très pure.
Après cela, il fait sur ses mains l’Onction de l’Huile sainte ; puis il lui remet le Calice avec du vin et la patène avec une hostie, en disant : Recevez le pouvoir d’offrir à Dieu le Sacrifice, et de célébrer la Messe tant pour les vivants que pour les morts. Ces cérémonies et ces paroles font du Prêtre l’interprète et le médiateur entre Dieu et les hommes ; ce qui est sa principale Fonction.
Enfin l’Évêque impose une seconde fois les mains sur sa tête, en lui disant : Recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. C’est par là qu’il lui communique le pouvoir divin de remettre et de retenir les péchés que Notre-Seigneur donna à ses Apôtres.
Telles sont les Fonctions propres et les principaux apanages de l’ordre sacerdotal. Cet Ordre est un en lui-même. Toutefois cette unité n’exclut pas différents degrés de dignité et de puissance.
Le premier de ces degrés est celui de la Prêtrise proprement dite. Nous venons d’en parler.
Le second est celui de l’Épiscopat. Les Évêques sont placés à la tête des Diocèses, pour gouverner non seulement les autres Ministres de l’Église, mais encore le peuple fidèle et pour s’occuper de leur salut avec une vigilance et un soin extrêmes. C’est ce qui les a fait appeler souvent dans l’Écriture les Pasteurs des brebis ; et Saint Paul a tracé leurs devoirs et leurs fonctions dans ce discours qu’il adressa aux Éphésiens, et que nous lisons dans les Actes des Apôtres383.
Saint Pierre a donné aussi lui-même une règle toute divine pour l’exercice du ministère épiscopal, et si les Évêques s’étudient à y conformer leur conduite, il est impossible qu’ils ne soient pas de bons Pasteurs, et qu’ils ne passent pour tels.
Les Évêques s’appellent encore Pontifes. Ce nom vient des païens. C’est ainsi qu’ils nommaient les premiers de leurs prêtres.
Le troisième degré est celui des Archevêques. Ils sont à la tête d’un certain nombre d’Évêques. Ils portent aussi le nom de Métropolitains, parce que les villes dont ils sont Évêques sont considérées comme les mères de la province. Leur dignité est plus élevée et leur puissance plus étendue que celle des Évêques, quoique leur Ordination soit absolument la même.
En quatrième lieu viennent les Patriarches, c’est-à-dire les premiers et les plus élevés des Pères. Autrefois, en dehors du Pontife de Rome, on ne comptait que quatre Patriarches dans l’Église universelle. Mais ils n’étaient pas tous égaux en dignité. Celui de Constantinople, bien qu’il n’eût obtenu cet honneur qu’après tous les autres, avait le premier rang, à cause de la majesté de la Capitale de l’empire. Le second était celui d’Alexandrie dont l’Église avait été fondée par Saint Marc l’Évangéliste, et sur l’ordre du prince des Apôtres. Le troisième était celui d’Antioche où Saint Pierre avait établi son premier siège. Enfin le quatrième était celui de Jérusalem, dont l’Église avait été gouvernée d’abord par Saint Jacques, frère du Seigneur.
Mais au-dessus de tous, l’Église catholique a toujours placé le Pontife Romain, que Saint Cyrille d’Alexandrie, au concile d’Éphèse, appelait le Père et le Patriarche de tout l’univers. En effet, il est assis sur le siège de Saint Pierre, sur lequel il est certain que le prince des Apôtres demeura jusqu’à la fin de sa vie. Et c’est pour cette raison que l’Église reconnaît en lui la Primauté d’honneur et l’universalité de Juridiction qu’il tient, non des décrets des Conciles, ou d’autres constitutions humaines, mais de Dieu Lui-même. Il est le Père et le Guide de tous les Fidèles, de tous les Évêques et de tous les autres Prélats, quelles que soient leurs dignités et leurs fonctions. Et en cette qualité, comme successeur de Saint Pierre, comme Vicaire légitime et véritable de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il gouverne l’Église tout entière.
Les Pasteurs se serviront de cet exposé pour enseigner aux Fidèles quels sont les principaux devoirs et les principales attributions des différents Ordres ecclésiastiques. Et aussi quel en est le véritable Ministre.
Ce Ministre, c’est l’Évêque. Car il est certain qu’il n’appartient qu’à lui de conférer les saints Ordres. On le prouve de la manière la plus facile et la plus incontestable par l’autorité de la sainte Écriture, par la tradition, par les saints Pères, par les décisions des Conciles, et par l’usage et la coutume de l’Église. Il est vrai que certains Abbés dans leurs monastères, ont été autorisés parfois à conférer les ordres mineurs, à l’exclusion des Ordres sacrés. Mais cette Fonction n’en est pas moins réservée absolument à l’Évêque, qui d’ailleurs peut seul conférer les Ordres majeurs ou sacrés. Pour ordonner les Sous-Diacres, les Diacres et les Prêtres, un seul Évêque suffit ; mais pour consacrer les Évêques, une tradition apostolique, qui s’est toujours maintenue dans l’Église, veut qu’il y en ait trois.
Il nous reste maintenant à parler de ceux qui sont aptes à recevoir le sacrement de l’Ordre et spécialement la Prêtrise, ainsi que des dispositions que l’on doit exiger d’eux. Ce que nous dirons de ces dispositions suffira pour faire aisément concevoir celles que demandent les autres Ordres, chacun suivant son rang et sa dignité. Or, ce qui nous montre combien il faut prendre de précautions pour administrer l’Ordination, c’est que tous les autres Sacrements donnent à ceux qui les reçoivent des Grâces de sanctification et d’utilité personnelles, tandis que ceux qui sont initiés aux Ordres sacrés participent à la Grâce céleste pour que leur ministère profite au salut de l’Église et de tous les hommes.
C’est pour cela qu’il y a eu de tout temps dans l’Église des jours spécialement marqués pour les Ordinations, et même selon un antique usage, des jeûnes solennels attachés à ces jours-là. On a voulu porter les Fidèles à demander à Dieu, par de saintes et ferventes prières, des Ministres sacrés capables d’exercer dignement, et pour le bien de l’Église, la puissance que donne un ministère aussi sublime.
La première qualité requise dans celui qui aspire au Sacerdoce, c’est la pureté de vie et de mœurs. En effet celui qui se ferait ou seulement se laisserait ordonner dans l’état de péché mortel, se rendrait coupable d’un crime nouveau et très grave. Mais de plus le Prêtre est obligé de donner aux autres l’exemple d’une vie vertueuse et innocente. Les Pasteurs auront donc soin de faire connaître les règles que Saint Paul prescrivait à cet égard à Tite et à Timothée. Ils enseigneront en même temps que les défauts corporels qui excluaient du service des Autels d’après les prescriptions du Seigneur dans la Loi ancienne doivent s’entendre des vices de l’âme dans la Loi Évangélique. C’est pourquoi cette sainte coutume s’est établie dans l’Église de n’admettre aux Ordres sacrés que ceux qui auparavant purifient soigneusement leur conscience dans le sacrement de Pénitence.
En second lieu le Prêtre est obligé non seulement de connaître ce qui regarde l’usage et l’administration des Sacrements, mais encore d’être assez versé dans la science des saintes Écritures, pour pouvoir apprendre au peuple les Mystères de la Foi chrétienne avec les préceptes de la Loi divine, l’exhorter à la Piété et à la Vertu, le retirer et l’éloigner du vice. Car le Prêtre a deux grands devoirs à remplir : l’un de produire et d’administrer les sacrements, l’autre d’enseigner aux Fidèles confiés à sa garde les choses et les règles de conduite nécessaires au salut. Ainsi le demande le Prophète Malachie : Les lèvres du Prêtre, dit-il, seront dépositaires de la science ; c’est de sa bouche qu’on attendra l’explication de la Loi, parce qu’il est l’ange du Seigneur des armées384.
Pour remplir le premier de ces devoirs, il n’est pas besoin, il est vrai, d’une science extraordinaire, mais d’autre part une science commune ne suffit point pour s’acquitter convenablement du second. Cependant on ne demande pas également à tous les Prêtres de savoir le dernier mot sur les points les plus obscurs. C’est assez que chacun connaisse ce qui est indispensable pour l’exercice de sa charge et de son ministère. On ne doit point conférer les saints Ordres aux enfants, ni aux frénétiques, ni aux insensés, parce qu’ils sont tous privés de l’usage de la raison. Néanmoins s’ils venaient à les recevoir, ils en recevraient aussi le caractère, qui demeurerait imprimé en eux.
Quant à l’âge précis qu’il faut avoir pour s’approcher de chacun de ces Ordres, nous renvoyons aux décrets du saint Concile de Trente.
On n’ordonne pas davantage les esclaves, car on ne peut vouer au service divin ceux qui ne s’appartiennent pas, et qui sont en puissance d’un autre ; ni les homicides et les hommes de sang, la Loi de l’Église les repousse et les déclare irréguliers ; ni ceux dont les parents n’ont pas été mariés selon les lois de l’Église ; il convient que ceux qui sont attachés au service divin n’aient rien en eux qui puisse les exposer d’une manière quelconque à la déconsidération et au mépris publics.
Enfin on n’ordonne pas non plus les estropiés, ni ceux qui ont quelque difformité corporelle considérable. Une laideur et une infirmité de cette nature, ont, l’une, quelque chose de choquant, et l’autre, quelque chose de gênant dans l’administration des Sacrements.
Ces explications données, les Pasteurs n’ont plus qu’à faire connaître les effets de ce Sacrement. Or il est certain que l’Ordre, quoique destiné directement, comme nous l’avons dit, au bien et à l’avantage de l’Église, produit néanmoins dans l’âme de celui qui le reçoit, la Grâce de la sanctification qui le rend propre et habile à remplir ses Fonctions et à administrer les Sacrements d’une manière convenable, de même que la grâce du Baptême rend propre à recevoir tous les autres Sacrements.
Il est encore une autre Grâce que l’Ordre confère, c’est une puissance particulière par rapport au très saint sacrement de l’Eucharistie ; puissance pleine et parfaite dans le Prêtre, parce qu’il peut seul consacrer le Corps et le Sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais plus ou moins grande dans les Ordres inférieurs, selon que leur ministère les rapproche plus ou moins du sacrement de l’Autel. C’est cette grâce que l’on appelle caractère spirituel, parce qu’elle est comme une marque imprimée dans l’âme de ceux qui ont été ordonnés, qui sert à les distinguer des simples Fidèles, et qui les consacre au service divin. C’est cette Grâce que l’Apôtre avait sans doute en vue, quand il écrivait à Timothée : Ne négligez pas la Grâce qui est en vous, qui vous a été donnée suivant une révélation prophétique, avec l’imposition des mains des Prêtres385 ; et encore : Je vous avertis de ressusciter la Grâce de Dieu qui est en vous par l’imposition de mes mains386.
Nous en avons assez dit sur le sacrement de l’Ordre, ne voulant présenter ici que les points principaux de la doctrine qui s’y rapporte, et fournir aux Pasteurs un moyen d’instruire les Fidèles à cet égard, en les formant à la Piété chrétienne.
S’il est vrai que les Pasteurs ne doivent se proposer que le bonheur et la perfection des Fidèles, leur vœu le plus ardent pour eux devrait être celui de l’Apôtre écrivant aux Corinthiens : Je voudrais que tous les hommes fussent comme moi387, c’est-à-dire, je voudrais les voir vivre toujours chastes. Il n’y a pas en effet de bonheur plus grand en ce monde que d’avoir l’âme tranquille, dégagée des soins et des soucis de ce monde, en paix du côté de la concupiscence et des convoitises coupables, uniquement occupée de la piété et de la méditation des choses du ciel.
Mais, dit le même Apôtre : Chacun a reçu de Dieu un don particulier, l’un d’une manière, et l’autre d’une autre388. D’ailleurs le Mariage possède des grâces et des biens tout célestes ; il est devenu l’un des sept Sacrements de l’Église catholique ; Notre-Seigneur voulut bien un jour honorer de sa présence la solennité des noces. Tous ces motifs nous prouvent suffisamment que les Pasteurs doivent instruire les Fidèles sur cette matière, surtout en voyant Saint Paul et le Prince des Apôtres consigner avec le plus grand soin dans plusieurs passages de leurs écrits ce qui a rapport non seulement à la dignité mais encore aux devoirs du Mariage. Inspirés tous deux par le Saint-Esprit, ils comprenaient très bien les immenses avantages qui rejailliraient sur la société chrétienne, si les Fidèles connaissaient et conservaient sans tache la sainteté de cet état, comme aussi ils pouvaient prévoir combien l’ignorance et les fautes, à cet égard, seraient funestes à l’Église, et attireraient sur elle les plus grandes calamités.
Parlons d’abord de la nature et des propriétés du Mariage. Le vice se cache souvent sous les dehors de la vertu, et il est à craindre que les Fidèles trompés par une fausse apparence de Mariage, ne vivent dans le péché en suivant l’entraînement de leurs caprices. Mais pour donner ces explications il faut voir d’abord ce que signifie ce mot de Mariage.
Le Mariage s’appelle en latin matrimonium, du mot mater, mère, parce que la femme se marie surtout pour devenir mère, ou bien de ces deux mots : matris munus, fonction de la mère, parce que en raison de la maternité elle doit supporter les plus lourdes charges que lui imposent les enfants.
On l’appelle aussi conjugium, union conjugale, d’un mot latin qui veut dire : placer sous le joug, parce que le même joug lie entre eux la femme et le mari légitimes.
Enfin on le nomme encore nuptiae, noces, qui signifie voiler, soit parce que les jeunes filles en se mariant se voilaient par modestie, comme dit Saint Ambroise ; soit pour marquer par là l’obéissance et la soumission que la femme doit au mari.
Voici maintenant la définition ordinaire que les Théologiens nous en donnent : le Mariage est l’union conjugale de l’homme et de la femme, contractée selon les Lois de l’Église, et constituant une communauté de vie inséparable.
Pour bien comprendre toutes les parties de cette définition, il faut remarquer que si, dans un Mariage parfait, on trouve tout d’abord le consentement intérieur des personnes, puis un pacte, ou convention extérieure exprimée par des paroles, ensuite l’obligation et le lien qui naît de la convention, et enfin les rapports des Époux qui achèvent le Mariage, rien de tout cela cependant n’en renferme la nature et l’essence, excepté cette obligation, ce lien qui est indiqué dans le mot d’union.
On ajoute le mot conjugale, parce que les autres contrats ou conventions pour lesquels l’homme et la femme s’obligent à se prêter un mutuel secours, par argent, ou autrement, n’ont rien de commun avec le Mariage.
Ces mots qui viennent ensuite, contractée suivant les lois, ou bien, entre personnes légitimes, nous montrent qu’il est des personnes à qui les lois interdisent absolument le Mariage, et par conséquent qui ne peuvent contracter validement cette sorte d’union ; et celle qu’elles tenteraient serait nulle. Ainsi par exemple le Mariage ne peut être contracté légitimement ni validement entre personnes parentes au quatrième degré, ni entre celles qui n’auraient point l’âge fixé par les lois389 qui régissent la matière et que l’on doit toujours observer fidèlement.
Enfin nous avons dit que le Mariage oblige l’homme et la femme à vivre dans une communauté inséparable, parce que le lien qu’il établit entre eux est absolument indissoluble.
D’où il suit nécessairement que l’essence même du Mariage est dans ce lien dont nous parlons. Et si quelques théologiens, et non des moindres, semblent la faire consister dans le consentement, lorsqu’ils disent que l’union conjugale, c’est le consentement de l’homme et de la femme, cela doit s’entendre en ce sens que c’est le consentement qui est la cause efficiente du Mariage. Ainsi l’ont enseigné les Pères du Concile de Florence. Et en effet il n’y a ni obligation, ni lien possibles sans consentement, et sans pacte.
Mais il est essentiel que le consentement soit exprimé par des paroles qui marquent un temps présent. Le Mariage n’est pas une simple donation, c’est un pacte mutuel, par conséquent le consentement d’un seul ne saurait suffire pour le former, il faut le consentement des deux parties. Or il est clair que la parole est nécessaire pour manifester le consentement réciproque des cœurs.
Si le mariage pouvait exister avec un consentement purement intérieur, et sans aucun signe sensible, il s’en suivrait par exemple, que si deux personnes habitant des pays très éloignés et très différents, venaient à avoir la volonté de s’épouser, il y aurait réellement Mariage entre eux dès ce moment, et Mariage réel et solide, avant même de s’être fait connaître réciproquement leur volonté, par lettre ou autrement. Ce qui est contraire à la raison, à la coutume et aux ordonnances de l’Église.
Mais de plus il est nécessaire que le consentement mutuel se donne en des termes qui indiquent le présent. Des paroles qui marqueraient le futur promettraient simplement le Mariage, mais ne le formeraient point. D’ailleurs ce qui est à venir, n’existe pas encore ; et ce qui n’est pas encore doit être considéré comme ayant peu ou point de consistance et de stabilité. C’est pourquoi celui qui a seulement promis d’épouser une femme, n’a point encore acquis à son égard les droits du Mariage, puisque ce qu’il a promis n’est pas exécuté. Cependant il doit tenir sa parole, autrement il commettrait le crime de parjure.
Quant à celui que le pacte du Mariage a une fois uni à une autre, il ne peut plus dans la suite ni changer, ni invalider, ni annuler cette alliance, quand même il se repentirait de l’avoir contractée. L’obligation du Mariage n’est donc point une simple promesse ; c’est une cession véritable que l’homme et la femme se font mutuellement d’eux-mêmes ; et par conséquent elle doit être nécessairement formulée par des paroles qui indiquent le présent ; paroles dont l’effet subsiste ensuite d’une manière permanente, puisqu’elles tiennent l’Époux et l’Épouse enchaînés dans un indissoluble lien. Cependant ces paroles peuvent être remplacées par des signes et des mouvements, qui exprimeraient clairement le consentement intérieur. Le silence même suffirait, si, par exemple, une jeune fille ne répondait point par modestie, et si ses parents parlaient pour elle en sa présence.
Les Pasteurs enseigneront donc aux Fidèles, d’après ce que nous venons de dire, que le Mariage consiste essentiellement dans l’obligation ou lien qui unit les Époux ; que le consentement, exprimé comme nous l’avons dit, suffit pour produire un véritable Mariage, et qu’il n’est point nécessaire pour cela que le Mariage soit effectif. Avant leur péché, nos premiers parents étaient certainement unis par un mariage réel, et cependant ce Mariage n’avait point reçu son achèvement. C’est l’enseignement formel des Saints Pères. Aussi n’hésitent-ils pas à dire que le Mariage consiste non dans l’usage mais dans le consentement. Ainsi le répète entre autres Saint Ambroise dans son Livre des Vierges.
Après ces explications il faudra faire remarquer que le Mariage a un double caractère : on peut le considérer comme une union naturelle, (car ce n’est pas une invention des hommes, mais une institution de la nature), ou bien comme un Sacrement, dont la vertu est supérieure aux choses purement naturelles. Et comme la grâce perfectionne la nature, et que, au témoignage de l’Apôtre : le spirituel ne précède point ce qui est animal, mais qu’il ne vient qu’après, l’ordre logique demande que nous traitions d’abord du Mariage, en tant qu’il est fondé sur la nature et qu’il produit des obligations naturelles. Nous exposerons ensuite ce qu’il est comme Sacrement.
Les Fidèles doivent savoir tout d’abord que le Mariage a été institué par Dieu. En effet nous lisons dans la Genèse : Dieu créa l’homme et la femme. Il les bénit et leur dit : croissez et multipliez. Et encore : Il n’est pas bon que l’homme soit seul : faisons-lui un aide qui lui ressemble. Puis un peu plus loin : Il ne se trouvait point pour Adam d’aide qui fut semblable à lui. Le Seigneur lui envoya un doux sommeil, et pendant qu’il dormait Il lui tira une côte, et mit de la chair à la place, et de la côte qu’Il venait d’enlever à Adam Il forma la femme qu’Il lui présenta, et Adam, la voyant, s’écria : c’est l’os de mes os et la chair de ma chair. Elle sera appelée d’un nom pris de l’homme parce qu’elle a été tirée de l’homme. C’est pourquoi l’homme abandonnera son père et sa mère, et il s’attachera à sa femme, et ils seront deux dans une même chair390.
Ces paroles, selon le témoignage même de notre Sauveur dans Saint Matthieu391, prouvent que Dieu Lui-même est l’Auteur du Mariage. Et non seulement Dieu est l’Auteur du Mariage, mais encore, comme l’enseigne le Concile de Trente392, Il a voulu que cette union eût un lien perpétuel et indissoluble. Ce que Dieu a joint, dit le Sauveur Lui-même, que l’homme ne le sépare point !393 Bien que l’indissolubilité convienne parfaitement au Mariage comme œuvre de la nature, c’est surtout à son titre de Sacrement qu’il la doit. C’est ce même titre qui élève à leur haute perfection toutes ses propriétés naturelles. Toutefois, l’éducation des enfants et les autres fins du Mariage répugnent à la dissolution du lien qui le constitue.
Quant à ces paroles du Seigneur : Croissez et multipliez, elles ont pour but de faire connaître la cause de l’institution du Mariage, et non d’en imposer l’obligation à tout le monde. Le genre humain étant multiplié comme il l’est, non seulement personne n’est tenu par aucune loi à se marier, mais encore la virginité est hautement célébrée et conseillée dans nos Saints Livres, comme supérieure à l’état du Mariage, c’est-à-dire plus parfaite et plus sainte. Ainsi l’a enseigné Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même par ces paroles : Que celui qui peut comprendre, comprenne394. Et Saint Paul a dit après Lui : Je n’ai point reçu de commandement du Seigneur relativement aux vierges ; mais voici le conseil que je donne, comme ayant reçu de Dieu la grâce d’être son fidèle Ministre395.
Nous avons maintenant à exposer les motifs qui doivent déterminer l’homme et la femme à se marier.
Le premier, c’est l’instinct naturel, qui porte les deux sexes à s’unir, dans l’espoir de s’aider mutuellement, et de trouver dans cette réciprocité de secours plus de forces pour supporter les incommodités de la vie et les infirmités de la vieillesse.
Le second est le désir d’avoir des enfants, moins il est vrai pour laisser des héritiers de ses biens et de ses richesses, que pour donner à Dieu des serviteurs croyants et fidèles. Telle était, avant tout, l’intention des saints Patriarches de l’ancienne Loi, lorsqu’ils prenaient des épouses. Nos Saints Livres ne nous laissent aucun doute sur ce point. Et c’est pourquoi l’Ange Raphaël, apprenant à Tobie le moyen de se défendre contre les violences du démon, lui disait : Je vous montrerai qui sont ceux sur qui le démon a de la puissance. Ce sont ceux qui entrent dans le mariage, sans penser à Dieu et à son amour, uniquement pour satisfaire leurs passions, comme des animaux sans raison. Le démon est tout puissant contre eux. Puis l’Ange ajoutait : mais vous, vous prendrez cette jeune fille avec la crainte du Seigneur, dans le désir d’avoir des enfants, et non de satisfaire vos passions, afin que vous obteniez dans vos enfants la bénédiction promise à la race d’Abraham396.
Et c’est là, en effet, la fin véritable pour laquelle Dieu institua le Mariage au commencement. Aussi ceux-là commettent une faute très grave qui s’opposent volontairement à cette fin du mariage ; elle a été voulue et ordonnée par Dieu qui unit inséparablement les droits et les devoirs.
À ces deux premiers motifs un troisième est venu s’adjoindre depuis le péché du premier homme, après qu’il eut perdu l’innocence dans laquelle il avait été créé, et que la concupiscence eut commencé à se révolter contre la droite raison. Dès lors celui qui a conscience de sa faiblesse, et qui ne veut point combattre les révoltes de la chair, doit trouver dans le mariage un secours pour son salut. Et c’est ce qui a fait dire à l’Apôtre : dans la crainte du péché, que chaque homme vive avec sa femme, et chaque femme avec son mari. Puis après avoir dit qu’il est bon de ne pas toujours user de tous ses droits afin de vaquer plus librement au devoir de la prière, il ajoute encore que les Époux ne doivent pas cesser dans leur vie commune de se prêter un mutuel appui contre les tentations et la faiblesse d’ici-bas397.
Voilà donc les motifs qui doivent, l’un ou l’autre, déterminer ceux qui veulent contracter Mariage d’une manière sainte et pieuse, comme il convient aux enfants des Saints. Mais si quelques-uns étaient portés par d’autres causes à se marier, et si dans le choix d’une épouse ils avaient principalement en vue l’espérance de laisser des héritiers, ou encore les richesses, la beauté, l’éclat de la naissance, la ressemblance des caractères, de tels motifs ne seraient point blâmables pour cela, parce qu’ils ne sont pas contraires à la sainteté du Mariage. Ainsi la Sainte Écriture ne nous dit pas que le patriarche Jacob ait été coupable pour avoir préféré Rachel à Léa, à cause de sa beauté.
Après avoir expliqué ce qui regarde le Mariage considéré comme union naturelle, il faut l’étudier maintenant comme Sacrement, et montrer que sous ce rapport il est beaucoup plus excellent, et qu’il tend à une fin beaucoup plus élevée. Le but du mariage, en tant qu’union naturelle, c’est la propagation de la race humaine. Dieu l’avait ainsi voulu dès le commencement ; mais ensuite, le Mariage a été élevé à la dignité de Sacrement, afin qu’il en sortit un peuple engendré et formé pour le culte et la religion du vrai Dieu et de Jésus-Christ notre Sauveur. Aussi cette union sainte de l’homme et de la femme est-elle donnée par Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même comme le signe visible de cette union si étroite qui existe entre Lui et son Église, et de l’immense Charité qu’Il a pour nous. C’est ainsi qu’il a symbolisé la divinité d’un si grand mystère. Et en effet ce choix était de toute convenance, puisque de tous les liens qui enchaînent les hommes entre eux. Et qui les rapprochent les uns des autres, il n’en est pas de plus étroit que le Mariage ; l’Époux et l’épouse sont attachés l’un à l’autre par la charité et la bonté la plus grande. Voilà pourquoi nos Saints Livres nous représentent si souvent l’Union divine de Jésus-Christ avec son Église sous l’image de noces ou Mariage.
Maintenant, que le Mariage soit un Sacrement, l’Église, appuyée sur l’autorité de l’Apôtre, l’a toujours tenu pour certain et incontestable. Voici en effet ce que Saint Paul écrivait aux Éphésiens : Les maris doivent aimer leurs épouses comme leurs propres corps. Celui qui aime son épouse, s’aime lui-même. Car personne ne hait sa propre chair, mais il la nourrit et l’entretient, comme Jésus-Christ fait pour son Église, parce que nous sommes les membres de son corps, formés de sa Chair et de ses os. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et il s’attachera à son épouse ; et ils seront deux dans une même chair. Ce Sacrement est grand, je dis en Jésus-Christ et dans l’Église398. Or ces mots : ce Sacrement est grand se rapportent à coup sûr au Mariage ; puisque l’union de l’homme et de la femme dont Dieu est l’Auteur, est précisément le Sacrement, c’est-à-dire le signe sacré de cet autre lien si saint qui unit Jésus-Christ à son Église. Et tous les anciens Pères qui ont interprété ce passage démontrent que c’est là son sens propre et véritable. Et le Saint Concile de Trente l’explique de la même manière. Il est donc certain que l’Apôtre compare l’homme à Jésus-Christ et la femme à l’Église ; que l’homme est le chef de la femme, comme Jésus-Christ est le Chef de l’Église399 ; que pour cette raison l’homme doit aimer sa femme, et la femme aimer et respecter son mari car Jésus-Christ, dit l’Apôtre, a aimé son Église, et Il s’est livré pour elle ; et l’Église à son tour, selon la doctrine du même Apôtre, est soumise à Jésus-Christ. De plus ce Sacrement signifie et produit la grâce ; deux propriétés qui constituent, à proprement parler, l’essence même du Sacrement. C’est ce que nous enseignent ces paroles du Concile de Trente : Jésus-Christ Lui-même, Auteur et Instituteur des Sacrements, nous a mérité, par sa Passion, la grâce propre à perfectionner l’amour naturel des Époux, à affermir l’union indissoluble qui existe entre eux, et à les sanctifier400. Il faut donc enseigner que l’effet de la grâce produite par ce Sacrement, c’est de fixer et d’arrêter dans les douceurs d’un bonheur tranquille la tendresse mutuelle et l’amour réciproque des deux Époux, de maintenir leur cœur et de le préserver de toute affection déréglée, afin qu’en toutes choses le Mariage soit honorable, et le foyer toujours digne401.
Il est aisé de juger maintenant combien le Mariage chrétien l’emporte sur ces unions qui se faisaient, soit avant, soit après la Loi de Moïse. Sans doute les Gentils étaient convaincus qu’il y avait quelque chose de divin dans le Mariage, aussi réprouvaient-ils comme contraires à la nature les unions qui avaient lieu hors du mariage, et même ils jugeaient dignes de châtiment l’adultère, la violence et les autres genres de libertinage, mais néanmoins le Mariage n’eut jamais chez eux le caractère du Sacrement.
Les Juifs, il est vrai, observaient les lois du Mariage avec un respect vraiment religieux, et il n’est pas douteux que leurs alliances eussent un degré de sainteté beaucoup plus élevé. Comme ils avaient reçu de Dieu la promesse qu’un jour toutes les nations seraient bénies dans la race d’Abraham402, ils considéraient avec raison comme un devoir de haute piété d’avoir des enfants et de contribuer à l’accroissement du peuple choisi d’où Jésus-Christ notre Sauveur, dans sa nature humaine, devait tirer son origine. Mais ces unions-là même ne renfermaient point la véritable essence du Sacrement,
Il faut joindre à cela que, sous la Loi de nature, après le péché de nos premiers parents, soit même sous la loi de Moïse, le Mariage avait singulièrement dégénéré de sa première Sainteté et de sa pureté originelle. Ainsi sous la Loi de nature, nous voyons que beaucoup de Patriarches avaient plusieurs femmes à la fois ; et sous la Loi de Moïse il était permis de répudier une femme pour certaines raisons, en lui délivrant un billet de divorce. Mais la Loi Évangélique a supprimé cette double liberté, et a ramené ainsi le Mariage à son premier état. Ce n’est pas qu’on puisse blâmer ces anciens Patriarches d’avoir eu plusieurs femmes, car ils n’avaient agi ainsi qu’avec la permission divine. Mais Jésus-Christ a montré clairement que la polygamie est contraire à la nature même du Mariage, quand il a dit : L’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à son épouse, et ils seront deux ne faisant qu’un. Ainsi, ajoute-t-il, ils ne sont plus deux, mais un seul403.
Ces paroles font voir évidemment que Dieu a institué le Mariage pour en faire l’union de deux personnes, et non davantage. D’ailleurs Notre-Seigneur Jésus-Christ l’enseigne très nettement dans ce même passage de Saint Matthieu : Quiconque renvoie sa femme, et en épouse une autre, commet un adultère ; et si une femme quitte son mari et en épouse un autre, c’est une adultère404. Car s’il était permis à l’homme d’avoir plusieurs femmes, on ne voit pas pour quelle raison il serait moins adultère en épousant une autre femme avec celle qu’il aurait déjà, que s’il en prenait une seconde après avoir renvoyé la première. C’est pour cela que si un infidèle, qui d’après les mœurs et les usages de son pays a épousé plusieurs femmes, vient à se convertir à la vraie Religion, l’Église lui ordonne de les renvoyer toutes, à l’exception de celle qu’il a eue la première, et elle veut qu’il tienne celle-ci pour sa véritable et légitime épouse.
Le même témoignage de Notre-Seigneur Jésus-Christ prouve également qu’aucun divorce ne saurait rompre le lien du Mariage. Car si le divorce affranchissait la femme de la Loi qui l’attache à son mari, elle pourrait sans adultère se marier à un autre. Or, notre Seigneur dit positivement que quiconque renvoie sa femme et en prend une autre, commet un adultère405. Il est donc évident que la mort seule peut briser le lien du Mariage. C’est ce que l’Apôtre vient confirmer quand il dit : La femme est enchaînée à la Loi, tant que son mari est vivant ; s’il vient à mourir, elle est affranchie, elle peut alors se marier à qui elle veut, pourvu que ce soit selon le Seigneur. Et encore : Quant à ceux qui sont mariés, j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, que l’épouse ne se sépare point de son mari ; si elle en est séparée, il faut qu’elle reste sans mari, ou qu’elle se réconcilie avec le premier406. L’Apôtre laisse donc à la femme qui a quitté son mari, pour une cause légitime, cette alternative, ou de vivre comme n’étant point mariée, ou de se réconcilier avec lui. On dit : pour une cause légitime, car la sainte Église ne permet point à l’homme et à la femme de se séparer sans les plus graves motifs.
Et pour que personne ne trouve trop dure cette Loi qui rend le Mariage absolument indissoluble, il faut montrer maintenant quels en sont les avantages.
Le premier c’est de faire comprendre aux Fidèles que dans un Mariage à conclure on doit considérer la vertu et la conformité de mœurs, plutôt que les richesses et la beauté. Rien n’est plus propre évidemment à entretenir la bonne harmonie entre le mari et la femme.
D’ailleurs si le Mariage pouvait se dissoudre par le divorce, les Époux ne manqueraient presque jamais de raisons pour se séparer. L’antique ennemi de la paix et de la vertu leur en fournirait tous les jours de nouvelles. Mais quand ils viennent à réfléchir que même en cessant la vie commune, et tous les rapports de l’union conjugale, ils n’en restent pas moins enchaînés par les liens du Mariage, sans aucune espérance de pouvoir jamais se marier à d’autres, cette pensée les rend moins prompts à se diviser et à se fâcher l’un contre l’autre. Si même il arrive qu’ils se séparent, et qu’ils ne puissent supporter longtemps la privation du Mariage, ils se laissent réconcilier par des amis, et reprennent la vie commune.
Les Pasteurs ne doivent pas omettre ici l’exhortation si salutaire de Saint Augustin. Pour montrer aux Fidèles qu’ils ne devaient pas faire trop de difficultés pour se réconcilier avec leurs épouses, lorsqu’ils s’en étaient séparés pour cause d’infidélité, et qu’elles se repentaient de leur crime : Pourquoi, disait-il, le mari fidèle ne recevrait-il pas une épouse que l’Église reçoit ? Et pourquoi l’épouse ne pardonnerait-elle pas à son mari coupable, mais repentant, lui à qui Jésus-Christ même a pardonné ?407 Quand l’Écriture appelle insensé celui qui garde une femme adultère408, elle a en vue celle qui, après sa faute, refuse de se repentir et de sortir de sa honte et de son péché.
D’après tout ce que nous venons de dire il est bien évident que le Mariage des chrétiens est infiniment plus parfait et plus digne que celui des infidèles et même des Juifs.
Il y a de plus trois biens particuliers propres au Mariage, et dont il faut parler aux Fidèles ; c’est à savoir les enfants, la fidélité et le Sacrement, qui sont comme une compensation des peines et des ennuis dont parle l’Apôtre, quand il dit : Les personnes mariées éprouveront des tribulations de toutes sortes409. De là encore il résulte que l’union de l’homme et de la femme qui serait condamnable à juste titre en dehors du Mariage, est permise et légitime entre les Époux.
Le premier bien du Mariage, c’est la famille, c’est-à-dire les enfants nés d’une épouse légitime et véritable. L’Apôtre Saint Paul l’élève si haut qu’il va jusqu’à dire : La femme sera sauvée par les enfants qu’elle mettra au monde. Paroles qui doivent s’entendre, non pas seulement de la génération des enfants, mais encore de leur éducation et du soin de les former à la piété ; car il ajoute aussitôt s’ils persévèrent dans la Foi410. D’ailleurs, l’Écriture dit positivement : Avez-vous des enfants ? Sachez les instruire, et les plier au joug dès leur enfance411. L’Apôtre Saint Paul enseigne la même doctrine, et l’Histoire sainte nous montre dans le saint homme Job, dans Tobie, et dans plusieurs autres saints Patriarches, des exemples admirables de l’éducation que les parents doivent donner à leurs enfants. Au reste, nous exposerons plus longuement, au quatrième Commandement de Dieu, les devoirs des parents et des enfants.
Le second bien du Mariage, c’est la Foi ; non pas cette vertu de Foi que nous recevons, et qui nous pénètre, en quelque sorte, dans le Baptême ; mais cette Foi mutuelle qui lie si étroitement le mari à l’épouse, et l’épouse au mari, qu’ils se donnent entièrement l’un à l’autre, avec la promesse de ne jamais violer la sainte alliance du Mariage. Cette conclusion se déduit aisément des paroles prononcées par notre premier père en recevant Ève pour son épouse, paroles que Notre-Seigneur a confirmées Lui-même dans l’Évangile, en les répétant : L’homme, dit-il, abandonnera son père et sa mère, et il s’attachera à son épouse, et ils seront deux ne faisant qu’un412.
De même l’Apôtre déclare que : La femme ne s’appartient pas, mais qu’elle appartient à son mari ; et que l’homme ne s’appartient pas, mais qu’il appartient à sa femme413. C’est donc avec une parfaite justice que, dans la Loi ancienne, le Seigneur avait porté des peines si sévères contre les coupables qui violeraient la foi conjugale.
La fidélité du Mariage demande en outre que le mari et la femme s’aiment d’un amour particulier, tout chaste et tout pur, bien différent de l’amour déréglé, mais d’un amour semblable à celui de Jésus-Christ pour son Église. C’est la règle que prescrit l’Apôtre quand il dit Maris, aimez vos épouses comme Jésus-Christ a aimé son Église414. Or si Jésus-Christ a eu pour son Église un amour si grand et si étendu, ce n’est point assurément pour son propre avantage, mais uniquement pour le bien de son épouse.
Le troisième bien du Mariage, c’est le Sacrement, c’est-à-dire, le lien indissoluble qui unit les Époux. Ainsi que nous le lisons dans l’Apôtre, Le Seigneur a ordonné à l’épouse de ne point se séparer de son Époux ; ou si elle vient à s’en séparer, de rester sans mari ou de se réconcilier avec le premier, et au mari de ne point renvoyer son épouse415. En effet, si le Mariage en tant que Sacrement représente l’Union de Jésus-Christ avec son Église, n’est-il pas nécessaire que comme Jésus-Christ n’abandonne jamais son Église, l’épouse ne puisse jamais non plus être séparée de son Époux, au point de vue du lien conjugal.
Mais pour conserver plus aisément la paix dans cette sainte société, il y aura lieu de faire connaître les devoirs du mari et de la femme, tels qu’ils nous ont été transmis par Saint Paul, et par Saint Pierre le prince des Apôtres.
Le premier devoir du mari est de traiter sa femme avec douceur et d’une manière honorable. Il doit se souvenir qu’Adam appela Ève sa compagne, quand il dit : La femme que Vous m’avez donnée pour compagne416. C’est pour cette raison, disent quelques saints Pères, que la femme ne fut pas tirée des pieds de l’homme, mais de son côté ; comme aussi elle ne fut point tirée de sa tête, afin qu’elle comprit bien qu’elle ne devait point dominer son mari, mais plutôt lui être soumise.
En second lieu, il convient que le mari soit occupé à quelque travail honnête, tant pour fournir à sa famille ce qui est nécessaire à son entretien, que pour ne point languir dans une molle oisiveté, source de tous les vices.
Enfin il doit régler sa famille, corriger et former les mœurs de tous ceux qui la composent, et contenir chacun dans son devoir.
Quant à la femme, voici quelles sont ses obligations, d’après l’Apôtre Saint Pierre : Que les femmes soient soumises à leurs maris, afin que, s’il en est qui ne croient point à la Parole, ils soient gagnés, sans la Parole, par la bonne vie de leurs femmes, lorsqu’ils considéreront la pureté de vos mœurs unie au respect que vous avez pour eux. Ne vous parez pas au dehors par l’art de votre chevelure, par les ornements d’or ni par la beauté des vêtements ; mais ornez l’homme invisible caché dans le cœur, par la pureté incorruptible d’un esprit de douceur et de paix ; ce qui est un riche ornement aux yeux de Dieu. Car c’est ainsi que se paraient autrefois les saintes femmes qui espéraient en Dieu, et qui obéissaient à leurs maris. Telle était Sara qui obéissait à Abraham, qu’elle appelait son Seigneur417.
Un autre devoir essentiel des femmes c’est l’éducation religieuse des enfants, et le soin assidu des choses domestiques. Elles aimeront aussi à rester chez elles, à moins que la nécessité ne les oblige à sortir, et même alors elles devront avoir l’autorisation de leurs maris.
Enfin, — et ceci est le point capital dans le Mariage — elles se souviendront que, selon Dieu, elles ne doivent ni aimer ni estimer personne plus que leurs maris, et qu’elles sont obligées, en tout ce qui n’est point contraire à la piété chrétienne, de leur être soumises et de leur obéir avec joie et empressement.
Comme complément naturel des explications qui précèdent, les Pasteurs auront à faire connaître les formalités que l’on doit observer en contractant Mariage. Mais il ne faut pas s’attendre que nous parlions ici de ces règles, car le Concile de Trente les a déterminées en détail et avec la plus grande exactitude, au moins dans leurs points principaux. Et les Pasteurs ne peuvent ignorer ce qu’il a prescrit à cet égard. Il suffit donc de les avertir en ce moment qu’ils doivent s’appliquer à étudier la doctrine du Saint Concile sur cette matière, et puis de l’exposer aux Fidèles avec le soin qu’elle mérite.
Et pour empêcher les jeunes gens et les jeunes filles — qui réfléchissent si peu — de se laisser tromper par une fausse apparence de Mariage, et d’ériger en alliance des relations qui ne seraient pas légitimes, ils ne se lasseront point de répéter qu’il ne peut y avoir de légitime et véritable Mariage que celui qui est contracté en présence du propre Curé, ou d’un autre Prêtre délégué par lui, ou par l’Ordinaire, et devant un certain nombre de témoins.
Il ne faut pas oublier non plus les empêchement du Mariage. C’est un sujet qui a été traité avec tant de soin par la plupart des Docteurs les plus savants, (qui ont écrit sur les vices et sur les vertus), que chacun pourra aisément se servir ici de ce qu’ils ont laissé sur ce point, d’autant plus que leurs livres doivent rester entre les mains des Pasteurs. Ils les liront donc avec la même attention sérieuse que les décrets du Concile de Trente sur les empêchements qui naissent de la parenté spirituelle, ou de l’honnêteté publique, ou de l’adultère, pour pouvoir en instruire ensuite les Fidèles.
D’après ce que nous venons de dire, il est facile de voir dans quelles dispositions il faut être pour s’engager dans le Mariage. Les Fidèles doivent se rappeler que cette union n’est point une chose purement humaine. Non, le Mariage est une alliance toute divine qui exige une grande pureté de cœur, et une piété toute particulière. C’est ce que nous montrent clairement les exemples des Patriarches de l’ancienne Loi. Car, bien que leurs Mariages ne fussent point élevés à la dignité de Sacrement, cependant ils ne les célébraient qu’avec une religion profonde et une pureté parfaite.
Il faut encore, entr’autres recommandations, exhorter les fils de famille à témoigner à leurs parents, ou à ceux qui les remplacent, assez de considération pour ne jamais contracter de Mariages à leur insu, ni, à plus forte raison, contre leur volonté et malgré leur opposition. Nous voyons que dans l’Ancien Testament c’étaient toujours les parents qui mariaient eux-mêmes leurs enfants. Et l’Apôtre fait bien entendre que leur volonté en cette matière mérite la plus grande déférence, lorsqu’il dit : Celui qui marie sa fille fait bien ; et celui qui ne la marie pas, fait mieux418.
Enfin il nous reste à parler de l’usage du Mariage. En traitant cet article, les Pasteurs prendront bien garde de ne laisser tomber de leurs lèvres aucune parole indigne d’un auditoire chrétien, capable de blesser les âmes pures, ou d’exciter le rire. De même que les paroles du Seigneur sont des paroles chastes419, de même aussi il convient que celui qui est chargé d’instruire le peuple chrétien ne tienne que des discours qui montrent une gravité d’esprit et une pureté de cœur toutes particulières. Voici donc sur ce sujet la double recommandation à faire aux Fidèles.
D’abord, ils ne doivent point user de leurs droits pour leur seule satisfaction ; mais suivant les fins que Dieu Lui-même a prescrites, ainsi que nous l’avons dit plus haut. Ils ne doivent pas non plus oublier cette exhortation de Saint Paul : Que ceux qui ont des épouses, soient comme n’en ayant point420. L’homme sage, dit Saint Jérôme, aimera son épouse par raison, et non par passion ; il maîtrisera les entraînements de la nature, et ne se laissera point emporter par un aveuglement coupable ; car il n’y a rien de plus honorable que d’aimer son épouse d’un amour toujours digne421.
D’autre part, comme tous les biens s’obtiennent du Seigneur par de saintes prières, il faut enseigner aux Fidèles qu’il est à propos de vivre dans leur état de manière à accomplir leurs exercices religieux et spécialement la fréquentation des Sacrements. Il convient aussi de ne pas perdre de vue les lois de la Pénitence et des temps qui lui sont consacrés. Telle est la sainte et excellence inspiration souvent suggérée par les Pères de l’Église.
Les Époux fidèles à ces recommandations verront s’accroître de jour en jour les biens du Mariage par une plus grande abondance de Grâces divines. Et tout en remplissant leurs devoirs avec une vraie piété, non seulement ils passeront cette vie dans la tranquillité et dans la paix, mais encore ils se reposeront dans cette véritable et ferme espérance, qui ne trompe point422, d’obtenir de la bonté de Dieu la félicité éternelle.
Saint Augustin n’a pas craint de dire que le Décalogue est le sommaire et l’abrégé de toutes les Lois. Bien que Dieu eût fait pour son peuple un grand nombre de prescriptions, néanmoins Il ne donna à Moïse que les deux tables de pierre, appelées les tables du témoignage, pour être déposées dans l’Arche. Et en effet, il est facile de constater que tous les autres Commandements de Dieu dépendent des dix qui furent gravés sur les tables de pierre, si on les examine de près, et si on les entend comme il convient. Et ces dix Commandements dépendent eux-mêmes des deux préceptes de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain, dans lesquels sont renfermés la Loi et les Prophètes1.
Le Décalogue étant l’abrégé de tous les devoirs, les Pasteurs sont obligés de le méditer jour et nuit, non seulement pour y conformer leur propre vie, mais encore pour instruire dans la Loi du Seigneur le peuple qui leur est confié. Car les lèvres du Prêtre sont dépositaires de la science, et les peuples recevront de sa bouche l’explication de la Loi, parce qu’il est l’ange du Seigneur des armées2. Ces paroles s’appliquent admirablement aux Prêtres de la Loi nouvelle, parce qu’étant plus rapprochés de Dieu que ceux de la Loi ancienne, ils doivent se transformer de clarté en clarté, comme par l’Esprit du Seigneur3. D’ailleurs, puisque Jésus-Christ Lui-même leur a donné le nom de lumière4, leur devoir et leur rôle, c’est d’être la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, les docteurs des ignorants, les maîtres des enfants5 ; et si quelqu’un tombe par surprise dans quelque péché, c’est à ceux qui sont spirituels à le relever6.
Au tribunal de la Pénitence ils sont de véritables juges, et la sentence qu’ils portent est en raison de l’espèce et de la grandeur des fautes. Si donc ils ne veulent ni s’abuser eux-mêmes, ni abuser les autres par leur ignorance, il est nécessaire qu’ils étudient la Loi de Dieu avec le plus grand soin, et qu’ils sachent l’interpréter avec sagesse, afin de pouvoir rendre sur toute faute, action ou omission, un jugement conforme à cette règle divine, et encore comme dit l’Apôtre afin de pouvoir donner la saine Doctrine7, c’est-à-dire, une doctrine exempte de toute erreur, et capable de guérir les maladies de l’âme, qui sont les péchés, et de faire des Fidèles un peuple agréable à Dieu par la pratique des bonnes œuvres8.
Mais dans ces sortes d’explications, le Pasteur doit rechercher, tant pour lui-même que pour les autres, les motifs les plus propres à obtenir l’obéissance à cette Loi. Or, parmi ces motifs, le plus puissant pour déterminer le cœur humain à observer les prescriptions dont nous parlons, c’est la pensée que Dieu Lui-même en est l’Auteur. Bien qu’il soit dit que la Loi a été donnée par le ministère des Anges9, nul ne peut douter qu’elle n’ait Dieu Lui-même pour auteur. Nous en avons une preuve plus que suffisante, non seulement dans les paroles du législateur que nous allons expliquer, mais encore dans une multitude de passages des saintes Écritures, qui sont assez connus des Pasteurs.
Il n’est personne en effet qui ne sente au fond du cœur une Loi que Dieu Lui-même y a gravée, et qui lui fait discerner le bien du mal, le juste de l’injuste, l’honnête de ce qui ne l’est pas. Or la nature et la portée de cette Loi ne diffèrent en rien de la Loi écrite, par conséquent il est nécessaire que Dieu, Auteur de la seconde, soit en même temps l’Auteur de la première.
Il faut donc enseigner que cette Loi intérieure, au moment où Dieu donna à Moïse la Loi écrite, était obscurcie et presque éteinte dans tous les esprits par la corruption des mœurs, et par une dépravation invétérée ; on conçoit dès lors que Dieu ait voulu renouveler et faire revivre une Loi déjà existante plutôt que de porter une Loi nouvelle. Les Fidèles ne doivent donc pas s’imaginer qu’ils ne sont pas tenus d’accomplir le Décalogue, parce qu’ils ont entendu dire que la Loi de Moïse était abrogée. Car il est bien certain qu’on doit se soumettre à ces divins préceptes, non pas parce que Moïse les a promulgués, mais parce qu’ils sont gravés dans tous les cœurs, et qu’ils ont été expliqués et confirmés par Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même.
Toutefois, (et cette pensée aura une grande force de persuasion) il sera très utile d’engager les Fidèles à se rappeler que Dieu Lui-même est l’Auteur de la Loi ; Dieu dont nous ne pouvons révoquer en doute la Sagesse et l’équité, Dieu enfin dont la Force et la Puissance sont telles qu’il nous est impossible d’y échapper. Aussi, quand Il ordonne par ses Prophètes l’observation de sa Loi, nous l’entendons dire : Je suis le Seigneur Dieu. Et au commencement du Décalogue : Je suis le Seigneur votre Dieu10 et ailleurs : si Je suis le Seigneur, où est la crainte que vous avez de Moi ?11
Mais cette pensée n’excitera pas seulement les Fidèles à garder les Commandements de Dieu, elle les portera encore à Le remercier d’avoir fait connaître ses volontés qui nous donnent les moyens d’opérer notre salut. L’Écriture, dans beaucoup d’endroits, rappelle aux hommes ce grand bienfait, et les exhorte à sentir tout ensemble leur propre dignité et la bonté de Dieu comme dans ce passage du Deutéronome : Telle sera votre Sagesse et votre Intelligence devant nous les peuples, que tous ceux qui auront connaissance de ces commandements diront : voilà un peuple sage et intelligent, voilà une grande nation12. Et dans celui-ci du Psalmiste : Il n’a pas agi de la sorte avec toutes les nations ; Il ne leur a pas ainsi manifesté ses jugements13.
Si le Pasteur a soin de rapporter et de dépeindre ensuite, d’après l’autorité de la Sainte Écriture, la manière dont la Loi fut donnée, les Fidèles n’auront pas de peine à comprendre avec quelle piété et quelle soumission ils doivent accomplir des Commandements qui leur viennent de Dieu.
Trois jours avant la promulgation du Décalogue, sur l’ordre formel de Dieu, tous les Hébreux furent obligés de laver leurs vêtements et de garder la continence, afin d’être purs et plus prêts à recevoir la Loi du Seigneur. Quand les trois jours de préparation furent passés, ils vinrent tous au pied de la montagne, où Dieu avait résolu de leur donner sa Loi par l’intermédiaire de Moïse. Moïse en effet fut appelé seul sur la Montagne. Alors Dieu lui apparut dans tout l’éclat de sa Majesté. Il se mit à parler avec lui et lui donna les préceptes du Décalogue au milieu des tonnerres, des feux, des éclairs, et d’un nuage épais qui couvrit toute la Montagne. Or, que voulait la Sagesse divine par tous ces prodiges ? Sinon de montrer avec quelle pureté de cœur et quelle humilité nous devons accueillir sa Loi, et quels châtiments terribles sa justice nous réserve, si nous n’y faisons pas attention.
Ce n’est pas assez ; le Pasteur devra faire voir aussi que cette Loi n’est pas difficile à accomplir. Il lui suffira pour cela d’apporter cette raison donnée par Saint Augustin : Comment, dit-il, peut-il être impossible à l’homme d’aimer son Créateur qui le comble de tant de biens, d’aimer un père qui l’a tant aimé, d’aimer sa propre chair dans ses frères ? Or, celui qui aime accomplit la Loi14. C’est ce qui faisait dire à l’Apôtre Saint Jean : Les Commandements de Dieu ne sont point pénibles15. En effet, dit à son tour Saint Bernard, on ne pouvait exiger de l’homme rien de plus juste, rien de plus digne, rien de plus avantageux pour lui16. De là aussi cette exclamation de Saint Augustin, admirant la bonté infinie de Dieu : qu’est-ce que l’homme, ô mon Dieu, pour que vous lui ordonniez de vous aimer, et que vous le menaciez des plus grands châtiments, s’il ne vous aime pas ? N’est-ce pas déjà un assez grand châtiment de ne vous aimer pas ?17
Si quelqu’un s’excusait de ne pouvoir aimer Dieu, en alléguant la faiblesse de sa nature, il faudrait lui apprendre que Dieu qui exige que nous L’aimions, allume Lui-même le feu de son Amour dans nos cœurs par le Saint-Esprit, et que le Père céleste communique toujours cet esprit de bonté et d’amour à ceux qui le Lui demandent. Saint Augustin avait donc bien raison de dire : Seigneur, donnez-moi tout ce que Vous exigez, et exigez tout ce que Vous voulez18. Ainsi donc, puisque Dieu est toujours disposé à nous aider, surtout depuis que son divin Fils Notre-Seigneur Jésus-Christ est mort pour nous, et a chassé loin de nous par sa Mort le prince des ténèbres, personne ne peut plus s’écarter de la Loi de Dieu par la difficulté de l’observer. Il n’y a rien de difficile pour celui qui aime.
Le Pasteur disposera d’un moyen très puissant pour obtenir ce qu’il demande ici, s’il a soin de bien montrer que l’observation des Commandements de Dieu est d’une nécessité absolue. Et il insistera d’autant plus sur ce point qu’aujourd’hui il ne manque pas d’hommes, qui ne craignent pas de soutenir, pour leur malheur, que cette Loi, facile ou difficile, n’est pas nécessaire au salut. Pour réfuter cette doctrine impie et criminelle, il n’aura qu’à invoquer le témoignage de la Sainte Écriture, et particulièrement de ce même Apôtre sur l’autorité duquel on s’efforce d’appuyer cette erreur funeste. Que dit en effet l’Apôtre : Il importe peu d’être circoncis, ou incirconcis, ce qui est absolument nécessaire, c’est l’observation des Commandements de Dieu19. Quand ensuite il répète ailleurs la même maxime et nous dit que : La nouvelle créature en Jésus-Christ vaut seule quelque chose20, il nous fait clairement entendre que par cette nouvelle créature en Jésus-Christ il veut signifier celui qui observe les Commandements de Dieu. Car avoir reçu les Commandements de Dieu et les observer, c’est L’aimer, d’après ce témoignage de Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même dans Saint Jean : Celui qui M’aime gardera ma parole21. En effet, quoique l’homme puisse cesser d’être impie, avant d’avoir accompli des actes extérieurs de chaque précepte de la Loi, cependant il est impossible à celui qui a l’usage de sa raison, de passer de l’impiété à la justice, sans avoir le cœur disposé à garder tous les Commandements de Dieu.
Enfin, pour ne rien omettre de ce qui peut amener le peuple chrétien à pratiquer la Loi, le Pasteur aura soin de montrer combien les fruits qu’elle porte sont nombreux et consolants. À cette fin il n’aura qu’à citer le Psaume dix-huitième qui célèbre les mérites de la Loi de Dieu. Et le plus grand des mérites de cette Loi, c’est de révéler la gloire de son Auteur et de faire ressortir sa divine Majesté, bien mieux encore que les corps célestes eux-mêmes dont la beauté éclatante et l’ordre magnifique frappent d’admiration les peuples les plus barbares et les obligent à reconnaître la Gloire, la Sagesse et la Puissance de l’Artiste incomparable, Créateur de toutes choses. Cette Loi élève et convertit les âmes à Dieu22 ; c’est elle qui nous instruit de ses Voies, nous révèle sa très sainte Volonté, et nous fait marcher dans le chemin que Lui-même nous a tracé. Mais comme il n’y a que ceux qui craignent Dieu qui sont les vrais sages, le Psalmiste attribue encore à la Loi cette vertu singulière de donner la sagesse aux petits23. Et enfin, dit-il, ceux qui l’observent fidèlement possèdent des joies pures, des consolations abondantes puisées dans la contemplation des divins Mystères, des récompenses infinies en cette vie et en l’autre.
Cependant prenons garde d’accomplir cette sainte Loi moins pour notre avantage que pour l’amour que nous devons à Dieu, précisément parce qu’Il a bien voulu nous exprimer sa Volonté en nous la donnant. Et puisque toutes les autres créatures Lui sont soumises, n’est-il pas bien plus juste encore que nous-mêmes Lui obéissions en toutes choses.
Mais il ne faut pas passer sous silence une réflexion qui nous fait sentir vivement la Clémence de Dieu à notre égard, et apprécier les trésors de son infinie Bonté. Ce Dieu pouvait nous obliger à servir les intérêts de sa Gloire, sans aucune récompense, néanmoins il Lui a plu de rapprocher tellement sa Gloire de notre avantage, que ce qui sert à Le glorifier, sert aussi à notre propre bien. Cette considération est très forte et très frappante. Le Pasteur ne manquera pas de montrer aux Fidèles avec le Prophète que : Dans l’accomplissement de la Loi se trouvent d’abondantes récompenses24. Dieu ne nous promet pas seulement les bénédictions qui semblent se rapporter plutôt au bonheur terrestre, comme les bénédictions de nos villes et de nos champs25, mais Il nous propose encore un immense trésor dans le ciel26, et cette mesure pleine, pressée, entassée, coulant par-dessus les bords27, que nous méritons avec l’aide de sa divine miséricorde, par des œuvres de justice et de piété.
Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai tiré de la terre d’Égypte, de la maison de servitude ; tu n’auras point de dieux étrangers devant Moi ; tu ne te feras point d’idoles, etc.
Cette Loi que Dieu donna aux Juifs sur le mont Sinaï, la nature l’avait imprimée et gravée longtemps auparavant dans le cœur de tous les hommes, et tous les hommes pour ce motif étaient obligés de l’accomplir. Dieu l’avait ainsi voulu. Il sera donc très utile d’expliquer avec soin aux Fidèles les termes mêmes dans lesquels elle fut promulguée par Moïse, qui en fut le ministre et l’interprète, et de leur faire connaître l’histoire si pleine de mystères du peuple hébreu.
Les Pasteurs commenceront par raconter que de toutes les nations qui vivaient sur la terre, Dieu en choisit une qui descendait d’Abraham. Ce saint Patriarche, pour obéir à Dieu, avait habité comme étranger la terre de Chanaan, et Dieu lui avait promis de lui donner cette terre ; mais ni lui ni ses descendants ne la possédèrent qu’après avoir erré pendant plus de quatre cents ans. Durant ce long pèlerinage, Dieu ne les abandonna jamais. Ils allaient de nation en nation, de peuple en peuple, mais nulle part Il ne souffrit qu’on leur fît aucun mal, et même Il punit les rois qui voulaient leur nuire. Avant qu’ils descendissent en Égypte, Il envoya dans ce pays un homme dont la sagesse devait les préserver, eux et les Égyptiens, des suites de la famine. Il les entoura tellement de sa Bonté protectrice, que malgré la résistance de Pharaon et son acharnement à les perdre, ils se multiplièrent prodigieusement. Puis quand Il les vit dans l’affliction et soumis au plus dur esclavage, Il suscita un chef dans la personne de Moïse pour les tirer d’Égypte par la puissance de son bras. C’est de cette délivrance que Dieu fait mention au commencement de la Loi quand Il dit : Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’ai tiré de la terre d’Égypte, de la maison de servitude28.
Ici le Pasteur fera remarquer avec soin que si Dieu choisit cette nation entre toutes, pour l’appeler son peuple, et pour être plus spécialement connu et servi par elle, ce n’est point qu’elle fût plus nombreuse ou plus juste que les autres, comme Dieu ne manque pas de le lui rappeler ; mais c’est qu’Il le voulut ainsi pour rendre plus sensible et plus éclatante aux yeux de tous sa Puissance et sa Bonté, en comblant de bienfaits et de richesse une nation si peu nombreuse et si pauvre. Quelque misérable que fût l’état des Hébreux, Dieu s’attacha à eux, et les aima, au point que le Maître du ciel et de la terre ne rougit point d’être appelé leur Dieu29. Son but était de provoquer les autres peuples à les imiter, et d’amener tous les hommes à embrasser son culte, par le bonheur dont Il comblait les Israélites sous leurs yeux. De même l’Apôtre Saint Paul déclarera plus tard qu’Il a excité l’émulation de son peuple30, en lui représentant le bonheur des Gentils, et la connaissance du vrai Dieu qu’Il leur avait donnée.
Ensuite le Pasteur enseignera aux Fidèles que Dieu laissa longtemps les Patriarches hébreux errer comme des voyageurs en pays étranger, et leurs descendants gémir sous l’oppression et l’accablement de la plus dure servitude, pour nous apprendre qu’on ne peut être ami de Dieu, sans être ennemi du monde et étranger sur la terre, et par conséquent qu’il est d’autant plus facile de gagner son amitié qu’on est plus détaché et séparé du monde. En même temps, Il voulait nous faire comprendre, à nous qui Lui rendons le culte qu’Il mérite, qu’il y a infiniment plus de bonheur à Le servir, qu’à servir le monde. C’est ce que l’Écriture nous rappelle quand elle dit : Les enfants de Judas seront soumis à Sésac, afin qu’ils apprennent quelle différence il y a entre mon service et le service des rois de la terre31.
Il expliquera aussi que Dieu n’accomplit sa promesse qu’après plus de quatre cents ans, afin d’entretenir son peuple dans la Foi et l’Espérance. Le Seigneur en effet veut que ses enfants dépendent continuellement de Lui et qu’ils mettent tout leur espoir dans sa bonté, comme nous le dirons en développant le premier Commandement.
Enfin il marquera le temps et le lieu où le peuple d’Israël reçut de Dieu cette Loi. Ce fut après sa sortie d’Égypte et dès qu’il fut entré dans le désert, afin que le souvenir de sa récente délivrance et la vue d’une région si sauvage le rendît plus propre à recevoir ses Commandements. Les hommes en effet s’attachent fortement à ceux dont ils viennent d’éprouver la bonté, et ils se réfugient sous la protection de Dieu, lorsqu’ils se voient privés de tout secours humain. Et c’est ce qui nous fait conclure que nous sommes d’autant mieux disposés à recevoir les Vérités divines, que nous fuyons davantage les attraits du monde et les plaisirs mauvais. Aussi est-il écrit dans le Prophète : À qui le Seigneur enseignera-t-il sa Loi ? À qui donnera-t-il l’intelligence de sa parole ? Aux enfants sevrés et arrachés du sein de leurs mères32.
Que le Pasteur s’efforce donc, autant qu’il le pourra, d’amener les Fidèles à avoir toujours présentes à l’esprit ces paroles si graves : Je suis le Seigneur votre Dieu. Elles leur feront comprendre qu’ils ont pour législateur le Créateur Lui-même, Celui qui leur a donné la vie et qui la leur conserve, et leur permettront de répéter en toute vérité : Oui, il est notre Seigneur et notre Dieu ; nous sommes le peuple de ses pâturages, le troupeau de sa droite33. Ces paroles souvent répétées, et avec une sainte ardeur, auront la vertu de les rendre plus prompts à obéir à la Loi, et de les éloigner du péché.
Quant aux suivantes : Qui vous ai tirés de la terre d’Égypte, de la maison de servitude, bien qu’elles semblent s’appliquer uniquement aux Hébreux délivrés de la domination des Égyptiens, néanmoins si l’on considère ce qu’est en elle-même l’œuvre du salut de tous, il est facile de voir qu’elles se rapportent infiniment mieux aux Chrétiens qui ont été arrachés par Dieu Lui-même non pas à la servitude d’Égypte, mais à la région du péché et à la puissance des ténèbres, pour être introduits enfin dans le Royaume de son Fils bien-aimé. C’est ce grand bienfait qu’avait en vue le prophète Jérémie quand il disait : Voici que des jours viennent, dit le Seigneur, où l’on ne dira plus : vive le Seigneur, qui a tiré les enfants d’Israël de la terre d’Égypte ! Mais vive le Seigneur, qui a rappelé les enfants d’Israël du septentrion, et de toutes les parties de la terre où ils avaient été dispersés, pour les réunir dans la terre qui avait été donnée à leurs pères ! Voilà, dit le Seigneur, que J’enverrai des pêcheurs en grand nombre, et ils pêcheront les enfants d’Israël34.
En effet, ce Père infiniment bon a rassemblé, par son Fils, ses enfants dispersés35, afin que désormais esclaves de la justice et non plus du péché36, nous le servions en marchant devant Lui tous les jours de notre vie dans la sainteté et la justice37.
Ainsi à toutes les tentations sachons opposer, comme un bouclier, ces paroles de l’Apôtre : Étant mort au péché, comment pourrions-nous vivre encore dans le péché ? 38 Nous ne sommes plus à nous, mais à Celui qui est mort et qui est ressuscité pour nous. C’est le Seigneur notre Dieu Lui-même qui nous a achetés au prix de son Sang. Comment pourrions-nous pécher encore contre Lui, et de nouveau l’attacher à la croix ? Puisque nous sommes vraiment libres, de cette liberté que Jésus-Christ Lui-même nous a rendue, faisons servir nos membres à la justice, et à notre propre sanctification, comme nous les avons fait servir à l’injustice et à l’iniquité39.
Vous n’aurez point de dieux étrangers devant Moi. Le Pasteur fera remarquer que dans le Décalogue la première place est pour les choses qui regardent Dieu, et la seconde pour celles qui regardent le prochain. C’est qu’en effet Dieu est la cause des devoirs que nous accomplissons envers le prochain. Et ce prochain nous ne l’aimons conformément à l’ordre de Dieu que si nous l’aimons pour Dieu. — On sait que la première des deux tables de pierre renfermait les Commandements qui ont Dieu pour objet. — Le Pasteur montrera ensuite que les paroles qui expriment le premier Commandement contiennent deux préceptes, dont l’un a pour but de commander et l’autre de défendre.
Car en se servant de ces mots : vous n’aurez point de dieux étrangers devant Moi, Dieu disait en d’autres termes : vous M’adorerez, Moi le Dieu véritable, mais vous n’aurez point de culte pour les dieux étrangers.
Le premier de ces préceptes embrasse la Foi, l’Espérance et la Charité. Qui dit Dieu, en effet, dit un être constant, immuable, toujours le même, fidèle, parfaitement juste. D’où il suit que nous devons nécessairement accepter ses oracles, et avoir en Lui une Foi et une confiance entières. Il est Tout-Puissant, clément, infiniment porté à faire du bien. Qui pourrait ne pas mettre en Lui toutes ses espérances ? Et qui pourrait ne pas l’aimer en contemplant les trésors de bonté et de tendresse qu’Il a répandus sur nous ? De là cette formule que Dieu emploie dans la sainte Écriture soit au commencement, soit à la fin de ses préceptes : Je suis le Seigneur.
Voici la seconde partie du précepte : vous n’aurez point de dieux étrangers devant Moi. Si le Législateur l’a aussi formulée, ce n’est pas que sa volonté n’eût été assez clairement expliquée dans cette partie impérative et positive de son Commandement : Vous M’adorerez, Moi le seul Dieu. Car s’il y a un Dieu, il n’y en a qu’un. Mais c’était pour dissiper l’aveuglement d’un grand nombre d’hommes, qui, tout en faisant profession d’adorer le vrai Dieu, avaient cependant des hommages pour une multitude de divinités ; et il y avait quelques Juifs dans ce cas ; on le voit par ces reproches que leur faisait le Prophète Élie : Jusqu’à quand boiterez-vous des deux côtés ?40 Ce fut aussi le crime des Samaritains, qui adoraient en même temps et le Dieu d’Israël et les divinités des nations41.
À ces explications il faudra ajouter que ce Commandement est le premier et le plus grand de tous, non seulement par le rang qu’il occupe, mais encore par sa nature, sa dignité, et son excellence. Nous devons à Dieu infiniment plus d’amour, de respect et de soumission qu’à nos supérieurs et à ceux qui nous gouvernent. C’est Lui qui nous a créés ; c’est Lui qui nous conserve, qui nous a nourris dès le sein de nos mères, qui ensuite nous a appelés à la lumière ; c’est Lui enfin qui nous fournit toutes les choses nécessaires à notre vie et à notre entretien.
Ceux-là donc pèchent contre ce premier Commandement, qui n’ont ni la Foi, ni l’Espérance, ni la Charité. Et leur nombre, hélas ! est extrêmement considérable. Ce sont ceux qui tombent dans l’hérésie, qui ne croient pas ce que la sainte Église notre mère nous propose à croire ; ceux qui ont foi aux songes, aux augures et à toutes les vaines superstitions de ce genre ; ceux qui désespèrent de leur salut, qui manquent de confiance dans la miséricorde divine ; ceux qui ne s’appuient que sur les richesses, la santé et les forces du corps. On peut voir, pour plus de détails, les Auteurs qui ont écrit sur les vices et les vertus.
En expliquant ce Commandement, le Pasteur fera soigneusement remarquer aux Fidèles que le culte et l’invocation des Saints, des Anges et des Âmes bienheureuses qui jouissent de la Gloire du ciel, comme aussi le respect pour les corps mêmes et les reliques des Saints, tel que l’Église l’a toujours pratiqué, ne sont nullement contraires à l’esprit de ce premier Commandement. Est-il un homme assez insensé pour s’imaginer qu’un souverain qui interdirait à ses sujets de prendre la qualité de roi, et d’exiger les hommages et les honneurs qui ne sont dus qu’à cette dignité suprême, défendrait par là-même d’honorer les magistrats ? Quoiqu’il soit dit que les Chrétiens, à l’exemple des Saints de l’Ancien Testament, adorent les Anges, cependant ce culte qu’ils leur rendent diffère essentiellement de celui qu’ils offrent à Dieu. Et si quelquefois nous voyons les Anges refuser les honneurs qui leur étaient rendus par des hommes, cela signifie simplement qu’ils ne voulaient point prendre pour eux la gloire qui n’est due qu’à Dieu. Car le même Esprit-Saint qui a dit : À Dieu seul honneur et gloire42, nous ordonne néanmoins d’honorer nos parents et les vieillards. Les Saints n’adoraient que Dieu seul, et cependant comme le remarque l’Écriture, ils avaient pour les rois une espèce d’adoration, en ce sens qu’ils les honoraient assez pour se prosterner devant eux. Or si les rois par qui Dieu gouverne le monde ont droit à de tels honneurs, les esprits angéliques que Dieu a faits ses ministres, qu’Il emploie non seulement dans le gouvernement de son Église, mais encore dans celui de l’univers entier, et dont la protection nous délivre tous les jours des plus grands dangers et de l’âme et du corps, ces esprits bienheureux ne recevront-ils pas de nous, bien qu’ils ne se montrent point visiblement à nos yeux, des honneurs d’autant plus grands qu’eux-mêmes l’emportent en dignité sur tous les rois de la terre ?
Ajoutez à cela la Charité qu’ils ont pour nous. C’est cette Charité qui les fait prier, comme nous le voyons dans la sainte Écriture, pour les provinces dont ils sont les protecteurs. Et il n’est pas permis de douter qu’ils n’agissent de même envers ceux dont ils sont les Gardiens, puisqu’ils présentent à Dieu nos prières et nos larmes. Voilà pourquoi le Seigneur nous enseigne dans l’Évangile : Qu’il ne faut point scandaliser même les plus petits enfants, parce que leurs Anges qui sont dans le ciel voient sans cesse la face du Père qui est dans le ciel43.
Il faut donc invoquer les Anges, et parce qu’ils voient Dieu continuellement, et parce qu’ils se chargent avec joie du soin qui leur est confié de veiller à notre salut. L’Écriture sainte nous rapporte des exemples de ces invocations. Ainsi Jacob prie l’Ange avec lequel il avait lutté, de le bénir. Il lui fait même une sorte de violence, car il proteste qu’il ne le laissera point aller, avant d’avoir reçu sa bénédiction. Et non seulement il invoqua l’Ange qu’il voyait, mais encore il en invoqua un autre qu’il ne voyait pas, le jour où il disait : Que l’Ange qui m’a délivré de tout mal bénisse mes enfants !44
D’où l’on peut conclure aussi que les honneurs rendus aux Saints qui sont morts dans le Seigneur, les invocations qu’on leur adresse, la vénération dont on entoure leurs reliques et leurs cendres sacrées, toutes ces pieuses pratiques, loin de diminuer la Gloire de Dieu, l’augmentent au contraire, parce qu’elles élèvent et confirment les espérances des hommes, et qu’elles les excitent à marcher sur les traces des Saints. Au reste ce culte est approuvé par le second Concile de Nicée, ceux de Gangres et de Trente, et par l’autorité des Saints Pères.
Mais afin que le Pasteur soit en état de mieux réfuter les adversaires de cette vérité, il devra lire surtout Saint Jérôme contre Vigilance, et Saint Jean Damascène. Et encore aux raisons qu’ils apportent il faut joindre une considération qui prime toutes les autres : nous sommes ici en présence d’une coutume qui remonte aux Apôtres, et qui s’est maintenue et conservée sans interruption dans l’Église de Dieu. Toutefois, aucune autre preuve ne peut être plus évidente ni plus solide que le témoignage même de la sainte Écriture, laquelle célèbre d’une manière admirable les louanges des Saints. Il est des Saints en effet dont la Parole de Dieu même dans nos Livres sacrés a publié hautement la gloire. Dès lors pourquoi les hommes ne leur rendraient-ils pas des honneurs particuliers ? Enfin un autre motif plus puissant encore d’honorer et d’invoquer les Saints, c’est qu’ils prient continuellement pour le salut des hommes, et que nous devons à leurs mérites et à leur crédit un grand nombre des bienfaits que Dieu nous accorde.
S’il y a dans le ciel une grande joie pour un pécheur qui fait pénitence45, peut-on douter que les Saints ne viennent en aide aux pénitents qui les invoquent, qu’ils ne répondent à leurs prières en obtenant le pardon de leurs péchés et la grâce de la réconciliation avec Dieu ?
Si on prétend, comme quelques-uns l’ont fait, que la protection des Saints est inutile, attendu que Dieu n’a pas besoin d’interprète pour recevoir nos prières, c’est une assertion fausse et impie, réfutée d’ailleurs par ce mot de Saint Augustin : Il est beaucoup de choses que Dieu n’accorderait pas sans le secours et les bons offices d’un médiateur et d’un intercesseur46. Remarque pleinement justifiée par les exemples fameux d’Abimélech et des amis de Job. Ce ne fut en effet que par les prières de ces deux Patriarches qu’ils obtinrent le pardon de leurs péchés.
Voudrait-on alléguer encore que c’est l’affaiblissement ou le défaut de Foi qui nous font recourir au patronage et à l’intercession des Saints ? Mais que répondre alors à l’exemple du Centurion ? Nous connaissons l’éloge admirable que Notre-Seigneur fait de sa Foi. Et pourtant cet homme lui avait envoyé quelques anciens d’entre les Juifs pour le prier de guérir son serviteur qui était malade.47
Sans doute nous devons reconnaître que nous n’avons qu’un seul Médiateur, Notre-Seigneur Jésus-Christ48, qui nous a réconciliés par son Sang avec le Père céleste, et qui, nous ayant rachetés pour l’éternité, est entré une seule fois dans le Sanctuaire, où il ne cesse d’intercéder pour nous49. Mais ceci ne prouve nullement que nous ne devions pas recourir à l’intercession des Saints. Si nous n’avions pas le droit d’implorer leur protection, par cela seul que nous avons Jésus-Christ pour Avocat, l’Apôtre Saint Paul n’eût jamais témoigné tant d’empressement à se faire recommander et aider auprès de Dieu par les prières de ses Frères encore vivants. Car il est bien évident que les prières des Justes qui sont encore en ce monde ne diminueraient pas moins que celles des Saints du ciel la gloire et la dignité de notre Médiateur Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Mais quel est celui qui, au récit des merveilles opérées sur les tombeaux des Saints, ne voudrait pas reconnaître le culte qu’on leur rend, et n’aurait pas pleine confiance dans leur protection ? C’est là que les aveugles ont recouvré la vue, que les infirmes et les paralytiques ont repris l’usage de leurs membres ; c’est là que la vie a été rendue aux morts, et que les démons ont été chassés des corps qu’ils possédaient. Et ces miracles nous sont attestés par des témoins dignes de foi. Des hommes comme Saint Ambroise et Saint Augustin nous les racontent dans leurs écrits, non pas, comme un grand nombre, pour en avoir entendu parler, non pas même, comme un bien plus grand nombre encore pour les avoir lus, mais pour les avoir vus de leurs propres yeux50.
Enfin, que dirons-nous de plus ? Si les vêtements et les ombres même des Saints pouvaient, avant leur sortie de ce monde, chasser les maladies et rendre les forces perdues, qui oserait soutenir que Dieu ne peut opérer les mêmes prodiges par le moyen de leurs cendres sacrées, de leurs ossements et de leurs autres reliques ? On eut un jour une preuve de ce que nous disons, lorsque le cadavre jeté par hasard dans le tombeau d’Élisée revint tout à coup à la vie, au seul contact du corps du Prophète.
Vous ne ferez point d’images taillées, ni de figures des créatures qui sont dans le ciel et sur la terre, dans les eaux et sous la terre ; vous n’adorerez point toutes ces choses et vous ne les honorerez point51.
Quelques-uns ont vu dans ces paroles un second précepte différent du premier, et en même temps ils ont prétendu que les deux derniers Commandements du Décalogue n’en faisaient qu’un. Au contraire Saint Augustin maintient la séparation de ces deux derniers préceptes, et soutient que notre texte fait partie du premier. Nous nous rangeons volontiers à son sentiment, parce qu’il est consacré dans l’Église. Au surplus, nous avons une excellente raison de penser de la sorte : c’est qu’il était convenable de joindre au premier Commandement les récompenses et les punitions qui s’y rapportent.
Mais que personne ne s’imagine que Dieu défend par ce Commandement la peinture, la sculpture et la gravure. Car nous lisons dans la Sainte Écriture que sur l’ordre de Dieu même les hébreux firent des figures et des images, par exemple les Chérubins et le serpent d’airain. Les images étaient défendues uniquement pour empêcher qu’on ne retranchât quelque chose du culte dû à Dieu, pour le leur attribuer comme à de vraies divinités.
Or, il y a évidemment, par rapport à ce précepte, deux manières principales d’outrager la Majesté de Dieu. La première c’est d’adorer des idoles et des images comme on adore Dieu Lui-même, de croire qu’il y a en elles une sorte de divinité et de vertu spéciale qui méritent qu’on leur rende un culte, ou bien encore de leur adresser nos prières et de mettre en elles notre confiance, comme autrefois les païens mettaient leurs espérances dans leurs idoles. La Sainte Écriture leur en fait souvent le reproche.
La seconde c’est de vouloir représenter Dieu sous une forme sensible, comme si la Divinité pouvait être vue des yeux du corps, ou exprimée avec des couleurs et par des figures. Qui pourrait, comme dit Saint Jean Damascène, représenter Dieu qui ne tombe point sous le sens de la vue, qui n’a pas de corps, qui ne peut être limité en aucune manière, ni dépeint par aucune figure ?52 Cette pensée est développée en détail dans le second Concile de Nicée53. C’est pourquoi l’Apôtre a très bien dit des Gentils qu’ils avaient transporté la gloire d’un Dieu incorruptible à des figures d’oiseaux, de quadrupèdes et de serpents54. Car ils adoraient tous ces animaux comme la Divinité même dans les images qu’ils en faisaient. C’est pour cela qu’on appelle idolâtres les Israélites qui s’écriaient devant la statue du veau d’or : Israël, voilà les dieux, voilà ceux qui t’ont tiré de la terre d’Égypte55 car par là ils changeaient le Dieu de gloire contre la figure d’un veau qui mange l’herbe des champs56.
Ainsi donc après avoir défendu d’adorer des dieux étrangers, Dieu, voulant détruire toute idolâtrie, défendit aussi de tirer de l’airain ou de toute autre matière une image de la Divinité. Ce qui a fait dire à Isaïe : À qui ferez-vous ressembler Dieu ? Quelle forme et quelle image Lui donnerez-vous ?57
Il est certain que tel est le sens de ce Commandement. Car outre les Saints Pères qui l’interprètent de cette manière, comme on peut le voir dans les actes du septième Concile général, les paroles suivantes que nous lisons dans le Deutéronome et que Moïse adressa au peuple pour le détourner de l’idolâtrie, nous en donnent une autre preuve : Vous n’avez pas vu que Dieu ait pris aucune forme le jour où, sur la montagne d’Horeb, Il vous parla au milieu des éclairs58. Ce sage législateur leur tenait ce langage pour les empêcher de se laisser tromper et séduire et d’en venir à représenter la Divinité par des images, et à rendre à la créature l’honneur qui n’est dû qu’à Dieu.
Cependant il ne faudrait pas croire qu’on pèche contre la Religion et la Loi de Dieu, lorsqu’on représente quelqu’une des trois Personnes de la Sainte Trinité par certaines figures sous lesquelles elles apparurent dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Nul n’est assez ignorant pour croire que ces images soient l’expression réelle de la Divinité. Le Pasteur aura soin de déclarer qu’elles servent seulement à rappeler certaines propriétés et certaines opérations qu’on attribue à Dieu. C’est ainsi que le Prophète Daniel le dépeint comme un vieillard (l’ancien des jours) assis sur un trône avec des livres ouverts devant Lui59. Il voulait par là nous représenter son Éternité et cette Sagesse infinie qui considère toutes les pensées et toutes les actions des hommes pour les juger.
On donne également aux Anges la forme humaine à laquelle on ajoute des ailes. C’est pour nous faire comprendre toute leur bienveillance pour le genre humain, et toute leur promptitude à exécuter les ordres de Dieu. Ils sont tous des esprits au service du Seigneur, envoyés pour remplir un ministère en faveur de ceux qui doivent hériter du salut60. La colombe et les langues de feu qui figurent le Saint-Esprit dans l’Évangile et les Actes des Apôtres indiquent des attributs qui lui sont propres, et qui sont trop familiers à tout le monde pour qu’il soit nécessaire de nous y arrêter plus longtemps.
En ce qui regarde Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa très Sainte et très chaste Mère, et tous les autres Saints, comme ils ont été revêtus de la nature humaine, non seulement il n’est pas défendu par ce commandement de représenter et d’honorer leurs images ; mais au contraire ces actes ont toujours eu un caractère de piété sincère et de vive reconnaissance. Aussi bien les monuments des temps apostoliques, les conciles œcuméniques et un grand nombre de Saints Pères et de Docteurs sont d’accord pour déposer en leur faveur.
Le Pasteur ne se contentera donc pas d’enseigner qu’il est permis d’avoir des images dans les églises et de leur rendre des honneurs et un culte, puisque ce culte se rapporte à la personne même des saints ; mais il établira encore les grands avantages que cette pratique a procurés aux Fidèles jusqu’à ce jour, comme on le voit dans le livre de Saint Jean Damascène qui a pour titre du Culte des images, et comme l’enseigne le septième Concile général, c’est-à-dire le second Concile de Nicée.
Toutefois, comme l’ennemi du genre humain cherche sans cesse à corrompre par ses ruses et ses tromperies les institutions les plus saintes, si le Pasteur vient à remarquer qu’il s’est glissé sur ce point quelque erreur parmi le peuple, il fera tous ses efforts pour le corriger, conformément au décret du Concile de Trente. Et même si les circonstances le permettent, il devra expliquer le décret lui-même. Ainsi il apprendra aux ignorants et à ceux qui ne comprennent pas le but de l’institution des images, qu’elles ont pour objet de nous faire connaître l’histoire des deux Testaments, et de nous en renouveler de temps en temps le souvenir, afin que la pensée des bienfaits de Dieu nous excite à L’honorer davantage et augmente dans nos cœurs le feu de l’amour que nous avons pour Lui. Le Pasteur montrera aussi que si l’on place dans nos temples les images des Saints, c’est afin que nous honorions ceux qu’elles représentent, et que, avertis par leur exemple, nous soyons capables de former sur eux notre vie et nos mœurs.
Je suis le Seigneur votre Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui poursuis l’iniquité des pères dans les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération de ceux qui me haïssent ; et qui fais miséricorde jusqu’à mille générations à ceux qui M’aiment et qui gardent mes préceptes.
Il y a deux choses, dans cette dernière partie du premier Commandement qui demandent à être expliquées avec grand soin.
La première, c’est que la menace ici accompagne très justement le précepte, parce que la violation de ce premier Commandement est le plus grand des crimes, et que les hommes sont très portés à le commettre. Cependant la question des peines est l’appendice obligé de tous les préceptes. Il n’y a pas de loi en effet qui n’ait ses châtiments et ses récompenses pour amener les hommes à observer ses prescriptions. Voilà pourquoi on rencontre si souvent dans l’Écriture Sainte tant de promesses de la part de Dieu. Et sans nous arrêter aux témoignages presque innombrables que nous trouverions dans l’Ancien Testament, méditons ceux que l’Évangile nous fait lire : Si vous voulez entrer dans la vie, observez les Commandements61. Et ailleurs : Celui-là entrera dans le Royaume des Cieux qui fait la volonté de mon Père qui est dans le ciel62. Tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu63. Quiconque se fâchera contre son frère méritera d’être condamné par le jugement64. Si vous ne pardonnez point les péchés d’autrui, votre Père ne vous pardonnera point les vôtres65.
La seconde chose, c’est qu’il faut expliquer ces paroles d’une manière bien différente, à ceux qui sont parfaits. Et à ceux qui sont encore charnels.
Les hommes parfaits, qui se laissent conduire par l’esprit de Dieu et qui Lui obéissent avec joie et empressement, reçoivent la menace de ces châtiments comme une nouvelle très agréable et comme une grande preuve de la bienveillance divine à leur égard. Ils y voient la sollicitude d’un Père plein de tendresse, qui oblige en quelque sorte les hommes, tantôt par des récompenses, tantôt par des châtiments, à L’adorer et à Le servir. Ils reconnaissent dans ce Commandement qu’Il veut bien leur faire, un effet de cette bonté infinie du Seigneur qui se sert de ses créatures pour procurer la gloire de son nom. Et non seulement ils reconnaissent en cela sa bonté, mais ils ont encore la ferme espérance qu’en ordonnant ce qu’Il veut, Il leur accordera les forces nécessaires pour exécuter ce qu’Il demande.
Les hommes charnels au contraire, qui ne sont pas encore délivrés de l’esprit de servitude, et qui s’abstiennent de faire le mal plutôt par la crainte des châtiments que par l’amour de la vertu, trouvent l’appendice dont nous parlons très dur et très sévère. Le Pasteur ne manquera pas d’élever leurs âmes par de pieuses exhortations, et de les conduire comme par la main à l’accomplissement de la Loi. Au surplus, toutes les fois qu’il aura l’occasion d’expliquer quelque précepte, il devra tenir compte de ces observations.
Remarquons encore qu’il y a dans ces paroles qui terminent le premier Commandement, ce qu’on pourrait appeler deux aiguillons, capables d’exciter les hommes charnels aussi bien que les hommes spirituels à l’observation de la Loi.
Et d’abord, ces mots, le Dieu fort, doivent être expliqués avec d’autant plus de soin, que souvent la chair, trop peu effrayée des menaces divines, invente pour son usage différentes raisons qui la feront échapper sûrement à la colère de Dieu, et éviter ses châtiments. Mais quiconque est assuré que Dieu est le Dieu fort, redit avec David : Où irai-je pour m’éloigner de votre esprit ? Où fuirai-je pour me dérober à votre vue ?66 D’autres fois la chair se défie des promesses divines, exagère les forces de l’ennemi, et s’imagine qu’elle ne pourra jamais résister à ses efforts. Au contraire, ceux qui ont une Foi vive, ferme et solide, une Foi qui s’appuie sur la Force même et la Vertu de Dieu, sentent leur courage se ranimer et se fortifier car ils se disent à eux-mêmes : Le Seigneur est ma lumière et mon salut. Qui craindrai-je ?67
Le second aiguillon, c’est la jalousie divine. Très souvent les hommes s’imaginent que Dieu ne s’occupe point des choses humaines, pas même de notre fidélité ou de notre négligence à garder sa Loi. De là de graves désordres dans leur vie. Mais quand on est convaincu que Dieu est un Dieu jaloux, cette pensée retient facilement dans le devoir.
Toutefois la jalousie que nous attribuons à Dieu n’est point celle qui agite et trouble l’esprit. La jalousie de Dieu, c’est cet Amour, cette Charité qu’il a pour nous, et qui l’empêche de laisser jamais personne s’éloigner de Lui impunément. En effet, dit le Prophète David, Il perd tous ceux qui Le renient68.
Ainsi la jalousie dont nous parlons, n’est rien autre chose que cette justice toujours calme et sereine, qui répudie l’âme corrompue par l’erreur et les passions, et qui la repousse parce qu’elle est indigne de rester l’épouse de son Dieu. À coup sûr, elle doit nous paraître bien douce et bien agréable, cette jalousie de Dieu, puisqu’elle est une preuve assurée de l’immense, de l’incroyable Amour qu’Il a pour nous. Et comme parmi les hommes il n’y a point d’amour plus vif, d’union plus forte et plus étroite que celle qui est cimentée par le mariage, Dieu nous montre combien Il nous aime, lorsqu’il se compare si souvent, vis-à-vis de nos âmes, à un fiancé, ou à un Époux, et s’appelle Lui-même un Époux jaloux. C’est pourquoi le Prêtre ne manquera pas d’apprendre aux Fidèles qu’ils doivent être tellement passionnés pour tout ce qui regarde le culte et l’honneur de Dieu, qu’on puisse dire d’eux avec vérité que non seulement ils Lui sont attachés, mais même qu’ils L’aiment d’un amour de jalousie, à l’exemple de celui qui disait de lui-même : J’ai été rempli de zèle pour le Seigneur le Dieu des armées69, et comme Jésus-Christ Lui-même dont il est écrit : Le zèle de votre Maison me dévore70.
Quant à la menace qui termine ce précepte, elle signifie que Dieu ne laissera point les pécheurs impunis, mais qu’Il les châtiera comme un bon Père, ou qu’Il les punira sévèrement et sans pitié comme un juge. C’est ce que nous déclare positivement Moïse : et vous saurez que le Seigneur votre Dieu est un Dieu fort et fidèle, gardant son alliance en faisant miséricorde à ceux qui L’aiment et qui gardent ses préceptes, jusqu’à mille générations, et punissant sur-le-champ ceux qui le haïssent71. C’est aussi ce que dit Josué : Vous ne pourrez servir le Seigneur, car c’est un Dieu saint, un Dieu fort et jaloux, et Il ne pardonnera point vos crimes, ni vos péchés. Si vous abandonnez le Seigneur, et si vous servez des dieux étrangers, Il se tournera contre vous, Il vous affligera et Il vous renversera72.
Mais il faut bien montrer au peuple que si Dieu, à la fin de ce premier précepte, menace de punir les méchants et les impies jusqu’à la troisième et quatrième génération, cela ne veut pas dire que tous les descendants portent toujours la peine des crimes de leurs ancêtres, mais que si les coupables et leurs enfants pèchent impunément, jamais leur postérité entière n’échappera à la colère de Dieu. Et n’évitera ses châtiments. C’est ce qui arriva pour le roi Josias. À cause de sa piété extraordinaire, Dieu l’avait épargné. Il lui avait accordé de mourir en paix, d’être enseveli dans le tombeau de ses pères et de ne pas être témoin des malheurs qui devaient bientôt tomber sur Jérusalem et la tribu de Juda, à cause des impiétés de Manassès. Mais à peine fut-il mort que la vengeance de Dieu s’exerça contre sa postérité et n’épargna pas même ses enfants.
Comment concilier maintenant ces paroles que nous venons d’expliquer avec ce qui est dit dans le prophète Ézéchiel : C’est l’âme qui a péché qui mourra ?73 Saint Grégoire, d’accord sur ce point avec tous les Pères de l’antiquité, répond admirablement : Quiconque imite l’iniquité d’un père corrompu, est enchaîné à son sort ; mais quiconque n’imite point cette iniquité, n’est point accablé par le poids des crimes de son père. Ainsi le fils pervers d’un père pervers comme lui, paie non seulement pour ses fautes, mais encore pour celles de son père, puisque, aux crimes de celui-ci qu’il savait avoir provoqué le courroux du Seigneur, il n’a pas craint d’ajouter sa propre perversité. Et c’est justice que celui qui, en présence d’un Juge inflexible, ose néanmoins suivre les voies iniques de son père, soit forcé d’expier les fautes de ce père dans la vie présente74.
Enfin le Pasteur aura grand soin de rappeler combien la bonté et la miséricorde de Dieu l’emportent sur sa justice. Car si sa colère s’étend jusqu’à la troisième et quatrième génération, sa miséricorde va jusqu’à la millième.
Ces paroles, de ceux qui Me haïssent, nous montrent toute la grandeur du péché de ceux qui transgressent ce premier Commandement. Qu’y a-t-il en effet de plus détestable et de plus odieux que de haïr la souveraine bonté, la souveraine vérité ? Or c’est ce que font tous les pécheurs. Car de même que Celui qui a reçu les Commandements et qui les observe, aime Dieu75, de même celui qui méprise la Loi de Dieu et qui n’observe point ses Commandements doit passer à bon droit pour un homme qui hait Dieu.
Quant aux mots de la fin, à ceux qui M’aiment, ils nous apprennent de quelle manière et pour quel motif nous devons garder la Loi. Il est nécessaire que ce soit le motif de la Charité, c’est-à-dire de l’amour même que nous avons pour Dieu. C’est ce qu’il faudra rappeler dans l’explication de chacun des Commandements.
Vous ne prendrez point en vain le nom du Seigneur votre Dieu
Le premier Commandement, que nous venons d’expliquer, et qui nous ordonne de rendre à Dieu un culte saint et plein de respect, renferme nécessairement le Commandement dont nous avons à parler maintenant, et qui est le second. Qui veut être honoré, en effet, veut par là-même qu’on parle de lui avec une déférence parfaite, et il défend même le contraire. C’est ce que nous indiquent clairement ces paroles du Seigneur dans Malachie : Le fils doit honorer son père, et le serviteur son maître ; si donc Je suis votre Père, où sont les honneurs qui me sont dus ?76 Mais Dieu, pour nous faire comprendre la grandeur du devoir qu’Il nous impose ici, a voulu nous prescrire, sur l’honneur qui doit environner la sainteté de son nom divin, un précepte spécial, et qu’Il a exprimé en termes très clairs et très formels. Et cette raison doit suffire pour montrer au Pasteur que ce n’est pas assez de parler de ce Commandement d’une manière générale, mais qu’il faut au contraire s’y arrêter assez longtemps, afin de pouvoir donner aux Fidèles les explications particulières claires et précises dont ils ont besoin. Et il ne peut apporter à ce travail trop de diligence et de zèle, puisque, malheureusement, il est des hommes tellement aveuglés par l’erreur, qu’ils ne craignent pas de maudire Celui que les Anges glorifient. Loin d’être retenus par la Loi donnée par Dieu Lui-même, ils ont l’audace et la témérité d’avilir la Majesté divine par leurs blasphèmes de tous les jours, et presque de tous les instants. Qui ne voit en effet qu’on affirme tout avec serment ? Qu’on met des imprécations et des exécrations partout ? Presque tous ceux qui vendent, qui achètent, ou qui traitent quelque affaire, ont recours au serment, et prennent mille fois en vain le nom du Seigneur, même dans les choses les plus légères et les plus frivoles. C’est donc un véritable devoir pour le Pasteur de redoubler de soin et de zèle, afin de rappeler souvent aux Fidèles combien ce crime est énorme et détestable.
La première chose à faire remarquer dans l’explication de ce précepte c’est que s’il est certaines choses qu’il défend, il en est d’autres qu’il commande, et que les hommes sont obligés d’accomplir. Ces deux points veulent être traités séparément. Et pour que cet enseignement soit plus facile et plus clair, il faut commencer par les choses que la Loi commande, pour parler ensuite de celles qu’elle défend. Or ce qu’elle commande, c’est d’honorer le saint nom de Dieu et de ne jurer par ce nom qu’avec un religieux respect. Ce qu’elle défend, c’est que personne n’ose mépriser ce nom sacré, ne le prenne en vain, et ne jure à faux par Lui, témérairement ou sans motif.
Dans la partie de ce précepte qui nous ordonne d’honorer le saint nom de Dieu, le Pasteur ne manquera pas de faire observer aux Fidèles que ce ne sont pas les lettres, ni les syllabes qu’il faut considérer, ni le nom en lui-même, mais la chose exprimée par ce nom, c’est-à-dire la toute Puissance, et l’éternelle Majesté d’un seul Dieu en trois Personnes. Cette déclaration nous montre immédiatement combien était vaine la superstition d’un certain nombre de Juifs qui voulaient bien écrire le nom de Dieu, mais qui n’osaient pas Le prononcer, comme si la vertu de ce nom eût été dans les lettres qui Le composent, et non pas dans la chose qu’Il signifie. Et quoiqu’il soit écrit au singulier, dans la Loi, Vous ne prendrez point le nom de Dieu en vain, cela ne doit pas s’entendre d’un nom unique, mais de tous ceux que l’on donne habituellement à la Divinité. Car la vérité est que nous Lui donnons beaucoup de noms, comme ceux de Seigneur, de tout Puissant, de Seigneur des armées, de Roi des Rois, de Fort et plusieurs autres de ce genre que nous lisons dans la Sainte Écriture et qui sont tous également respectables.
Ensuite il faut apprendre aux Fidèles comment on rend au nom adorable de Dieu l’honneur qu’Il réclame ; car il n’est pas permis à des Chrétiens qui doivent avoir sans cesse à la bouche les louanges de Dieu d’ignorer une chose si utile et si nécessaire au salut.
Or il y a plusieurs manières de louer ce divin nom, cependant on peut dire qu’elles sont toutes renfermées, en ce qu’elles ont d’essentiel, dans celles que nous allons expliquer.
Premièrement, nous louons Dieu quand nous confessons hardiment devant tout le monde, qu’Il est notre Seigneur et notre Dieu, et quand, reconnaissant Jésus-Christ pour l’Auteur de notre salut, nous Le proclamons notre Sauveur.
Nous Le louons encore, lorsque nous étudions avec autant de respect et d’attention sa Parole sainte, expression de sa sainte Volonté ; lorsque nous méditons cette Parole avec assiduité ; lorsque nous cherchons avec tout le zèle possible à nous en instruire, soit en la lisant, soit en l’écoutant, selon que nos emplois et notre état nous le permettent.
Enfin nous honorons, nous vénérons ce nom sacré, lorsque par devoir ou par dévotion nous célébrons ses louanges, et Lui rendons des Actions de grâces particulières pour tout ce qui nous arrive, l’adversité comme la prospérité. Ainsi le roi Prophète disait : Mon âme, bénis le Seigneur, et n’oublie jamais les grâces que tu as reçues de Lui77. Et dans plusieurs autres Psaumes ce même Prophète célèbre les louanges de Dieu dans les chants les plus suaves, et avec l’accent de l’amour et de la reconnaissance. Ainsi Job, cet admirable modèle de patience, étant tombé dans les plus grandes et les plus horribles calamités, ne cessa jamais de louer Dieu avec une grandeur d’âme étonnante et un invincible courage. Ainsi nous-même, si nous souffrons cruellement dans notre corps et dans notre âme, si les misères et les afflictions de la vie nous accablent, hâtons-nous d’employer ce qui nous reste de volonté et de courage, pour louer Dieu quand même et répéter avec Job : que le nom du Seigneur soit béni !78
Mais nous ne L’honorons pas moins, ce nom adorable, lorsque nous implorons son secours avec confiance, soit afin d’être délivrés de nos maux, soit afin d’obtenir de Lui la constance et la force dont nous avons besoin pour les supporter sans faiblir. Dieu Lui-même veut que nous agissions ainsi : Invoquez-Moi, dit-Il, au jour de la tribulation ; Je vous délivrerai, et vous Me glorifierez79. Il y a dans l’Écriture, et spécialement dans les Psaumes 26, 43 et 118, de nombreux et magnifiques exemples de cette invocation.
C’est encore traiter ce nom divin avec honneur que de Le prendre à témoin pour faire croire à notre parole. Mais cette manière diffère beaucoup des précédentes. Car celles dont nous venons de parler sont de leur nature si excellentes et si désirables, que rien ne peut être plus avantageux pour l’homme, et que ce qu’il doit rechercher avec le plus d’empressement, c’est de s’y exercer et le jour et la nuit. Je bénirai le Seigneur en tout temps, disait David, sa louange sera toujours dans ma bouche80. Au contraire, quoique le serment soit bon en lui-même, l’usage fréquent ne peut en être louable.
Et voici la raison de cette différence. Le serment n’a été institué que pour servir de remède à la faiblesse humaine, et comme un moyen nécessaire pour prouver ce que nous avançons. De même qu’il ne faut donner aux corps que les remèdes nécessaires, et que l’application trop fréquente de ces mêmes remèdes serait dangereuse ; de même aussi il n’est pas utile de jurer sans raison grave et légitime. Et si l’on a trop souvent recours au serment, loin d’être avantageux, il entraîne avec lui les plus graves inconvénients.
C’est pourquoi Saint Jean Chrysostome dit très bien que l’usage du serment ne remonte point au commencement du monde, mais à des temps bien postérieurs, lorsque la malice des hommes, propagée en tout sens, couvrait l’univers entier ; que plus rien n’était ni dans son ordre ni à sa place, que la perturbation et la confusion étaient partout ; qu’en haut, en bas tout était emporté pèle-mêle dans un désordre universel, et que pour comble de tous les maux, presque tous les hommes s’étaient livrés au culte honteux des idoles. Ce ne fut qu’après cet intervalle, bien long sans doute, que le serment se glissa dans les rapports des hommes entre eux. La perfidie et la corruption devinrent telles que les hommes se décidaient difficilement à croire à la parole les uns des autres, et ils furent obligés de prendre Dieu à témoin de ce qu’ils disaient.
Le point capital dans cette partie du second Commandement que nous expliquons, est d’apprendre aux fidèles la manière de jurer religieusement et saintement. Le Pasteur devra donc enseigner que jurer, c’est simplement prendre Dieu à témoin, quels que soient d’ailleurs la formule et les mots qu’on emploie. Ainsi, dire : Dieu m’est témoin, et dire, par Dieu, c’est tout un. C’est encore jurer que de prendre à témoins, pour se faire croire, des créatures comme les saints Évangiles, la Croix, les Reliques des Saints, leurs noms et autres choses de ce genre. Car ce ne sont pas ces objets pris en eux-mêmes qui donnent au serment force et autorité, c’est Dieu seul dont la souveraine Majesté brille dans ses créatures. Ainsi jurer par l’Évangile, c’est jurer par Dieu même dont la Vérité est contenue et exprimée dans l’Évangile. Il en est de même quand on jure par les Saints qui sont les temples de Dieu, qui ont eu Foi dans la Vérité Évangélique, qui L’ont environnée de tous leurs respects, qui L’ont répandue par toute la terre, et au sein des nations les plus éloignées.
Il en faut dire autant du serment que l’on fait avec imprécation, comme Saint Paul par ces paroles : Je prends Dieu à témoin, sur ma vie81. Un serment de cette nature nous livre au jugement de Dieu, comme au vengeur du mensonge. Toutefois nous reconnaissons que plusieurs de ces formules ne sauraient passer pour de véritables serments ; mais il est bon d’observer vis-à-vis d’elles ce qui a été dit du serment, et de leur appliquer exactement les mêmes principes et les mêmes règles.
Il y a deux sortes de serments. Le premier est le serment d’affirmation. Il consiste à affirmer par jurement une chose présente ou passée. L’Apôtre nous en donne un exemple dans son Épître aux Galates, quand il dit : Je prends Dieu à témoin que je ne mens pas82. Le second est le serment de promesse, ou de menace. Il se rapporte entièrement à l’avenir. On l’emploie pour promettre, — et confirmer sa promesse, — qu’une chose se fera de telle ou telle manière. Ce fut le serment de David. Jurant par le Seigneur son Dieu, il promit à Bethsabée, son épouse, que Salomon, son fils, serait son héritier, et son successeur sur le trône83.
Quoiqu’il suffise, pour qu’il y ait serment, de prendre Dieu à témoin, cependant pour que ce serment soit légitime et saint, plusieurs conditions sont requises, qui veulent être expliquées avec soin.
Le prophète Jérémie les énumère, comme le remarque Saint Jérôme, en peu de mots, quand il dit : Vous jurerez par cette parole : Vive le seigneur ! Mais avec vérité, avec jugement et avec justice84. Et il faut reconnaître que ce texte est un véritable résumé de tout ce qui rend un serment parfait, c’est-à-dire précisément la vérité, le jugement et la justice.
La première condition du serment est donc la vérité. Il faut que ce qui est avancé soit vrai, et que celui qui jure, le regarde comme tel, non pas témérairement, et sur de vaines conjectures, mais en s’appuyant sur les raisons les plus solides. La même condition est requise pour le serment qui accompagne une promesse. Celui qui promet doit être disposé à tenir sa parole et à s’exécuter quand le temps sera venu. Et comme on ne peut supposer qu’un homme de bien s’engage jamais à faire une chose qu’il regarderait comme contraire aux Commandements et à la très sainte Volonté de Dieu, tout ce qu’il aura pu promettre et jurer par serment, il ne manquera pas de l’accomplir ; à moins que les circonstances n’aient tellement changé les choses qu’il ne puisse garder sa parole et rester fidèle à ses promesses, sans encourir le mécontentement et l’indignation de Dieu. David montre parfaitement combien la vérité est nécessaire au serment, quand il dit : Celui qui jure à son prochain, et qui tient sa parole85.
En second lieu il faut jurer avec jugement ; c’est-à-dire qu’il ne faut point recourir au serment d’une manière téméraire et inconsidérée, mais après examen, et mûre réflexion. Ainsi, avant de jurer, il faut voir s’il y a nécessité ou non ; peser attentivement l’affaire pour s’assurer qu’elle a besoin d’être prouvée par serment ; considérer le lieu, le temps et toutes les autres circonstances qui s’y rattachent ; ne se laisser entraîner ni par la haine, ni par l’amitié, ni par aucun mouvement déréglé de l’âme, mais uniquement par la nécessité et l’importance de ce qui est en question. Si on néglige de faire ces réflexions et de prendre ces précautions scrupuleuses, on fera nécessairement un serment précipité et téméraire. Tels sont les serments sacrilèges de ces hommes qui pour les choses les plus légères et les plus futiles, jurent sans raison, sans examen, mais uniquement par une coupable habitude. C’est ce que nous voyons chaque jour et partout, entre vendeurs et acheteurs. Ceux-là pour vendre plus cher, ceux-ci pour acheter à meilleur marché, ne craignent pas d’employer le serment pour vanter ou déprécier la marchandise. — C’est parce que le jugement et la prudence sont nécessaires pour jurer, et que les enfants n’ont pas encore assez de perspicacité et de discernement en pareil cas, que le Pape Saint Corneille défendit par décret d’exiger d’eux le serment avant l’âge de puberté, c’est-à-dire avant l’âge de quatorze ans.
La troisième et dernière condition est la justice. Et c’est surtout quand il s’agit de promesses que cette justice est requise. Si quelqu’un promet avec serment une chose injuste et déshonnête, il pèche d’abord en jurant, et il commet un second crime en accomplissant sa promesse. L’Évangile nous fournit un exemple de ce double crime dans la personne du roi Hérode. Ce malheureux s’était lié d’abord par un serment téméraire, puis, pour tenir son serment il osa donner à une danseuse, comme prix de sa danse, la tête de Saint Jean Baptiste. Tel fut encore le serment de ces Juifs, dont nous parlent les Actes des Apôtres, qui avaient juré de ne prendre aucune nourriture, avant d’avoir fait périr Saint Paul86.
Après ces explications, il est hors de doute que l’on peut jurer en sûreté de conscience quand on observe religieusement toutes les conditions dont nous venons de parler, et qui en effet entourent le serment comme d’une espèce de sauvegarde. Au surplus, nous ne manquons pas d’arguments pour prouver ce que nous avançons. Ainsi la Loi du Seigneur qui est sainte et sans tache87 renferme ce Commandement : Vous craindrez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que Lui, et vous jurerez par son Nom88. Le Prophète David nous dit : Ceux qui jurent par le Seigneur seront loués89.
On voit aussi, dans le Nouveau Testament, que les Saints Apôtres, ces éclatantes lumières de l’Église, ont eux-mêmes usé du serment dans l’occasion. Les Épîtres de Saint Paul ne nous laissent aucun doute sur ce point.
Il convient d’ajouter que les Anges eux-mêmes font quelquefois des serments. Il est écrit dans l’Apocalypse de Saint Jean que l’Ange jura par Celui qui vit dans les siècles des siècles90.
Enfin Dieu Lui-même, le Roi des Anges, a recours au serment. Dans plusieurs endroits de l’Ancien Testament, Il s’en sert pour confirmer ses promesses à Abraham et à David. Celui-ci nous dit dans le Psaume 109 : Le Seigneur l’a juré, et Il ne s’en repentira point : vous êtes le Prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech91. Si l’on considère en effet ce qu’est le serment en lui-même dans sa cause et dans sa fin, il est facile de montrer que c’est un acte très louable. Il a sa cause et son principe dans la Foi qui porte les hommes à croire que Dieu est la Source de toute vérité, qu’Il ne peut par conséquent ni être trompé, ni tromper personne, que tout est à nu et à découvert devant ses yeux, que son admirable Providence veille sur toutes choses et gouverne le monde entier. C’est sous l’empire de ces sentiments que nous invoquons Dieu comme témoin de la vérité. Il serait donc impie et criminel de n’avoir pas confiance en Lui. La fin du serment, le but spécial qu’il se propose c’est de prouver la justice et l’innocence, de terminer les procès et les différends. Ainsi l’enseigne l’Apôtre lui-même dans son Épître aux Hébreux92.
Et cette doctrine n’est nullement contraire à ces paroles de notre Sauveur en Saint Matthieu : Vous avez appris qu’il a été dit aux Anciens : Vous ne vous parjurerez point, vous vous acquitterez des serments que vous aurez faits au Seigneur. Et mot je vous dis que vous ne devrez jurez aucunement ; ni par le ciel qui est le trône de Dieu ; ni par la terre qui est son marchepied ; ni par Jérusalem, parce que c’est la ville du grand roi ; ni même par votre tête, parce qu’il ne dépend pas de vous d’en rendre un seul cheveu blanc ou noir. Bornez-vous à dire : cela est, cela n’est pas. S’il y a quelque chose de plus, il vient du mal93. En effet on ne saurait soutenir que ces paroles condamnent le serment en général et d’une manière absolue, puisque, comme nous l’avons vu plus haut, notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même et les Apôtres ont juré, et même fréquemment. Notre-Seigneur n’avait donc pour but en parlant de la sorte que de réfuter la coupable erreur des Juifs qui se figuraient que dans le serment il n’y avait qu’une seule chose à éviter, le mensonge, et qui dès lors juraient et faisaient jurer les autres à tout propos pour les choses les plus vaines et les moins importantes. C’est cette coutume que le Sauveur blâme et réprouve ; et voilà pourquoi Il enseigne qu’il faut s’abstenir entièrement de jurer, à moins que la nécessité ne le demande.
D’ailleurs le serment est un effet de la faiblesse humaine, et, à ce point de vue, il procède réellement du mal. C’est une marque de l’inconstance de celui qui jure, ou de l’obstination de celui qui fait jurer, puisqu’il ne veut pas se laisser persuader autrement. Toutefois, nous le répétons, le serment trouve son excuse dans la nécessité. Et lorsque notre Sauveur nous dit : bornez-vous à ces mots, cela est, cela n’est pas, Il nous montre assez, par cette manière de parler, que ce qu’Il veut défendre c’est l’habitude de jurer dans les entretiens familiers, et pour des choses de peu d’importance. En somme Il nous avertit de ne pas être trop faciles et trop enclins à faire serment. Et c’est aussi ce qu’il faut enseigner avec le plus grand soin, et répéter souvent aux Fidèles, car selon l’Écriture et le témoignage des Pères, la trop grande facilité à jurer engendre une infinité de maux. Il est écrit dans l’Ecclésiaste : N’habituez point votre bouche au serment, car il en résulterait de grands maux. Et encore : l’homme qui jure souvent sera rempli d’iniquités, l’affliction ne s’éloignera point de sa maison94. On peut lire dans Saint Basile et dans Saint Augustin tout ce qu’ils ont écrit à ce sujet dans leurs livres contre le mensonge.
Mais c’est assez sur ce que ce précepte ordonne, voyons maintenant ce qu’il défend.
Il nous est défendu par ce Commandement de prendre en vain le nom du Seigneur. Celui qui se laisse aller à jurer sans réflexion et avec témérité, se rend évidemment coupable d’un péché grave, et la grièveté de ce péché est facile à établir d’après ces paroles : Vous ne prendrez point en vain le nom du Seigneur. Il semble en effet que Dieu Lui-même vient nous dire en d’autres termes que ce qui rend cette faute si odieuse et si impie, c’est qu’elle diminue en quelque sorte sa Majesté, la Majesté de Celui que nous reconnaissons pour notre Seigneur et pour notre Dieu.
Ce précepte nous défend encore de jurer à faux, c’est-à-dire contre la vérité. Celui qui ne recule pas épouvanté devant un pareil crime, et qui ose prendre Dieu à témoin d’un mensonge, Lui fait une injure infinie. Il l’accuse, ni plus ni moins, d’ignorance en pensant qu’il est des vérités qui peuvent Lui échapper, ou bien de malice et d’iniquité, comme si Dieu était capable de confirmer un mensonge par son propre témoignage. Or on jure à faux non pas seulement quand on jure qu’une chose est vraie, sachant bien qu’elle est fausse, mais aussi quand on affirme avec serment la vérité d’une chose que l’on croit fausse, encore qu’elle soit vraie au fond. Mentir c’est parler contre sa pensée et contre ses sentiments intimes ; par conséquent dans le cas présent il y a évidemment mensonge et parjure.
Par la même raison il y a aussi parjure quand on affirme par serment une chose que l’on croit vraie, et qui cependant est fausse, à moins que l’on ait mis tous ses soins et tout son zèle à s’en assurer et à la vérifier. Bien que les paroles soient ici d’accord avec la pensée, néanmoins il y a violation du précepte.
Il y a encore parjure dans celui qui a fait une promesse avec serment, sans avoir l’intention de l’accomplir, ou qui, s’il a eu cette intention, n’accomplit pas ce qu’il a promis. C’est le péché de ceux qui se sont liés envers Dieu par des vœux qu’ils n’exécutent point.
Une autre manière de pécher contre ce précepte, c’est d’émettre un serment qui ne serait point accompagné de la justice, laquelle est une des conditions nécessaires du serment légitime. Ainsi celui qui promet avec serment de commettre un péché mortel, un meurtre par exemple, viole incontestablement le précepte ; lors même qu’il parlerait sérieusement et du fond du cœur, et que son serment aurait pour lui la vérité, celle des trois conditions exigées, à laquelle nous avons donné le premier rang.
À ces serments défendus il faut encore ajouter ceux qui naissent d’une sorte de mépris, comme les serments de ne point obéir aux conseils de l’Évangile, par exemple ceux qui exhortent au célibat et à la pauvreté. Sans doute personne n’est rigoureusement tenu de suivre ces conseils, mais jurer de ne pas vouloir s’y soumettre, c’est mépriser et violer les conseils de Dieu par cet indigne serment.
C’est violer également le deuxième précepte, et pécher contre le jugement, que de jurer pour une chose qui est vraie et que l’on croit telle, mais en ne s’appuyant que sur de simples conjectures et sur des raisons prises de trop loin. Quoique la vérité accompagne un serment de cette nature, il s’y mêle néanmoins une sorte de fausseté, puisque celui qui fait serment avec témérité, s’expose grandement à faire un parjure.
Celui-là jure encore contre la vérité, qui jure par les faux dieux. Qu’y a-t-il en effet de plus opposé à la vérité que de prendre à témoin des divinités mensongères et imaginaires, comme si elles étaient le vrai Dieu Lui-même ?
Mais si l’Écriture nous dit, en nous défendant le parjure : Vous ne déshonorerez point le Nom de votre Dieu95, elle condamne par là même toute espèce de négligence dans tous les devoirs que ce précepte nous impose, et spécialement en ce qui concerne la Parole de Dieu, dont la Majesté est infiniment respectable non seulement auprès des personnes de piété, mais quelquefois même auprès des impies, ainsi que nous l’apprend l’exemple d’Eglon, roi des Moabites, au Livre des Juges. Or, c’est traiter la Parole de Dieu d’une manière absolument injurieuse que de détourner la sainte Écriture de son sens droit et naturel, pour lui donner un sens conforme à la doctrine des impies et des hérétiques. Le Prince des Apôtres nous met en garde contre ce crime dans ce texte qu’il faut citer : Il y a quelques endroits difficiles à entendre, que des hommes ignorants et légers détournent à de mauvais sens aussi bien que les autres Écritures, pour leur propre ruine96.
C’est encore déshonorer honteusement l’Écriture que d’en employer les maximes et les paroles, qui sont dignes de toute notre vénération, à des choses purement profanes, comme aussi de s’en servir dans des contes, dans des fables ridicules et vaines, pour des flatteries, des médisances, des sorts, des libelles diffamatoires et autres choses de cette nature. Le Concile de Trente condamne ces pratiques détestables et veut qu’on les punisse.
Enfin, de même que ceux qui réclament et implorent le secours de Dieu dans leurs infortunes, L’honorent et Lui rendent hommage ; de même ceux qui n’invoquent point son appui, Le privent d’un honneur auquel Il a droit. C’est de ces malheureux que David veut parler, quand il dit : Ils n’ont pas invoqué le Seigneur, c’est pourquoi ils ont tremblé d’épouvante, là où il n’y avait rien à craindre97.
Mais il en est qui sont enchaînés dans les liens d’un crime beaucoup plus détestable encore ; ce sont ceux qui d’une bouche impure et souillée osent blasphémer et maudire le nom adorable de Dieu, ce nom digne de toutes les bénédictions et de toutes les louanges des créatures, ainsi que le nom des Saints qui règnent avec Lui dans le ciel. Ce crime est si horrible et si monstrueux, que parfois nos Saints Livres pour le nommer se servent du mot (contraire) bénédiction.
La crainte des peines et du châtiment est d’ordinaire un excellent moyen de réprimer le penchant que nous avons à désobéir à Dieu. C’est pourquoi le Pasteur pour toucher davantage les cœurs et disposer plus facilement les Fidèles à l’observation de ce précepte, devra leur expliquer avec soin ces paroles qui en sont comme une dépendance nécessaire : Le Seigneur ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris en vain le nom du Seigneur son Dieu98. Et d’abord il leur montrera combien Dieu a eu raison de joindre des menaces à ce Commandement. Ces menaces en effet nous font connaître et la gravité du péché et la bonté de Dieu, qui bien loin de se réjouir de notre perte, cherche par des menaces salutaires à nous détourner du mal, afin que nous ne devenions point l’objet de sa colère, mais plutôt de sa clémence et de sa miséricorde. Il convient que le Pasteur insiste fortement sur ce point, afin que les Fidèles, connaissant l’énormité de ce crime, en conçoivent une horreur plus vive et mettent tous leurs soins à l’éviter.
Il fera remarquer ensuite que le penchant des hommes à commettre ce péché est si grand, qu’il n’eût pas suffi de le défendre simplement, mais que la Loi avait besoin d’être accompagnée de menaces. On ne saurait croire combien cette pensée peut être utile aux Fidèles. Car de même que rien ne nous est plus nuisible qu’une téméraire confiance en nos propres forces, de même le sentiment de notre faiblesse nous est extrêmement avantageux.
Le Pasteur ajoutera enfin que si Dieu n’a point décerné de châtiment particulier contre ce crime, Il a affirmé d’une manière générale que ceux qui s’en rendraient coupables ne resteraient pas impunis.
Nous avons donc lieu de croire que les maux dont nous souffrons chaque jour sont pour nous avertir de nos désobéissances en cette matière. Il est permis de penser en effet que les hommes ne sont sujets à de si grandes calamités, que parce qu’ils manquent à ce Commandement. Et l’on peut s’attendre qu’en mettant sous leurs yeux le tableau de ces malheurs, on les rendra plus sages, et mieux avisés pour l’avenir. Que les Fidèles, frappés d’une sainte frayeur, évitent donc ce péché avec tout le soin possible ! Car s’il est vrai qu’au jugement dernier il faudra rendre compte de toute parole oiseuse, que sera-ce de ces crimes affreux qui font un tel mépris du nom adorable de Dieu ?
Souvenez-vous de sanctifier le jour du Sabbat, vous travaillerez et vous ferez tous vos ouvrages pendant six jours : mais le septième jour est le Sabbat du Seigneur votre Dieu. Vous ne ferez aucune œuvre servile en ce jour, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre serviteur, ni votre servante, ni vos bêtes de somme, ni l’étranger qui est parmi vous ; car le Seigneur a fait en six jours le ciel, et la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment, et Il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat.
Le troisième Commandement a pour objet le culte extérieur que nous devons à Dieu. Ce culte est une conséquence naturelle des obligations imposées par le premier. Il vient donc ici parfaitement à sa place. Car si nous honorons Dieu pieusement au fond de nos cœurs, comment pourrions-nous, avec la Foi et l’Espérance que nous avons en Lui, ne pas L’environner d’un culte extérieur et Lui témoigner ouvertement notre reconnaissance ? Mais comme ces devoirs sont difficiles à remplir pour ceux qui sont occupés des affaires de ce monde, il s’agissait de leur rendre cette obligation plus facile en la fixant à des époques déterminées.
Ce Commandement, s’il est bien pratiqué, est de nature à produire des fruits et des avantages admirables. Il importe donc grandement que le Pasteur déploie, pour l’expliquer, tout le zèle dont il est capable. Et un premier et puissant motif pour lui d’enflammer ce zèle sera dans ces paroles : souvenez-vous ; car si les Fidèles sont obligés de se souvenir de ce précepte, c’est au Pasteur à le leur remettre en mémoire par des avertissements et des instructions souvent répétés.
Et ce qui fait voir combien il est important pour les Fidèles d’observer ce Commandement, c’est que, en l’accomplissant avec soin, ils se rendront facile et aisée la pratique de tous les autres. Ainsi une des obligations qu’ils ont à remplir aux jours de Fêtes, c’est de se réunir à l’Église pour y entendre la Parole de Dieu. Or il est bien certain que plus ils feront de progrès dans la connaissance de la Loi divine, plus ils seront disposés à la garder de tout leur cœur. C’est pourquoi la solennité et le culte du Sabbat sont très souvent recommandés dans nos Saints Livres. L’Exode, le Lévitique, le Deutéronome, les Prophètes Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, rapportent tous expressément le précepte de la sanctification du Sabbat.
Il faut aussi avertir et exhorter les princes et les magistrats d’avoir à seconder de toute leur autorité les Pasteurs de l’Église dans tout ce qui intéresse le maintien et le développement de ce culte, et même de faire des lois pour assurer l’observation du précepte ecclésiastique.
En expliquant ce précepte, il ne faut pas négliger d’enseigner aux Fidèles en quoi il ressemble aux autres, et en quoi il diffère. Ce sera un moyen de leur faire connaître clairement les motifs pour lesquels nous ne sanctifions plus le jour du Sabbat, mais le jour du Dimanche.
Il y a cette différence capitale entre ce Commandement et les autres, que ceux-ci étant fondés sur la nature elle-même, sont de tous les temps, et ne peuvent jamais changer. Aussi, quoique la Loi de Moïse soit abrogée, le peuple chrétien continue d’observer tous les préceptes des deux tables de la Loi. Et cela, non pas parce que Moïse l’a ordonné, et pour lui obéir, mais parce qu’ils tiennent à la nature, et que les hommes sont obligés de se conformer à ce qu’elle demande. Mais le précepte de la sanctification du Sabbat, si on le considère uniquement par rapport à ce jour, n’est ni fixe ni constant. Au contraire il peut changer, et c’est plutôt une loi cérémonielle qu’une loi morale. Il n’a pas non plus sa raison d’être dans la nature ; car ce n’est pas elle qui nous enseigne et qui nous dispose à choisir un jour plutôt qu’un autre pour rendre à Dieu un culte extérieur. Aussi bien les Israélites ne sanctifièrent le jour du Sabbat qu’après avoir été délivrés de la servitude de Pharaon. Mais ce précepte devait être aboli su moment où le culte et les cérémonies mosaïques allaient tomber en désuétude, c’est-à-dire à la mort de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ces cérémonies n’étaient en effet que des images et des ombres de la lumière et de la vérité ; il fallait nécessairement qu’elles disparussent devant cette Lumière, cette Vérité même qui est Jésus-Christ. C’est pourquoi Saint Paul reprenait les Galates de ce qu’ils étaient encore attachés aux cérémonies de la Loi : Vous observez les jours et les mois, leur disait-il, les semaines et les années ; mais je crains pour vous que je n’aie travaillé en vain parmi vous99. Il parle de la même manière au Colossiens100.
Voilà en quoi ce précepte diffère des autres, c’est qu’il regarde directement le culte et les cérémonies. Mais il a cela de commun avec tous, qu’à un autre point de vue il se rapporte à la morale et au droit naturel. Car le culte divin et la vertu de religion, prescrits par ce Commandement, sont de droit naturel, puisque la nature veut que nous employons certaines heures de notre temps aux choses qui regardent le culte du Seigneur. Et la preuve, c’est que chez toutes les nations nous trouvons des Fêtes, et des Fêtes publiques, établies en l’honneur de la Divinité. Et de même qu’il est naturel à l’homme de réserver un certain temps pour les fonctions nécessaires à la vie du corps, comme le repos, le sommeil, et autres choses semblables, de même la nature demande qu’il y ait certains moments déterminés, pendant lesquels l’âme puisse se retremper dans la contemplation de Dieu. Si donc une certaine partie de notre temps doit être employée au culte que nous devons à Dieu, le précepte qui l’ordonne appartient évidemment à la loi morale.
C’est pour cette raison que les Apôtres résolurent de consacrer au culte de Dieu le premier des sept jours de la semaine, et l’appelèrent le jour du Seigneur. Saint Jean dans son Apocalypse fait mention de ce jour101 ; et l’Apôtre veut qu’on recueille les aumônes des Fidèles le premier jour après le Sabbat102, c’est-à-dire, comme l’explique Saint Jean Chrysostome, le jour du Dimanche. Ce qui nous montre que déjà, dans ce temps-là, le jour du Seigneur était un jour saint dans l’Église.
Mais afin que les Fidèles sachent parfaitement ce qu’ils ont à faire, et ce qu’ils ont à éviter, en ce jour, il ne sera pas hors de propos, que le Pasteur explique soigneusement chacune des paroles du précepte tout entier, lequel se divise très bien en quatre parties.
La première chose à expliquer ici, c’est le sens précis de ces paroles : souvenez-vous de sanctifier le jour du Sabbat. Le mot souvenez-vous, placé, non sans motif, en tête du précepte, nous indique que la sanctification de ce jour appartient aux lois cérémonielles. C’est un point qu’il semblait utile de rappeler au peuple ; car encore que la loi naturelle nous enseigne que nous sommes obligés de consacrer un certain temps à rendre à Dieu un culte extérieur, elle ne prescrit point le jour où il convient le mieux de le faire.
En second lieu il faut montrer aux Fidèles que ces mêmes paroles nous avertissent de quelle manière nous devons travailler pendant la semaine ; en d’autres termes, elles nous rappellent l’obligation où nous sommes de ne jamais perdre de vue le jour de Fête pendant notre travail. Le Dimanche étant un jour où nous avons, en quelque sorte, à rendre compte à Dieu de nos actions et de notre travail, il importe extrêmement que ces actions et ce travail soient tels que Dieu ne les répudie pas, et qu’ils ne deviennent jamais pour nous, comme dit l’Écriture, un sujet de sanglots et de remords103.
Enfin, ces mots, souvenez-vous, etc, nous remettent en mémoire une vérité bien frappante, c’est que nous ne manquerons pas d’occasions d’oublier ce précepte. Nous y seront sollicités, tantôt par l’exemple de ceux qui n’en tiennent aucun compte, tantôt par l’amour des spectacles et des jeux qui nous détournent si souvent du culte de religion et de piété que nous devons à Dieu en ce saint jour. Venons maintenant à ce qu’il faut entendre par Sabbat.
Sabbat est un mot hébreu qui signifie en latin cessatio, c’est-à-dire, repos. Ainsi sabbatiser, dans la langue latine, s’appelle cessare et requiescere, c’est-à-dire cesser d’agir, se reposer. Le septième jour a reçu le nom de Sabbat, parce que Dieu, après avoir achevé entièrement l’œuvre de la création du monde, se reposa en ce jour de tous ses travaux. D’ailleurs le Seigneur Lui-même lui donne ce nom dans l’Exode. Plus tard le nom de Sabbat a été attribué non seulement au septième jour, mais encore, à cause de sa dignité, à la semaine elle-même. C’est en ce sens qu’il faut entendre les paroles du Pharisien : Je jeûne deux fois pendant le Sabbat104. Voilà pour la signification du mot.
Quant à la sanctification du Sabbat, d’après la sainte Écriture, c’est la cessation des travaux du corps et des affaires temporelles. Cette vérité est clairement exprimée dans les paroles suivantes du précepte : Vous ne travaillerez pas. Mais il y a autre chose ; sans quoi il eût suffit de dire dans le Deutéronome : Observez le jour du Sabbat105. Et puisqu’on ajoute dans le même endroit pour le sanctifier, cela nous fait bien voir que le Sabbat est un jour saint, consacré à des actes religieux et au service du Seigneur. Nous célébrons donc le Sabbat d’une manière pleine et parfaite, lorsque nous rendons à Dieu des devoirs de piété et de religion. C’est vraiment là le Sabbat qu’Isaïe appelle : Le jour des délices106, parce qu’en effet les jours de Fêtes sont des jours de délices pour le Seigneur et pour les hommes pieux. Et si à ce culte religieux et sacré du Sabbat nous joignons des œuvres de miséricorde, ce même Prophète nous promet au même endroit les récompenses les plus belles et les plus précieuses.
Ainsi le sens propre et précis de ce Commandement est que l’homme, en un temps déterminé, interrompe ses affaires ordinaires et les travaux manuels, pour s’appliquer d’esprit et de corps à honorer Dieu et à Lui rendre tous les hommages qu’Il réclame.
La seconde partie du précepte nous dit positivement que Dieu a consacré le septième jour à son culte. Il est écrit en effet : Vous travaillerez pendant six jours, vous ferez tous vos ouvrages pendant ce temps, mais le septième jour est le Sabbat du Seigneur votre Dieu. Ces paroles nous ordonnent en d’autres termes de considérer le Sabbat comme consacré au Seigneur, de nous acquitter en ce jour des devoirs religieux qui lui sont dus et enfin de voir dans ce septième jour un mémorial du repos du Seigneur.
Ce jour fut donc dédié au culte divin, parce qu’il ne convenait pas de laisser à un peuple grossier la faculté de fixer ce temps à son gré. On pouvait craindre que, pour honorer le vrai Dieu, il n’imitât les fêtes sacrées des Égyptiens. Ainsi Dieu voulut que le septième jour, qui est le dernier de la semaine, fût réservé pour son culte. Et il y avait là plus d’un mystère. Voilà pourquoi dans l’Exode et dans Ézéchiel Il appelle ce jour un signe. Ayez soin, dit-il, d’observer mon Sabbat, parce qu’il est le signe de l’alliance qui existe entre Moi, vous et toute votre postérité ; afin que vous sachiez que c’est Moi qui vous sanctifie107.
C’était un signe, parce qu’en voyant ce jour consacré au service divin, les hommes devaient apprendre par là à se consacrer eux-mêmes à Dieu et à se sanctifier devant Lui. Car ce qui fait qu’un jour est vraiment saint, c’est qu’on l’emploie spécialement à la pratique de la Sainteté et de la Religion.
C’était aussi un signe et comme un monument de la création de cet admirable univers.
Un signe encore, destiné à rappeler aux Israélites qu’ils n’avaient été déliés et délivrés du joug si dur de la servitude d’Égypte que par le secours de Dieu. C’est ce que le Seigneur Lui-même atteste par ces paroles : Souvenez-vous que vous avez été esclaves en Égypte, et que vous avez été tirés de la servitude par la main puissante de votre Dieu, et par la force de son bras. C’est pourquoi Il vous a commandé de garder le jour du Sabbat108.
Enfin ce jour était le signe du Sabbat spirituel et céleste. Or le Sabbat spirituel consiste dans un saint et mystérieux repos, dans lequel les Fidèles se trouvent quand, dépouillés du vieil homme enseveli avec Jésus-Christ, ils reviennent à une vie nouvelle, et s’appliquent avec soin à faire des actions conformes à la piété chrétienne : Car ceux qui autrefois n’étaient que ténèbres, devenus lumière en Notre-Seigneur, doivent marcher comme des enfants de lumière dans la voie de tout bien et de toute justice et n’avoir rien de commun avec les œuvres infructueuses des ténèbres109.
Mais le Sabbat céleste, comme le remarque Saint Cyrille110, en expliquant ces paroles de l’Apôtre, il est encore un Sabbat pour le peuple de Dieu111, consiste dans cette autre vie, où, réunis à Jésus-Christ, nous serons comblés de toutes sortes de biens et délivrés entièrement du péché. C’est ce que le Prophète nous apprend par ces paroles : Il n’y aura en ce lieu ni lion ni autre bête dangereuse, mais tout y sera pur et saint112. Lorsqu’en effet les élus jouiront de la vue de Dieu, ils seront remplis de toutes sortes de biens. C’est ce qui doit engager les Pasteurs à presser les Fidèles par ces paroles : Hâtons-nous d’entrer dans ce repos113.
Outre le septième jour, le peuple Juif avait encore d’autres jours de Fête qui appartenaient à Dieu et qu’Il avait établis pour ne pas laisser perdre la mémoire de ses immenses bienfaits.
L’Église a jugé à propos de transporter le culte et la solennité du Sabbat au jour du Seigneur, c’est-à-dire, au Dimanche. De même que ce fut en ce jour que la lumière commença à éclairer le monde, de même aussi ce fut en ce jour que notre Rédempteur, en nous ouvrant l’entrée de la Vie Éternelle par sa Résurrection, nous fit passer des ténèbres à la vie véritable. C’est pour cela que les Apôtres l’appelèrent le jour du Seigneur.
De plus, nous voyons dans nos Saints Livres que ce jour est grand et solennel, parce qu’il marque le commencement de la création du monde, et nous rappelle la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres.
Aux premiers temps de l’Église et dans les âges suivants, les Apôtres et nos Pères établirent d’autres jours de Fêtes, pour célébrer pieusement et saintement la mémoire des bienfaits de Dieu. Parmi ces Fêtes, les plus solennelles sont celles qui ont été instituées en l’honneur des mystères de notre Rédemption. Ensuite viennent celles qui ont été établies pour honorer la très sainte Vierge, les Apôtres, les martyrs, et tous les autres saints qui règnent avec Jésus-Christ. Nous y louons la puissance et la bonté de Dieu qui a donné la victoire à ses élus. Nous leur rendons les honneurs qu’ils méritent, et leurs exemples nous excitent à les imiter.
Et comme l’un des plus puissants motifs d’observer ce précepte est contenu dans ces paroles : Vous travaillerez six jours, mais le septième jour est le Sabbat du Seigneur votre Dieu, le Pasteur aura soin de les expliquer avec toute la précision possible. En les méditant, il verra sans peine qu’il doit exhorter les Fidèles à ne point mener une vie oisive et paresseuse, mais au contraire à se souvenir du Commandement de l’Apôtre qui veut que chacun travaille de ses propres mains, selon son état114.
Enfin si le Seigneur nous ordonne par ce précepte de faire notre ouvrage pendant six jours, c’est pour que nous ne soyons pas tentés de renvoyer au jour de Fête ce qui doit se faire pendant les six jours de la semaine, et aussi pour que notre esprit ne soit pas détourné, le Dimanche, du soin et de l’attention qu’il doit aux choses divines.
Nous voici à la troisième partie du précepte, qui décrit en quelque sorte la manière dont nous devons sanctifier le jour du Sabbat, mais qui s’applique surtout à exposer ce qu’il nous est défendu de faire en ce jour. Ainsi dit le Seigneur : vous ne ferez aucune œuvre servile en ce jour, ni vous, ni votre fils, ni votre fille, ni votre serviteur, ni votre servante, ni vos bêtes de somme, ni l’étranger qui est parmi vous. Ces paroles nous montrent d’abord que nous devons éviter tout ce qui peut entraver le culte divin. D’où il est aisé de conclure que les œuvres serviles de toute espèce sont défendues (en ce jour), non parce qu’elles sont indignes ou mauvaises de leur nature, mais parce qu’elles seraient capables de détourner notre esprit du service de Dieu, qui est la fin du précepte. À plus forte raison devons-nous éviter le péché qui non seulement éloigne notre esprit du goût des choses saintes, mais nous détache entièrement de son amour.
Les actions et les œuvres, quoique serviles, qui intéressent le culte, comme par exemple la décoration d’un autel ou d’une église pour un jour de Fête, et autres travaux du même genre ne sont point défendues par ce Commandement. Voilà pourquoi Notre-Seigneur a dit : Les Prêtres dans le temple violent le Sabbat, et pourtant ils ne sont point coupables115.
Il ne faut pas non plus considérer comme prohibés par cette Loi, les travaux accomplis pour sauver des choses qui autrement seraient en danger de se perdre. Les saints Canons les ont permis expressément. Et il est encore beaucoup d’autres œuvres que dans l’Évangile Notre-Seigneur a déclarées licites pour les jours de Fêtes. C’est ce que le Pasteur pourra facilement remarquer dans Saint Matthieu et Saint Jean.
Pour ne rien omettre de ce qui pourrait empêcher la célébration du Sabbat, Dieu, dans son précepte, a fait mention même des bêtes de somme. Leurs travaux, en effet, détourneraient l’homme de la sanctification de ce saint jour. Car si pendant le Sabbat on emploie les bêtes pour n’importe quel ouvrage, il est nécessaire que l’homme soit là pour les conduire. Elles ne peuvent rien par elles-mêmes, elles ne font qu’aider l’homme. Or ce dernier n’a pas le droit de travailler ce jour-là, par conséquent les animaux à son service ne l’auront pas non plus. Et puis, si Dieu veut par cette défense nous faire épargner les animaux dans le travail, il veut bien plus encore que nous évitions d’être inhumains envers ceux qui sont à notre service.
Le Pasteur n’aura garde d’oublier qu’il doit très soigneusement faire connaître aux Fidèles les œuvres et les actions qu’ils sont tenus d’accomplir les jours de Fête. C’est à savoir : d’aller à l’Église, d’assister au très saint sacrifice de la Messe avec une piété sincère et une attention soutenue, et de recevoir fréquemment les divins Sacrements institués pour guérir les blessures de notre âme, et pour nous aider à opérer notre Salut.
Mais comme il n’y a rien de meilleur ni de plus utile aux Chrétiens que de confesser souvent leurs péchés aux Prêtres, le Pasteur ne manquera pas de les exhorter à remplir ce devoir. Il pourra d’ailleurs puiser ses preuves et ses raisons dans ce que nous avons enseigné et prescrit à cet égard, en parlant du sacrement de Pénitence. Mais il ne se bornera pas à les exciter à la Confession fréquente, il multipliera ses instances les plus pressantes pour leur faire recevoir le plus souvent possible le très saint sacrement de l’Eucharistie.
Ils doivent aussi écouter avec attention et exactitude les instructions religieuses. Il n’est rien de plus insupportable et de plus indigne que de mépriser la Parole de Jésus-Christ, ou de l’entendre avec négligence. Enfin ils voudront s’exercer et s’appliquer fréquemment à prier et à louer Dieu, mettre tous leurs soins à s’instruire des règles de la vie chrétienne, et pratiquer de leur mieux toutes les œuvres de vraie piété, comme l’aumône aux pauvres et aux nécessiteux, la visite des malades, les consolations portées aux affligés et à ceux qui gémissent sous les coups de la douleur. Car il est écrit dans Saint Jacques : La Religion pure et sans tache aux yeux de Dieu notre Père, consiste à venir au secours des orphelins et des veuves qui sont dans l’affliction116. Il sera aisé de conclure de ce que nous venons de dire quelles sont les actions contraires à ce Commandement.
Il est encore du devoir du Pasteur de garder sous la main un certain nombre d’Auteurs où il pourra puiser les arguments et les motifs les plus propres à persuader aux Fidèles qu’ils doivent observer ce troisième Commandement avec tout le zèle, et toute l’exactitude possible. Or, le meilleur argument est celui-ci : leur faire sentir et comprendre pleinement combien il est juste et raisonnable qu’il y ait certains jours entièrement consacrés au culte divin, et pendant lesquels nous nous appliquerons spécialement à connaître, à aimer et adorer un Dieu qui nous a comblés de grands et innombrables bienfaits. S’Il nous avait ordonné de Lui rendre chaque jour un culte religieux, ne devrions-nous pas faire tous nos efforts pour remplir un pareil ordre avec joie et empressement, surtout en considérant les bienfaits immenses et inappréciables que nous avons reçus de Lui ? Mais puisqu’Il n’a réservé à son culte qu’un petit nombre de jours, pourrions-nous nous montrer négligents, ou trouver des difficultés dans l’observation d’un devoir, que d’ailleurs nous ne pouvons omettre sans nous rendre coupables d’un péché très grave ?
Le Pasteur fera ensuite connaître combien est grande l’excellence de ce Commandement, puisque ceux qui l’accomplissent avec fidélité, semblent jouir de la Présence de Dieu et converser avec Lui. Quand nous prions, en effet, nous contemplons la Majesté divine et nous nous entretenons réellement avec Dieu. En écoutant les prédicateurs qui nous parlent pieusement et saintement des vérités religieuses, c’est encore la Voix de Dieu que nous entendons par leur organe. Enfin dans le Sacrifice de la Messe nous adorons Notre-Seigneur Jésus-Christ véritablement présent sur l’Autel. Tels sont les avantages dont jouissent principalement ceux qui observent ce précepte avec fidélité.
Mais ceux qui le négligent complètement, par le fait qu’ils désobéissent à Dieu et à l’Église, en méprisant ce Commandement, deviennent les ennemis de Dieu et de ses saintes Lois ; d’autant que ce précepte est de ceux dont l’accomplissement n’impose aucune peine. En effet, Dieu ne nous commande rien de pénible, Lui pour qui nous devrions supporter même ce qu’il y aurait de plus dur, s’Il nous le commandait. Au contraire Il veut que nous passions les jours de Fête dans le repos, et sans aucune préoccupation des choses de la terre. Dès lors, refuser de nous soumettre à une Loi si douce, ne serait-ce pas faire preuve d’une insolente témérité ? Pensons donc à ces terribles châtiments dont Dieu a frappé ceux qui l’ont foulée aux pieds, comme nous pouvons le voir dans le Livre des nombres117. Cet exemple nous sera utile.
Et pour ne point tomber dans un si grand péché, il sera très avantageux que nous ayons souvent à l’esprit les premiers mots de ce troisième Commandement : souvenez-vous. Puis nous nous remettrons devant les yeux le tableau des avantages et des privilèges que nous assure l’observation du Dimanche, ainsi que nous l’avons dit plus haut, et nous ne manquerons pas de nous arrêter à une foule d’autres considérations de ce genre, qu’un Pasteur sage et appliqué saura développer dans l’occasion avec toute l’ampleur nécessaire.
Honorez votre Père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre que le Seigneur Dieu vous donnera.
Les trois Commandements que nous venons d’expliquer sont les premiers à cause de la dignité. Et de l’excellence de leur objet. Ceux que nous abordons maintenant ne tiennent que le second rang, mais on peut dire qu’ils ne sont pas moins nécessaires. Les premiers se rapportent directement à notre fin qui est Dieu ; les seconds ont pour objet immédiat la Charité envers le prochain, mais logiquement, c’est-à-dire, s’ils atteignent leur but, ils nous mènent aussi à Dieu, ce but suprême pour lequel nous aimons le prochain lui-même. Ce qui a fait dire à Notre-Seigneur Jésus-Christ que le précepte d’aimer Dieu et le précepte d’aimer le prochain sont deux Commandements semblables118. Quant à celui que nous expliquons ici, à peine peut-on dire et énumérer les avantages immenses qu’il renferme. Ses fruits sont abondants et exquis. Il est comme le signe qui fait briller notre soumission et notre attachement au premier Commandement. Celui qui n’aime point son frère qu’il voit, dit l’Apôtre Saint Jean, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ?119 On peut dire de même : si nous n’avons ni respect ni amour pour nos parents, que nous devons aimer selon Dieu, eux que nous avons presque continuellement sous les yeux, quel honneur et quel culte aurons-nous pour Dieu qui est aussi notre Père, Père tout puissant et infiniment bon, mais qui ne tombe jamais sous nos regards ? On voit par là combien ces deux Commandements ont de rapports l’un avec l’autre.
Ce quatrième précepte est d’une application très étendue. Outre ceux qui nous ont donné la vie, il est un grand nombre de personnes qu’il nous fait un devoir d’honorer comme nos pères et nos mères, à cause de leur autorité, de leur dignité, du besoin que nous avons d’elles, ou de l’excellence de leurs fonctions. Il rend aussi moins lourde la charge des parents et des supérieurs, dont le soin principal est d’amener ceux qui sont placés sous leur autorité à vivre dignement et d’une manière conforme à la Loi divine. Or il est évident que cette tâche leur deviendra très facile si leurs inférieurs sont convaincus que c’est Dieu Lui-même qui leur impose l’obligation d’honorer leurs pères et leurs mères.
Pour atteindre ce but, il est nécessaire de connaître la différence qui existe entre les préceptes de la première table et ceux de la seconde.
Voici ce que le Pasteur expliquera tout d’abord. Il enseignera que les divins préceptes du Décalogue furent gravés sur deux tables différentes. La première, comme nous l’apprennent les Saints Pères, contenait les trois Commandements que nous venons de commenter, et la seconde les sept autres. Cet ordre est absolument logique, et nous fait comprendre par avance l’importance relative des préceptes, par la place même qu’ils occupent. Tout ce que la Loi divine, en effet, ordonne ou défend dans nos Saints Livres se rapporte toujours à deux catégories. L’amour de Dieu ou l’amour du prochain, voilà le fond de toutes ses prescriptions. Or, les trois Commandements précédents nous apprennent quel amour nous devons à Dieu, et les sept qui suivent renferment les devoirs de Charité que les hommes sont obligés de pratiquer les uns envers les autres. Ce n’est donc pas sans raison qu’on les a divisés en préceptes de la première table, et en préceptes de la seconde.
Les trois premiers Commandements dont nous avons parlé ont Dieu pour objet, c’est-à-dire le souverain bien. L’objet des autres est le bien du prochain. Les premiers proposent l’amour souverain, les seconds, l’amour le plus grand après l’amour souverain. Les uns regardent la fin suprême elle-même, les autres seulement ce qui se rapporte à cette fin.
Au reste l’amour de Dieu ne dépend que de Lui-même, puisque c’est pour Lui-même et non à cause d’un autre que Dieu doit être souverainement aimé. L’amour du prochain, au contraire, a sa source dans l’amour de Dieu qui doit être en effet sa règle invariable. Car si nous aimons nos parents, si nous obéissons à nos supérieurs, si nous respectons ceux qui sont au dessus de nous, ce doit être principalement parce que Dieu est le Créateur, parce qu’Il a voulu les élever au dessus de nous, et que par leur entremise Il veille sur les autres hommes, les gouverne et les conserve. Et comme c’est Dieu lui-même qui nous commande de les honorer, nous devons le faire précisément par le motif qui les a rendus dignes de cet honneur. D’où il suit que l’honneur que nous rendons à nos pères et mères semble plutôt se rapporter à Dieu qu’à eux personnellement. C’est ce qu’on peut voir dans Saint Matthieu, quand il est question du respect envers les supérieurs. Celui qui vous reçoit me reçoit120. L’Apôtre Saint Paul, dans son Épître aux Éphésiens, ne craint pas de dire : Serviteurs, obéissez à ceux qui sont vos maîtres selon la chair, avec crainte, avec respect, et dans la simplicité de votre cœur, comme à Jésus-Christ Lui-même. Ne les servez pas seulement lorsqu’ils ont l’œil sur vous, comme si vous ne vouliez que plaire aux hommes, mais comme vrais serviteurs de Jésus-Christ121.
Mais remarquons-le bien, ni nos hommages, ni notre piété, ni le culte que nous rendons à Dieu ne seront jamais parfaits, car l’amour que nous Lui devons n’a pas de limites et peut s’accroître indéfiniment. Il est même nécessaire que cet amour devienne de jour en jour plus ardent et plus fort, puisque Lui-même veut que nous L’aimions de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces122. Au contraire l’amour que nous avons pour le prochain a ses limites ; vu que le Seigneur nous ordonne de l’aimer comme nous-mêmes. Celui donc qui dépasserait ces bornes, et qui en viendrait à aimer Dieu et le prochain d’un amour égal, commettrait un grand crime. Si quelqu’un vient à Moi, dit le Seigneur, et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, celui-là ne saurait être mon disciple123.
Et c’est dans ce même esprit qu’Il dit à un jeune homme qui voulait d’abord inhumer son père, et Le suivre, après : Laissez les morts ensevelir les morts124. Mais cette vérité devient plus claire encore par ces paroles que Saint Matthieu met dans la bouche de Notre-Seigneur : Celui qui aime son père ou sa mère plus que Moi, n’est pas digne de Moi125.
Nous ne pouvons douter cependant que nous ne soyons obligés d’avoir pour nos parents un amour très grand et un respect très profond. Mais avant tout la piété exige que nos premiers hommages et notre principal culte appartiennent à Dieu, qui est le Principe et le Créateur de toutes choses. Elle exige également que nous aimions nos parents mortels d’ici-bas, de manière que tout, dans cet amour, ait pour fin dernière notre Père céleste et éternel. Que si, d’aucunes fois, ils nous commandent des choses contraires aux préceptes divins, il est hors de doute que nous devons absolument préférer la volonté de Dieu à leurs caprices. C’est le moment de nous rappeler cet oracle de l’Esprit-Saint : Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes126.
Après ces préliminaires, le Pasteur expliquera les mots de ce Commandement, et d’abord ce que signifie le premier : honorez. Honorer quelqu’un c’est avoir pour lui des sentiments d’estime, et faire très grand cas de tout ce qui se rapporte à lui. Cet honneur suppose nécessairement l’amour, le respect, l’obéissance, le service. Ce n’est pas sans motif que Dieu en nous donnant cette Loi a employé ce mot honorez, au lieu de aimez ou craignez, bien que cependant nous soyons obligés d’aimer fortement et de craindre nos parents. Car celui qui aime n’honore pas toujours, et celui qui craint n’honore pas non plus nécessairement. Mais celui qui honore du fond du cœur, possède par là-même l’amour et la crainte.
Après avoir donné ces explications le Pasteur devra dire quels sont ceux qui sont désignés par le nom de pères dans ce Commandement.
Or, quoique la Loi entende principalement ici ceux qui nous ont donné la vie, néanmoins ce nom de pères s’applique encore à d’autres que la Loi semble aussi avoir en vue, comme il est facile de le conclure de plusieurs endroits de la Sainte Écriture. En effet, outre nos pères naturels, nos Livres sacrés, ainsi que nous l’avons vu plus haut, nous donnent encore d’autres pères que nous devons respecter et honorer d’une manière spéciale. Tels sont les chefs de l’Église, les Pasteurs et les Prêtres, comme l’attestent ces paroles de l’Apôtre aux Corinthiens : Je ne vous écris point ces choses, pour vous causer de la honte ; mais je vous avertis comme mes plus chers enfants. Quand même vous auriez dix mille maîtres en Jésus-Christ, vous n’auriez pas plusieurs pères, puisque c’est moi qui, par l’Évangile, vous ai engendrés en Jésus-Christ127. On dit encore dans l’Ecclésiastique : Honorons la mémoire des hommes illustres et de nos pères dans leur postérité128.
Ceux qui exercent un commandement, une magistrature, une autorité, ceux qui gouvernent la chose publique, reçoivent aussi le nom de pères. C’est ainsi que Naaman était appelé père de ses serviteurs.
Nous nommons encore pères les personnes au soin, à la fidélité, à la probité et à la sagesse desquelles d’autres sont confiés, comme par exemple les tuteurs, les curateurs, les précepteurs, les maîtres. C’est ainsi que les enfants des prophètes appelaient Élie et Élisée leurs pères.
Enfin nous donnons également ce nom aux vieillards, à ceux qui sont très avancés en âge et que nous devons particulièrement respecter.
Le Pasteur, dans ses instructions, insistera donc sur ce point que nous devons honorer tous ceux à qui on donne le nom de pères, mais surtout ceux qui sont pères selon la chair, puisque c’est d’eux avant tout que parle la Loi. Ils sont en effet pour nous comme une personnification du Dieu immortel ; nous contemplons en eux l’image de notre origine. Ce sont eux qui nous ont transmis la vie. C’est d’eux que Dieu s’est servi pour nous donner une âme et une intelligence. Ce sont eux qui nous ont ouvert la porte des Sacrements, qui nous ont instruits de la Religion, qui ont formé en nous l’homme et le citoyen, qui nous ont élevés dans la pureté des mœurs et la vraie Vie chrétienne.
Le Pasteur n’oubliera pas de faire remarquer ici que le mot de mère a été inséré très justement dans ce Commandement. Dieu voulait nous rappeler par là tous les services et tous les bienfaits dont nous sommes redevables à nos mères, les soins et la sollicitude avec lesquels elles nous ont portés, les peines et les douleurs au milieu desquelles elles nous ont mis au monde et élevés.
[Si nous voulons pratiquer ce Commandement comme Dieu nous le demande,] il faut que l’honneur et les égards que nous témoignons à nos pères et mères procèdent de l’amour que nous avons pour eux, c’est-à-dire d’un sentiment sincère et profond de l’âme. Et certes, nous le leur devons bien, à cause de la tendresse qu’ils ont pour nous ; tendresse telle qu’ils ne reculent devant aucune fatigue, aucun effort, aucun danger pour nous la prouver, et que rien ne peut leur être plus agréable que de se sentir aimés par des enfants que de leur côté ils aiment si vivement. Joseph qui, après le Pharaon, était le plus puissant et le plus honoré de toute l’Égypte, reçut son père à son arrivée dans ce pays avec les plus grandes marques d’honneur. Salomon, voyant un jour sa Mère venir à lui, se leva, la salua avec un profond respect, et la fit asseoir à sa droite sur le trône royal.
Il est encore d’autres devoirs que nous devons accomplir envers nos parents, si nous voulons leur rendre tout l’honneur auquel ils ont droit. Ainsi nous les honorons lorsque nous demandons humblement à Dieu que tout leur réussisse très heureusement, qu’ils soient environnés de la faveur et de la considération publiques, et surtout aimés de Dieu, et agréables aux Saints qui sont dans le ciel.
Nous les honorons aussi, lorsque nous réglons nos dispositions sur leur jugement et sur leur volonté. C’est le conseil de Salomon : Écoutez, ô mon fils, les instructions de votre père, et n’abandonnez point la loi de votre mère. Ces instructions et cette obéissance seront un ornement pour votre tête et comme un collier à votre cou129. Saint Paul a des recommandations du même genre : Enfants, dit-il, obéissez à vos parents dans le Seigneur ; car cela est juste130. Et encore : Enfants, obéissez en tout à vos parents, car cela est agréable à Dieu131. D’ailleurs ces maximes trouvent leur confirmation dans l’exemple des plus saints personnages. Quand Isaac fut lié par son père pour être sacrifié, il obéit humblement et sans résistance132. Et les Réchabites, pour ne jamais désobéir à leur père, s’abstinrent pour toujours de l’usage du vin133.
Nous honorons encore nos parents, lorsque nous imitons leurs bonnes actions, et leur conduite vertueuse. En effet, la plus grande marque d’estime que l’on puisse donner à quelqu’un, c’est de vouloir lui ressembler.
C’est encore les honorer que de demander leur avis, et surtout de le suivre.
Nous les honorons enfin, si nous avons soin de subvenir à leurs besoins, en leur procurant ce que réclament la nourriture et l’entretien. C’est ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même nous enseigne, quand Il reproche aux Pharisiens leur impiété. Pourquoi vous-mêmes, leur dit-Il, violez-vous le Commandement de Dieu, pour suivre votre tradition ? Car Dieu a dit : honorez votre père et votre mère : celui qui maudira son père et sa mère sera puni de mort. Mais vous, vous dites : quiconque dira à son père ou à sa mère : toute offrande que je présenterai, vous servira ; celui-là n’honorera pas son père et sa mère ; et vous avez rendu vain le Commandement de Dieu à cause de votre tradition134.
Accomplir nos devoirs envers nos pères et mères est pour nous une obligation de tous les instants, mais surtout dans leurs maladies graves et dangereuses. C’est alors que nous devons faire le nécessaire pour qu’ils ne soient point privés de la Confession et des autres Sacrements que les Chrétiens sont tenus de recevoir aux approches de la mort. Il faut aussi veiller de très près à ce qu’ils reçoivent fréquemment la visite d’hommes pieux et craignant Dieu, capables de les fortifier s’ils sont faibles et de les aider de leurs conseils, et s’ils sont déjà bien disposés, d’élever de plus en plus leur âme par l’espérance de l’immortalité, afin que, entièrement détachés des choses humaines, ils se confient uniquement à Dieu. Ainsi fortifiés et comme environnés de ce magnifique cortège des vertus de Foi, de Charité et de Religion, non seulement ils ne craindront pas la mort puisqu’elle est inévitable, mais même ils la désireront puisqu’elle ouvre directement l’éternité.
En dernier lieu, nous honorons encore nos parents après leur mort, en leur faisant des funérailles dignes d’eux, en leur donnant une sépulture convenable, en faisant célébrer pour eux des Sacrifices anniversaires, et en exécutant avec fidélité leurs dernières volontés.
Ce n’est pas seulement envers ceux qui nous ont transmis la vie naturelle que nous sommes redevables des devoirs dont nous venons de parler, c’est aussi envers ceux qui portent le nom de pères, c’est-à-dire les Évêques, les Prêtres, les rois, les princes, les magistrats, les tuteurs, les curateurs, les maîtres, les précepteurs, les vieillards et autres semblables. Tous méritent de ressentir les effets de notre charité, de notre obéissance et de nos efforts, mais pas au même degré.
Voici ce qui est écrit des Évêques et des Prêtres : Que les Prêtres qui gouvernent bien soient doublement honorés, principalement ceux qui travaillent à prêcher et à instruire135. Et quelles marques d’affection profonde les Galates ne donnèrent-ils pas à l’Apôtre Saint Paul, pour qu’il pût rendre à leur bienveillance ce témoignage incroyable : Oui, je l’atteste, vous étiez prêts alors, si la chose eût été possible, à vous arracher les yeux pour me les donner ?136
Il faut aussi fournir aux Prêtres les choses qui leur sont nécessaires pour vivre. Quel est le soldat, demande l’Apôtre, qui fait la guerre à ses dépens ?137 et n’est-il pas écrit dans l’Ecclésiastique ? Honorez les Prêtres purifiez-vous par les oblations présentées de vos mains, donnez-leur la part des prémices et des hosties d’expiation, comme il a été ordonné138. L’Apôtre enseigne qu’il faut aussi leur obéir. Obéissez, dit-il, à vos conducteurs et soyez-leur soumis, car ils veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte139. Bien plus, Notre-Seigneur Jésus-Christ commande d’obéir même aux mauvais Prêtres, lorsqu’il dit, en parlant des Scribes et des Pharisiens : Ils sont assis sur la chaire de Moïse ; en conséquence, faites tout ce qu’ils vous ordonnent, mais ne faites point ce qu’ils font ; car ils disent ce qu’il faut faire et ne le font point140.
Il en faut dire autant des rois, des princes, des magistrats et de tous ceux à qui nous devons être soumis. L’Apôtre Saint Paul, dans son Épître aux Romains, s’étend longuement sur l’honneur, les égards et le respect qui leur sont dus141. Ailleurs, il nous avertit que nous devons prier pour eux142. Saint Pierre nous dit à son tour : Soyez soumis, pour l’amour de Dieu, à toute créature revêtue du pouvoir, soit au roi comme au souverain, soit au gouverneur, comme étant envoyé par lui143. Car si nous leur rendons honneur, c’est à Dieu que cet honneur s’adresse. Les dignités humaines, si hautes qu’elles soient, n’obtiennent nos respects et nos hommages, qu’autant que nous voyons en elles l’image de la puissance même de Dieu. Et en agissant ainsi, nous vénérons en même temps la divine Providence qui confie à quelques hommes la charge des fonctions publiques, et qui se sert d’eux comme d’autant de ministres qui tiennent d’Elle leur pouvoir.
S’il se rencontre parfois des magistrats indignes, ce n’est ni leur perversité, ni leur malice que nous honorons, mais l’autorité divine qui est en eux. Et même, ce qui paraîtra peut-être incroyable, les inimitiés, les colères, les haines implacables qu’ils peuvent nourrir dans leur cœur contre nous, ne sont point des raisons suffisantes pour nous dispenser de nos devoirs envers eux. David ne rendit-il point les plus grand services à Saül, quoique celui-ci fût son plus cruel ennemi ? C’est ce qu’il nous rappelle lui-même par ces paroles : J’étais pacifique avec ceux qui haïssent la paix144.
Cependant, s’ils avaient le malheur d’ordonner quelque chose de mauvais ou d’injuste, comme alors ils n’agiraient plus de par cette autorité légitime qu’ils ont reçue de Dieu, mais en suivant leurs sentiments injustes et pervers, nous ne serions obligés en aucune façon de leur obéir.
Quand le Pasteur aura exposé successivement les différents points que nous venons de traiter, il ne manquera pas de faire remarquer combien est belle et convenable la récompense réservée à ceux qui observent ce quatrième Commandement de Dieu. Or le premier fruit de leur obéissance, c’est une longue vie. On mérite en effet de jouir très longtemps d’un bienfait dont on garde fidèlement la mémoire. Ceux donc qui honorent leurs parents et qui leur témoignent une vive reconnaissance pour le bienfait de la vie et de la lumière, ont droit à jouir de la vie jusqu’à la plus grande vieillesse. Mais cette promesse divine veut être expliquée plus au long. Il faut savoir qu’elle n’a pas seulement pour objet la Vie Éternelle et bienheureuse, mais encore cette vie que nous avons à passer sur la terre. Saint Paul exprime très bien cette vérité quand il dit : La piété est utile à tout : elle a les promesses de la vie présente et celles de la vie future145.
Et qu’on veuille bien le croire, cette récompense n’est ni vile, ni méprisable, encore que de très saints personnages comme Job146, David147, et Saint Paul148 aient désiré la mort, et qu’il soit peu agréable de voir sa vie se prolonger, quand on est accablé de chagrin et de misère. Car ces paroles qui accompagnent la promesse divine : Que le Seigneur votre Dieu vous donnera, n’assurent pas seulement la longueur de la vie mais encore le repos, la tranquillité, la santé nécessaires pour vivre heureusement. Aussi bien le Deutéronome ne dit pas seulement : afin que vous viviez longtemps, il ajoute : afin que vous soyez heureux sur la terre149. Et l’Apôtre, plus tard, redit la même chose150.
Dieu accorde ces biens à ceux dont Il veut récompenser la piété, autrement Il ne serait ni fidèle ni constant dans ses promesses ; puisqu’il arrive quelquefois que les enfants qui se distinguent le plus par leur piété filiale, ne jouissent pas pour cela d’une longue existence. Si Dieu le permet ainsi, c’est à coup sûr pour leur plus grand bien. Ils sortent de la vie, avant d’avoir abandonné le chemin de la vertu et du devoir. Ils sont enlevés, disent nos Saints Livres, de peur que la malice ne corrompe leur esprit, et que l’illusion ne séduise leur âme151. Ou bien encore parce que, au moment où la ruine et le bouleversement de toutes choses menacent le monde, ils sont dégagés des liens du corps pour échapper aux calamités publiques. Le juste, dit le Prophète, a été soustrait à la malice des hommes152, de peur que son innocence et son salut même ne fussent en danger, lorsque Dieu par ses châtiments punirait les crimes des hommes ; ou enfin, pour leur épargner dans les temps de grande désolation, les douleurs, les deuils et les amertumes que nous cause la mort de nos amis et de nos proches. C’est la raison pour laquelle nous devons être saisis de crainte lorsque Dieu rappelle à Lui les gens de bien par une mort prématurée.
Mais si Dieu promet une récompense et des avantages aux enfants qui sont reconnaissants envers leurs parents, il réserve des peines terribles aux fils ingrats et dénaturés. Il est écrit : Celui qui aura maudit son père ou sa mère sera puni de mort153 ; et celui qui afflige son père et chasse sa mère est un misérable et un infâme154 ; puis encore celui qui maudit son père ou sa mère, verra sa lampe s’éteindre au milieu des ténèbres155. Et enfin que l’œil qui insulte à son père, et qui tourne en dérision l’enfantement de sa mère, soit arraché par les corbeaux des torrents et dévoré par les fils de l’aigle156. Nous voyons dans l’Écriture que souvent la colère de Dieu s’est appesantie sur les enfants qui avaient outragé leurs parents. David ne reste point sans vengeance. Son fils révolté Absalon meurt percé de trois coups de lance : juste punition de son crime.
De même il est écrit de ceux qui n’obéissent point aux Prêtres : Celui qui s’enorgueillira, ne voulant point obéir au commandement du Prêtre qui en ce temps-là sera ministre du Seigneur notre Dieu, ni à la sentence du juge ; celui-là mourra157.
Si la Loi divine ordonne aux enfants d’honorer leurs parents, de leur obéir, de les respecter, elle fait aussi aux parents une obligation et une charge spéciale d’élever leurs enfants dans des principes parfaits et des mœurs pures, de leur donner d’excellentes règles de conduite, de les habituer à la pratique des devoirs de la Religion, et de leur inspirer pour Dieu un profond et inviolable respect. Ainsi, nous dit l’Écriture, firent les parents de la chaste Suzanne.
Que le Pasteur ait donc soin de rappeler aux pères et mères qu’ils sont obligés de donner à leurs enfants des leçons de vertu, de justice, de continence, de modestie et de sainteté. Ils doivent surtout éviter trois défauts, qui ne sont que trop communs.
Le premier, de les traiter trop durement, soit en paroles, soit en actions. Saint Paul, dans son Épître aux Colossiens ne dit-il pas : Vous, pères, ne provoquez point vos enfants à la colère, de peur qu’ils ne tombent dans l’abattement158. Car s’ils craignent tout, ils sont en grand danger de perdre tout courage. Le Pasteur leur recommandera donc d’éviter une trop grande sévérité, et de corriger leurs enfants plutôt que de s’en venger.
Le second défaut, d’user d’une molle indulgence, quand les enfants ont commis quelque faute, et qu’il faudrait les réprimander et sévir contre eux. Il arrive souvent que la trop grande douceur, et la trop grande facilité des parents dépravent les enfants. Pour les détourner de cette indulgence mauvaise, le Pasteur n’hésitera pas à leur citer l’exemple du grand prêtre Héli qui, pour avoir été trop bon envers ses fils, fut frappé par Dieu du dernier châtiment159.
Le troisième enfin, et c’est le plus honteux, de se proposer dans l’éducation et l’instruction de leurs enfants des desseins condamnables, comme le font, hélas ! un trop grand nombre de parents, qui n’ont d’autre pensée et d’autre soin que celui de laisser à leurs enfants des richesses, de l’argent, un vaste et magnifique patrimoine. Ils ne les forment point à la religion, à la piété, pas même à l’exercice d’un emploi honorable, mais au contraire à l’avarice et à l’augmentation de leur fortune, peu jaloux de la considération et du salut de leurs enfants, pourvu qu’ils soient riches et opulents. Peut-on dire, peut-on imaginer rien de plus déplorable ? C’est ainsi qu’ils en font plutôt les héritiers de leurs crimes et de leurs désordres que de leur opulence ; et au lieu de les guider vers le ciel, ils les entraînent aux supplices éternels de l’enfer.
Que le prêtre donc fasse entendre aux parents les meilleures instructions ! Qu’il les excite à imiter le saint homme Tobie et ses vertus, afin qu’ayant formé leurs enfants comme il convient au service de Dieu et à la sainteté, ils en recueillent à leur tour les fruits les plus abondants d’amour, de respect et d’obéissance.
Vous ne tuerez point
Le grand bonheur promis aux pacifiques, puisqu’ils seront appelés enfants de Dieu160, est pour les pasteurs un motif bien puissant de faire connaître ce Commandement aux Fidèles avec tout le soin et toute la clarté possibles. Car pour établir la concorde entre les hommes, il n’est pas de moyen plus efficace que de les amener tous, par une explication parfaite, à l’observer religieusement comme ils le doivent. Alors il sera permis d’espérer que vivant dans une conformité parfaite de sentiments, ils s’appliqueront à entretenir au milieu d’eux l’union et la paix.
Ce qui montre encore combien il est nécessaire d’insister sur ce précepte, c’est qu’aussitôt après le déluge, la première et l’unique défense que Dieu fit aux hommes fut la transgression de ce Commandement : Je demanderai compte de votre sang à quiconque l’aura versé, soit l’homme, soit la bête161. Et dans l’Évangile, lorsque Notre-Seigneur rappelle les Commandements de la Loi de Moïse, le premier qu’Il explique, nous dit Saint Matthieu, est précisément celui-ci : Il a été dit aux anciens : vous ne tuerez point162, et le reste qui est rapporté au même endroit.
De leur côté les Fidèles doivent écouter avec attention et empressement ce qu’on leur dit de ce précepte, puisqu’il est fait pour protéger la vie de chacun de nous en particulier et que ces paroles : Vous ne tuerez point, défendent absolument l’homicide. Ainsi donc chaque homme doit recevoir ce Commandement avec autant de joie que si Dieu lui défendait, sous les peines et les menaces les plus terribles, d’attenter à sa propre vie. Mais si nous devons aimer à entendre parler de ce précepte nous devons aimer également à éviter le mal qu’il défend.
En expliquant Lui-même cette Loi, Notre-Seigneur Jésus-Christ a montré qu’elle renferme deux choses : l’une qui nous est défendue, c’est de tuer ; l’autre qui nous est commandée, c’est d’avoir une charité et un amour sincères pour nos ennemis, de vivre en paix avec tout le monde, et de supporter patiemment toutes les souffrances de la vie.
Dans la partie du précepte qui défend le meurtre, il faut d’abord faire remarquer aux Fidèles qu’il y a des meurtres qui ne sont point compris dans cette défense. Ainsi il n’est pas défendu de tuer les bêtes ; puisque Dieu nous a permis de nous en nourrir, Il nous a permis par là-même de les tuer. Ce qui a fait dire à Saint Augustin : Lorsque nous lisons ces paroles : Vous ne tuerez point, cela ne peut s’entendre des arbres qui n’ont aucune sensibilité, ni des animaux sans raison, parce qu’ils ne nous sont unis par aucun lien social163.
Il est une autre espèce de meurtre qui est également permise, ce sont les homicides ordonnés par les magistrats qui ont droit de vie et de mort pour sévir contre les criminels que les tribunaux condamnent, et pour protéger les innocents. Quand donc ils remplissent leurs fonctions avec équité, non seulement ils ne sont point coupables de meurtre, mais au contraire ils observent très fidèlement la Loi de Dieu qui le défend. Le but de cette Loi est en effet de veiller à la conservation de la vie des hommes, par conséquent les châtiments infligés par les magistrats, qui sont les vengeurs légitimes du crime, ne tendent qu’à mettre notre vie en sûreté, en réprimant l’audace et l’injustice par les supplices. C’est ce qui faisait dire à David : Dès le matin je songeais à exterminer tous les coupables, pour retrancher de la cité de Dieu les artisans d’iniquité164.
Par la même raison, ceux qui, dans une guerre juste, ôtent la vie à leurs ennemis, ne sont point coupables d’homicide, pourvu qu’ils n’obéissent point à la cupidité et à la cruauté, mais qu’ils ne cherchent que le bien public. Les meurtres qui se font par la volonté formelle de Dieu ne sont point non plus des péchés. Les enfants de Lévi qui firent périr en un seul jour tant de milliers d’hommes ne commirent aucune faute. Après le massacre, Moïse leur dit : Vous avez aujourd’hui consacré vos mains au Seigneur165. Celui qui involontairement et sans préméditation donne la mort à quelqu’un, n’est pas coupable non plus. Voici ce que le Deutéronome dit à ce sujet : Celui qui, sans y penser, aura frappé un autre avec lequel il n’aura point eu de dispute les deux jours précédents, et qui étant allé avec lui dans une forêt simplement pour y couper du bois, lui aura donné un coup et l’aura tué avec sa cognée qui lui aura échappé des mains, ou qui a quitté son manche, ne sera point coupable de la mort de cet homme166. Ces sortes de meurtres ne sont ni volontaires ni commis à dessein, ils ne sauraient donc être mis au nombre des péchés. C’est ce que nous confirme Saint Augustin : Si contre notre volonté, dit-il, il arrive du mal des actions que nous faisons licitement et pour le bien, ce mal ne doit pas nous être imputé167.
Toutefois il est deux cas où nous pouvons être coupables d’homicide, sans qu’il y ait eu préméditation de notre part.
En premier lieu, si quelqu’un vient à tuer son semblable, en faisant une action injuste ; par exemple, en frappant une femme enceinte à coups de pied, ou à coups de poing, de manière à causer la mort de son enfant ; sans doute il n’est pas volontairement cause de cette mort, mais il en est coupable, par la raison qu’il lui est absolument défendu de frapper une femme enceinte. En second lieu, si on donne la mort à quelqu’un par imprudence, et faute d’avoir pris les précautions et les soins nécessaires, pour éviter un tel malheur.
De même encore, celui qui en défendant sa propre vie tue son agresseur, malgré les précautions qu’il prend pour ne le point frapper mortellement, n’est nullement coupable d’homicide. Tous ces meurtres dont nous venons de parler ne tombent point sous les prescriptions de la Loi. Mais les autres sont absolument défendus, soit qu’on les considère du côté de celui qui donne la mort, ou du côté de celui qui la reçoit, ou enfin selon les différentes manières dont l’homicide peut être commis.
Et d’abord la loi défend le meurtre à tout le monde. Elle n’excepte personne ; ni riches, ni pauvres, ni puissants, ni maîtres, ni parents. Elle ne fait aucune distinction. Défense à tous de tuer.
Défense de tuer qui que ce soit ! La Loi s’étend à tous. Il n’est personne, quelle que soit la bassesse de sa condition, qui ne soit protégé par elle.
Bien plus, défense de se tuer soi-même. Nul n’a assez de pouvoir sur sa propre vie, pour se donner la mort quand il lui plaît. C’est pour cela que la Loi ne dit pas : vous ne tuerez point les autres, mais simplement : vous ne tuerez point.
Si maintenant nous examinons les différentes manières de commettre un meurtre, il n’en est point qui ne soit interdite par ce précepte. Non seulement il n’est permis à personne d’ôter la vie à son semblable de ses propres mains, ou avec le fer, la pierre, le bâton, le lacet ou le poison, mais il est encore défendu d’y contribuer de ses conseils, de ses moyens, de son secours ou de quelque manière que ce soit. C’est pourquoi les Juifs firent preuve d’un aveuglement bien étrange, en s’imaginant qu’ils observaient ce précepte, pourvu seulement qu’ils n’eussent pas commis le meurtre de leurs mains.
Un Chrétien qui sait, par l’interprétation de notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même, que la Loi dont nous parlons est spirituelle, c’est-à-dire qu’elle nous ordonne d’avoir non seulement les mains pures, mais encore le cœur droit et irréprochable, ce Chrétien, disons-nous, ne peut se contenter de ce que les Juifs regardaient comme surabondant. Ainsi, d’après l’enseignement de l’Évangile, nous n’avons même pas le droit de nous mettre en colère contre notre frère. Notre-Seigneur ne dit-il pas ? Mais Moi Je vous le dis, quiconque se met en colère contre son frère, sera condamné par le jugement ; celui qui dira à son frère : Raca, sera condamné par le conseil ; et celui qui l’appellera fou, méritera d’être condamné au feu éternel de l’enfer168.
Ces paroles nous montrent clairement que celui qui se met en colère contre son frère, même s’il tient sa colère renfermée dans son cœur, ne laisse pas d’être coupable ; que celui qui la fait éclater au dehors d’une manière quelconque, commet un péché grave, et son péché est bien plus grave encore s’il ne craint pas de traiter son frère avec dureté, et de le charger d’injures.
Ceci est vrai, lorsque nous nous mettons en colère sans raison. Mais il y a une colère légitime et selon Dieu c’est celle qui nous fait réprimander, quand elles sont en faute, les personnes placées sous nos ordres et qui nous doivent obéissance. La colère du Chrétien ne procède point des sens, ni des émotions de la passion, elle vient du Saint-Esprit, dont nous sommes les temples, et il faut que Jésus-Christ habite dans ces temples.
Il est encore beaucoup d’autres choses que notre Seigneur nous a recommandées, et qui tiennent à l’observation parfaite de ce Commandement. Par exemple : Ne résistez pas à ceux qui vous maltraitent. Si quelqu’un vous a frappé sur la joue droite, présentez-lui encore l’autre. Si quelqu’un veut plaider contre vous pour vous prendre votre tunique, abandonnez-lui encore votre manteau. Et si quelqu’un vous force de faire mille pas avec lui, faites-en deux mille169.
De tout ce que nous venons de dire il est aisé de conclure combien les hommes sont enclins aux péchés défendus par ce Commandement, et par conséquent combien il s’en trouve, hélas ! qui sont homicides, non de la main, mais du cœur.
L’écriture ne manque pas de remèdes à opposer à un mal si funeste. Le devoir du Pasteur sera donc de les indiquer soigneusement aux Fidèles. Or, le remède le plus efficace est de leur faire comprendre combien l’homicide est un crime énorme ; et cette vérité peut se prouver par plusieurs passages très importants de nos Saints Livres, où nous voyons Dieu détester tellement l’homicide qu’il nous assure qu’Il vengera la mort de l’homme sur les bêtes, et qu’Il ordonne de tuer l’animal qui aura seulement blessé un homme. Et si Dieu a voulu inspirer à l’homme tant d’horreur du sang, c’est uniquement pour le détourner par tous les moyens du crime affreux de l’homicide, et en préserver autant son cœur que ses mains.
Les homicides sont les ennemis les plus acharnés du genre humain et même de la nature ; car ils détruisent, autant qu’il est en eux, l’œuvre de Dieu, en détruisant l’homme pour lequel Il nous atteste qu’Il a fait toutes choses. Il y a plus : comme il est défendu dans la Genèse de tuer l’homme, parce que Dieu l’a créé à son image et à sa ressemblance, celui-là Lui fait une injure insigne, qui porte pour ainsi dire sur Lui une main criminelle, en faisant disparaître son image du milieu du monde. C’est en méditant devant Dieu cette triste vérité que David se plaint si amèrement des hommes sanguinaires. Leurs pieds, dit-il, sont agiles pour répandre le sang170. Il ne dit pas simplement : ils tuent, mais : ils répandent le sang. Or il emploie ces mots pour faire ressortir davantage l’énormité de cet abominable crime et la cruauté insensée de ceux qui le commettent. De même encore pour montrer avec quelle précipitation ils sont poussés au mal par une sorte de violence diabolique, il dit : leurs pieds sont agiles.
Cette deuxième partie du précepte ne défend pas ; elle commande. Et ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ exige de nous, c’est que nous vivions en paix avec tout le monde. Voici d’ailleurs comme Il explique ce commandement : Si lorsque vous présentez votre offrande à l’Autel, vous vous souvenez que votre frère a quelque chose sur le cœur contre vous, laissez là votre offrande devant l’Autel et allez d’abord vous réconcilier avec votre frère, puis vous viendrez faire votre offrande171. Le Pasteur aura soin d’expliquer ces paroles de manière à faire comprendre que notre Charité doit s’étendre à tous les hommes sans exception. Et il multipliera ses exhortations pour porter les Fidèles à cette grande vertu de l’amour du prochain si visiblement contenue dans ce précepte. En effet, la haine y étant clairement défendue, puisque celui qui hait son frère est homicide, il s’ensuit nécessairement que l’amour et la charité envers le prochain y sont commandés. Ce n’est pas tout, car en même temps que ce précepte nous fait un devoir de la Charité universelle, il nous ordonne également toutes les obligations et toutes les œuvres qui en sont une suite naturelle. Ainsi, la Charité est patiente, dit Saint Paul172, donc la patience nous est commandée, cette patience dans laquelle Notre-Seigneur nous assure que nous posséderons nos âmes173. Il en est de même de la bienfaisance, qui est l’amie et la compagne de la Charité, car la Charité est bienfaisante174. Or la bienfaisance et la bonté vont très loin. Ce sont elles principalement qui font que nous soulageons les pauvres en ce qui leur est nécessaire, que nous donnons à manger à ceux qui ont faim, à boire à ceux qui ont soif, des vêtements à ceux qui sont nus, en un mot que nos libéralités sont d’autant plus grandes que nous constatons des besoins plus étendus. Tous ces actes de bonté et de bienfaisance, déjà très beaux et très méritoires par eux-mêmes, le deviennent bien davantage encore, lorsque nous les exerçons envers des ennemis. Car notre Sauveur nous dit : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent175. Et Saint Paul ajoute : Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger ; s’il a soif, donnez-lui à boire ; en agissant ainsi vous amasserez des charbons de feu sur sa tête. Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais cherchez à vaincre le mal par le bien176.
Si nous considérons enfin la loi de la Charité, toujours par rapport à la bienveillance, nous n’aurons pas de peine à comprendre qu’elle nous oblige à pratiquer en toutes choses la douceur, la retenue, la réserve et toutes les autres vertus de ce genre.
Mais le devoir qui l’emporte, et de beaucoup, sur tous les autres, le devoir de Charité par excellence, celui auquel nous devons nous exercer le plus, c’est de remettre et de pardonner d’un bon cœur les injures qu’on nous a faites. Pour nous amener à la pratique de cette vertu, la Sainte Écriture, comme nous l’avons dit plus haut, multiplie les recommandations et les exhortations. Non seulement elle appelle heureux ceux qui pardonnent en toute sincérité, mais elle leur promet de la part de Dieu la rémission de leurs péchés ; tandis que cette rémission est refusée à ceux qui négligent ou refusent de remplir ce devoir.
Mais comme le désir de la vengeance est pour ainsi dire inné dans le cœur de l’homme, le Pasteur mettra tous ses soins, non seulement à rappeler aux Fidèles qu’ils doivent oublier et pardonner les injures, mais encore à faire en sorte de le leur persuader. Et comme les Saints Pères ont beaucoup parlé de cette matière, il ne manquera pas de les consulter, pour vaincre l’opiniâtreté de ceux qui veulent s’obstiner et s’endurcir dans la résolution de se venger. Il devra tenir toujours prêts les arguments si concluants que leur piété leur a suggérés, et qu’ils ont si bien appropriés à la question.
Il pourra se servir utilement des trois considérations suivantes.
D’abord il importe grandement de bien persuader à celui qui se croit offensé que l’auteur principal de l’injure ou du dommage qu’il a reçu, n’est pas celui sur lequel il désire se venger. C’est ainsi que l’avait compris Job, cet homme admirable qui, accablé des traitements les plus cruels par les Sabéens, les Chaldéens et le démon, ne tient d’eux aucun compte, mais se contente, en homme droit et vraiment pieux, de prononcer ces paroles, si dignes de sa vertu et de sa Foi : Le Seigneur m’avait tout donné, le Seigneur m’a tout ôté177.
De telles paroles et un tel exemple de patience sont bien propres à convaincre les Chrétiens que tout ce que nous souffrons en cette vie vient de Dieu, Père et Auteur de toute justice et de toute miséricorde. Et sa bonté pour nous est si grande qu’Il ne nous punit point comme des ennemis, mais qu’Il nous corrige et nous châtie comme ses enfants.
Et de fait, si nous voulons y réfléchir, nous devons reconnaître que les hommes, dans les maux que nous souffrons, ne sont que les ministres et les exécuteurs de la justice divine. On peut en venir à concevoir contre quelqu’un une haine criminelle, et même lui souhaiter le plus grand mal, mais on ne peut lui nuire qu’avec la permission de Dieu. Voilà pourquoi Joseph supporta patiemment les traitements impies de ses frères, et David les injures de Séméi. Il est encore un raisonnement qui s’applique très bien à notre sujet, c’est celui de Saint Jean Chrysostome, et qu’il a développé avec tant de bonheur et d’habileté. Personne, dit-il, n’éprouve de mal que celui qu’il se fait à lui-même. Car ceux qui croient avoir été traités d’une manière injurieuse n’auront pas de peine à comprendre, s’ils y pensent en toute sincérité, qu’ils n’ont reçu des autres aucune injure, aucun dommage pour leur âme, encore qu’on leur ait fait quelques maux qui sont purement extérieurs. Au contraire, ils se font à eux-mêmes le plus grand mal, quand ils souillent leur âme par la haine, la cupidité et la jalousie.
En second lieu, il y a deux grands avantages pour ceux qui en vue de plaire à Dieu pardonnent volontiers les Injures qu’on leur a faites. Le premier, c’est le pardon de nos fautes que Dieu nous a promis, si nous pardonnons celles des autres envers nous : d’où il est aisé de conclure combien cet acte de Charité lui est agréable. Le second, c’est que nous nous élevons à un nouveau degré de dignité et de perfection, car en pardonnant nous devenons en quelque sorte semblables à Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les pécheurs comme sur les justes.
Enfin il faut avoir soin de bien montrer les inconvénients qui nous attendent, si nous ne voulons point pardonner les injures que nous avons reçues. Le Pasteur représentera donc à ceux qui ne peuvent se déterminer à pardonner à leurs ennemis, que la haine n’est pas seulement un péché grave, mais encore un péché qui tire de sa durée même une gravité sans cesse croissante. Car celui qui a le malheur de nourrir cette passion dans son âme, a soif en quelque sorte du sang de son ennemi. Il passera, en vue de sa vengeance, ses jours et ses nuits à rouler dans son esprit quelque projet mauvais, toujours occupé de pensées de meurtre et de choses détestables. C’est pourquoi il devient impossible, ou du moins très difficile de l’amener à pardonner, en tout ou en partie, les injures qu’il a reçues. Aussi on a comparé très justement la haine à une plaie dans laquelle le trait reste enfoncé.
Il est encore beaucoup d’autres inconvénients et de péchés dont la haine devient pour ainsi dire le lien et le centre. C’est ce qui a fait dire à Saint Jean : Celui qui hait son frère est dans les ténèbres, et il marche dans les ténèbres, et il ne sait où il va, parce que les ténèbres l’ont aveuglé178. Par conséquent, il est condamné à des chutes fréquentes ; car comment approuver les paroles ou les actes de quelqu’un qu’on déteste ? De là des jugements téméraires et injustes, des colères, des jalousies, des médisances et autres péchés semblables, qui n’épargnent pas même — cela ne se voit que trop souvent — ceux qui sont unis par les liens du sang ou de l’amitié. C’est ainsi qu’un seul péché en engendre beaucoup d’autres.
Et certes, ce n’est pas sans motif que ce péché de la haine est appelé péché diabolique, puisque le diable est homicide dès le commencement179. Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, voyant que les Pharisiens voulaient Le faire mourir, leur disait : Le démon est votre père, et vous êtes de lui180.
Outre ce que nous venons de dire et toutes les raisons que nous avons apportées pour faire détester ce crime, nos Saints Livres nous proposent encore contre lui plusieurs remèdes d’une grande efficacité.
Le premier, et le meilleur de tous, est l’exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous devons faire en sorte d’imiter. Lui qui ne pouvait pas même être soupçonné du moindre péché, Lui, (l’innocence même), après avoir été indignement battu de verges, couronné d’épines et cloué à une croix, laisse tomber de ses lèvres cette prière si pleine de Charité : mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font181, bien que son sang répandu parlât déjà, au témoignage de l’Apôtre, plus éloquemment que celui d’Abel182.
L’Ecclésiastique nous propose un autre remède. C’est la pensée de la mort et du jugement. Souvenez-vous de vos fins dernières, dit-il, et jamais vous ne pécherez183. En d’autres termes, pensez souvent, ou mieux ayez sans cesse dans la pensée que vous devez mourir bientôt. Et comme alors il sera très désirable et même très nécessaire pour vous d’obtenir la très grande miséricorde de Dieu, vous devez dès maintenant et toujours vous remettre sous les yeux cette miséricorde dont vous avez tant besoin. C’est le moyen d’éteindre dans votre âme ce feu infernal de la haine et de la vengeance. Rien n’est plus propre en effet à vous faire obtenir la divine miséricorde que l’oubli des injures et l’amour de ceux qui vous ont offensé, vous ou les vôtres, soit en paroles, soit en actions.
Vous ne serez point adultères
Le lien qui unit le mari et la femme est très étroit. Partant, rien ne peut leur être plus agréable que de se sentir aimés l’un de l’autre d’un amour tendre et loyal. Au contraire, rien ne saurait leur être plus pénible que de voir cet amour, qu’ils se doivent et qui est si légitime, s’en aller honteusement vers d’autres. Il était donc juste et absolument dans l’ordre qu’après la Loi qui protège la vie de l’homme contre le meurtre. Dieu plaçât immédiatement celle qui défend l’adultère, afin que personne n’osât violer ou détruire cette union si sainte et si honorable du Mariage, ce foyer si ardent de Charité et d’amour.
Mais en traitant cette matière, le Pasteur ne devra manquer ni de circonspection ni de prudence. Il traitera ce sujet avec la réserve la plus mesurée. N’est-il pas à craindre en effet qu’en voulant expliquer longuement et en détail les différentes manières de transgresser ce précepte, il ne vienne à dire des choses qui pourraient troubler les âmes délicates au lieu de les éclairer ?
Or, ce Commandement est très étendu et fort complexe. Et pourtant le Pasteur ne doit rien passer sous silence. Chaque chose doit venir à sa place.
Il se divise en deux parties, l’une qui défend formellement l’adultère, l’autre qui nous commande implicitement la chasteté de l’âme et du corps.
Commençons d’abord par ce qui est défendu.
L’adultère est la violation du droit le plus sacré qui unit par serment inviolable les Époux l’un à l’autre. L’Époux qui manquerait de fidélité à son Épouse commettrait une faute très grave ; quiconque libre pécherait avec une personne non libre, se rendrait gravement coupable aux yeux de Dieu.
Selon Saint Ambroise et Saint Augustin, ce Commandement porté contre l’adultère s’étend à tout ce qui est déshonnête et impur. Et nos Saints Livres, ceux de l’Ancien, comme ceux du Nouveau Testament, ne nous permettent pas d’être d’un avis différent. Ainsi, outre l’adultère, d’autres genres de libertinage sont encore punis dans Moïse. La Genèse nous rapporte un jugement de Juda contre sa belle-fille184, et le Deutéronome défend positivement qu’aucune des filles d’Israël ne se livre au mal185. Tobie faisait cette exhortation à son fils : Gardez-vous, ô mon fils, de toute impudicité186 ; et l’Ecclésiastique nous dit : Rougissez de jeter les yeux sur une femme de mauvaise vie187.
Dans l’Évangile, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous assure que du cœur sortent les adultères et les intentions mauvaises qui rendent l’homme coupable188. Quant à Saint Paul, c’est dans une foule de passages, et dans les termes les plus sévères, qu’il flétrit ce péché. Ici il dit : La volonté de Dieu est que vous soyez saints et que vous évitiez l’impudicité189 ; là Fuyez ce vice190 ; ailleurs Évitez les impudiques191 ; puis Qu’on n’entende pas même parler parmi vous de ce péché, ni d’impureté de quelque sorte, ni d’avarice192 ; puis encore : ni les impudiques, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables ne seront héritiers du Royaume de Dieu193.
La principale raison pour laquelle l’adultère est expressément défendu dans ce Commandement, c’est que, outre la turpitude qui lui est commune avec toutes les autres espèces d’impuretés, il est en même temps un acte d’injustice flagrante non seulement contre le prochain, mais même contre la société civile. Il est certain d’ailleurs que celui qui ne sait pas s’abstenir des autres péchés d’impureté sera bien vite entraîné jusqu’à l’adultère.
Il est donc facile de comprendre qu’en défendant l’adultère, Dieu a défendu en même temps toute sorte d’impureté, capable de souiller le corps. De plus le libertinage intérieur du cœur est également défendu, car cette Loi est essentiellement spirituelle. Nous en avons la preuve dans ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Vous savez qu’il a été dit aux Anciens : vous ne serez point adultères ; mais Moi Je vous dis que quiconque regarde une femme avec une intention mauvaise, a déjà commis l’adultère dans son cœur194.
Voilà ce qu’il nous a semblé que le Pasteur pouvait dire en public sur cette matière, en y ajoutant toutefois ce que le Saint Concile de Trente a décrété contre les adultères, et contre ceux qui s’exposent à vivre dans l’habitude du mal et des fréquentations mauvaises195. Il laissera de côté toutes les autres variétés de péchés contre ce Commandement, pour n’en parler qu’en particulier, et encore, selon que les circonstances et la situation des personnes lui en feront un devoir.
Il reste à expliquer maintenant la partie du précepte qui commande.
Il faut donc apprendre aux Fidèles et les exhorter très vivement à pratiquer avec tout le soin possible la vertu de pureté, à se purifier de tout ce qui souille la chair et l’esprit, poursuivant l’œuvre de leur sanctification dans la crainte de Dieu196. Il faut surtout leur faire remarquer que, si la vertu de chasteté brille d’un éclat particulier dans ceux qui gardent religieusement l’excellente et divine vertu de virginité, elle peut aussi être pratiquée par ceux qui vivent dans le célibat, et même par les personnes mariées qui savent se conserver pures et innocentes de tous les excès défendus.
Les saints Pères nous indiquent un grand nombre de remèdes pour nous apprendre à réprimer et à dompter nos passions. Le Pasteur ne manquera pas de les faire connaître aux Fidèles, en les expliquant avec tout le soin possible.
Ces remèdes sont de deux sortes : les uns sont du domaine de la pensée, les autres appartiennent à l’action.
Les remèdes qui procèdent de la pensée consistent principalement en ce que nous comprenions très bien tout ce qu’il y a de honteux et de pernicieux dans le péché d’impureté. Cette connaissance une fois acquise, il nous sera plus facile de le détester. Or ce qui nous fait sentir combien ce crime est funeste, c’est que ceux qui ont le malheur de le commettre, sont par le fait repoussés et exclus du Royaume de Dieu. Voilà bien le dernier de tous les maux.
Sans doute, ce malheur est commun à tous les péchés mortels, mais le péché dont nous parlons a cela de particulier que ceux qui s’en rendent coupables, pèchent contre leur propre corps. C’est l’enseignement de l’Apôtre. Il dit expressément Fuyez l’impudicité ; tous les autres péchés se commettent hors de nous ; mais celui qui s’abandonne à l’impudicité pèche contre lui-même197, c’est-à-dire qu’il se fait injure en profanant sa sainteté. Voilà pourquoi Saint Paul dit encore aux Thessaloniciens : La volonté de Dieu c’est que vous deveniez des Saints, et que vous évitiez l’impudicité, et que chacun de vous sache posséder son corps dans la sainteté et l’honnêteté, ne suivant point les entraînements de la passion, comme font les nations qui ignorent Dieu198. Ensuite, ce qui est plus criminel encore, c’est que le Chrétien qui pèche honteusement avec une femme de mauvaise vie, profane ses membres qui sont les membres de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ne savez-vous pas, dit l’Apôtre, que vos corps sont les membres de Jésus-Christ ? Peut-on transformer des membres de Jésus-Christ en instruments de péché ? À Dieu ne plaise ! ne savez-vous pas que celui qui pèche avec une femme de mauvaise vie se réduit au plus honteux esclavage ?199 D’ailleurs, au témoignage du même Apôtre, le Chrétien est le Temple du Saint-Esprit200, et violer ce temple, n’est-ce pas en chasser cet esprit de Dieu ?
En ce qui concerne l’adultère, il ne faut pas oublier qu’il renferme en lui-même une injustice très grande. Car, suivant la doctrine de Saint Paul, ceux que le mariage unit sont tellement soumis au pouvoir l’un de l’autre, qu’ils ne sont plus seuls maîtres d’eux-mêmes201. Ils sont au contraire enchaînés entre eux et asservis l’un à l’autre, au point que le mari doit se conformer à la volonté de la femme, et la femme à celle du mari. Et par conséquent, celui des deux qui viole un droit légitime en devenant infidèle à son serment, commet une injustice très criminelle. Et comme la crainte de l’infamie est un motif très puissant pour porter les hommes à l’accomplissement de ce qui est ordonné, et pour les détourner de ce qui est défendu, le Pasteur aura grand soin de montrer aux Fidèles que l’adultère imprime sur le front de celui qui le commet un stigmate d’ignominie. Nos Livres saints nous disent expressément : Celui qui est adultère perdra son âme par la folie de son cœur. Il amassera sur sa tête l’opprobre et la honte, et son infamie ne s’effacera jamais202.
Enfin la sévérité des châtiments réservés aux adultères nous démontre suffisamment la grandeur de leur crime. On sait que la Loi de Moïse les condamnait à être lapidés. Bien plus, ne lisons-nous pas que pour le crime d’un seul, non seulement Dieu a frappé le coupable, mais une ville tout entière, celle des Sichimites ? La Sainte Écriture nous fournit encore plusieurs autres exemples des châtiments exercés par Dieu contre ceux qui violent ce Commandement. Le Pasteur fera bien de les rassembler et de les raconter aux Fidèles, pour les détourner de plus en plus de ces excès abominables. Ainsi furent détruits les habitants de Sodome et des villes voisines, les israélites qui avaient péché avec les filles de Moab dans le désert, et les Benjamites.
Et même ceux qui échappent à la mort, n’échappent ni aux douleurs, ni aux tourments cruels dont ils sont souvent la victime. Ils sont punis du plus terrible des châtiments, l’aveuglement de l’esprit. Dès lors ils ne tiennent plus compte de rien. Dieu, réputation, dignité, enfants, eux-mêmes, tout est oublié. Ils deviennent ainsi tellement pervers et incapables, qu’on, ne peut leur confier rien d’important, et qu’ils ne sont plus guère propres à aucune fonction sérieuse. L’exemple de David et de Salomon nous le prouve bien. Le premier, après son adultère, se trouva tout à coup si différent de lui-même, que de très doux qu’il était, il devint cruel et barbare, et qu’il fit exposer à une mort certaine un de ses plus zélés serviteurs, le fidèle Urie. Le second, livré tout entier à ses honteuses passions, en vint à cet excès d’abandonner sa religion et d’adorer les faux dieux. Tant il est vrai que ce péché, comme dit le Prophète Osée, emporte le cœur de l’homme, et le plus souvent même, le rend aveugle203.
Venons maintenant aux remèdes qui sont du domaine de l’action.
Le premier est de fuir l’oisiveté. C’est en s’énervant dans ce vice, comme dit Ézéchiel, que les Sodomites se précipitèrent dans les désordres si honteux de leurs horribles débauches204.
Le second est d’éviter l’intempérance avec le plus grand soin. Je les ai rassasiés, dit le Prophète, et ils ont commis l’adultère. En effet, c’est une cause d’impureté que de prendre des aliments avec excès. C’est ce que notre Seigneur veut nous faire entendre, quand Il nous dit : prenez garde de laisser vos cœurs s’appesantir dans l’intempérance et l’ivresse205. Saint Paul nous dit aussi : Ne vous enivrez point par le vin, d’où naît la luxure206.
Mais ce qui allume le plus ordinairement la passion impure dans les cœurs, ce sont les regards. C’est pourquoi Notre-Seigneur nous dit : Si votre œil vous scandalise, arrachez-le, et jetez-le loin de vous207. Les Prophètes avaient parlé dans le même sens. J’ai fait un pacte avec mes yeux, dit Job, pour éviter toute pensée dangereuse208. Et d’ailleurs, nous avons des exemples presque innombrables des désordres qui ont eu leur source dans la curiosité mauvaise des regards. Il n’y a qu’à se rappeler le péché de David, celui du roi de Sichem, et enfin celui des vieillards qui se firent les calomniateurs de Suzanne.
Les parures trop élégantes, si bien faites, malheureusement, pour attirer les regards, sont encore une des sources les plus ordinaires de l’impureté. De là cet avertissement que nous donne l’Ecclésiaste : détournez vos yeux d’une femme parée209. Et comme les femmes sont d’ordinaire trop attachées aux ornements du corps, il est nécessaire que le Pasteur les avertisse de temps en temps d’éviter ce défaut, et même de leur faire entendre sur ce point le langage sévère de l’Apôtre Saint Pierre : Que les femmes ne se parent point au dehors par l’art de leur chevelure, par les ornements d’or, ni par la beauté des vêtements210. Et Saint Paul, de son côté, leur défend les cheveux frisés, les ornements d’or, les pierres précieuses, les vêtements somptueux211. Souvent en effet ces ornements extérieurs ont fait perdre le véritable ornement de l’âme et du corps.
Mais si la trop grande recherche dans la parure porte habituellement au péché de l’impureté, les discours et entretiens déshonnêtes n’y conduisent pas moins. Les propos obscènes sont comme une flamme ardente qui allume dans le cœur des jeunes gens le feu de l’impureté. Les entretiens mauvais corrompent les bonnes mœurs, dit l’Apôtre212. Il en est de même des chants trop tendres, et trop efféminés, des danses, des livres licencieux ou peu chastes, ainsi que des tableaux qui représentent quelque chose de honteux. Toutes ces choses doivent être évitées avec le plus grand soin, car elles sont capables d’éveiller des sentiments dangereux dans le cœur de la jeunesse et de l’exposer au péril. Sur ce point le Pasteur doit surtout recommander aux Fidèles d’observer religieusement ce que le saint Concile de Trente a réglé avec tant de sagesse et de piété.
Si l’on met tous ses soins à éviter tout ce que nous venons de rappeler, on ne laisse presque pas de place à la passion impure. Mais il ne faut pas oublier que les moyens les plus puissants pour la comprimer et la réduire sont la Confession fréquente et la fréquente Communion, avec des prières assidues et ferventes, l’aumône et le jeûne. La chasteté est un don de Dieu ; qu’Il ne refuse jamais à ceux qui le demandent comme il faut. Il ne permet pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces213.
Enfin il faut exercer le corps non seulement par des jeûnes, et spécialement par ceux que l’Église prescrit, mais aussi par des veilles, par de pieux pèlerinages, et par d’autres mortifications. C’est le moyen de dompter nos appétits mauvais, et de produire des actes très méritoires de la vertu de tempérance. Ceux qui combattent dans l’arène, dit Saint Paul [en parlant de la mortification], s’abstiennent de toutes choses, et cependant ce n’est que pour obtenir une couronne corruptible, au lieu que la nôtre est incorruptible. Peu après il ajoute : Je châtie mon corps et je le réduis en servitude, de crainte qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même214. Ailleurs il dit encore : ne cherchez pas à contenter votre chair dans ses désirs215.
Vous ne déroberez point
C’est une pratique fort ancienne dans l’Église que de chercher à pénétrer les Fidèles de la nature et de l’importance de ce Commandement. Nous en avons pour preuve ce reproche adressé par l’Apôtre à des hommes qui détournaient les autres des vices dont ils étaient eux-mêmes tout couverts. Vous instruisez les autres, et vous ne vous instruisez pas vous-mêmes. Vous prêchez qu’il ne faut pas voler, et vous volez vous-mêmes216. Grâce à cet enseignement, non seulement on parvenait à corriger les hommes de ce péché alors très fréquent, mais même on réussissait à apaiser les querelles, les procès et tous les autres maux que le vol amène ordinairement avec lui. Mais puisque malheureusement l’époque où nous vivons nous donne le spectacle des mêmes fautes avec les mêmes inconvénients et les mêmes malheurs qui en sont la suite, les Pasteurs se feront un devoir, à l’exemple des Saints Pères et des Maîtres de la discipline chrétienne, d’insister fortement sur ce point, et d’expliquer en détail, et avec tout le zèle possible, la nature et la portée de ce Commandement. Leur première occupation et leurs premiers soins seront de bien faire ressortir l’amour immense de Dieu pour nous. Il ne s’est pas contenté, en effet, ce Dieu infiniment bon, de mettre en sûreté notre vie, notre corps, notre honneur et notre réputation par ces deux préceptes : Vous ne tuerez point ; vous ne serez point adultère. Mais Il a voulu aussi par cet autre commandement, Vous ne déroberez point, entourer d’une sorte de garde, protéger et défendre tous nos biens extérieurs. Car quelle idée attacher à ces paroles, sinon celle que nous avons indiquée plus haut, en traitant des Commandements qui précèdent, à savoir, que Dieu défend de prendre ou d’endommager les biens d’autrui dont Il se déclare le Protecteur ? Or, plus le bienfait de la Loi divine est étendu, plus aussi nous devons être reconnaissants envers Dieu, qui en est l’Auteur. Et comme la meilleure manière d’avoir cette reconnaissance et de la Lui prouver, c’est non seulement de recevoir avec joie ses préceptes, mais encore de les pratiquer fidèlement, il faudra exciter (et enflammer) les Fidèles à observer exactement celui dont nous parlons.
Le septième Commandement — comme les précédents — se divise en deux parties : la première qui défend le vol, et qui est explicitement formulée ; la seconde qui est implicitement contenue et renfermée dans la première, et qui nous ordonne d’être bienfaisants et généreux envers nos semblables. Parlons d’abord de la première, Vous ne déroberez point.
Il y a lieu de faire remarquer tout d’abord que voler ne signifie pas seulement prendre quelque chose à quelqu’un, secrètement et malgré lui, mais encore retenir une chose contre la volonté de celui à qui elle appartient. Car il est impossible de s’arrêter même à la pensée que Dieu qui défend le vol, puisse approuver la rapine, qui est un vol commis avec violence et outrage. Et Saint Paul n’a-t-il pas dit, en propres termes : Les ravisseurs du bien d’autrui ne posséderont point le Royaume de Dieu217. C’est pourquoi il ajoute que nous devons éviter avec soin de les fréquenter et de les imiter. Cependant, quoique la rapine soit un péché plus grave que le simple vol — puisque non seulement elle enlève, mais enlève avec violence et insulte — ce n’est pas sans une raison profonde que Dieu, dans ce Commandement, s’est servi du mot vol qui est un terme plus adouci, et en même temps plus général et plus étendu que celui de rapine ; la rapine en effet ne peut être commise et consommée que par des êtres plus forts et plus audacieux que leur victime. Au surplus, tout le monde comprendra que là où les fautes légères sont défendues, les fautes graves de même espèce le sont aussi, et nécessairement.
La possession et l’usage injustes du bien d’autrui prennent des noms différents, selon la diversité des choses qui sont soustraites à leur propriétaires, malgré eux et à leur insu. Ainsi enlever quelque chose à un particulier, cela s’appelle un vol. Enlever le bien public, c’est un péculat. Réduire en servitude une personne libre ou s’approprier l’esclave d’un autre, c’est un plagiat. Dérober une chose sacrée, c’est un sacrilège. C’est le péché le plus énorme et le plus détestable qu’on puisse commettre contre ce Commandement ; et pourtant, hélas ! il est très commun de nos jours. Des biens que la sagesse et la piété avaient voulu absolument consacrer au service divin, aux Ministres de l’Église et au soulagement des pauvres ne sont-ils pas détournés trop souvent pour satisfaire les passions et les plaisirs coupables de ceux qui les ont ravis ?
Mais ce précepte ne défend pas seulement le vol proprement dit, c’est-à-dire l’action extérieure du vol, il en défend aussi le désir et la volonté. C’est qu’en effet, il y a une loi spirituelle qui atteint le cœur, source de nos pensées et de nos résolutions. Car c’est du cœur, dit Notre-Seigneur dans Saint Matthieu, que viennent les mauvaises pensées, les homicides, les impudicités, les vols et les faux témoignages218.
Les lumières naturelles et la raison seule suffisent pour nous faire comprendre la gravité de ce péché. En effet, le vol est entièrement contraire à la justice, qui attribue à chacun ce qui lui appartient. La distribution et le partage des biens, établis dès l’origine par le droit des gens, confirmés d’ailleurs par les Lois divines et humaines, doivent être tellement inviolables, que chacun puisse posséder paisiblement ce qui lui appartient de droit ; sans quoi la société est impossible. Aussi, comme le dit l’Apôtre, Ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs du bien d’autrui ne posséderont le Royaume de Dieu219.
L’énormité de ce péché et l’horreur qu’il doit inspirer se révèlent encore par les suites funestes qu’il trame après lui. Il est la source d’une foule de jugements indiscrets et téméraires sur un grand nombre de personnes ; il produit des haines, des inimitiés, et quelquefois même des condamnations terribles de personnes innocentes.
D’ailleurs Dieu ne fait-il pas une obligation rigoureuse de réparer le dommage qu’on a causé à son semblable en lui dérobant son bien ? Point de rémission du péché, dit Saint Augustin, sans la restitution de l’objet enlevé220. Mais cette restitution, pour les personnes habituées à s’enrichir aux dépens du prochain, ne présente-t-elle pas les plus grandes difficultés ? Chacun peut en juger par soi-même et par la conduite ordinaire des autres. Dans tous les cas, voici ce qu’en pense le Prophète Habacuc : Malheur à celui qui amasse des biens qui ne lui appartiennent pas, et qui ne cesse de s’entourer d’une boue épaisse !221 Cette boue épaisse, c’est la possession du bien d’autrui. Il est bien difficile d’en sortir et de s’en débarrasser.
Il y a tant d’espèces différentes de vols, qu’il serait très difficile de les énumérer toutes. Il suffira d’expliquer avec soin le vol et la rapine, qui sont les deux espèces auxquelles se rapporte tout ce que nous allons dire sur ce sujet. Le Pasteur fera donc tous ses efforts et ne négligera rien pour inspirer aux Fidèles une vive horreur de ce crime et pour les en détourner. Parlons d’abord de la première espèce.
On se rend coupable de vol, quand on achète des choses volées, ou que l’on garde celles qui ont été trouvées, saisies, ou enlevées de quelque manière que ce soit. Trouver et ne pas rendre, dit Saint Augustin, c’est prendre !222 Toutefois, si l’on ne peut en aucune façon découvrir celui à qui appartient l’objet trouvé, il faut en faire profiter les pauvres. Celui qui ne veut pas restituer dans ce cas montre bien qu’il serait prêt à dérober tout ce qui lui tomberait sous la main, s’il pouvait l’emporter.
On commet le même crime lorsque, en vendant, ou en achetant, on a recours à la fraude et à des paroles mensongères. Ces fraudes et ces mensonges sont toujours punis de Dieu. Mais les plus coupables et les plus iniques en ce genre de vol sont ceux qui vendent comme bonnes et parfaites, des marchandises falsifiées et corrompues, ou qui trompent les acheteurs sur le poids, la mesure, le nombre et la règle. On lit dans le Deutéronome : Vous n’aurez point dans votre sac deux poids différents223 ; et dans le Lévitique : Ne faites point tort par vos jugements, par vos poids et vos mesures. Que vos balances, vos poids, vos setiers et vos boisseaux soient justes !224 On lit aussi dans un autre endroit : Le double poids est une abomination aux yeux de Dieu ; la balance frauduleuse n’est pas bonne225.
Il y a encore vol évident, lorsque des ouvriers et des artisans n’ont pas travaillé d’une manière suffisante et comme ils le devaient, et que néanmoins ils exigent leur salaire en entier. Il faut dire la même chose des serviteurs et des gardiens infidèles. Et même ces sortes de voleurs sont beaucoup plus condamnables que les autres, car les clés défendent au moins contre les voleurs ordinaires, tandis qu’il n’y a rien de caché, ni de fermé pour le voleur domestique.
Sont aussi probablement coupables de vol, ceux qui par des discours pleins de dissimulation et d’artifice, ou par une feinte pauvreté, parviennent à extorquer de l’argent ; et même leur faute est d’autant plus grave qu’ils joignent le mensonge au vol.
Enfin il faut mettre aussi au nombre des voleurs ceux qui, étant payés pour remplir quelque fonction particulière ou publique, n’y donnent que peu ou point de temps, négligent leur charge, mais n’oublient point d’en toucher les profits et les émoluments.
Il existe une multitude d’autres manières de voler. Toutes viennent de l’avarice si ingénieuse à découvrir les moyens d’avoir de l’argent. Il serait trop long, et même presque impossible, comme nous l’avons dit, d’en faire l’énumération.
La rapine est la seconde espèce de vol. Mais avant de l’expliquer aux Fidèles, il importe grandement que le Pasteur leur rappelle ces paroles de l’Apôtre : Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège du démon226. Qu’il ne laisse jamais non plus oublier ce précepte : Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur aussi227 ; ni cet autre : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas que l’on vous fit à vous-même228.
La rapine s’étend très loin. Ainsi, ceux qui ne paient point leur salaire aux ouvriers, sont de véritables ravisseurs. Saint Jacques les invite à la pénitence en ces termes : Allons, riches, pleurez maintenant, poussez des cris et des hurlements à cause des malheurs qui doivent fondre sur vous. Et il leur en donne la raison en disant : Voilà que le salaire que vous dérobez aux ouvriers qui ont moissonné vos champs crie contre vous, et que ces cris sont montés jusqu’aux oreilles du Dieu des armées229. Ce genre de rapine est absolument réprouvé dans le Lévitique, dans le Deutéronome, dans Malachie et dans Tobie.
Sont également coupables de rapine : ceux qui ne paient point à l’Église et aux princes les impôts, les tributs, les dîmes et tout ce qui leur est dû, ou bien qui le détournent à leur profit ; les usuriers, ces ravisseurs si durs et si cruels qui pillent le pauvre peuple, et l’écrasent de leurs intérêts exorbitants. — L’usure est tout ce qui se perçoit au delà de ce qui a été prêté, soit argent, soit autre chose qui puisse s’acheter et s’estimer à prix d’argent. — Il est écrit dans le Prophète Ézéchiel : Ne recevez ni usure ni rien au delà de votre prêt230. Et Notre-Seigneur nous dit dans Saint Luc : Prêtez sans rien espérer de là231. Ce crime fut toujours très grave et très odieux, même chez les païens. De là cette maxime : Qu’est-ce que prêter à usure ? Qu’est-ce que tuer un homme ? pour marquer qu’à leurs yeux, il n’y avait pas de différence. En effet, prêter à usure, n’est-ce pas, en quelque sorte, vendre deux fois la même chose, ou bien vendre ce qui n’est pas ?
Sont coupables aussi de rapine ces juges à l’âme vénale, qui vendent la justice, qui se laissent corrompre par l’argent et les présents, et font perdre les meilleures causes aux petits et aux pauvres.
Il en est de même de ceux qui trompent leurs créanciers, qui nient leurs dettes, ou qui, ayant obtenu du temps pour payer, achètent des marchandises sur leur parole, ou sur la parole d’un autre, et qui finalement ne paient point. Leur faute est d’autant plus grave, que les marchands prennent occasion de leur infidélité et de leurs tromperies pour vendre tout beaucoup plus cher au détriment de tous. C’est bien à eux que semble s’appliquer cette plainte de David : Le pécheur empruntera, et il ne paiera point232.
Que dirons-nous de ces riches qui poursuivent des débiteurs insolvables, leur réclament avec la dernière rigueur ce qu’ils ont prêté, et ne craignent pas de retenir pour gage, contre la défense de Dieu, même les choses qui sont nécessaires à ces malheureux ? Si vous prenez en gage, dit le Seigneur, le vêtement de votre prochain, vous le lui rendrez avant le coucher du soleil, car c’est le seul qu’il possède pour se couvrir et sur quoi dormir. S’il crie vers Moi, Je l’exaucerai parce que Je suis miséricordieux233. Nous n’avons donc pas tort d’appeler rapacité, et par conséquent rapine, la dureté de créanciers si cruels.
Les saints Pères mettent aussi au nombre des ravisseurs, ou hommes de rapine, ceux qui dans une disette accaparent le blé, et sont cause que la vie devient chère et très dure. Il en est de même pour toutes les autres choses nécessaires à la nourriture et à la subsistance. C’est sur eux que tombe la malédiction de Salomon : Quiconque cache le blé, sera maudit du peuple234. Les Pasteurs ne craindront point de les avertir du mal énorme qu’ils font, de les reprendre sans ménagement, et de mettre sous leurs yeux tous les châtiments réservés à de pareils crimes.
Voilà ce que le septième Commandement nous défend. Venons maintenant à ce qu’il nous ordonne.
La première chose que ce Commandement nous ordonne, c’est la restitution. [Rappelons-nous le mot de Saint Augustin] : Point de rémission du péché, sans la restitution de l’objet volé. Et comme l’obligation de restituer n’atteint pas seulement celui qui a perpétré le vol [de ses propres mains], mais encore tous ceux qui y ont participé de quelque manière que ce soit, il est nécessaire que les Pasteurs enseignent clairement comment on peut tremper dans le vol et la rapine, afin qu’on sache bien quelles sont les personnes qui ne peuvent se soustraire à cette loi de la satisfaction et de la restitution.
Nous nous trouvons ici en face de plusieurs catégories.
La première comprend ceux qui commandent expressément de voler. Ceux-là non seulement sont les complices et les auteurs du vol, mais à vrai dire, ils sont plus coupables que tous les autres.
La seconde renferme ceux qui se bornent à être les conseillers et les instigateurs du vol, parce qu’ils n’ont pas assez d’autorité pour le commander ; ils sont aussi coupables que les premiers, et doivent être placés sur la même ligne, quoique leur action ne soit pas la même.
La troisième se compose de ceux qui sont d’intelligence avec les voleurs.
La quatrième, de ceux qui participent au vol et qui en retirent quelque profit, si toutefois il est permis d’appeler profit ce qui leur vaudra un éternel supplice, à moins qu’ils ne viennent à résipiscence. C’est de cette espèce de voleurs que David veut parler quand il dit : Lorsque vous voyiez un voleur, vous couriez avec lui235.
La cinquième compte ceux qui, pouvant parfaitement empêcher le vol, le souffrent et le permettent, bien loin de s’y opposer et de le rendre impossible.
La sixième, ceux qui, sachant très bien qu’un vol a été commis, et où il a été commis, non seulement n’en disent rien, mais même vont jusqu’à feindre de n’en rien savoir.
La septième et dernière, tous ceux qui se font les aides des voleurs, leurs gardiens, leurs protecteurs, qui au besoin leur fournissent asile et domicile.
Tous ceux qui participent au vol de l’une ou l’autre de ces manières, sont tenus de satisfaire à ceux qui ont été volés, et il ne faut pas négliger de les exhorter fortement à l’accomplissement de cet indispensable devoir.
Il est difficile d’exempter entièrement du péché de vol ceux qui le louent et l’approuvent. Et il faut dire la même chose des enfants de famille et des femmes qui ne craignent pas de dérober de l’argent à leurs parents et à leurs maris.
Le septième Commandement nous impose encore une autre obligation. Il veut que nous ayons compassion des pauvres et des malheureux, et que nous sachions employer nos ressources et nos moyens pour les soulager dans leurs besoins et leur détresse. Or, ce sujet étant un de ceux qui demandent à être traités très fréquemment, d’une manière très étendue, les Pasteurs puiseront leurs développements dans les ouvrages de très saints Auteurs, comme Saint Cyprien, Saint Jean Chrysostome, Saint Grégoire de Nazianze et d’autres encore qui ont écrit de si belles pages sur l’aumône. Ainsi ils n’auront aucune peine à s’acquitter de leur devoir. Ils chercheront à enflammer les Fidèles du désir et de l’ardeur de secourir ceux qui ne vivent que de la charité d’autrui. Mais surtout ils voudront leur montrer clairement combien il est pour eux nécessaire de faire l’aumône — c’est-à-dire de venir généreusement en aide aux malheureux, et par leur argent et par leurs soins — en leur rappelant cette vérité, impossible à nier, que Dieu, au jour suprême du jugement, repoussera honteusement et enverra au feu éternel de l’Enfer ceux qui auront omis et négligé le devoir de l’aumône, tandis qu’au contraire il comblera de louanges et introduira dans le ciel ceux qui auront fait du bien aux indigents. C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même qui a prononcé cette double sentence : Venez, les bénis de mon Père, possédez le Royaume qui vous a été préparé et Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel !236
En outre les Prêtres auront soin de citer aux Fidèles d’autres textes de la Sainte Écriture, bien faits pour les convaincre. Donnez, et l’on vous donnera !237
Ils insisteront sur cette autre promesse de Dieu, la plus riche et la plus magnifique qui se puisse imaginer : Personne ne quittera pour Moi (ce qu’il possède), qu’il n’en reçoive cent fois autant dans cette vie, et le salut éternel dans l’autre238.
Il ne manquera pas d’ajouter ces autres paroles du Sauveur : Employez les richesses d’iniquité à vous acquérir des amis, afin que lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels239.
Puis, en développant les différentes parties de ce devoir sacré, ils s’appliqueront à bien faire comprendre que ceux qui ne sont pas en situation de donner aux pauvres, doivent au moins leur prêter de bonne grâce, selon ce Commandement du Seigneur : Prêtez, sans rien espérer de votre prêt240. Et David a exprimé en ces termes le mérite d’une telle conduite : Heureux celui qui a compassion des pauvres et qui leur prête !241
Si l’on n’a pas les moyens de venir en aide à ceux qui attendent leur vie de la compassion des autres, la piété chrétienne veut qu’on se mette en état de soulager leur détresse, en s’occupant pour eux, en travaillant de ses mains, s’il le faut. Ce sera en même temps un excellent moyen de fuir l’oisiveté. C’est à quoi l’Apôtre Saint Paul exhorte tous les Fidèles par son propre exemple, quand il écrit aux Thessaloniciens : Vous savez bien que vous êtes obligés de nous imiter242. Et dans une autre Épître il dit encore aux mêmes : Appliquez-vous à vivre en repos, faites ce qui est de votre devoir, et travaillez de vos propres mains, ainsi que nous vous l’avons commandé243. Et aux Éphésiens : Que celui qui dérobait, ne dérobe plus désormais, mais plutôt qu’il s’occupe en travaillant des mains à quelque ouvrage utile, afin qu’il ait de quoi soulager celui qui est dans le besoin244.
Enfin il faut vivre avec frugalité, et faire en sorte d’épargner le bien d’autrui, afin de n’être pas à charge, ni insupportable aux autres. Cette vertu, qui est la tempérance, brille d’une manière admirable dans la personne de tous les Apôtres, mais elle éclate surtout dans Saint Paul, qui a le droit d’écrire en ces termes aux Thessaloniciens : Vous vous souvenez, mes Frères, des peines et des fatigues que nous avons essuyées en travaillant jour et nuit, pour n’être à charge à aucun de vous pendant que nous vous annoncions l’Évangile de Dieu245, et qui répète dans un autre endroit : Nous avons été accablé de travail le jour et la nuit pour n’être à charge à personne.
Mais afin d’inspirer aux Fidèles une horreur plus vive encore pour toute espèce de vols, les Pasteurs auront soin de leur montrer dans les Prophètes et les autres Auteurs sacrés, combien ces actions criminelles sont en exécration devant Dieu, et quelles menaces effrayantes Il a voulu faire à ceux qui les commettent : Écoutez ceci, s’écrie le Prophète Amos, vous qui dévorez le pauvre et qui faites languir tous les indigents ; vous qui dites : quand sera passée la néoménie, afin que nous puissions vendre nos récoltes ? Quand finira le Sabbat, afin que nous puissions ouvrir nos greniers ? Vous qui diminuez l’epha, qui augmentez le poids du sicle et qui vous servez de balances trompeuses246.
Les mêmes menaces se trouvent dans Jérémie, dans les Proverbes et dans l’Ecclésiastique. Et on ne peut douter que la plupart des maux dont souffre notre siècle ne remontent à ces causes.
Au surplus, afin d’accoutumer les Chrétiens à exercer envers les pauvres et les malheureux tous les offices de libéralité et de bienfaisance qui se rapportent à cette seconde partie du septième Commandement, les Pasteurs ne manqueront pas de faire briller à leurs yeux les splendides récompenses que Dieu réserve en cette vie et en l’autre à ceux qui se seront montrés bons et charitables envers les pauvres.
Il ne manque pas de gens qui cherchent à excuser même leurs vols. Aussi bien, faut-il leur déclarer positivement que leur péché sera sans excuse devant Dieu. Il y a plus loin de diminuer leur faute, ils l’aggravent singulièrement en voulant la justifier. Il ne faut donc pas tolérer le luxe et les plaisirs de certains nobles, qui pensent atténuer leur crime en soutenant que s’ils s’emparent du bien d’autrui, ce n’est ni par cupidité, ni par avarice, mais seulement pour conserver la grandeur de leur famille et de leurs ancêtres, dont la considération et la dignité périraient, s’ils ne pouvaient plus les maintenir avec le bien des autres. Il faut détruire cette erreur pernicieuse, en leur faisant voir qu’il n’y a qu’un moyen légitime de conserver et d’augmenter leurs biens, la puissance et la gloire de leurs ancêtres, c’est d’obéir à la volonté de Dieu et d’observer ses Commandements. Que le mépris de ces Commandements peut causer la ruine des familles les plus riches et les mieux établies, précipiter les rois de leur trône, et du faîte des honneurs, et obliger Dieu, en quelque sorte, à élever à leur place des hommes de basse extraction. Et pour qui ils n’avaient que de la haine et du mépris. C’est ainsi que ces orgueilleux enflamment contre eux la colère de Dieu, et d’une manière terrible. Écoutons plutôt ces paroles que le Prophète Isaïe met dans la bouche de Dieu même : Tes princes sont infidèles ; ils sont d’intelligence avec les voleurs ; ils aiment les présents ; ils recherchent les récompenses ; c’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur, le Dieu des armées, le Dieu fort d’Israël : malheur à eux ; le temps viendra où Je me réjouirai de la perte de mes ennemis, et où Je me vengerai d’eux ; au lieu que Je te prendrai sous ma protection, et Je te purifierai de toutes tes souillures247.
D’autres, [pour essayer de se justifier] ne parlent pas de la splendeur et de la gloire de leur maison ; ils ne prennent le bien d’autrui, disent-ils, que pour mener une vie plus facile et plus élégante. Il faut les réfuter aussi et leur montrer combien leurs paroles et leurs actions sont impies, puisqu’ils ne craignent pas de mettre les avantages et les douceurs de la vie au-dessus de la volonté et de la gloire de Dieu, que nous offensons étrangement en négligeant ses préceptes. D’ailleurs, quels avantages peut-il y avoir dans le vol qui a des conséquences si funestes ? Le voleur, dit l’Ecclésiastique, sera couvert de confusion et dévoré par les remords248. Mais en supposant même qu’il n’y ait rien de semblable à craindre, est-ce que le vol ne déshonore point le nom adorable de Dieu ? N’est-il pas contraire à sa très sainte volonté ? Ne méprise-t-il pas ses préceptes les plus salutaires ? Et par le fait, ne devient-il pas la source de toutes les erreurs, de tous les crimes, de toutes les impiétés ?
Faut-il ajouter que l’on entend quelquefois des voleurs soutenir qu’ils ne sont aucunement coupables, parce que s’ils prennent quelque chose, c’est à des gens riches et dans l’abondance, tellement riches, qu’ils n’en éprouvent aucun dommage, si même ils s’en aperçoivent. Cette excuse n’en est pas une. Elle est aussi misérable que criminelle.
Un autre va jusqu’à s’imaginer qu’il est parfaitement excusé, parce que, dit-il, il a contracté une si grande habitude de prendre le bien d’autrui qu’il ne peut plus s’en empêcher. Mais si ce malheureux n’écoute pas le conseil de l’Apôtre qui lui dit : Que celui qui dérobait, ne dérobe plus249, il faudra bien qu’il s’habitue, qu’il le veuille ou non, à endurer les éternels supplices.
Plusieurs, pour excuser leurs larcins, se rejettent sur l’occasion. C’est en effet un proverbe banal, à force d’être répété, que l’occasion fait le larron. Mais il faut absolument les détromper, en leur rappelant que nous sommes obligés de résister à nos penchants déréglés. Car en vérité s’il fallait mettre sur-le-champ à exécution tout ce que la passion inspire, où s’arrêterait-on dans le crime, le désordre et l’infamie ? C’est donc une excuse tellement honteuse, qu’elle est plutôt l’aveu d’une extrême faiblesse de volonté, et d’une injustice criante.
D’autre part, prétendre qu’on ne pèche point, parce qu’on ne se trouve pas dans l’occasion, n’est-ce pas avouer, pour ainsi dire, que l’on pécherait sans cesse, si l’occasion ne cessait de se présenter ?
Il en est aussi qui soutiennent qu’ils sont en droit de voler pour se venger des torts dont ils ont été victimes. Il faut leur répondre, premièrement qu’il n’est permis à personne de se venger, ensuite que nul n’est juge dans sa propre cause, et que par conséquent il est encore bien moins permis de punir quelqu’un pour des injustices que d’autres auront commises contre vous.
Enfin on en rencontre qui croient que leur vol est assez justifié et non répréhensible, parce qu’ils le commettent pour payer des dettes accablantes dont ils ne pourraient se libérer autrement. À de tels hommes il faut montrer que de toutes les dettes, la plus lourde, la plus accablante pour le genre humain est celle dont nous parlons à Dieu chaque jour dans l’Oraison dominicale : Remettez-nous nos dettes250 ; que par suite, c’est une insigne folie d’augmenter sa dette envers Dieu, c’est-à-dire ses péchés, pour s’acquitter envers les hommes ; qu’il vaut infiniment mieux être jeté dans un cachot que d’être un jour livré aux feux éternels de l’enfer ; qu’il est bien plus terrible d’être condamné au tribunal de Dieu qu’au tribunal des hommes ; et enfin qu’ils doivent recourir avec confiance à la bonté de ce même Dieu, toujours prêt à les assister et à leur accorder tout ce qui leur est nécessaire.
Il ne manque pas d’autres prétextes dont on se sert pour essayer de justifier le vol. Des Pasteurs zélés, habiles et appliqués, les réfuteront sans peine, de manière à former et à posséder un peuple fidèle à pratiquer les bonnes œuvres251.
Vous ne porterez point de faux témoignage contre votre prochain
Voici une raison capable de nous faire comprendre qu’il est non seulement utile, mais nécessaire d’expliquer très souvent ce précepte, et de rappeler à tous les devoirs qu’il impose. Nous voulons parler de la déclaration si autorisée de l’Apôtre Saint Jacques, lequel ne craint pas d’affirmer que celui qui ne pèche point en paroles est un homme parfait252 et un peu plus loin ajoute : La langue n’est qu’une petite partie du corps, et cependant quels effets ne produit-elle pas ! Il ne faut qu’une étincelle pour embraser une grande forêt, et le reste qui est dans le même sens.
Ces paroles nous apprennent deux choses : la première, que le péché de la langue est extrêmement répandu. C’est ce que nous confirme de son côté le Prophète David. Tout homme est menteur253, dit-il, comme si ce péché était le seul qui pût s’étendre à tous les hommes. La seconde, c’est qu’il est la source de maux innombrables. Car souvent le coup de langue du médisant cause la perte de la fortune, de la réputation, de la vie, du salut même, soit pour celui qui est atteint par la médisance, parce qu’il supporte mal l’injure qu’on lui fait, et qu’il manque de courage pour ne s’en point venger, soit pour celui qui est l’auteur de l’offense, parce que, victime d’une mauvaise honte et de la crainte exagérée du qu’en dira-t-on, il ne peut se déterminer à donner satisfaction à celui qu’il a blessé. C’est pourquoi il ne faut pas manquer d’exhorter les Fidèles à rendre à Dieu les plus vives actions de grâces de ce qu’il a défendu expressément le faux témoignage, en nous donnant un précepte très salutaire, qui ne nous interdit pas seulement d’injurier les autres, mais qui nous protège encore, si on l’observe, contre les injures que les autres seraient tentés de nous faire.
Afin de garder, en expliquant ce précepte, le même ordre et la même marche que dans ceux qui précèdent, nous avons à remarquer qu’il renferme deux prescriptions distinctes : l’une négative, qui nous défend de porter faux témoignage, l’autre positive, qui nous ordonne d’écarter résolument de notre conduite toute dissimulation et tout mensonge, et de mesurer nos paroles et nos actes sur la simple vérité. Double devoir que l’Apôtre Saint Paul rappelait aux Éphésiens, quand il leur disait : Ne séparons pas la vérité de la charité, afin de croître en Jésus-Christ dans toutes choses254.
On entend ordinairement par faux témoignage tout ce qui est affirmé et soutenu de quelqu’un, contre la vérité, en bonne ou en mauvaise part, devant la justice ou non. Cependant le faux témoignage qui nous est spécialement défendu par ce précepte, c’est celui qui se fait en justice, avec serment, contre la vérité. Car si le témoin jure par le nom même de Dieu, c’est parce qu’un témoignage qui s’appuie sur ce nom sacré n’en acquiert que plus de poids et d’autorité. Mais d’autre part comme ce témoignage est très dangereux dans ses conséquences, Dieu le défend d’autant plus fortement. C’est qu’en effet le juge lui-même n’a pas le droit de récuser des témoins qui affirment avec serment, s’ils ne tombent pas sous les exceptions prévues par la Loi, ou bien s’ils ne sont pas reconnus pour gens de mauvaise foi et sans aucune probité. Et la raison en est que la Loi divine nous ordonne expressément de tenir pour constant et véritable le témoignage de deux ou trois personnes255.
Mais afin que les Fidèles comprennent parfaitement la nature et l’étendue de ce précepte, il importe avant toutes choses de bien leur apprendre ce qu’il faut entendre par le prochain, contre qui il est défendu de porter faux témoignage.
Or, le prochain, selon l’enseignement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est tout homme qui a besoin de nous, qu’il nous soit proche ou éloigné, concitoyen ou étranger, ami ou ennemi.
C’est un crime en effet de penser qu’on puisse faire un faux témoignage contre des ennemis, lorsque Dieu et notre Seigneur nous font un précepte de les aimer.
Mais il y a plus ; comme chacun de nous, dans un certain sens, est à soi-même son prochain, personne n’a le droit de porter contre soi-même un faux témoignage. Ceux qui ont le malheur de commettre un pareil crime, en se diffamant et en se couvrant de honte, se nuisent à eux-mêmes d’abord, et en même temps ils font tort à l’Église, comme ceux qui se suicident nuisent à la société. C’est l’enseignement formel de Saint Augustin : Les personnes peu éclairées, dit-il, pourraient penser qu’il n’est pas défendu de se porter comme faux témoin contre soi-même, parce que dans la formule du Commandement il est dit seulement : contre le prochain ; mais que celui qui a fait contre lui-même une déposition fausse n’aille pas se croire innocent, puisque la règle de l’amour du prochain, c’est de l’aimer comme soi-même256.
Et parce qu’il nous est défendu de faire tort au prochain par le faux témoignage, il faut bien nous garder d’en conclure que le parjure nous est permis pour rendre quelque service ou procurer quelque avantage à ceux qui nous sont unis par les liens du sang ou de la Religion. Il ne faut être utile à personne par le mensonge, encore moins par le parjure. C’est pourquoi Saint Augustin, dans une lettre à Crescence sur le mensonge257, ne craint pas de dire, en s’appuyant sur l’autorité de l’Apôtre Saint Paul, que le mensonge doit être mis au nombre des faux témoignages, quand même il décernerait à quelqu’un de fausses louanges. Il rapporte d’abord les paroles de l’Apôtre : nous serons nous-mêmes convaincus d’avoir été de faux témoins, parce que nous avons porté témoignage contre Dieu même, en disant qu’Il a ressuscité Jésus-Christ, qu’Il n’a cependant pas ressuscité, si les morts ne ressuscitent pas258, puis il ajoute : l’Apôtre regarde comme faux témoignage de dire une chose fausse de Jésus-Christ, quoiqu’elle soit à sa Gloire.
N’arrive-t-il pas très souvent d’ailleurs que celui qui favorise quelqu’un par son faux témoignage, porte par là même préjudice à un autre ? Ne met-il pas le juge dans une sorte d’erreur invincible ? Aussi qu’arrive-t-il ? Le juge trompé par de faux serments est forcé de prononcer contre le droit en faveur de l’injustice.
Quelquefois même celui qui a gagné sa cause en justice, grâce au faux témoignage d’un complice, et cela impunément, celui-là, disons-nous, est tout fier de sa victoire, dès lors il rend l’habitude de corrompre des témoins, dans l’espoir qu’avec leur aide, il réussira dans toutes ses entreprises.
Le faux témoignage est également très funeste au témoin lui-même. Aux yeux de celui qu’il a criminellement servi par son serment, il n’est plus qu’un parjure et un vil imposteur ; mais par contre, en voyant que son mensonge a réussi, il se trouve encouragé au mal et prend de jour en jour des habitudes plus grandes de hardiesse et d’impiété.
Mais si la fausseté, le mensonge et le parjure sont nettement défendus aux témoins, ils le sont tout autant aux accusateurs, aux accusés, aux protecteurs, aux parents, aux procureurs, aux avocats, en un mot à tous ceux qui ont part aux jugements.
Enfin Dieu défend, non seulement devant les juges, mais même partout ailleurs, un témoignage quelconque capable de porter préjudice ou de causer quelque dommage au prochain. Il est écrit en effet dans le Lévitique, à l’endroit même où ces défenses sont faites à plusieurs reprises : Vous ne déroberez point, vous ne mentirez point ; et personne ne trompera son prochain259. Des paroles si claires ne permettent pas de douter que Dieu, par ce précepte, ne réprouve et ne condamne absolument tout mensonge, quel qu’il soit. David dans ses Psaumes nous l’atteste aussi, et très clairement : Vous perdrez, dit-il, tous ceux qui profèrent le mensonge260.
Le huitième Commandement de Dieu ne nous défend pas seulement le faux témoignage, il nous interdit de plus le vice et l’habitude détestables de la médisance, cette véritable peste, qui donne naissance à une multitude incroyable d’inconvénients très fâcheux et de maux de toute espèce. Cette habitude criminelle de déchirer et d’outrager secrètement son prochain est vigoureusement condamnée en beaucoup d’endroits de nos Saints Livres. David nous dit : Je ne recevais pas le médisant à ma table261. Et l’Apôtre Saint Jacques ajoute de son côté : Mes Frères, ne parlez point mal les uns des autres262.
Mais l’Écriture Sainte ne se borne pas à condamner la médisance, elle nous fournit des exemples qui mettent en pleine lumière toute l’énormité de ce crime. Ainsi Aman, par ses infâmes calomnies, enflamme tellement la colère d’Assuérus contre les Juifs, que ce prince ordonne de les faire tous périr. L’Histoire sainte est remplie de traits semblables. Les Pasteurs ne manqueront pas de les rappeler aux Fidèles, afin de les détourner de cet horrible péché.
Pour comprendre et pénétrer toute la malice de la médisance, il faut savoir qu’on blesse la réputation du prochain, non seulement en employant contre lui la calomnie, mais encore en augmentant et en exagérant ses fautes réelles. Et même si quelqu’un a commis un péché très secret dont la révélation doit nécessairement être préjudiciable à son honneur et le couvrir de honte, celui qui fait connaître ce péché, dans un lieu, dans un temps et à des personnes qui ne sont pas obligées de le savoir, doit passer à juste titre pour un calomniateur et un médisant.
Mais de toutes les calomnies, la plus coupable, à coup sûr, est celle qui s’en prend à la Doctrine catholique, et à ceux qui la prêchent. Et quiconque accorde des éloges aux propagateurs de l’erreur et des mauvais principes commet la même faute. Il faut en dire autant de ceux qui, en entendant la détraction et la médisance, non seulement ne blâment point les calomniateurs, mais les écoutent avec plaisir. C’est ce qui a fait dire à Saint Bernard et à Saint Jérôme, qu’il n’est pas facile de distinguer lequel est le plus coupable de celui qui médit, ou de celui qui écoute la médisance ; car, disent-ils, il n’y aurait point de médisant s’il n’y avait personne pour écouter la médisance263.
On désobéit également à ce précepte, si par ses artifices on met la désunion et le désaccord entre les hommes ; si l’on se plaît à semer des dissensions, à miner et à détruire, par des rapports mensongers, les liaisons et les sociétés les mieux établies, à pousser les meilleurs amis à des inimitiés irréconciliables, et même à les armer les uns contre les autres. Détestable peste que Dieu condamne et défend quand il dit : Vous ne serez ni délateur, ni détracteur au Milieu de mon peuple264. C’était le crime d’un bon nombre de conseillers de Saül qui s’efforçaient de le détacher de David, et l’animaient contre lui.
Nous trouvons encore, parmi ceux qui pèchent contre ce huitième Commandement, les flatteurs, les adulateurs qui, par des complaisances et des louanges hypocrites, cherchent à s’insinuer dans l’esprit et le cœur de ceux dont ils attendent la faveur, de l’argent et des honneurs. Vils complaisants qui appellent, comme le dit le Prophète, mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal265. Tristes gens que David nous avertit d’éloigner et de chasser de notre société, lorsqu’il nous dit : que le juste me reprenne par charité et qu’il me corrige, mais que le pécheur ne répande point ses parfums sur ma tête !266 encore que les flatteurs dont nous parlons ne disent point de mal de leur prochain, ils ne laissent pas de lui être très nuisibles, puisque, en le louant jusque dans ses fautes, ils sont cause qu’il persévère dans le mal, jusqu’à la fin de sa vie.
La flatterie, ou l’adulation la plus coupable en ce genre, est celle qui n’a en vue que le malheur et la ruine des autres. Ainsi Saül, pour exposer David à la fureur et au glaive des Philistins, c’est-à-dire selon lui, pour l’envoyer a une mort certaine, le flattait par ces belles paroles : Voici Mérob ma fille aînée ; je vous la donnerai comme épouse. Soyez seulement homme de cœur, et combattez les combats du Seigneur !267 Ainsi les Juifs pour surprendre Notre-Seigneur dans ses paroles Lui disaient insidieusement : Maître, nous savons que vous êtes sincère, et que Vous enseignez la Voie de Dieu selon la Vérité268.
Et cependant il y a quelque chose de bien plus pernicieux encore, ce sont ces discours que des amis, des alliés, des parents n’ont pas honte de tenir à un malade mortellement atteint, et déjà prêt à rendre le dernier soupir, discours dans lesquels ils affirment à ce moribond qu’il n’est pas en danger, lui ordonnent d’être gai et souriant, le détournent de la Confession de ses péchés, comme d’une pensée trop triste, et enfin écartent de son esprit tout souci et toute idée des terribles dangers dans lesquels il se trouve.
Il faut donc éviter toute espèce de mensonge, et avant tout, celui qui peut causer au prochain un dommage considérable. Mais ne pas craindre de mentir contre la Religion ou dans des choses qui s’y rapportent, c’est joindre l’impiété à la fourberie.
Il ne faut pas oublier que Dieu est encore grièvement offensé par les injures et les outrages qu’on répand dans les libelles diffamatoires et autres productions du même genre.
Il est même indigne d’un chrétien de chercher à tromper son prochain par un mensonge joyeux ou officieux, encore que ce mensonge n’entraîne pour personne ni profit, ni perte. L’avertissement de Saint Paul sur ce point est formel. Évitez le mensonge, dit-il, que chacun de vous parle selon la vérité !269 C’est qu’en effet, du mensonge pour rire au mensonge grave, la pente est très rapide. Le mensonge joyeux fait contracter l’habitude de mentir. Dès lors on passe pour n’être point sincère et l’on est obligé d’affirmer sans cesse avec serment pour faire croire à sa parole.
Enfin ce Commandement nous défend toute espèce d’hypocrisie ou de dissimulation. La dissimulation dans les paroles aussi bien que dans les actions est également condamnable, puisque les unes et les autres sont comme le signe et la marque de ce que nous avons dans le cœur. Voilà pourquoi Notre-Seigneur, dans ses fréquents reproches aux Pharisiens, les traite d’hypocrites.
Nous avons expliqué ce que le huitième Commandement défend. Voyons maintenant ce qu’il ordonne.
L’objet propre de cette deuxième partie du précepte est que les tribunaux jugent avec équité et conformément aux Lois ; elle a également pour but d’empêcher qu’on n’attire les causes à soi en empiétant sur les juridictions. Car il n’est pas permis, comme le dit l’Apôtre, de juger le serviteur d’autrui270, de peur de prononcer sans une connaissance suffisante de la cause. Ce fut le crime précisément de cette assemblée des prêtres et des scribes qui condamnèrent Saint Étienne, comme ce fut aussi le péché de ces magistrats de Philippes, dont l’Apôtre a dit : Après nous avoir publiquement battus de verges, et sans jugement préalable, nous qui sommes citoyens romains, ils nous ont jetés en prison, et maintenant ils nous en font sortir en secret271.
Il ne faut ni condamner les innocents, ni renvoyer les coupables, ni se laisser séduire par des présents ou par la faveur, par la haine ou par l’amitié. Aussi Moïse ne manque pas d’adresser aux vieillards qu’il avait établis juges d’Israël, cet avertissement célèbre : Jugez toujours selon la justice le citoyen comme l’étranger ; ne mettez point de différence entre les individus ; écoutez le petit comme le grand ; ne faites acception de personne, parce que vous jugez pour Dieu272.
Quant aux accusés et aux criminels, Dieu leur fait un devoir de confesser la vérité, lorsqu’ils sont interrogés selon les formes de la justice. Cette confession est un hommage éclatant à la Gloire de Dieu. C’est la pensée de Josué : Lorsqu’il exhorte Achan à dire la vérité, il lui parle de la sorte : Mon fils, rendez gloire au Seigneur, Dieu d’Israël273.
Et parce que ce précepte s’adresse spécialement aux témoins, le Pasteur aura grand soin d’en parler comme il convient. C’est qu’en effet ce huitième Commandement n’a pas seulement pour but de défendre le faux témoignage, mais encore de nous commander de dire la vérité. Dans les affaires humaines, le témoignage conforme à la vérité est extrêmement important. Il y a une multitude de choses que nous ne pouvons connaître que sur la bonne foi des témoins. Rien donc n’est plus nécessaire qu’un témoignage véridique dans ces choses que nous ne savons pas, et que cependant nous n’avons pas le droit d’ignorer. De là ce mot de Saint Augustin : Celui qui tait la vérité, et celui qui profère le mensonge sont également coupables, le premier parce qu’il ne veut pas être utile, le second parce qu’il cherche à nuire274.
Il peut être permis quelquefois de taire la vérité, mais il faut que ce soit hors des tribunaux. En justice, un témoin interrogé par un juge compétent, doit faire connaître la vérité tout entière, mais à condition de ne pas trop se fier à sa mémoire, et de prendre garde d’affirmer comme certain ce dont il n’est pas absolument sûr.
Les autres personnes que ce précepte oblige également à dire la vérité sont les avoués et les avocats, les procureurs et les accusateurs.
Les avoués et les avocats ne refuseront ni leurs services ni leur appui à ceux qui en ont besoin ; ils se chargeront généreusement de la défense du pauvre ; ils ne prendront point de mauvaises causes pour les soutenir, ils ne feront point durer les procès par calomnie, ou par avarice, et ils auront soin de régler leurs honoraires selon le droit et la justice.
De leur côté, les procureurs et accusateurs devront prendre bien garde de ne point se laisser entraîner par affection, par haine, ou par quelque autre passion, à poursuivre qui que ce soit sur d’iniques imputations.
Enfin la Loi de Dieu ordonne à toutes les personnes pieuses d’être toujours sincères et véridiques dans leurs entretiens et leurs discours, et de ne jamais rien dire qui puisse blesser la réputation d’autrui, pas même de ceux qui les auront offensées ou maltraitées. Elles ne doivent pas oublier en effet qu’il y a entre elles et ces malheureux l’union et les rapports qui existent entre les membres d’un même corps.
Afin que les Fidèles se détournent plus facilement du vice abject du mensonge, le Pasteur leur en fera voir toute la honte et l’énormité. Dans nos Saints Livres, le démon est appelé le père du mensonge. Parce qu’il n’est point demeuré dans la vérité, nous dit l’Apôtre Saint Jean, il est menteur et père du mensonge275.
Pour essayer de détruire un désordre si funeste, le Pasteur ajoutera à cette parole de Saint Jean, tous les maux que le mensonge apporte avec lui ; et comme ces maux sont innombrables, il lui suffira de faire connaître ceux d’entre eux qui sont autant de sources d’où dérivent tous les autres.
Et d’abord, pour montrer combien l’homme faux et menteur offense Dieu grièvement, et à quel degré il encourt sa haine, il citera cette parole de Salomon dans les Proverbes : Il y a six choses que le Seigneur hait, et une septième qui est en abomination devant Lui : des yeux altiers, une langue calomniatrice, des mains qui versent le sang innocent, un cœur qui médite des pensées mauvaises, des pieds prompts à courir au mal, un homme menteur, un témoin faux276. Dès lors qui pourrait préserver des derniers châtiments celui que Dieu poursuit d’une haine si terrible ?
Et puis, comme le dit l’Apôtre Saint Jacques, Quoi de plus odieux et de plus infâme que d’employer la même langue à bénir Dieu votre Père et à maudire les hommes qui sont créés à son image et à sa ressemblance, comme si une fontaine pouvait, par la même ouverture, donner une eau douce et une eau amère !277 Et en effet, cette langue qui tout à l’heure louait Dieu et Le glorifiait, ne Le couvre-t-elle pas maintenant de honte et d’opprobre, autant qu’elle le peut, par les mensonges qu’elle profère ? Aussi les menteurs sont-ils exclus de la béatitude céleste. Car à cette demande que David fait à Dieu : Seigneur, qui demeurera dans vos tabernacles ? le Saint-Esprit répond : Celui qui dit la vérité dans la sincérité de son cœur, et dont la langue ne connaît pas l’artifice278.
Ce qui fait encore que le mensonge est un très grand mal, c’est qu’il constitue une maladie de l’âme presque incurable. Car le péché que l’on commet en accusant quelqu’un d’un faux crime, ou bien en blessant son honneur et sa réputation, ce péché ne peut être remis qu’autant que le calomniateur a réparé son tort envers sa victime. Mais précisément, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, cette réparation est très difficile à faire, parce qu’on se trouve retenu par une fausse honte ou par un faux point d’honneur. D’où il suit que celui qui est coupable de ce péché est pour ainsi dire voué aux supplices éternels de l’enfer. Personne en effet n’a le droit d’espérer qu’il obtiendra le pardon de ses calomnies et de ses diffamations, tant qu’il n’aura pas satisfait à celui dont il a souillé l’honneur et la réputation, soit publiquement et en justice, soit dans des entretiens privés et familiers.
Enfin les suites funestes du mensonge s’étendent très loin, et nous atteignent tous. La fausseté et le mensonge font disparaître la vérité et la confiance, qui sont les liens nécessaires de la société, et sans lesquels les rapports entre les hommes tombent dans une confusion telle que le monde ressemble à un véritable enfer.
Le Pasteur comprendra dès lors qu’il doit exhorter les Fidèles à éviter de trop parler. La modération dans les paroles fait fuir les autres péchés, et surtout elle est un préservatif assuré contre le mensonge, vice auquel échappent difficilement ceux qui parlent trop.
Le Pasteur s’appliquera également à détruire l’erreur de ceux qui s’excusent sur le peu d’importance des conversations, et qui prétendent autoriser leurs mensonges par l’exemple de ces sages du monde qui ont pour maxime, disent-ils, de savoir mentir à propos. Il leur fera observer, ce qui est très vrai que la prudence de la chair est la mort de l’âme279. Il les exhortera à mettre en Dieu leur confiance, au milieu des difficultés et des extrémités les plus fâcheuses, et à ne recourir jamais au grossier artifice du mensonge ; car ceux qui se servent de ce subterfuge, laissent voir clairement qu’ils comptent plus sur leur prudence personnelle que sur la Providence de Dieu.
Ceux qui rejettent la cause de leur mensonge sur les menteurs qui les ont trompés les premiers, ont besoin qu’on leur rappelle qu’il n’est pas permis à l’homme de se venger lui-même ; qu’il ne faut point rendre le mal pour le mal, mais au contraire chercher à vaincre le mal par le bien280 ; et que, quand même la vengeance serait permise, il ne peut jamais être utile à personne de se venger à ses dépens, ce qui arriverait sûrement et avec un préjudice considérable si l’on avait recours au mensonge.
Si on en trouve qui apportent pour excuse l’infirmité et la fragilité naturelles, il faut leur remettre en mémoire l’obligation où ils sont d’implorer le secours divin, et de ne point se laisser vaincre par la nature. D’autres diront qu’ils ont contracté l’habitude de mentir. Il faut les exhorter à multiplier leurs efforts pour contracter l’habitude contraire, de dire toujours la vérité, d’autant que ceux qui pèchent par habitude, sont plus coupables que les autres. Quant à ceux — et ils ne sont pas rares — qui prétendent se justifier sur l’exemple des autres hommes qui, selon eux, mentent et se parjurent à tout propos, il faut les détromper par cette considération, que nous ne devons point imiter les méchants, mais bien plutôt les reprendre et faire en sorte de les corriger ; que si, par malheur, nous mentons nous-mêmes, notre parole aura bien moins d’autorité pour faire accepter nos reproches et nos bons conseils.
Ceux qui défendent leurs mensonges en alléguant qu’ils ont éprouvé souvent de graves ennuis parce qu’ils avaient dit la vérité, les Prêtres les réfuteront en leur montrant que par de telles paroles ils s’accusent, bien plus qu’ils ne s’excusent. Le devoir du vrai Chrétien en effet, n’est-il pas de tout souffrir plutôt que de mentir ?
Enfin nous avons encore deux sortes de personnes qui veulent excuser leurs mensonges : celles qui prétendent ne mentir que par plaisanterie, et celles qui le font pour leur utilité, parce que, disent-elles, elles ne pourraient ni bien vendre ni bien acheter, si elles n’avaient recours au mensonge. Les Pasteurs les tireront de leur erreur les unes et les autres. Ils écarteront les premières de ce vice en leur remontrant que rien n’augmente plus l’habitude du mensonge, que de mentir sans aucune retenue. Ils ajouteront qu’il leur faudra rendre compte de toute parole oiseuse281. Et pour les secondes, ils ne craindront point de les reprendre fortement, et de leur montrer qu’une excuse d’un pareil genre ne fait qu’augmenter leur faute, puisqu’elles prouvent bien par là qu’elles n’accordent ni autorité ni confiance à ces paroles de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît282.
Vous ne convoiterez point la maison de votre prochain, et vous ne désirerez point sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni rien de ce qui lui appartient.
La première chose à remarquer dans ces deux derniers Commandements, c’est qu’ils nous donnent pour ainsi dire, le moyen infaillible de garder tous les autres. Car ils ont pour objet et pour fin de prescrire à celui qui veut fidèlement observer les Commandements précédents, d’éviter avec le plus grand soin les désirs déréglés. Celui qui ne convoite rien, est content de ce qu’il possède, il ne désire point le bien des autres, il se réjouit de leurs avantages, rend gloire au Dieu immortel, et lui témoigne les plus vives actions de grâces ; il observe le Sabbat, c’est-à-dire, qu’il jouit d’un repos perpétuel, il respecte ses supérieurs, et enfin il ne blesse personne ni en paroles, ni en actions, ni d’aucune autre manière. La convoitise est la racine et la source de tous les maux, et ceux dont elle enflamme les passions se précipitent dans tous les désordres et dans tous les crimes.
Ces réflexions ne peuvent que rendre le Pasteur plus zélé à expliquer ces deux Commandements, et les fidèles plus attentifs à l’écouter et à le suivre.
Nous avons réuni ces deux préceptes parce qu’ils se ressemblent du côté de leur objet, et que la manière de les expliquer est la même ; cependant le Pasteur pourra les traiter ensemble ou séparément, selon qu’il le trouvera plus commode pour ses exhortations et ses instructions. Mais s’il a entrepris d’expliquer en détail le Décalogue, il devra montrer la différence réelle de ces deux Commandements et des deux genres de convoitise qu’ils condamnent. C’est ce que Saint Augustin met très bien en lumière dans son Livre des Questions sur l’Exode283.
L’une des convoitises dont nous parlons ne voit et ne cherche que ce qui est utile et avantageux, l’autre court après le plaisir et la volupté. Celui qui désire la maison ou la terre de son voisin, poursuit ce qui est utile et profitable plutôt que la volupté. Au contraire celui qui désire la femme d’autrui, cherche le plaisir et non pas l’utilité.
Ces deux Commandements étaient nécessaires. En voici la double raison : la première, c’est qu’il fallait expliquer le sens du sixième et du septième précepte. Sans doute, en voyant l’adultère défendu, on pouvait en conclure, avec les seules lumières naturelles, qu’il est défendu également de désirer la femme d’un autre ; car il est permis d’user de ce que l’on peut désirer sans crime. Cependant la plupart des Juifs, aveuglés par le péché, ne pouvaient se persuader que Dieu eût fait cette défense. Et même un bon nombre d’entre eux, qui se donnaient comme interprètes de la Loi, et qui par conséquent devaient bien la connaître, étaient tombés dans cette erreur, comme on peut le voir par ces paroles de Notre-Seigneur dans Saint Matthieu : Vous savez qu’il a été dit aux Anciens vous ne commettrez point d’adultères ; mais moi, je vous dis … etc284.
La seconde raison [de la nécessité de ces deux Commandements] c’est qu’ils défendent d’une manière claire et distincte des choses que le sixième et le septième ne défendaient que d’une manière générale. Ainsi, par exemple, le septième Commandement défend de désirer injustement ou de ravir le bien d’autrui ; mais ici il est défendu de le désirer de quelque manière que ce soit, même si l’on pouvait l’acquérir justement et légitimement, dès que cette acquisition pourrait causer quelque dommage au prochain.
Avant d’en venir à l’explication de ce 9° et 10° précepte, il faudra, avant toutes choses, faire remarquer aux fidèles non seulement qu’ils nous obligent à réprimer nos convoitises, mais encore à reconnaître l’infinie bonté de Dieu envers nous. Par les Commandements précédents, Il nous avait entourés comme d’une sorte de garde pour nous mettre, nous et nos biens, à l’abri des violences du prochain ; par ces deux derniers, Il nous défend contre nous-mêmes et contre nos convoitises mauvaises, qui ne pouvaient manquer de nous nuire, s’il nous eût été loisible de tout désirer et de tout souhaiter. Dès lors par le seul fait que Dieu nous défend la convoitise, l’aiguillon des passions malsaines qui nous pousse d’ordinaire à toute sorte d’actions répréhensibles, se trouve émoussé pour ainsi dire ; il nous presse moins, et délivrés de ses sollicitations importunes, nous avons plus de temps pour remplir les devoirs nombreux et si importants que la Religion et la piété nous prescrivent envers Dieu.
Et ce n’est pas là seulement ce que ces deux Commandements nous apprennent, ils nous montrent encore que la Loi de Dieu, pour être observée comme il convient, non seulement exige l’accomplissement extérieur du devoir mais encore les sentiments intimes de l’âme. Et c’est ce qui met une grande différence entre les lois humaines et les lois divines. Les premières se contentent des actes extérieurs, les secondes, par cela même que Dieu voit au fond du cœur, demandent, avec la préparation de l’âme, une grande pureté et intégrité de cœur.
La Loi de Dieu est donc comme un miroir où nous apercevons les vices de notre nature. Ce qui a fait dire à l’Apôtre : Je n’aurais point connu la concupiscence, si la Loi ne m’avait dit : vous ne convoiterez point285. En effet la concupiscence, qui est comme le foyer du péché, et qui tire son origine du péché même, demeure perpétuellement fixée en nous ; et c’est ce qui nous fait sentir que nous naissons dans le péché. Dès lors nous recourons en suppliants à Celui qui peut seul en laver les souillures.
Au reste, ces deux Commandements ont cela de commun avec les huit autres, qu’ils sont tout à la fois positifs et négatifs ; ils commandent et ils défendent. Et pour bien les faire comprendre, le Pasteur doit les expliquer séparément.
Il ne faut pas s’imaginer que ce précepte condamne tous les désirs, ni qu’il considère comme vicieuse une concupiscence qui ne l’est pas. L’esprit convoite contre la chair, dit Saint Paul286 ; David désirait en tout temps les ordonnances de Dieu avec la plus vive ardeur287. Le Pasteur devra donc faire connaître aux Fidèles quelle est cette concupiscence qui est ici défendue.
Il faut entendre par ce mot, comme un mouvement, un élan de l’âme qui nous porte vivement à désirer les choses agréables que nous n’avons pas. Et de même que les autres mouvements de notre âme ne sont pas nécessairement et perpétuellement mauvais, de même l’ardeur de la concupiscence n’est pas nécessairement vicieuse. Ainsi ce n’est pas un mal de désirer de manger et de boire, de se chauffer quand on a froid, ou de chercher le froid quand on a chaud. Il faut dire au contraire que ces désirs sont bons en eux-mêmes, car c’est Dieu qui les a mis en nous. Mais le péché de nos premiers parents a dépravé ces désirs légitimes, ils se sont élancés au-delà des bornes naturelles, et maintenant ils nous poussent trop souvent à convoiter des choses que l’esprit et la raison condamnent.
Toutefois, si nous savons modérer cette ardeur et la contenir dans les justes limites, elle nous devient souvent très utile. D’abord, elle est cause que nous adressons à Dieu des prières assidues, pour Lui demander humblement et instamment ce que nous désirons le plus. La prière est l’interprète naturel de nos désirs, et si cet élan légitime n’existait pas, les prières ne seraient pas si nombreuses dans l’Église de Dieu.
Ensuite elle nous rend plus chers et plus précieux les dons de Dieu ; car plus nous désirons une chose avec ardeur, plus l’objet de notre désir nous devient cher et agréable lorsque nous l’avons obtenu.
Enfin le plaisir même que nous procure la chose désirée lorsque nous la possédons, nous porte à remercier Dieu avec une piété beaucoup plus grande. Si donc il est quelquefois permis de convoiter, nous sommes obligés d’avouer que tout élan de convoitise n’est point défendu. Et quoique l’Apôtre Saint Paul dise que la convoitise est un péché288, il faut entendre cette parole dans le sens que lui donne Moïse289, puisqu’il cite son témoignage. D’ailleurs lui-même laisse voir clairement qu’il pense de même. Dans son Épître aux Galates, il appelle cette convoitise la convoitise de la chair. Conduisez-vous, dit-il, par le mouvement de l’esprit, et vous n’accomplirez point les désirs de la chair290.
On ne défend donc point ici ce désir naturel et modéré, qui ne sort point de ses limites, et bien moins encore cette convoitise toute spirituelle d’une âme pure, qui nous fait soupirer après les choses qui combattent la chair, nos Saints Livres eux-mêmes nous y exhortent. Désirez mes entretiens291, et encore : venez à Moi, vous tous qui Me désirez avec ardeur292. Ainsi ce que Dieu nous interdit dans ce Commandement, ce n’est pas cette puissance même de convoiter dont nous pouvons user pour le bien et pour le mal, mais bien l’exercice de cette convoitise déréglée que l’on appelle la concupiscence de la chair, et le foyer du péché ; convoitise qui nous rend toujours coupables, dès que notre cœur y donne son consentement.
Dieu défend donc ici uniquement cette ardeur de convoitise que l’Apôtre appelle concupiscence de la chair, c’est-à-dire ces élans de désirs qui ne sont point modérés par la raison, et qui ne restent point dans les limites que Dieu a établies. Cette convoitise est réprouvée, ou parce qu’elle désire le mal, comme l’adultère, l’intempérance, l’homicide, et autres crimes abominables dont l’Apôtre a dit : ne nous livrons point aux mauvais désirs, comme les Juifs s’y livrèrent293 ; ou parce que, si les choses que l’on désire ne sont pas mauvaises de leur nature, il est cependant défendu de les désirer pour d’autres motifs.
Telles sont les choses que Dieu et l’Église nous défendent de posséder. Car il ne peut nous être permis de désirer ce qu’il ne nous est point permis de posséder. Tels furent, dans la Loi de Moïse, l’or et l’argent dont les idoles étaient faites, et que Dieu, dans le Deutéronome, défendait aux Juifs de convoiter.
Une troisième raison qui rend cette convoitise coupable et absolument défendue, c’est lorsqu’elle désire des choses qui appartiennent à autrui, comme sa maison, son serviteur, sa servante, son champ, sa femme, son bœuf, son âne et tous les autres biens que la Loi de Dieu nous défend de convoiter, uniquement parce qu’ils ne sont pas à nous.
Le désir de toutes ces choses est criminel, et il est compté parmi les péchés les plus considérables, lorsque le cœur y donne son consentement formel. Car le péché excité par les désirs déréglés de la concupiscence, prend plaisir au mal, soit qu’il l’approuve, soit seulement qu’il n’y résiste point. Ainsi l’enseigne l’Apôtre Saint Jacques, dans ce texte célèbre où il nous montre l’origine et le progrès du péché : Chacun est tenté par sa propre concupiscence qui l’emporte et l’attire. Ensuite, quand la concupiscence produit son effet, cet effet est le péché, et le péché, lorsqu’il est accompli, produit la mort294.
Ainsi donc, quand la Loi nous dit : Vous ne convoiterez point, elle nous dit, en d’autres termes, d’éloigner nos désirs de tout ce qui ne nous appartient pas. Car la soif du bien du prochain est immense, infinie, et jamais rassasiée, ainsi qu’il est écrit : l’avare ne sera jamais rassasié d’argent295, ce qui a fait dire à Isaïe : Malheur à vous qui joignez maison à maison, et un champ à un autre !296
Mais chacun des termes du précepte veut être expliqué séparément. Ainsi l’on comprendra mieux la laideur et l’énormité du péché dont nous parlons.
Le Pasteur enseignera aux Fidèles que ce mot de maison désigne non seulement le lieu ou l’on habite, mais en général tous les biens que l’on possède. C’est dans ce sens que les Écrivains sacrés l’ont employé le plus ordinairement. Ainsi il est dit dans l’Exode : Dieu bâtit des maisons aux sages-femmes297. Ces paroles signifient évidemment que Dieu étendit et augmenta leurs biens. Cette interprétation du mot maison nous montre que la Loi de Dieu nous défend de désirer avec avidité les richesses, et de porter envie à la fortune, à la puissance, à la noblesse des autres. Dieu veut que nous soyons contents de notre condition, quelle qu’elle soit, basse ou élevée. Nous devons voir aussi dans ce mot la défense de désirer la gloire du prochain, car la gloire fait partie de la maison.
Les mots qui suivent : le bœuf, l’âne, indiquent qu’il nous est défendu de convoiter non seulement les choses considérables, comme la maison, la noblesse, la gloire, parce qu’elles appartiennent à autrui ; mais même les petites, et n’importe lesquelles, animées ou inanimées.
Vient ensuite le mot serviteur. Il faut l’entendre aussi bien des captifs que des serviteurs de toutes sortes et autrefois des esclaves ; nous n’avons pas le droit de les convoiter, pas plus que ce qui appartient à un autre. Quant aux hommes libres qui servent volontairement, soit par intérêt, soit par affection ou par dévouement, on ne doit rien employer, ni paroles, ni craintes, ni promesses, ni argent pour les corrompre et les engager à quitter ceux à qui ils se sont spontanément attachés. Et même s’ils viennent à les quitter avant le temps qu’ils avaient promis de rester à leur service, il faut les avertir que ce précepte leur fait une obligation formelle de rentrer chez leurs maîtres.
Que si, dans ce même précepte, il est fait mention du prochain, c’est pour rendre plus évident le mauvais penchant des hommes qui ont l’habitude de jeter leurs désirs sur les terres, les maisons ou toute autre chose qui les touche. Et en effet le voisinage, qui est d’ordinaire un des éléments de l’amitié, devient souvent une source de haines par le dérèglement de la cupidité.
Toutefois, ce n’est pas violer ce Commandement que de désirer d’acheter des objets que nos voisins ont à vendre, ou de les acheter à leur juste prix. Non seulement nous ne faisons point tort au prochain en agissant de la sorte, mais nous lui rendons un grand service, puisque l’argent qu’il reçoit lui sera plus avantageux et plus commode que ce qu’il met en vente.
Après la Loi qui nous défend de désirer en général le bien d’autrui, vient celle qui nous interdit de convoiter sa femme. Cette Loi n’atteint pas seulement la passion coupable qui fait désirer la femme d’un autre en vue de l’adultère, mais encore le simple désir de l’épouser. Car lorsqu’il était permis de répudier sa femme, il pouvait arriver facilement que celle qui était répudiée par l’un, fût épousée par l’autre. Et c’est pourquoi Notre-Seigneur a voulu porter cette défense, pour que les maris ne fussent point tentés de laisser leurs femmes, ni les femmes de se montrer difficiles et fâcheuses afin de mettre leurs maris dans la nécessité de leur donner le billet de répudiation.
Mais aujourd’hui ce péché est beaucoup plus grave, puisqu’il est défendu d’épouser une femme même répudiée, tant que son mari n’est pas mort. Celui qui aura le malheur de désirer la femme de son prochain, tombera facilement dans l’un de ces deux crimes, ou de souhaiter la mort du mari, ou de désirer l’adultère.
Il en faut dire autant des femmes qui sont fiancées. La Loi de Dieu interdit de les convoiter, puisque chercher à rompre ces sortes de promesses c’est fouler aux pieds le plus sacré des engagements.
Cependant si quelqu’un désirait avoir pour épouse une femme mariée, mais qu’il croirait libre, et qu’il fût résolu à ne pas la demander en mariage, dans le cas où il saurait qu’elle est déjà l’épouse d’un autre, cet homme, avec des intentions telles, ne violerait certainement point le précepte que nous expliquons. Ce fut le cas, comme nous le voyons dans l’Écriture, de Pharaon et d’Abimelech, qui désiraient prendre Sara pour femme, parce qu’ils ne la croyaient pas mariée, la regardant comme la sœur, et non comme l’épouse d’Abraham.
Pour faire connaître aux Fidèles les remèdes que Dieu a préparés pour détruire l’effet de nos convoitises mauvaises, le Pasteur devra leur expliquer la seconde disposition de la Loi. Or, d’après cette disposition, si les richesses abondent dans notre maison, nous ne devons pas attacher notre cœur298. Au contraire nous devons être prêts à les sacrifier dans l’intérêt de la Foi et de notre Salut. De même nous devons nous en servir généreusement pour venir en aide à la détresse du pauvre. Mais si les biens de la fortune nous manquent, nous saurons supporter de bon cœur et même avec joie notre indigence. D’ailleurs, si nous nous dépouillons charitablement de ce qui nous appartient, nous aurons bientôt éteint en nous le désir de ce qui ne nous appartient pas.
Ajoutons que le Pasteur trouvera facilement, soit dans l’Écriture Sainte, soit dans les Pères tout ce que l’on peut dire au peuple sur l’éloge de la pauvreté et sur le mépris des richesses.
Cette Loi nous ordonne également de désirer de tout notre cœur et avec la plus vive ardeur l’accomplissement, non de nos propres vœux, mais de la volonté de Dieu, ainsi qu’il est dit dans l’Oraison Dominicale. Or la volonté de Dieu, c’est que nous travaillions d’une manière toute particulière à devenir des saints ; que nous conservions la sincérité du cœur, avec une pureté parfaite ; que nous nous exercions à ces œuvres de l’esprit, qui sont contraires à celles des sens ; qu’après avoir dompté nos appétits, nous suivions toujours le droit chemin en toutes choses, avec la lumière et le jugement de la saine raison ; et que enfin, nous sachions réprimer vigoureusement tout sentiment qui pourrait devenir une occasion funeste pour nos convoitises et nos passions.
Or, pour éteindre cette ardeur des passions, il nous sera très utile de considérer attentivement les inconvénients qui en sont la suite.
Le premier de ces inconvénients, c’est que, si nous obéissons à nos convoitises déréglées, le péché dominera dans notre âme, avec toute sa puissance et toute sa tyrannie. Voilà pourquoi l’Apôtre nous fait cette recommandation : Que le péché ne règne point dans votre corps mortel, en sorte que vous obéissiez à ses mauvais désirs299. De même, en effet, qu’en résistant aux passions, on détruit la force du péché, de même en y succombant, on chasse le Seigneur de son royaume, pour installer le péché à sa place.
Le second inconvénient, c’est que la concupiscence est comme une source intarissable qui donne naissance à tous les autres péchés, ainsi que nous l’enseigne l’Apôtre Saint Jacques300 ; et Saint Jean dit de son côté : Tout ce qui est dans le monde, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, et orgueil de la vie301.
Le troisième, c’est que les passions mauvaises obscurcissent la raison et faussent le jugement. Les hommes sont aveuglés par les ténèbres de la convoitise, dès lors, tout ce qu’ils désirent devient pour eux honnête et parfait.
Enfin, cette même convoitise étouffe en nous la parole que Dieu Lui-même — ce grand cultivateur — a déposée dans nos âmes. Le grain semé dans les épinces, dit Saint Marc, est la figure de ceux qui entendent la parole et qui la laissent étouffer par les maux de la vie, par l’illusion des richesses, et par tous les effets des passions ; ce qui fait qu’elle ne porte aucun fruit.
Le Pasteur ne manquera pas de dire, en terminant cette explication, qui sont ceux qui ont le plus à lutter contre leurs convoitises criminelles, et que par conséquent il doit exhorter le plus à observer ce précepte.
Ce sont ceux qui se plaisent à des divertissements indécents, ou qui se livrent sans modération aux jeux même permis ; les marchands, qui désirent la disette, ou la cherté des marchandises, qui voient avec chagrin qu’ils ne sont pas les seuls pour acheter et pour vendre, ce qui leur permettrait de vendre plus cher et d’acheter à plus bas prix ; ceux qui souhaitent que leurs semblables soient dans la misère, afin de réaliser du profit soit en leur vendant, soit en leur achetant ; les militaires qui demandent la guerre pour avoir la licence de voler et de piller ; les médecins qui désirent des malades ; les hommes de loi qui réclament des causes, et des procès importants et nombreux ; les ouvriers qui voudraient qu’il y eût rareté et disette de tout ce qui est nécessaire à la nourriture et à l’entretien, pour gagner davantage.
Sont encore très coupables en ce genre ceux qui sont désireux et avides de la gloire et de la considération des autres, et qui ne se privent pas de les attaquer par la calomnie ; surtout s’ils sont eux-mêmes des êtres lâches et sans mérite, car la considération et la gloire sont le prix de la vertu et du talent, et non celui de la lâcheté ou de la paresse.
L’un des devoirs les plus sacrés du ministère pastoral, l’un des plus indispensables au salut du peuple, c’est, à coup sûr, l’enseignement de la Prière chrétienne. Si un Pasteur pieux et zélé ne met pas tous ses soins à en instruire les Fidèles, beaucoup d’entre eux n’en connaîtront jamais la nature et l’importance. C’est pourquoi le Prêtre, digne de ce nom, s’appliquera de toutes ses forces à bien faire comprendre à ses auditeurs religieux ce qu’il faut demander à Dieu, et comment il convient de le demander.
Toutes les qualités de la Prière parfaite se trouvent réunies dans cette divine formule que Notre-Seigneur Jésus-Christ voulut bien enseigner à ses Apôtres, et, par eux ou par leurs successeurs, à tous ceux qui dans la suite devaient embrasser la Religion chrétienne ; formule dont les paroles et les pensées doivent être gravées si profondément dans notre esprit et dans notre cœur, qu’elles nous soient toujours présentes. Et pour faciliter aux Pasteurs les moyens d’instruire les Fidèles sur cette Prière particulière, nous avons réuni, dans cette dernière partie de notre Catéchisme, tout ce qui nous a paru se rapporter davantage à notre sujet. Dans ce but, nous avons emprunté largement aux Auteurs les plus savants et les plus célèbres en cette matière. Pour le surplus, les Pasteurs (s’ils en ont besoin), pourront aller le puiser eux-mêmes, et aux mêmes sources.
La première chose à enseigner, dans ce sujet, c’est la nécessité de la Prière, car la recommandation qui nous en est faite n’est pas un simple conseil, mais bien un précepte rigoureux et formel. Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a déclaré expressément : Il faut toujours prier1.
Cette nécessité de la Prière ressort également de la petite Préface que l’Église nous fait dire à la Messe, avant l’Oraison Dominicale : Notre-Seigneur, nous ayant commandé de prier, et nous ayant donné Lui-même un modèle de prière, nous osons dire, etc. C’est donc parce que la Prière est nécessaire d’une part, et parce que d’autre part, Ses disciples Lui avaient dit : Seigneur, apprenez-nous à prier2, que le Fils de Dieu leur prescrivit une formule de prière, en leur donnant l’espoir qu’ils obtiendraient tout ce qu’ils demanderaient. Bien plus, Il voulut confirmer son précepte par son propre exemple, non seulement en priant avec assiduité, mais même en passant des nuits entières à prier.
Les Apôtres ne manquèrent pas de transmettre ce précepte de Jésus-Christ à ceux qui embrassaient la Foi chrétienne. C’est ainsi que Saint Pierre et Saint Jean se font un devoir de le rappeler très exactement aux âmes croyantes ; et l’Apôtre Saint Paul s’empresse de les imiter, en exhortant fréquemment les Chrétiens à cette salutaire obligation de la Prière.
Il est, en outre, tant de biens et de secours dont nous avons besoin et pour l’âme et pour le corps, qu’il nous faut absolument recourir à la Prière. Elle seule, en effet, est capable d’exposer fidèlement à Dieu notre détresse. Elle seule peut en obtenir tout ce qui nous manque. Ne l’oublions pas, Dieu ne doit rien à personne, et par conséquent, si nous voulons qu’Il nous accorde ce dont nous avons besoin, nous devons nécessairement le solliciter de Lui par la Prière. La Prière est comme un instrument qu’Il nous a donné, afin que nous nous en servions pour obtenir ce que nous désirons. Sans la Prière — cela n’est que trop certain — il est des choses que nous n’aurions jamais. Ainsi, l’un de ses effets les plus extraordinaires, c’est qu’elle possède la vertu de chasser les démons. Car, dit Notre-Seigneur dans Saint Matthieu : Il est un genre de démons qui ne peut se chasser que par le jeûne et par la Prière3.
C’est donc se priver d’un grand nombre de faveurs particulières, que de négliger ce pieux exercice de la Prière, de n’en point prendre l’habitude, de ne pas s’en acquitter avec tout le soin qu’il mérite. Pour obtenir, au contraire, ce que l’on demande, il ne faut pas seulement une Prière convenable, il faut une prière persévérante. Comme le dit très bien Saint Jérôme4 : il est écrit : On donne à quiconque demande. Si donc on ne vous donne pas, c’est que vous ne demandez pas. Demandez donc, et vous recevrez5.
Si la Prière est nécessaire, elle est aussi extrêmement utile. Ses fruits sont très agréables et très abondants. Les Pasteurs en trouveront le détail dans les Saint Pères, lorsqu’ils auront à les expliquer aux Fidèles. Pour nous, nous nous sommes bornés à en choisir quelques-uns qui nous ont paru convenir aux besoins des temps présents.
Le premier fruit que nous retirons de la Prière, c’est que notre Prière honore Dieu, car elle est un Acte de religion que les Saintes Lettres comparent à un parfum. Que ma Prière s’élève vers Vous, dit le Prophète, comme la fumée de l’encens !6 en priant, nous reconnaissons que nous dépendons de Dieu, nous confessons et proclamons qu’Il est l’Auteur de tous les biens, nous n’espérons qu’en Lui, et nous Le regardons comme le seul refuge et l’unique soutien de notre existence présente et de notre vie future. Du reste, ce fruit de la Prière est clairement marqué dans ces paroles : Invoquez-moi au jour de la tribulation, Je vous en tirerai, et vous M’honorerez !7
Un second fruit de la Prière, — fruit infiniment avantageux et consolant, et qu’on en retire lorsque Dieu l’exauce — c’est qu’elle ouvre le ciel dont elle est la clef, selon Saint Augustin. La Prière monte, dit-il, et la miséricorde divine descend. Si basse que soit la terre, si élevé que soit le ciel, Dieu entend néanmoins la parole de l’homme8.
La Prière est d’une vertu et d’une utilité si grandes, que par elle nous obtenons la plénitude des dons célestes. C’est à cause de nos Prières que Dieu nous donne l’Esprit-Saint pour guide et pour appui. Par elle encore nous conservons la pureté de notre Foi, nous écartons les dangers, nous évitons les peines, nous sommes protégés de Dieu dans la tentation et nous triomphons du démon. En un mot, la Prière est la source des joies les plus pures. C’est pourquoi Notre-Seigneur disait : Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite9.
D’ailleurs, il n’est pas possible de douter un seul instant que Dieu dans sa Bonté ne réponde et ne se rende à l’appel de la Prière. Nous en trouvons la preuve en maints endroits de nos Saints Livres. Et comme ces textes sont sous la main de tous, nous nous bornerons à citer les paroles suivantes d’Isaïe : Alors vous invoquerez, dit-il, et le Seigneur vous exaucera ; vous crierez, et le Seigneur dira : Me voici !10 Et ailleurs : avant qu’ils ne crient, Je les entendrai ; ils parleront encore, que déjà Je les aurai exaucés11. Quant aux exemples de ceux qui ont obtenu de Dieu ce qu’ils demandaient, ils sont si nombreux et si connus que nous n’avons pas besoin de les rapporter ici.
Il arrive quelquefois cependant que nous n’obtenons pas de Dieu ce que nous Lui demandons. C’est vrai. Mais Dieu n’en veut pas moins notre bien. Ou Il nous accorde des grâces plus grandes et plus précieuses que celles que nous sollicitons, ou l’objet de notre Prière n’est ni nécessaire ni utile, ou peut-être même, si Dieu nous l’avait accordé, il nous serait devenu funeste et nuisible. Car, dit Saint Augustin, il y a des choses que Dieu refuse dans sa bonté et qu’Il accorde dans sa colère12. D’autres fois aussi notre Prière est si tiède et si nonchalante que nous ne pensons pas même à ce que nous disons. Cependant la Prière est l’élévation de notre âme vers Dieu. Mais si, en priant, l’esprit qui devrait ne s’occuper que de Dieu, s’égare sur toutes sortes d’objets, et si l’on débite sans attention, sans piété, presque au hasard, les formules qu’on récite, comment donner le nom de Prière chrétienne à ce vain bruit de paroles ? Est-il étonnant dès lors que Dieu se montre insensible à nos désirs, puisque par notre négligence et notre indifférence même, nous semblons prouver que nous ne tenons pas du tout à ce que nous demandons, ou bien que nous sollicitons des choses qui nous seraient nuisibles ?
Au contraire, quand on prie avec attention et ferveur, on obtient de Dieu beaucoup plus qu’on ne demande. Saint Paul nous l’atteste dans son Épître aux Éphésiens. Nous en avons la preuve également dans la Parabole de l’enfant prodigue. Ce malheureux jeune homme se serait cru très bien traité, si seulement son père avait voulu l’admettre au rang de mercenaire.
Quelquefois même Dieu met le comble à ses faveurs, en nous accordant ses dons non seulement en abondance, mais encore avec promptitude, non seulement sur notre demande, mais sur un simple désir de notre part.
C’est ce que nous voyons dans nos Saints Livres, où nous trouvons des formules de ce genre : Dieu a exaucé les vœux du pauvre13. Oui vraiment notre Dieu répond aux désirs intimes et secrets de ceux qui ont besoin, avant même qu’ils ne Lui aient exposé leur détresse.
Un troisième fruit de la Prière, c’est qu’elle est un exercice et un accroissement de toutes les vertus, en particulier de la Foi. Le moyen de prier, en effet, et de bien prier, si l’on n’a pas foi en Dieu, c’est la parole de l’Apôtre Saint Paul : Comment invoqueront-ils Celui auquel ils ne croient point ?14 Dès lors plus les Fidèles mettent d’ardeur à prier, plus ils ont une foi grande et ferme dans la Bonté et la Providence de Dieu, et par suite plus ils sont disposés à Lui obéir, c’est-à-dire à s’en rapporter à Lui pour tous leurs besoins, et à Lui demander toutes choses.
Dieu pourrait, à coup sûr, répandre sur nous tous ses dons, sans prières et même sans désirs de notre part. C’est ainsi qu’Il en agit envers les animaux privés de raison, à qui Il donne tout ce qui est nécessaire à leur existence. Mais ce Père d’une Bonté parfaite veut être prié par ses enfants. Il veut qu’en L’invoquant chaque jour, notre Prière s’élève chaque jour jusqu’à Lui avec une confiance plus grande. En un mot Il veut, en exauçant nos Prières, affirmer de plus en plus et proclamer en quelque sorte son infinie Bonté envers nous.
La Prière augmente aussi la Charité. En effet, lorsque nous reconnaissons Dieu comme l’Auteur de tous les biens et de tous les avantages dont nous jouissons ici-bas, nous nous attachons à Lui de tout l’amour dont notre cœur est capable. Les affections humaines grandissent et s’enflamment par les conversations, les visites, les rapports fréquents. Il en est de même de l’Amour de Dieu. Plus les hommes pieux multiplient leurs prières, en implorant la Bonté de Dieu, et en s’entretenant avec Lui, plus ils sentent croître en eux-mêmes une joie pénétrante, en même temps qu’ils sont portés à aimer et à servir Dieu de tout leur cœur.
Si donc Dieu nous oblige à Le prier, c’est afin que nous soyons plus ardents à Lui demander ce que nous désirons ; c’est aussi [selon la pensée de Saint Augustin] afin que nous ne soyons redevables qu’à la constance et à la vivacité de nos désirs, de ces faveurs signalées dont notre cœur, auparavant sec et resserré, n’aurait pas été digne15.
Il veut aussi nous faire comprendre et toucher du doigt, en quelque sorte, cette vérité capitale, que si le secours de la Grâce céleste venait à nous manquer, nous ne pourrions absolument rien par nous-mêmes. Quel motif, par conséquent, de nous appliquer à prier avec toute la ferveur possible.
La Prière est encore une arme très puissante contre les ennemis les plus dangereux de notre nature : contre le démon et ses attaques, dit saint Hilaire, combattons par le bruit de nos prières16.
Un autre fruit bien précieux que nous assure la prière, c’est que malgré notre dégradation originelle, et par suite notre inclination au mal et aux divers appétits déréglés de la concupiscence, Dieu nous permet néanmoins d’élever nos pensées jusqu’à Lui. Et s’il nous permet d’agir de la sorte, c’est qu’il veut par là nous faire mériter ses bienfaits, sanctifier notre volonté, purifier nos souillures et détruire en nous les effets malheureux du péché.
Enfin la Prière, selon la pensée de Saint Jérôme, résiste à la colère divine elle-même. Laisse-Moi, disait Dieu à Moïse17, qui L’arrêtait par sa Prière, au moment où Il voulait châtier son peuple. C’est qu’en effet pour apaiser la colère de Dieu irrité, pour l’amener à suspendre ses coups, lorsqu’il se prépare à frapper le coupable, et même pour Le faire revenir de sa fureur, rien n’est plus efficace que la Prière des âmes pieuses.
Après avoir parlé aux Fidèles de la nécessité et de l’utilité de la Prière des Chrétiens, il faut aussi leur apprendre quelles sont les diverses parties qui la composent. D’après le témoignage de l’Apôtre, cette science importe extrêmement au parfait accomplissement du devoir de la Prière. Dans son épître à Timothée, où il exhorte son disciple à prier saintement et avec piété, il distingue avec soin les différentes parties de cet exercice. Je recommande avant toutes choses, dit-il, que l’on fasse des supplications, des prières, des demandes, et des actions de grâces pour tous les hommes18. Et comme la différence entre ces quatre mots employés par l’Apôtre est assez difficile à établir, les Pasteurs qui croiront utile de l’expliquer à leurs auditeurs ne manqueront pas de consulter, entre autres, Saint Hilaire et Saint Augustin.
À vrai dire les deux parties principales de la Prière sont la demande et l’action de grâces. Les autres en dérivent comme de leur source. Voilà pourquoi nous n’avons pas cru devoir les passer sous silence. Nous allons à Dieu, et nous Lui rendons un culte d’hommage et de respect, soit pour obtenir de Lui quelque bienfait nouveau, soit afin de Lui témoigner notre reconnaissance pour tous ceux dont sa Bonté ne cesse de nous enrichir et de nous combler. Toute Prière revêt nécessairement ce double caractère. Dieu Lui-même nous l’a marqué en ces termes par la bouche de David : Invoquez-Moi au jour de la tribulation, Je vous délivrerai, et vous M’honorerez19.
Et d’abord est-il possible d’ignorer combien nous avons besoin de la Libéralité et de la Bonté de Dieu, pour peu que l’on considère l’excès de nos misères et de notre pauvreté ? D’autre part tous ceux qui voient et qui pensent se rendent bien compte que le cœur de Dieu est très favorablement disposé pour le genre humain et qu’Il se plaît à répandre sur nous ses largesses. De quelque côté en effet que nous portions nos regards et nos pensées, partout nous voyons éclater les preuves les plus admirables de la Bonté et de la Générosité divines. Qu’avons-nous en effet que nous n’ayons reçu de la Libéralité de Dieu ? Et si tous les biens que nous possédons ne sont que des présents de sa Munificence, pourquoi tous ensemble, dans la mesure de nos forces, n’exalterions-nous point par nos louanges un Dieu si infiniment bon, pourquoi ne ferions-nous pas monter vers Lui de continuelles actions de grâces ?
Mais, soit que l’on demande, soit que l’on remercie, il y a dans la Prière différents degrés, plus élevés et plus parfaits les uns que les autres. Afin donc que les Fidèles puissent non seulement prier, mais encore prier très bien et comme il convient, les Pasteurs auront soin de leur proposer la méthode la meilleure et la plus parfaite, et ils les exhorteront de toutes leurs forces à la mettre en pratique.
Mais précisément quelle est la meilleure manière de prier ? Quel est le degré le plus élevé en matière d’Oraison ? Évidemment c’est celui des âmes pieuses et justes qui, appuyées sur le fondement inébranlable de la vraie foi, arrivent graduellement, par la pureté de leur conscience et par la ferveur de leurs vœux, à ce point d’élévation où elles peuvent contempler l’infinie Puissance de Dieu, avec son immense bonté et sa sagesse suprême. Là elles acquièrent l’espérance certaine d’obtenir tout ce qu’elles demanderont présentement, et cette abondance incalculable de biens que Dieu a promis d’accorder à ceux qui sauront implorer son secours avec une piété sincère et fervente.
C’est ainsi que, portée en quelque sorte sur deux ailes, l’âme prend son essor vers le ciel et s’élève jusqu’à Dieu, pour Le louer et Le remercier tout ensemble des bienfaits si précieux qu’elle a reçus. Ensuite avec une piété ardente et une profonde vénération, elle Lui parle en pleine confiance de tous ses besoins, comme le ferait un fils unique au plus aimé des pères.
Cette manière de prier prend dans la Sainte Écriture le nom d’effusion ou d’épanchement. Je répands ma Prière en sa présence, dit le prophète, et j’exprime devant Lui ma tribulation20. Ceci revient à dire que celui qui se présente devant Dieu pour le prier, ne doit rien taire, rien cacher, mais épancher tout son cœur dans le sien, et se réfugier avec confiance dans le sein de Celui qui est le plus aimant des Pères. C’est ainsi en effet que l’Esprit-Saint Lui-même règle notre conduite sur ce point : Répandez vos cœurs devant Dieu, dit le Psalmiste, et mettez vos peines dans le sein du Seigneur21. C’est aussi de ce degré d’Oraison que Saint Augustin veut nous parler dans son enchiridion, quand il dit : Ce que la Foi croit, l’Espérance et la Charité le demandent22.
Un autre degré de la Prière, c’est celui où se trouvent certaines personnes que le poids de leurs péchés mortels écrase, mais qui néanmoins font tous leurs efforts pour se relever avec cette Foi qu’on appelle morte, et remonter jusqu’à Dieu. Mais comme leurs forces sont presque anéanties, et leur Foi très affaiblie, elles ne peuvent se soulever de terre. Cependant elles reconnaissent leurs fautes, le remords les déchire, la contrition est dans leur cœur, et tout éloignées qu’elles sont de Dieu, elles s’humilient et s’abaissent devant Lui en implorant la grâce du pardon et de la paix. Une telle prière obtient toujours son effet devant Dieu, qui non seulement l’exauce, mais qui pousse la miséricorde envers ces âmes pécheresses jusqu’à les appeler à Lui en ces termes : Venez à Moi, dit-Il, vous tous qui êtes fatigués et courbés sous le fardeau, et Je vous soulagerai23. De ce nombre était ce Publicain qui n’osait pas même lever les yeux vers le ciel, et qui cependant sortit du temple, dit l’Évangile, plus justifié que le Pharisien.
Un troisième degré de Prière se trouve dans ceux qui n’ont pas encore la Foi. Grâce à la Bonté divine qui rallume en eux les faibles restes de la lumière naturelle, ils se sentent entraînés avec une grande ardeur à l’étude et à l’amour de la vérité, et ils demandent par de ferventes Prières la faveur d’en être instruits. S’ils persévèrent dans ces bonnes dispositions, la Clémence divine ne rejettera point leurs instances. Nous en avons une preuve remarquable dans l’exemple du centurion Corneille. Aussi bien, qui donc a jamais fait cette Prière du fond du cœur, et a trouvé fermées les portes de la Miséricorde divine ?
Enfin le dernier degré de la Prière est celui de ces pécheurs qui non seulement ne se repentent point de leurs mauvaises actions et de leurs infamies, mais encore entassent crimes sur crimes. Et cependant ils n’ont pas honte de solliciter de Dieu le pardon de ces péchés dans lesquels ils veulent persévérer ! Certes, ils n’oseraient pas, dans de pareilles dispositions, demander aux hommes un pardon semblable. Aussi, qu’arrive-t-il ? Leur Prière n’est point exaucée. Ce scélérat, dit la Sainte Écriture, en parlant d’Antiochus, priait le Seigneur de qui il ne devait point obtenir miséricorde24. C’est pourquoi les Pasteurs ne manqueront pas d’exhorter fortement ceux qui sont dans ce triste état, à renoncer définitivement à la volonté de pécher, et à se convertir à Dieu dans toute la sincérité de leur cœur.
Lorsque nous expliquerons en détail l’Oraison Dominicale, nous dirons exactement ce qu’il faut demander dans la Prière, et ce qu’il ne faut pas demander. Pour l’instant, il suffit de rappeler aux Fidèles d’une manière générale qu’ils ne doivent demander à Dieu que des choses justes et honnêtes. S’ils demandaient ce qui ne convient pas, ils auraient à craindre d’être repoussés avec cette réponse : Vous ne savez ce que vous demandez25. Or, tout ce qu’on peut désirer légitimement, il est permis également de le demander. La promesse si étendue de Notre-Seigneur ne nous permet pas d’en douter. Vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera donné26. Il s’engage en effet à tout accorder.
Ainsi donc, en premier lieu, nous dirigerons nos vœux et nos désirs de telle sorte que Dieu, qui est notre plus grand Bien, soit aussi l’objet de notre amour et de nos désirs les plus grands. Nous désirerons ensuite tout ce qui peut nous unir le plus étroitement à Dieu. Mais nous éloignerons soigneusement de notre cœur et de nos affections tout ce qui pourrait nous séparer de Lui, ou seulement affaiblir notre union mutuelle.
En prenant pour règle suprême ce Bien souverain et parfait, il est facile de déterminer dans quelle mesure il faut désirer et demander à Dieu notre Père les autres choses qu’on appelle aussi des biens. Ainsi, les biens du corps, comme les autres biens extérieurs, c’est-à-dire, la santé, la force, la beauté, les richesses, les honneurs, la gloire, ne sont que trop souvent des occasions et des instruments de péché, et par conséquent il est difficile de les demander d’une manière conforme à la piété et au salut. C’est pourquoi il faut en réduire la demande dans des limites telles que nous ne désirions ces avantages de la vie présente qu’autant qu’ils nous sont nécessaires. Dès lors notre Prière se rapporte à Dieu. Il nous est bien permis en effet de demander ce qui faisait l’objet de la prière de Jacob et de Salomon. Or le premier disait : Si le Seigneur me donne du pain pour me nourrir et des vêlements pour me couvrir, Il sera toujours mon Dieu27. Et le second : Donnez-moi seulement ce qui est nécessaire à la vie28. Mais comme Dieu, dans sa Bonté, veut bien pourvoir à notre nourriture et à notre entretien, n’est-il pas bien juste que nous ne perdions jamais de vue cette recommandation de l’Apôtre : Que ceux qui achètent soient comme s’ils ne possédaient pas ! que ceux qui usent des choses de ce monde, soient comme s’ils n’en usaient pas ; car la figure de ce monde passe29 ; et cette autre du Prophète David, (que nous avons déjà citée) : Si les richesses nous viennent en abondance, n’y attachons point notre cœur30. Dieu Lui-même a voulu nous l’apprendre nous n’en avons que l’usufruit, et encore à la condition d’y associer les autres. Si nous avons la santé, si nous possédons en abondance les autres biens du corps et de la fortune, souvenons-nous que Dieu ne nous les a donnés que pour nous aider à Le mieux servir et à soulager davantage le prochain.
Quant aux biens et aux ornements de l’esprit, comme les arts et les sciences, nous pouvons les demander, mais seulement à la condition qu’entre nos mains ils tourneront à la Gloire de Dieu et au salut de notre âme. La seule chose que nous puissions souhaiter, rechercher, demander d’une manière-absolue, sans condition et restriction, c’est, nous l’avons déjà dit, la Gloire de Dieu, et ensuite tout ce qui peut nous rattacher et nous unir à ce souverain Bien, comme la Foi, la crainte du Seigneur et son amour ; vertus dont nous parlerons plus longuement lorsque nous expliquerons toutes les demandes de l’Oraison Dominicale.
Ce n’est pas tout ; après avoir appris aux Fidèles ce qu’ils doivent demander, il faut aussi leur faire connaître pourquoi ils doivent demander. Or, la Prière se compose précisément de la demande et de l’action de grâces. Parlons d’abord de la demande.
Il faut prier pour tous les hommes sans exception : ennemis, étrangers, ou d’une religion différente de la nôtre. Car l’ennemi, l’étranger, l’infidèle, sont également notre prochain. Or, d’après l’ordre formel de Dieu, nous devons aimer notre prochain, et par conséquent prier pour lui, puisque la Prière pour les autres est un des devoirs de la Charité. Cette recommandation de l’Apôtre : Qu’il se fasse, je vous en prie, des Prières pour tous les hommes31, n’a pas d’autre but.
Il n’est pas inutile de faire remarquer que dans la Prière on doit demander d’abord ce qui intéresse le salut de l’âme, puis ce qui se rapporte au bien du corps.
Les premiers pour qui nous sommes obligés de prier sont les Pasteurs des âmes. L’Apôtre Saint Paul nous l’apprend par son propre exemple ; il écrit aux Colossiens de prier pour lui, afin que Dieu lui ouvre une entrée pour prêcher sa parole32. Il agit de même avec les Thessaloniciens. Nous lisons dans les Actes des Apôtres : qu’une prière continuelle se faisait dans l’Église pour Pierre33 ; et Saint Basile, dans ses traités des Mœurs, nous rappelle qu’il faut prier pour ceux qui président à la Parole de vérité.
En second lieu, il faut prier pour les Princes. C’est encore l’enseignement de Saint Paul. Nul n’ignore en effet combien il importe au bien public d’avoir des Princes pieux et zélés pour la justice. Il faut donc demander à Dieu de les rendre tels qu’ils doivent être pour commander aux autres.
Plusieurs saints personnages nous avertissent par leurs exemples de prier aussi pour les bons et les justes. Ils ont besoin en effet des Prières des autres. Dieu l’a voulu ainsi, afin de prévenir dans leur cœur les mouvements de l’orgueil, en leur faisant sentir qu’ils ont besoin des suffrages de leurs inférieurs.
Notre-Seigneur nous ordonne également de prier pour ceux qui nous persécutent et nous calomnient34.
Selon le témoignage de Saint Augustin, — et ce témoignage a une grande valeur — l’Église a reçu des Apôtres la coutume de faire des Prières et des vœux pour ceux qui sont hors de la vraie Religion, afin que les infidèles obtiennent la Foi, que les adorateurs des idoles soient arrachés à leurs erreurs impies ; que les Juifs déchirent le voile épais qui leur cache la vérité, et la reconnaissent enfin ; que les hérétiques, revenant à la saine raison, s’instruisent, comme ils le doivent, de la Doctrine catholique ; que les schismatiques, qui se sont séparés de la Communion de la très sainte Église leur mère, se rattachent à elle de nouveau par les liens d’une véritable Charité. Les Prières qui sont ainsi faites avec une Foi ardente, pour toutes ces sortes de personnes, sont d’une grande efficacité. On peut le constater par cette multitude d’hommes de toutes conditions que Dieu arrache chaque jour à la puissance des ténèbres, pour les faire entrer dans le Royaume de son Fils bien aimé, et dont Il fait des vases de miséricorde, de vases de colère qu’ils étaient auparavant. Tout Chrétien intelligent et pieux sera toujours convaincu que les Prières des âmes justes ont une très large part à ces conversions.
Les Prières que l’on adresse à Dieu pour les âmes des trépassés, afin de les faire sortir du Purgatoire, sont une tradition et une conséquence de la doctrine des Apôtres. Nous avons dit tout ce qu’il fallait rappeler sur ce point, en traitant du saint Sacrifice de la Messe.
Quant à ceux qui ont le malheur d’être en état de péché mortel, c’est à peine s’ils peuvent retirer quelque utilité des Prières et des vœux. Cependant la Charité chrétienne demande qu’on prie pour eux, et qu’on en vienne aux larmes et aux gémissements devant Dieu pour leur obtenir pardon et miséricorde.
Si donc les Saints ont fait quelquefois des imprécations contre les impies, les Pères de l’Église veulent que nous les regardions comme des prédictions du sort qui les attend, ou des souhaits de mort qui ne s’adressent qu’au péché, pour le détruire, et par là sauver les pécheurs.
Dans la 2° partie de la Prière, nous rendons à Dieu les actions de grâces les plus vives pour les divins et immortels bienfaits dont Il a comblé sans cesse, et dont Il comble encore tous les jours le genre humain.
Mais surtout nous Le remercions, et d’une manière spéciale, pour tous les Saints ; nous Le louons et Le bénissons, autant qu’il est en nous, de la victoire et du triomphe que sa paternelle Bonté leur a fait remporter sur tous leurs ennemis, intérieurs et extérieurs.
C’est là ce que nous faisons en particulier dans la Salutation Angélique, lorsque nous disons à la Sainte Vierge, en forme de prière : Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. Par ces paroles en effet nous rendons à Dieu un splendide hommage de louanges et d’actions de grâces, pour tous les dons célestes dont Il a bien voulu combler la très sainte Vierge, et en même temps nous la félicitons elle-même de son incomparable bonheur.
Et ce n’est pas sans raison que la sainte Église a ajouté, à cette action de grâces, des Prières et des invocations à la très sainte Mère de Dieu. Elle veut que nous ayons recours à elle avec une pieuse confiance et une profonde humilité, afin d’obtenir par son intercession que Dieu veuille bien se réconcilier avec nous malgré toutes nos fautes, et nous accorder les biens qui nous sont nécessaires pour cette vie et pour l’autre. Oui, nous devons, enfants d’Ève exilés dans cette vallée de larmes, invoquer, sans jamais nous lasser, celle qui est la Mère de la miséricorde, l’avocate du peuple fidèle, afin qu’elle prie pour nous, pauvres pécheurs ; nous devons en un mot réclamer sans cesse par nos Prières le secours et l’assistance de celle dont les mérites sont si éminents devant Dieu, et dont on ne peut sans impiété et sans crime révoquer en doute la volonté parfaite et formelle de nous venir en aide.
Que ce soit pour nous un devoir de prier Dieu et d’invoquer son saint nom, c’est non seulement ce que nos Saints Livres nous enseignent, mais encore ce que proclame l’instinct naturel de notre cœur, qui ne cesse de nous rappeler cet ordre de Dieu : Invoquez-Moi au jour de la tribulation35. Au reste, en disant qu’il faut prier Dieu, nous entendons par là les trois Personnes divines.
En second lieu, nous recourons aux Saints qui sont dans le ciel. C’est un article de Foi dans l’Église de Dieu qu’on doit les prier. Et un vrai Chrétien ne peut avoir le moindre doute à ce sujet. Mais comme nous avons déjà traité cette question en son lieu, nous y renvoyons les Pasteurs et les Fidèles. Toutefois pour prévenir les erreurs dans lesquelles pourraient tomber les ignorants, il sera nécessaire de montrer aux Chrétiens la différence qui existe entre la Prière que l’on fait à Dieu, et celle que l’on adresse aux Saints. C’est qu’en effet, nous ne prions pas Dieu et les Saints de la même manière. Nous demandons à Dieu qu’Il nous donne lui-même les biens, ou qu’Il nous délivre des maux ; et nous demandons aux Saints, comme jouissant de la faveur et de l’amitié de Dieu, de nous prendre sous leur protection, et de nous obtenir les choses dont nous avons besoin. De là deux formules de Prières très différentes. À Dieu nous disons proprement : ayez pitié de nous, exaucez-nous ; aux Saints : priez pour nous. Cependant nous pourrions aussi, dans un autre sens, demander aux Saints d’avoir pitié de nous, parce qu’ils sont très miséricordieux. Ainsi il nous est permis de les prier de prendre compassion de nos misères, et de nous aider de leur crédit et de leur intercession auprès de Dieu.
Mais ici prenons bien garde, tous tant que nous sommes, de ne pas attribuer à qui que ce soit ce qui n’appartient qu’à Dieu. Par exemple, si quelqu’un récite l’Oraison Dominicale devant l’image d’un saint, qu’il n’oublie pas qu’il demande uniquement à ce saint de prier avec lui, et de solliciter pour lui les choses qui sont contenues dans cette formule, en un mot de vouloir bien se faire son interprète et son intercesseur auprès de Dieu. Saint Jean, dans l’Apocalypse, nous apprend en effet que les saints dans le ciel remplissent ce ministère auprès de Dieu.
Nos Saints Livres nous disent : Avant la Prière, préparez votre âme, et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu !36 en effet, c’est tenter Dieu que de prier bien et d’agir mal, ou bien de laisser égarer son esprit, quand on s’entretient avec Lui. Donc puisque les dispositions avec lesquelles on doit prier Dieu sont si importantes, les Pasteurs ne manqueront pas d’enseigner à leurs pieux auditeurs les règles de la Prière.
La première de ces règles, ou dispositions, c’est une véritable humilité, avec l’abaissement du cœur et la reconnaissance des fautes qu’on a commises. Ces fautes doivent faire comprendre à celui qui vient à Dieu pour Le prier, que non seulement il ne mérite pas d’obtenir quelque chose, mais qu’il n’est pas même digne de paraître devant Lui. La sainte Écriture nous parle très souvent de cette disposition. Le Seigneur a regardé la Prière des humbles, dit le Psalmiste, et Il n’a point méprisé leurs supplications37. L’Ecclésiastique nous dit de son côté : Que la Prière de celui qui s’humilie pénétrera les nues38. Au reste les Pasteurs instruits dans la sainte Écriture, trouveront d’eux-mêmes une foule de passages qui se rapportent à cette Vérité, et que nous n’avons pas besoin de citer ici. Cependant nous ne voulons pas passer sous silence deux exemples que nous avons rapportés ailleurs, mais qui sont parfaitement appropriés à notre sujet. Le premier, que tout le monde connaît, est celui du Publicain qui se tenait si loin du sanctuaire, et qui n’osait même pas lever les yeux. Le second est celui de la femme pécheresse qui, pénétrée de douleur, vint arroser de ses larmes les pieds du Seigneur. Tous les deux nous montrent clairement quel poids immense l’humilité chrétienne ajoute à la Prière.
Une seconde disposition, c’est la douleur de nos fautes, ou du moins un certain sentiment de peine en voyant que nous ne sommes pas assez repentants. Sans cette double disposition intérieure, ou du moins sans l’une d’elles, il est impossible d’obtenir le pardon de nos péchés. Et comme il y a des crimes qui par eux-mêmes empêchent Dieu, en quelque sorte, d’exaucer nos Prières, par exemple, le meurtre et la violence, nos mains doivent s’abstenir entièrement de toute espèce de cruauté et de mauvais traitements, en un mot de ces crimes dont Dieu nous parle en ces termes par la bouche d’Isaïe : Lorsque vous étendrez vos mains vers Moi, Je détournerai mes yeux de vous, et lorsque vous multiplierez votre Prière, Je ne vous écouterai point, parce que vos mains sont pleines de sang39.
Il faut fuir également la colère et la discorde, qui sont de grands obstacles au succès de nos Prières. Voici ce que l’Apôtre en dit : Je veux que les hommes prient en tout lieu, élevant vers Dieu des mains pures, sans colère et sans dissension40.
Prenons garde aussi de rester implacables envers ceux qui ont eu des torts envers nous. Dans cet état d’âme, nos Prières ne pourraient déterminer Dieu à nous pardonner. Lorsque vous vous présenterez pour prier, dit-Il Lui-même, pardonnez si vous avez quelque chose contre quelqu’un41. Et encore : Si vous ne remettez pas aux hommes leurs fautes, votre Père ne vous remettra point non plus les vôtres42.
Il est indispensable aussi que nous n’ayons ni dureté, ni inhumanité envers les pauvres. C’est contre ces hommes au cœur dur qu’il a été dit dans nos Saints Livres : Celui qui ferme l’oreille au cri du malheureux, criera à son tour, et il ne sera point écouté43.
Que dirons-nous de l’orgueil ? Il déplaît tant à Dieu ! C’est pourquoi il est écrit : Dieu résiste aux superbes, et il donne sa grâce aux humbles44. Que dirons-nous enfin de celui qui méprise les oracles divins ? Salomon lance contre lui cet anathème : La prière de celui qui détourne l’oreille pour ne pas écouter la Loi sera exécrable45. Ce n’est pas à dire pour cela que Dieu condamne et repousse la Prière d’un homme coupable d’injures envers le prochain, de meurtre, de haine, de dureté à l’égard des pauvres, d’orgueil, de mépris pour la Parole sainte, et enfin de tous les péchés, quels qu’ils soient, pourvu que cet homme prie pour obtenir le pardon de ses fautes.
La Foi est aussi un élément essentiel de cette préparation. Sans elle en effet, nous ne pouvons connaître ni la toute Puissance de notre Père suprême, ni sa Miséricorde, qui sont précisément les deux sources de la confiance. Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ a-t-Il pris soin de nous dire Lui-même : Tout ce que vous demanderez dans la prière avec Foi, vous l’obtiendrez46. Et Saint Augustin, à propos de ces paroles du Sauveur, ne craint pas de nous dire : Si la Foi manque, il n’y a plus de Prière47. La condition essentielle pour bien prier, c’est donc d’être ferme et inébranlable dans la Foi. Saint Paul le prouve indirectement en disant : Comment invoqueront-ils Celui en qui ils ne croient point ?48 Ainsi donc, il faut croire, et pour que nous puissions prier, et pour que la Foi qui nous fait prier avec succès ne nous manque jamais. Car c’est la Foi qui engendre la Prière, mais c’est la prière qui lève à son tour tous les doutes, et qui rend la Foi stable et invincible. C’est dans cette conviction que Saint Ignace exhortait ceux qui vont à Dieu pour le prier : Gardez-vous bien, leur disait-il, de porter l’esprit de doute dans la Prière. Heureux celui qui n’aura jamais douté !49 Par conséquent, pour obtenir de Dieu ce que nous Lui demandons, la Foi et l’Espérance certaine d’être exaucés passent avant tout le reste. C’est ce que l’Apôtre Saint Jacques nous rappelle par ces paroles : Que le Fidèle demande avec Foi et sans hésiter50. Et en effet il est bien des motifs capables d’exciter en nous la confiance dans la Prière.
D’abord, c’est la Bienveillance et la Bonté parfaite que Dieu nous témoigne, puisqu’Il nous ordonne de L’appeler notre Père, pour nous montrer que nous sommes ses enfants.
C’est le nombre presque infini de ceux qui ont obtenu l’effet de leurs Prières.
C’est ce Médiateur souverain qui se tient sans cesse à notre disposition, Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont Saint Jean a dit : Si quelqu’un a péché, nous avons auprès du Père un Avocat, Jésus-Christ qui est juste ; et il est Lui-même propitiation pour nos péchés51. Saint Paul, de son côté, dit aux Romains : Jésus-Christ qui est mort, qui est ressuscité, qui est à la droite de son Père et qui y intercède pour nous52 ; et puis à Timothée : Il n’y a qu’un Dieu et un seul Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ, qui est homme53 ; et enfin aux Hébreux : Il a dû se rendre semblable en toutes choses à ses frères, afin qu’Il fût un Pontife miséricordieux et fidèle auprès de Dieu54. Dès lors, quoique indignes par nous-mêmes d’obtenir quelque chose, cependant à cause des mérites infinis de notre divin Médiateur et Intercesseur, de Jésus-Christ, nous devons espérer, avec une confiance entière, que Dieu voudra bien nous accorder tout ce que nous Lui demanderons de légitime par son entremise.
Enfin, c’est l’âme même de nos Prières, c’est-à-dire le Saint-Esprit qui nous les inspire, et qui fait qu’elles sont toujours recevables. Car, dit l’Apôtre Saint Paul, Dieu nous a envoyé l’Esprit d’adoption de ses enfants, dans lequel nous crions : Père, Père !55 C’est cet esprit qui vient en aide à notre faiblesse et à notre ignorance dans le devoir de la Prière, ou plutôt, dit encore Saint Paul : Il est l’Esprit qui prie pour nous par des gémissements ineffables.
Que si quelques-uns chancellent encore, et ne se sentent pas assez fermes dans la Foi, qu’ils disent avec les Apôtres : Seigneur, augmentez notre Foi56 ; ou avec l’aveugle : aidez mon incrédulité57.
Animés d’une Foi vive et d’une espérance ferme, nous obtiendrons infailliblement de Dieu tout ce que nous désirons, si nous avons soin de conformer à sa Loi et à sa volonté toutes nos pensées, toutes nos actions et toutes nos Prières. Si vous demeurez en Moi, dit notre Seigneur, et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera accordé58. N’oublions pas toutefois que pour obtenir de Dieu toutes les grâces que nous demandons, il faut avant tout, comme nous l’avons déjà dit, l’oubli des injures, la bienveillance, et la volonté de faire du bien au prochain.
Il importe extrêmement de savoir bien prier. Car, quoique la Prière en elle-même soit une chose très salutaire, cependant si on ne la fait pas comme il convient, elle ne produit aucun fruit. Souvent, comme le dit l’Apôtre Saint Jacques, nous n’obtenons pas ce que nous demandons, parce que nous demandons mal59. Les Pasteurs auront donc à cœur d’enseigner aux Fidèles quelle est la meilleure manière de demander et de prier, soit en particulier, soit en public, en un mot ils leur apprendront les règles de la Prière chrétienne, d’après Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même.
Il faut donc prier en esprit et en vérité ; car le Père céleste demande des adorateurs en esprit et en vérité60. Or c’est prier ainsi que de parler à Dieu avec toute l’ardeur de son esprit, et toute l’affection de son cœur. Certes, nous sommes loin de dire que la Prière vocale ne puisse revêtir aussi cette qualité. Cependant nous croyons devoir accorder la première place à la Prière qui part d’un cœur enflammé d’amour, et que Dieu — qui connaît les plus secrètes pensées des hommes — sait toujours entendre, sans même que la bouche la prononce. C’est ainsi qu’Il entendit, qu’Il exauça, la Prière intérieure d’Anne, la mère de Samuel, dont nos Saints Livres nous disent qu’elle pleura pour prier, et que ses lèvres remuaient à peine61. C’est ainsi encore que priait David : Mon cœur Vous a parlé, dit-il à Dieu, mes yeux Vous ont cherché62. La sainte Écriture est remplie d’exemples semblables.
La Prière vocale, elle aussi, a son utilité propre, et même sa nécessité. Elle excite la ferveur de l’âme, et elle enflamme la piété de celui qui prie. C’est ce que Saint Augustin écrivait en ces termes à Proba : Quelquefois les paroles ou d’autres signes excitent plus vivement et augmentent nos saints désirs. Quelquefois nous sommes forcés, par l’ardeur qui nous anime et la piété qui nous enflamme, d’exprimer par des paroles ce qui se passe dans notre cœur. Quand le cœur en effet est plein de joie et qu’il le manifeste, il est juste aussi que la bouche elle-même se réjouisse. Par ce moyen nous faisons tout ensemble à Dieu le sacrifice de notre corps et de notre âme, et nous imitons les Apôtres qui priaient de cette manière, comme on le voit dans les Actes, et dans Saint Paul, en plusieurs endroits63.
Comme il y a deux sortes de Prières, l’une privée, l’autre publique, nous pouvons dans la Prière privée prononcer telles paroles qui nous plaisent, pour seconder nos sentiments intérieurs et notre piété. Quant à la Prière publique instituée par l’Église pour augmenter la dévotion des Fidèles, on ne peut en aucune façon s’abstenir d’employer des paroles, et dans les temps qu’elle a fixés.
C’est le propre des Chrétiens seuls de prier en esprit, et les infidèles ne connaissent point cette coutume. C’est d’eux que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit : Quand vous priez, ne multipliez point les paroles comme les païens, qui croient qu’en parlant beaucoup ils seront exaucés. Ne les imitez point ; car votre Père connaît vos besoins, avant que vous Lui ayez rien demandé64. Cependant en condamnant les paroles trop multipliées, notre Seigneur ne réprouve point les longues Prières, lorsqu’elles sont le fruit d’un sentiment profond et durable ; au contraire Il nous y exhorte pas ses propres exemples. Car non seulement Il passait des nuits à prier65, mais Il répéta jusqu’à trois fois de suite la même demande66. Il faut donc retenir de cette parole de Notre-Seigneur, que ce n’est point le vain bruit des mots qui touche le Cœur de Dieu.
Les hypocrites ne prient point non plus du fond de leur cœur, et Jésus-Christ nous met en garde contre leurs détestables habitudes. Lorsque vous priez, nous dit-Il, ne soyez point comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des places publiques, afin d’être vus des hommes. En vérité, Je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Pour vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, et, la porte étant fermée, priez votre Père en secret, et votre Père qui voit dans le secret vous accordera votre demande67. Le mot chambre, que Notre-Seigneur emploie dans ce passage, peut très bien s’entendre du cœur de l’homme. Et il ne suffit pas d’entrer dans son cœur, pour prier, mais de plus il faut le fermer, de peur qu’il ne s’y glisse et qu’il n’y pénètre quelque chose du dehors, qui pourrait altérer la pureté de la Prière. Si nous sommes fidèles à cette recommandation de son divin Fils, le Père céleste qui connaît parfaitement notre cœur et ses plus secrètes pensées se plaît à exaucer nos supplications.
La Prière exige également la persévérance. C’est par là surtout qu’elle est efficace. Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même a voulu nous le montrer par l’exemple de ce juge qui, ne craignant ni Dieu, ni les hommes68, se laissa vaincre pourtant par la persévérance et les instances de la veuve, et lui accorda sa requête. Prions donc avec assiduité. N’imitons pas ceux qui après avoir prié une ou deux fois, sans être exaucés, se fatiguent de la Prière. Un devoir que l’autorité de Notre-Seigneur et des Apôtres nous recommande si expressément ne doit point connaître la fatigue et la lassitude. Si parfois nous sentons quelque faiblesse dans notre volonté, adressons-nous à Dieu, prions-Le de nous donner la force de persévérer.
Le Fils de Dieu veut aussi que ce soit en son nom que notre Prière arrive à Dieu son Père. C’est uniquement par le mérite et le crédit d’un tel Médiateur que nous pouvons être exaucés. Écoutons ce qu’Il dit Lui-même dans Saint Jean : En vérité, en vérité, Je vous le dis ; si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, Il vous le donnera. Jusqu’ici vous n’avez rien demandé en mon nom, demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite69. Et encore : Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, Je le ferai.
Imitons le zèle et la ferveur des Saints dans la Prière. Joignons l’action de grâces à la demande, à l’exemple des Apôtres, qui conservèrent fidèlement cette pratique, comme nous le voyons dans Saint Paul70.
Ajoutons à la Prière le Jeûne et l’Aumône. Le Jeûne va très bien avec la prière. Lorsque le corps est appesanti par la nourriture, l’esprit n’est plus libre ; il ne peut ni contempler Dieu, ni se plonger dans l’oraison. L’Aumône aussi s’allie admirablement avec la Prière. Car comment oser se dire animé d’une vraie Charité, quand on a les moyens de faire du bien aux nécessiteux, et que l’on néglige de secourir son prochain et son frère ? Ou comment celui qui manque de Charité osera-t-il réclamer l’assistance divine ? À moins qu’en demandant pardon de sa faute, il ne demande aussi très humblement à Dieu de lui accorder la Charité.
Voilà donc le triple remède, que Dieu dans sa Clémence a préparé pour sauver les hommes. Nos péchés sont toujours, ou des offenses envers Lui, ou des torts envers le prochain, ou des attentats contre nous-mêmes. Et bien ! Il nous a donné la Prière pour L’apaiser, l’Aumône pour réparer nos torts envers les autres, et le Jeûne pour effacer les souillures de nos fautes personnelles. On peut dire, il est vrai, que ces trois remèdes peuvent servir à tous les péchés, quels qu’ils soient. Mais il faut reconnaître que chacun d’eux s’applique plus spécialement à l’une des trois espèces de fautes que nous venons d’indiquer.
Cette formule de prière chrétienne nous vient de Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même. Et elle est composée de telle sorte qu’avant de nous donner à exprimer nos désirs et nos demandes, elle nous oblige à réciter une sorte de Préface, qui a pour but d’augmenter encore notre confiance envers Dieu et notre piété, au moment où nous allons Lui parler dans la Prière. C’est donc un véritable devoir pour le Pasteur d’expliquer chacun des mots de cette Préface, avec toute la clarté et toute la précision possible, afin que les Fidèles se portent à la Prière avec joie et empressement, sachant bien qu’ils vont traiter avec un Dieu, qui est aussi un Père.
Cette Préface est très courte, si nous ne faisons attention qu’au nombre des paroles qu’elle emploie. Mais si nous allons au fond des choses qu’elle exprime, elle est extrêmement importante, et toute pleine de mystères.
Le premier mot que nous prononçons dans cette prière, par l’ordre et l’institution même de Dieu, c’est celui-ci : Pater, Père.
Notre Sauveur aurait pu commencer cette divine Oraison par une expression qui aurait eu plus de majesté, par exemple celle de Créateur et de Seigneur. Il ne l’a pas voulu, parce que de telles expressions pouvaient nous inspirer des sentiments de crainte. Il a choisi un terme qui inspire nécessairement la confiance et l’amour à ceux qui prient, et qui demandent quelque chose à Dieu. Qu’y a-t-il en effet de plus doux que ce nom de Père, qui rappelle tout ensemble l’indulgence et l’amour ? Mais comment ce nom de Père convient-il à Dieu ? C’est ce qu’il est facile d’apprendre aux Fidèles, en leur parlant des mystères de la Création, de la Providence et de la Rédemption.
Dieu a créé l’homme à son image, et Il n’a point accordé cette faveur aux autres êtres animés. C’est donc avec raison que, pour ce privilège unique dont il a honoré l’humanité, la Sainte Église l’appelle le Père de tous, aussi bien des Fidèles que des infidèles.
Le gouvernement de ce monde nous fournit un argument semblable. En veillant aux intérêts des hommes, sans jamais les perdre de vue, Dieu par ces soins touchants et cette Providence assidue, ne nous donne-t-Il pas la preuve d’un Amour vraiment paternel ?
Mais pour mettre plus en lumière cette vigilance paternelle de Dieu sur tous les hommes, et pour la rendre plus sensible, il nous semble qu’il y a lieu de dire ici quelque chose des Anges Gardiens qui sont donnés à chacun de nous.
C’est qu’en effet la Providence divine a confié à des Anges la garde du genre humain. Elle les a chargés de protéger sans cesse tous les hommes pour les préserver des dangers qui pourraient les menacer. De même que les parents donnent des gardes et des défenseurs à leurs enfants, lorsqu’ils les voient entreprendre quelque voyage difficile et périlleux, ainsi dans ce voyage que nous faisons tous vers la céleste Patrie, Dieu notre Père nous a confiés à la garde d’un Ange, afin que son secours et sa vigilance nous fissent éviter les embûches secrètement préparées par nos ennemis, repousser les plus terribles attaques dirigées contre nous, marcher constamment dans le droit chemin, et empêcher que quelque piège tendu par notre perfide adversaire ne nous fît sortir de la voie qui mène au ciel.
Et ce qui prouve combien est utile aux hommes cette attention, cette Providence spéciale de Dieu, dont l’exercice et l’application sont confiés aux Anges — lesquels sont de véritables intermédiaires entre Dieu et nous — c’est cette foule d’exemples que nos Saints Livres nous rapportent, et qui nous montrent clairement que la Bonté divine a permis souvent aux Anges d’opérer des prodiges sous les yeux des hommes. Or, pourquoi ces mêmes exemples ne nous convaincraient-ils pas que nos Anges Gardiens font tous les jours, pour notre utilité et pour notre salut, une multitude de choses aussi extraordinaires, bien que nous ne les voyons pas.
Ainsi l’Ange Raphaël, que Dieu donna pour compagnon et pour guide à Tobie dans son voyage, le conduisit et le ramena sans qu’il lui fût arrivé aucun mal. C’est lui qui l’empêcha d’être dévoré par un poisson énorme, et lui fit connaître les vertus secrètes du foie, du fiel et du cœur de ce monstre. C’est lui qui chassa le démon, enchaîna sa puissance et préserva Tobie de ses atteintes. C’est lui qui apprit à ce jeune homme les droits légitimes et l’usage du Mariage. C’est lui enfin qui rendit au père de Tobie la vue dont il avait été privé.
Il en est de même de cet autre Ange qui délivra le prince des Apôtres. L’histoire de ce miracle est un thème admirable, pour convaincre les pieux Fidèles des effets extraordinaires de la vigilance et de la protection de nos Anges Gardiens. Les Pasteurs ne manqueront pas de montrer l’Ange de Saint Pierre illuminant les ténèbres de sa prison, touchant son côté et le secouant en quelque sorte pour l’éveiller, puis dénouant ses chaînes, brisant ses liens, lui commandant de se lever, de prendre ses chaussures et ses vêtements et de le suivre, puis enfin le conduisant et le faisant passer sans obstacle au milieu des gardes, lui ouvrant les portes de la prison, et ne le quittant qu’après l’avoir fait sortir, et l’avoir mis en sûreté.
Nos Saints Livres, comme nous l’avons déjà remarqué, sont pleins d’exemples semblables et bien propres à nous faire comprendre la grandeur des bienfaits que nous recevons de Dieu par le ministère des Anges. Et ce n’est pas seulement pour quelque affaire particulière et déterminée que Dieu nous confie à eux, ou qu’Il les députe vers nous. Non, dès notre naissance, Il les prépose à notre garde, et les établit individuellement pour veiller au salut de chacun de nous.
Cette doctrine clairement expliquée aura pour conséquence d’exciter le courage des auditeurs et de les amener à reconnaître et à vénérer avec un plus grand respect les soins paternels et la Providence de Dieu à leur égard.
Ici le Pasteur mettra en pleine lumière et exaltera de toutes ses forces l’immense Bonté de Dieu envers les hommes. Il dira que depuis le péché de notre premier père jusqu’à ce jour, Il n’a point cessé d’être outragé par toutes sortes de désordres et de crimes, et que néanmoins Il nous conserve tout son amour, et ne dépose jamais cette sollicitude si touchante qu’Il a pour nous. Penser qu’Il nous oublie serait une folie et en même temps le plus cruel outrage. Dieu s’irrite contre Israël, parce que ce peuple L’avait blasphémé, en s’imaginant que le secours du ciel lui avait été retiré. Écoutons ce que nous dit l’Exode à ce sujet : ils ont tenté le Seigneur en disant : Dieu est-Il avec nous, ou n’y est-Il pas ?71 et dans Ézéchiel la colère divine s’enflamme de nouveau contre ce même peuple, parce qu’il avait osé dire : Le Seigneur ne nous voit point, le Seigneur nous a abandonnés ; le Seigneur a abandonné cette terre72. L’autorité de ces exemples suffit pour détourner les Fidèles de cette pensée abominable, que Dieu puisse jamais oublier les hommes. Dans le Prophète Isaïe nous lisons les plaintes insensées du peuple d’Israël contre Dieu, et la réponse pleine de bonté que Dieu voulait bien y faire par une comparaison touchante. Sion dit : Le Seigneur m’a délaissée ; mon Dieu m’a oubliée. Mais, répond le Seigneur, une mère peut-elle oublier son enfant, et n’être pas émue par le fils de ses entrailles ? Et cependant quand elle l’oublierait, Moi Je ne t’oublierai jamais. Je te porte gravée dans mes mains73. Les textes que nous venons de citer établissent très clairement que Dieu n’oublie jamais les hommes, et que, en tout temps, Il leur prodigue les témoignages de sa tendresse paternelle. Mais pour convaincre davantage encore le peuple fidèle de cette double vérité, les Pasteurs apporteront en preuve l’exemple si connu de nos premiers parents : ils avaient méprisé et violé les ordres formel de Dieu ; ils avaient été sévèrement blâmés et condamnés, et cette sentence effrayante était tombée sur eux : La terre est maudite dans votre travail ; vous n’en tirerez chaque jour votre nourriture qu’avec un grand labeur. Elle ne produira pour vous que des épines et des chardons ; et vous vous nourrirez de l’herbe de la terre74. Ils avaient été chassés du paradis terrestre ; et pour leur ôter tout espoir d’y jamais rentrer, Dieu avait placé à l’entrée du jardin de délices un Chérubin de feu, tenant à la main un glaive flamboyant qu’il brandissait toujours ; enfin Dieu, pour se venger contre eux de leur outrage, les avait accablés de tous les maux intérieurs et extérieurs. À la vue de ces terribles châtiments, ne dirait-on pas que c’en est fait de l’homme ? Ne croirait-on pas qu’il est pour toujours dénué de tout secours divin, et réservé à toutes les misères ? Et cependant, au milieu de tant et de si cruelles preuves de la colère et de la vengeance divines, on vit paraître comme une lueur de la Bonté de Dieu à leur égard. Le Seigneur Dieu, nous dit la Genèse, fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau, et Il les en revêtit75. Marque évidente, entre tant d’autres, que Dieu n’abandonnera jamais les hommes.
Cette pensée, si belle et si vraie, que jamais l’iniquité humaine n’épuisera la Bonté de Dieu, David l’exprimait aussi en ces termes : La colère de Dieu enchaînera-t-elle ses miséricordes ?76 Habacuc l’énonçait également quand il disait en s’adressant à Dieu : Même au temps de votre colère, Vous Vous souviendrez de votre miséricorde77 et Michée la rendait ainsi : Qui est semblable à Vous, ô Dieu, qui ôtez l’iniquité, et qui oubliez les péchés du reste de votre héritage ? Le Seigneur n’enverra plus désormais sa fureur, parce qu’Il veut la miséricorde78.
Oui, c’est bien ainsi que les choses se passent. C’est au moment où nous nous croyons perdus et absolument délaissés de Dieu, c’est alors qu’Il nous cherche avec une Bonté infinie, et qu’Il prend soin de nous. Il suspend dans sa colère le glaive de sa justice, et Il ne cesse de répandre sur nous les inépuisables trésors de sa miséricorde.
La Création d’une part, et la Providence de l’autre, sont donc très propres à faire ressortir les dispositions particulières de Dieu à aimer et à protéger le genre humain. Mais sous ce rapport, l’œuvre de notre Rédemption l’emporte tellement sur les deux autres, que c’est par ce troisième bienfait que notre Dieu infiniment bon, et qui est en même temps notre Père, met vraiment le comble à tous ses bienfaits.
Le Pasteur enseignera donc aux Fidèles, qui sont ses enfants spirituels, et il leur rappellera sans cesse cet effet incomparable de la Charité divine à notre égard, afin qu’ils comprennent bien que la Rédemption a fait d’eux, d’une manière merveilleuse, de vrais enfants de Dieu. Car le Verbe, dit Saint Jean, leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, et ils sont nés de Dieu79. C’est pourquoi le Baptême, qui est le premier gage et le premier effet de notre Rédemption, est appelé le Sacrement de la régénération ; car c’est par lui que nous naissons enfants de Dieu. Ce qui est né de l’esprit, est esprit, dit Notre-Seigneur Lui-même80. Et encore : Il faut que vous receviez une nouvelle naissance. Et Saint Pierre dit aussi : Vous êtes nés de nouveau, non point d’une semence corruptible, mais d’une semence incorruptible, par la parole du Dieu vivant81.
C’est par le mérite de cette Rédemption que nous avons reçu le Saint-Esprit et que nous avons été jugés dignes de la Grâce de Dieu. C’est ce don aussi qui nous a valu d’être adoptés pour ses enfants, ainsi que l’Apôtre Saint Paul l’écrit aux Romains. Vous n’avez point reçu, dit-il, l’esprit de servitude pour vous conduire encore par la crainte, mais vous avez reçu l’esprit d’adoption des enfants par lequel nous crions : Père, Père !82 et Saint Jean explique la force et l’efficacité de cette adoption, en disant : Considérez quel amour le Père a eu pour nous, de vouloir que nous soyons appelés, et que nous soyons vraiment enfants de Dieu83.
Ces explications données, il ne faut pas manquer de représenter aux Fidèles ce qu’ils doivent en retour à Dieu, le plus aimant des Pères, c’est-à-dire leur faire sentir combien ils ont à témoigner d’amour, de piété, d’obéissance, et de respect à Celui qui les a créés, qui les gouverne et qui les a rachetés, et avec quel espoir et quelle confiance ils doivent L’invoquer. Mais pour éclairer les ignorants, et pour redresser les idées fausses de ceux qui pourraient considérer la prospérité et le cours d’une vie heureuse comme l’unique preuve que Dieu nous continue son amour, et l’adversité et les malheurs qui nous éprouvent, comme un signe qu’Il nous a complètement retiré son attachement et qu’Il a contre nous des dispositions hostiles, il sera nécessaire de démontrer que lorsque la main du Seigneur nous frappe, elle ne frappe jamais en ennemie ; qu’elle guérit en frappant, et qu’une plaie qui vient de Dieu est un véritable remède.
C’est qu’en effet, Il châtie ceux qui pèchent, afin que la punition les rende meilleurs, et que la peine présente les délivre de la peine éternelle. Il visite, il est vrai, nos iniquités la verge à la main, et Il frappe nos péchés, mais Il ne nous retire point sa Miséricorde84.
Il faut donc recommander aux Fidèles de voir dans ces sortes de châtiments l’effet de la paternelle Bonté de Dieu, d’avoir par conséquent, et dans le cœur et sur les lèvres, ces paroles de Job, le plus patient des hommes : Il blesse, et Il guérit ; Il frappe, et sa maint applique le remède85, de se redire souvent ce que Jérémie écrivait sous le nom des enfants d’Israël : Vous m’avez frappé, et je me suis instruit, comme un jeune taureau indompté ; convertissez-moi, et je serai converti, parce que Vous êtes le Seigneur mon Dieu86, de se proposer enfin l’exemple de Tobie qui, étant devenu aveugle, reconnut la main paternelle de Dieu dans ce malheur, et s’écria : Je Vous bénis, Seigneur, Dieu d’Israël, parce que Vous m’avez châtié, et que Vous m’avez sauvé87.
Enfin les Fidèles doivent bien se garder de croire que, quels que soient leurs revers ou leurs malheurs, Dieu puisse les ignorer. Certes, Il a dit Lui-même : Il ne tombera pas un cheveu de votre tête88, à mon insu. Qu’ils se consolent donc bien plutôt par cet oracle divin que nous lisons dans l’Apocalypse : Ceux que J’aime, Je les reprends et Je les châtie89. Qu’ils se tiennent en paix, en relisant cette exhortation de Saint Paul aux hébreux : Mon fils, ne négligez point la correction du Seigneur, et ne vous laissez point abattre lorsqu’Il vous reprend. Car c’est celui qu’Il aime qu’Il châtie, et il frappe à coups de verge tous ceux qu’il reçoit parmi ses enfants. Si vous n’êtes point châtiés, vous êtes donc des enfants étrangers à Dieu et qu’Il n’a pas adoptés. Nous avons eu du respect pour les pères de nos corps, lorsqu’ils nous corrigeaient, combien ne devons-nous pas avoir plus de soumission pour Celui qui est le Père de nos âmes, afin d’avoir la vie ?90
Lorsque nous prions Dieu le Père, chacun en notre particulier, nous L’appelons néanmoins notre Père, nous sommes donc bien avertis par là que le privilège et les droits de l’adoption divine font que tous les Fidèles sont frères, et qu’ils doivent s’aimer en frères. Vous êtes tous frères, dit Jésus-Christ, et vous n’avez qu’un seul Père dans les cieux91. C’est pourquoi, dans leurs Épîtres, les Apôtres donnent aux Fidèles le nom de frères.
Une autre conséquence nécessaire de cette adoption, c’est que non seulement tous les Fidèles sont unis entre eux par les liens de la fraternité, mais que le Fils de Dieu étant homme, ils sont encore appelés des frères, et le sont en effet. Dans son épître aux Hébreux, l’Apôtre Saint Paul, parlant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, écrit ces paroles remarquables : Il n’a point rougi d’appeler les hommes ses frères, en disant : J’annoncerai votre nom à mes frères92. Et bien longtemps auparavant David avait mis ces mêmes paroles dans sa bouche 93. Mais du reste, ne savons-nous pas en quels termes Jésus-Christ Lui-même s’adresse aux saintes Femmes : Allez, annoncez à mes frères de se rendre en Galilée ; c’est là qu’ils Me verront94.
Or, chacun sait que Notre-Seigneur prononça ces paroles après sa Résurrection, lorsque déjà il était devenu immortel. Ainsi personne n’aurait le droit de croire que les liens de fraternité qui nous unissaient à Lui avaient été brisés par sa Résurrection et par son Ascension. Et non seulement ces liens n’ont pas été rompus, non seulement notre union avec Lui et la Charité fraternelle qu’Il a pour nous n’ont pas été détruites, mais nous savons qu’un jour, lorsque du haut de son trône de gloire et de majesté Il jugera tous les hommes rassemblés devant Lui, ce jour-là, Il donnera ce doux nom de frères aux moindres d’entre les Fidèles.
Au surplus, comment pourrait-il se faire que nous ne fussions pas les frères de Jésus-Christ, nous dont il est dit que nous sommes ses cohéritiers95 ? Sans doute, Il est le premier né, l’héritier constitué de tout96 ; mais nous avons été engendrés après Lui, pour être ses cohéritiers, dans la mesure des dons de Dieu, et selon l’étendue de la Charité avec laquelle nous aurons coopéré à la vertu du Saint-Esprit et à l’action de la grâce. Car, [ne l’oublions pas] c’est le Saint-Esprit qui nous porte à la vertu, qui nous pousse aux bonnes œuvres, qui enflamme notre ardeur, qui nous fortifie par sa Grâce et nous donne le courage de descendre dans l’arène pour les combats du salut. C’est Lui qui nous aide à les soutenir jusqu’au bout avec constance et habileté. C’est Lui enfin qui, après cette vie, nous fait obtenir du Père céleste la juste récompense de la couronne promise à tous ceux qui auront fourni la même carrière. Car, dit l’Apôtre, Dieu n’est pas injuste pour oublier nos bonnes œuvres et notre amour pour Lui97.
Saint Jean Chrysostome nous dit en fort bons termes avec quels sentiments du cœur nous devons prononcer le mot notre. Dieu, dit-il, écoute volontiers le Chrétien qui ne prie pas seulement pour lui-même, mais encore pour les autres. Prier pour soi, c’est l’inspiration de la nature, prier pour les autres, c’est l’inspiration de la grâce. En priant pour soi, on obéit à la nécessité, en priant pour les autres, on cède aux exhortations de la Charité fraternelle. Or, ajoute-t-il, La Prière qui vient de la Charité fraternelle est plus agréable à Dieu que celle qui procède de la nécessité98.
En traitant une si importante matière, le Pasteur ne manquera pas d’engager et même d’exhorter fortement tous les Fidèles, sans distinction d’âge, de rang et de condition, à ne jamais oublier qu’ils sont unis entre eux par les liens d’une fraternité universelle, et que, par conséquent, ils doivent se traiter mutuellement comme des amis et des frères, et ne pas chercher à s’élever orgueilleusement les uns au-dessus des autres. Et en effet, bien qu’il y ait dans l’Église de Dieu des fonctions de différents degrés, cependant cette diversité de dignités et d’emplois ne détruit en aucune façon les rapports d’union fraternelle qui existent entre nous. Ainsi, dans le corps humain, la variété des fonctions et des destinations de chaque membre, n’empêche nullement que toutes les parties du corps n’en soient de véritables membres. Prenons un homme revêtu de l’autorité royale. S’il est Chrétien, n’est-il pas le frère de tous ceux qui comme lui font partie de la Communion chrétienne ? Oui, sans aucun doute, et pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas un Dieu pour les pauvres, et un Dieu pour les riches et les rois, un Dieu qui a fait les pauvres, et un Dieu qui a créé les rois et leur a donné la puissance. Non, il n’y a qu’un seul Dieu, un seul Père, un seul Seigneur de tous les hommes.
De là pour tous sans exception, dans l’ordre spirituel, même noblesse d’origine, même dignité, même splendeur de race, puisque tous nous avons été régénérés par le même esprit, puisque tous nous sommes devenus enfants de Dieu par le même sacrement de la Foi, et cohéritiers du même héritage avec Jésus-Christ. Il n’y a pas un Christ Rédempteur pour les riches et les puissants, et un autre pour les pauvres et les petits. Tous participent aux mêmes Sacrements, tous attendent le même héritage, c’est-à-dire le Royaume céleste. Nous sommes tous frères, et comme le dit l’Apôtre Saint Paul aux Éphésiens : Nous sommes les membres du corps de Jésus-Christ, formés de sa chair et de ses os99. Vérité que le même Apôtre exprime encore en ces termes, dans son Épître aux Galates : Vous êtes tous enfants de Dieu par la Foi en Jésus-Christ ; car vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous êtes revêtus de Jésus-Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni homme libre, ni homme, ni femme ; vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ100.
Ce point veut être traité et établi avec le plus grand soin. C’est pourquoi les Pasteurs devront y revenir souvent, comme sur une vérité bien propre à relever et à encourager les pauvres et les malheureux, et en même temps capable de réprimer et d’abattre l’arrogance des riches et des puissants. C’est précisément pour remédier à ce mal que l’Apôtre Saint Paul revenait si souvent et avec tant de force et d’instance sur cette Charité fraternelle, qu’il voulait faire pénétrer dans le cœur des Fidèles.
Souvenez-vous donc, ô Chrétien, au moment d’adresser cette Prière au Seigneur, que vous devez parler à Dieu comme un enfant à son père. Dès lors, en la commençant, et en prononçant ces mots : Notre Père, pensez à quelle dignité Dieu dans sa Bonté infinie a voulu vous élever ! Il vous ordonne de vous présenter devant Lui, non par contrainte et en tremblant, comme un esclave devant son maître, mais de vous réfugier auprès de Lui en toute liberté et en parfaite confiance comme un enfant auprès de son père. Que ce souvenir et cette pensée vous fassent comprendre avec quelle ferveur et quelle piété vous devez prier. Efforcez-vous d’être tel qu’il convient à un enfant de Dieu, c’est-à-dire que vos Prières et vos actions ne soient jamais indignes de la divine origine qu’il a plu à sa Bonté de vous donner. C’est là en effet ce que nous recommande l’Apôtre, quand il dit : Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien aimés101. Alors on pourra dire de nous avec vérité ce que le même Apôtre écrivait aux Thessaloniciens : Vous êtes tous les enfants de la lumière, et les fils du jour102.
Tous ceux qui ont de Dieu l’idée qu’il en faut avoir sont d’accord pour reconnaître qu’Il est partout et en tous lieux. Ce n’est pas à dire pour cela qu’Il soit dans tous les lieux d’une manière partielle, comme si sa substance était partagée et distribuée en quelque sorte entre toutes les parties de l’espace, pour les occuper et les protéger. Non, Dieu est un esprit, et Il ne souffre point de division. Qui oserait Lui assigner une place particulière et Le circonscrire dans certaines limites, lorsqu’Il dit de Lui-même : Est-ce que Je ne remplis pas le ciel et la terre ?103 Paroles qui, à leur tour, doivent s’entendre en ce sens que Dieu, par sa Puissance et son Immensité, embrasse le ciel et la terre, et tout ce que le ciel et la terre renferment, mais sans être Lui-même contenu dans aucun lieu. Il est présent à tout, soit pour créer, soit pour conserver ; mais Il n’est ni circonscrit, ni borné dans telle ou telle contrée ou dans telles ou telles limites ; Il est présent partout par sa substance et par son pouvoir. C’est ce que le Saint roi David exprimait en ces termes : Si je monte au ciel, Vous y êtes104.
Mais si Dieu est présent partout, en tout lieu et en toutes choses, sans être borné, comme nous l’avons dit, par aucune limite, cependant nos Saints Livres nous répètent souvent qu’Il a son séjour dans le ciel. La raison en est que les cieux que nous voyons au-dessus de nos têtes sont la plus noble partie du monde, qu’ils demeurent incorruptibles, qu’ils surpassent tous les autres corps en force, en grandeur, en beauté, et qu’ils sont doués de certains mouvements réguliers et constants. C’est donc pour exciter les hommes à contempler sa Puissance infinie et sa Majesté, qui brillent surtout dans l’œuvre des cieux, qu’Il nous atteste dans la Sainte Écriture que le ciel est son séjour. Toutefois, Il déclare souvent aussi qu’il n’y a réellement aucune partie du monde où Il ne soit présent par sa nature et par sa Puissance.
Au reste en méditant ces choses, les Fidèles chercheront à se représenter Dieu non seulement comme le Père commun de tous les hommes, mais encore comme Celui qui règne dans les cieux. Dès lors, à l’heure de la Prière, ils se souviendront qu’ils doivent porter vers le ciel leur esprit et leur cœur ; et plus le nom de Père leur inspirera d’espoir et de confiance, plus les sentiments de l’humilité et du respect croîtront en eux à la vue de l’Être souverainement parfait, et de la Majesté infinie de Notre Père qui est dans les cieux.
Ces mêmes paroles déterminent encore ce que nous devons demander à Dieu dans la Prière. Toute demande qui porterait sur les besoins et les nécessités de la vie, sans avoir aucun rapport aux besoins spirituels et aux biens du ciel, serait vaine et indigne d’un Chrétien. C’est pourquoi les Pasteurs se feront un devoir d’enseigner à leurs pieux auditeurs cette manière de prier, et ils pourront s’appuyer en cela sur l’autorité de l’Apôtre Saint Paul, qui disait : Si vous êtes ressuscités avec Jésus-Christ, cherchez les choses d’en haut où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ; n’ayez de goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre105.
Que votre Nom soit sanctifié
Notre-Seigneur Jésus-Christ, Maître et Seigneur universel, a voulu nous enseigner et nous prescrire Lui-même ce que nous devons demander à Dieu, et l’ordre dans lequel nous devons le demander. La Prière, en effet, n’est que l’expression de nos vœux et la manifestation de nos désirs. Dès lors, pour qu’elle soit bien faite, d’une manière convenable et raisonnable, nos demandes, c’est-à-dire nos vœux et nos désirs, doivent suivre l’ordre même dans lequel les choses sont désirables.
Or, la vraie Charité nous fait un devoir de rapporter tout notre cœur et toutes nos affections à Dieu. Dieu en effet n’est-Il pas en Lui-même le seul et souverain Bien ? Et à ce titre, ne mérite-t-Il pas d’être aimé d’un amour supérieur et tout particulier ?
D’autre part, il nous est impossible de L’aimer de tout notre cœur et plus que toutes choses, si nous ne préférons son honneur et sa gloire à tout ce qui existe. Car tous les biens, quels qu’ils soient, les nôtres, ceux du prochain, enfin tout ce que nous appelons de ce nom de biens, tout vient de Lui, et est infiniment au-dessous de Lui, le souverain Bien. Aussi, pour mettre de l’ordre dans nos Prières, le Sauveur a fait de la demande du souverain Bien la première et la principale de nos requêtes. Il a voulu nous apprendre qu’avant de demander ce qui nous est nécessaire, à nous ou à notre prochain, nous devons demander ce qui se rapporte à la Gloire de Dieu, et présenter à Dieu Lui-même nos affections et nos désirs à cet égard. De cette manière nous resterons dans les règles de la Charité, qui nous ordonne d’aimer Dieu plus que nous-mêmes, et de demander d’abord ce que nous désirons pour Lui, avant ce que nous souhaitons pour nous.
On ne désire et on ne demande que ce qu’on n’a pas. Mais à Dieu rien ne manque ; Il ne peut recevoir ni accroissement, ni augmentation, puisqu’Il est infini et parfait sous tous les rapports. Et par conséquent ce que nous demandons à Dieu pour Lui-même n’intéresse ni ses perfections, ni sa nature, mais uniquement sa Gloire extérieure. Nous désirons et nous demandons que son nom soit connu davantage dans le monde ; que son Règne s’étende ; et que chaque jour de nouveaux serviteurs obéissent à sa sainte Volonté. Or ces trois choses, le nom, le Règne, l’Obéissance, ne font point partie du bien intérieur même de Dieu : ce sont au contraire des choses qui lui sont tout-à-fait extérieures.
Mais pour mieux faire comprendre la force et la valeur de cette demande, le Pasteur aura grand soin de montrer aux Fidèles que ces mots : sur la terre comme au ciel peuvent s’appliquer et s’étendre à chacune des trois premières parties de l’Oraison Dominicale, et signifier : que votre Nom soit sanctifié sur la terre comme au ciel ; que votre Royaume arrive sur la terre comme au ciel ; que votre Volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Ainsi donc, lorsque nous disons : que votre Nom soit sanctifié, nous désirons de voir augmenter la sainteté et la gloire du nom divin. Ici le Pasteur n’oubliera pas d’enseigner à ses pieux auditeurs que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en employant ces expressions, n’a pas entendu dire que ce nom devait être sanctifié sur la terre comme Il l’est au ciel, c’est-à-dire que la sanctification terrestre devait égaler en intensité, la sanctification céleste — ce qui est radicalement impossible — mais seulement qu’elle devait procéder de la Charité et des plus profonds sentiments de l’âme. Sans doute il est très vrai de dire, car la chose est réelle, que ce nom adorable n’a pas besoin en Lui-même de sanctification, puisqu’Il est Saint et terrible, comme Dieu Lui-même est Saint par sa nature, qu’Il ne peut recevoir du dehors aucune sainteté qu’Il ne possède déjà de toute éternité. Mais, il faut bien le dire, sur la terre Il est loin d’être honoré comme Il mérite de l’être ; quelquefois même, hélas ! Il est outragé par des malédictions et des blasphèmes. Et voilà pourquoi nous désirons et demandons qu’Il soit ici-bas loué, honoré, glorifié, comme Il est honoré, loué et glorifié dans le ciel. En un mot, nous voulons que l’honneur et le culte que nous Lui rendons soit tout à la fois dans notre cœur et sur nos lèvres, afin que nous puissions Lui offrir les hommages de notre vénération intérieure et extérieure, célébrer de toutes nos forces, à l’exemple des Saints et des Anges, la grandeur, la sainteté et la gloire de son nom.
De même que les habitants du ciel exaltent la Gloire et les louanges de Dieu dans un concert parfait, de même nous demandons que toute la terre ait le même bonheur, que toutes les nations connaissent, honorent et servent Dieu, qu’il ne se rencontre nulle part un seul homme qui ne soit Chrétien, que tous se consacrent entièrement à Dieu, qu’ils soient convaincus que toute sainteté vient de Lui comme de sa source, et qu’il n’y a de pur et de saint que ce qui procède de la sainteté du nom divin. En effet, au témoignage de l’Apôtre Saint Paul : L’Église a été purifiée par l’eau dans la Parole de vie ; or la Parole de vie, c’est le nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit106, dans lequel nous sommes baptisés et sanctifiés.
Ainsi, puisqu’il n’y a ni expiation, ni pureté, ni sainteté en celui sur qui le nom adorable de Dieu n’a pas été invoqué, nous souhaitons et nous demandons que le genre humain tout entier abandonne les ténèbres impures de l’infidélité, qu’il soit éclairé des splendeurs de la Lumière divine, et qu’il reconnaisse si bien la vertu de ce nom, qu’il cherche en Lui la véritable sainteté, et enfin qu’après avoir reçu le Baptême au nom de la Sainte et indivisible Trinité, il parvienne avec l’aide de Dieu à la plénitude de cette sainteté, qui doit être l’objet de tous ses vœux.
Nos désirs et nos supplications s’étendent également à ceux qui sont souillés de désordres et de crimes, qui ont perdu la pureté du Baptême et la robe d’innocence, et qui ont été assez malheureux pour tomber de nouveau sous la puissance du démon. Nous souhaitons — et demandons à Dieu — que son nom soit sanctifié en eux, c’est-à-dire qu’ils rentrent en eux-mêmes, qu’ils reviennent à de meilleurs sentiments, qu’ils recouvrent par la Pénitence leur ancienne innocence, et qu’ils redeviennent enfin de vrais temples saints, de dignes habitations de Dieu, sans tache et sans souillures.
Nous demandons en outre que Dieu veuille bien éclairer tous les esprits de sa Lumière, afin qu’ils puissent voir et constater, que tout bien excellent et tout don parfait, descendant du Père des lumières, vient de Lui, et arrive jusqu’à nous par sa divine Volonté, que c’est à Lui qu’ils sont redevables de la tempérance, de la Justice, de la vie, du salut, enfin en général de tous les biens du corps et de l’âme, biens extérieurs et biens intérieurs. Et tout ce qu’ils ont ainsi reçu, ils ne doivent pas oublier de le rapporter à Celui de qui tout procède, comme le proclame l’Église. Car si le soleil avec sa lumière, si les autres astres avec leur mouvement et leur cours régulier nous sont d’une utilité admirable ; si l’air qui nous environne sert à nous nourrir ; si la terre, avec l’abondance de ses moissons et de ses fruits fournit à la subsistance de tous les hommes ; si les magistrats avec leur vigilance nous permettent de jouir du repos et de la tranquillité, c’est à l’infinie Bonté de Dieu que nous devons tous ces avantages, et une foule innombrable d’autres du même genre. Et même les causes secondes, ainsi que les philosophes les appellent, ne doivent être à nos yeux que comme autant de mains admirablement façonnées et préparées en vue de nos besoins, par lesquelles Dieu nous distribue ses bienfaits, et les répand à profusion dans toutes les parties de l’univers.
Mais ce que nous demandons plus particulièrement par cette première partie de l’Oraison Dominicale, c’est que tous reconnaissent et révèrent la très Sainte Épouse de Jésus-Christ, l’Église notre Mère. Car seule elle possède cette source surabondante et intarissable de Grâce divine capable de purifier et de laver toutes les souillures du péché, cette source surnaturelle d’où jaillissent tous le Sacrements de la sanctification et du salut, lesquels, comme autant de canaux sacrés, font couler dans nos âme la céleste rosée, l’eau vivifiante de la sainteté. Seule enfin avec les enfants qu’elle tient réunis dans ses bras et en son sein, elle a le droit d’invoquer ce nom adorable qui est le seul sous le ciel par Lequel il soit donné aux hommes d’opérer leur salut107.
Les Pasteurs auront soin d’insister très spécialement sur ce point qu’il est d’un bon fils de ne pas prier Dieu son Père, uniquement en paroles, mais de faire en sorte, par sa conduite et ses actes, que la sanctification du nom divin brille dans toute sa personne.
Et plut à Dieu qu’il ne se trouvât point de Chrétiens qui, tout en demandant dans leur Prière la sanctification de ce nom béni, Le déshonorent par leurs actions, autant qu’il est en eux, et quelquefois même sont cause des malédictions qu’on prononce contre Lui ! C’est d’eux que l’Apôtre a dit : on blasphème le nom de Dieu à cause de vous, parmi les nations108, et auparavant Ézéchiel avait écrit : ils se sont mêlés avec les nations, et ils ont habité avec elles, et ils ont rendu mon nom méprisable ; ce qui a fait dire d’eux à ces nations : ce peuple est le peuple du Seigneur et il est sorti de la terre qui lui appartenait109. En effet, telles la vie et les mœurs de ceux qui professent une religion, tels aussi, pour l’ordinaire, et cette religion, et son auteur, au jugement de la multitude ignorante.
Aussi bien, ceux qui vivent selon la Religion chrétienne qu’ils ont embrassée, et qui règlent leurs Prières et leurs actions sur ses préceptes, fournissent-ils aux autres un des plus grands moyens de louer, d’honorer et de glorifier le nom du Père céleste. C’est un devoir que Notre-Seigneur Lui-même nous a imposé ; Il a voulu que par des actes éclatants de vertu nous portions tous les hommes à louer et à glorifier le nom adorable de Dieu. Ne dit-Il pas en effet dans l’Évangile : Que votre Lumière brille devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux110 ; et Saint Pierre après Lui : conduisez-vous parmi les Gentils d’une manière pure, afin que, vous jugeant d’après vos œuvres saintes, ils glorifient Dieu111.
Que votre Royaume arrive
Le Royaume de Dieu, qui fait l’objet de cette seconde demande, est le but et la fin de toute la Prédication Évangélique. C’est par là que Saint Jean Baptiste commença à prêcher la Pénitence. Faites pénitence, disait-il, parce que le Royaume des cieux est proche112. Ce fut aussi le commencement de la Prédication du Sauveur du monde. Et lorsque, dans cet admirable Sermon sur la Montagne, Il montre à ses disciples les voies de la béatitude, Il leur parle d’abord du Royaume des cieux comme du sujet fondamental de son discours. Bienheureux les pauvres en esprit, dit-Il, parce que le Royaume des cieux leur appartient113. Bien plus, un jour que la foule voulait Le retenir, voici la raison qu’Il donne de la nécessité de son départ : il faut que J’annonce aussi le Royaume de Dieu aux autres villes, car Je suis envoyé pour cela114. Plus tard, c’est encore ce même Royaume qu’Il ordonne à ses Apôtres de prêcher ; et à celui qui voulait aller enseveli son père : allez, dit-Il, et annoncez le Royaume de Dieu115. Et après sa Résurrection, pendant ces quarante jours où Il apparaît à ses Apôtres, c’est du Royaume de Dieu qu’Il leur parle.
Les Pasteurs voudront donc expliquer cette seconde demande avec tout le soin possible, afin que les Fidèle en comprennent bien l’importance et la nécessité.
Et pour atteindre ce but, ils pourront se servir avec habileté et profit de cette considération si frappante, à savoir que Notre-Seigneur Jésus-Christ a voulu et ordonné formellement que cette demande, quoique liée avec les autres, en fût séparée et distincte dans son expression, et cela afin de nous faire désirer et rechercher plus ardemment ce que nous demandons. Il nous dit en effet : Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît116.
Les dons célestes compris dans cette demande sont si précieux et si abondants qu’ils embrassent même tout ce qui est nécessaire pour soutenir la vie du corps aussi bien que celle de l’âme. Trouverions-nous digne du nom de roi, celui qui n’aurait aucun souci du bien et du salut de l’État ? Mais si les hommes ont tant de sollicitude pour garder un royaume terrestre, avec quelle vigilance, quelle paternelle Providence ne devons-nous pas croire que le Roi des rois s’occupe de la vie et du salut de ses créatures ?
En demandant le Royaume de Dieu, nous réclamons donc par le fait tout ce dont nous avons besoin dans notre pèlerinage, ou plutôt dans notre exil. Et notre Prière s’appuie sur cette promesse si consolante et si positive du Seigneur : et tout le reste vous sera donné par surcroît.
De telles paroles prouvent bien que Dieu est vraiment le Roi du genre humain, et qu’Il répand sur lui tous ses biens en abondance et avec libéralité. Et c’est précisément la pensée de cette infinie Bonté de Dieu qui mettait sur les lèvres de David ce chant de reconnaissance : Le Seigneur est mon Roi, et rien ne me manquera117.
Mais (ne l’oublions pas) ce n’est pas assez de demander instamment le Royaume de Dieu, il faut encore joindre à cette demande tous les moyens nécessaires pour le chercher et pour le trouver. Hélas ! les cinq vierges folles, elles aussi, le demandaient avec instance : Seigneur, Seigneur, ouvrez-nous !118 et cependant, parce qu’elles n’avaient pas tout ce qu’il fallait, pour accompagner leur Prière, et être exaucées, elles ne furent point admises. Et ce ne fut point une injustice. Car c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même qui a prononcé cette sentence : Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront point dans le Royaume des cieux119.
Les Prêtres chargés du soin des âmes (les Curés) ne manqueront pas de puiser en abondance aux sources fécondes de nos Saints Livres, les vérités les plus propres à exciter dans le cœur des Fidèles le désir et le goût du Ciel. En même temps ils auront soin de mettre sous leurs yeux les accablantes misères de notre vie mortelle, et ils feront en sorte de les toucher assez pour qu’ils se recueillent, qu’ils rentrent en eux-mêmes et qu’ils se souviennent que le ciel, la maison de Dieu, la maison de leur Père est le séjour du bonheur suprême, et la possession des biens infinis.
Ici-bas, en effet, nous ne sommes que des exilés. Nous habitons la même terre que les démons, animés contre nous d’une haine que rien ne peut apaiser, nos implacables et éternels ennemis.
Et que dire de ces combats domestiques, de ces luttes intérieures que se livrent sans cesse en nous le corps et l’âme, la chair et l’esprit ? Combats terribles où nous avons toujours à craindre de succomber, où nous succomberions même sur le champ, si la main du Seigneur n’était pas là pour nous défendre. Ah ! certes, l’Apôtre Saint Paul sentait bien tout le poids de ces misères, quand il s’écriait : Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ?120
Ces misères de notre race, déjà si sensibles par elles-mêmes, ressortent bien plus vivement encore de la comparaison de notre état avec celui des autres créatures. Que ces créatures en effet soient privées de raison ou même de sentiment, il est bien rare que quelques-unes d’entre elles s’éloignent assez des actions, des sentiments et des mouvements qui leur sont propres, pour manquer la fin qui leur a été assignée. La chose est si évidente dans les animaux terrestres, dans les poissons et dans les oiseaux, qu’elle n’a besoin d’aucune explication. Que si nous portons nos regards vers le ciel, ne sentons-nous pas aussitôt la vérité de ce Cantique de David : Votre Parole, Seigneur, demeure à jamais dans le ciel121. Le ciel, en effet, est emporté par un mouvement qui ne s’arrête jamais ; mais ce mouvement est si constant et si réglé, qu’il ne sort jamais de la ligne que Dieu lui a tracée. Si nous regardons la terre et tout le reste de l’univers, nous reconnaîtrons aisément qu’ils n’éprouvent point d’altération dans leur état.
Mais que la misère de l’homme est grande ! que ses chutes sont profondes et fréquentes ! s’il conçoit de bons projets, rarement il les exécute. Souvent il abandonne et méprise le bien qu’il vient de commencer. Ce qui lui plaisait tout à l’heure et lui semblait excellent, lui déplaît tout à coup. Il le rejette, et se laisse entraîner aux résolutions honteuses et nuisibles.
Quelle est donc la cause de cette inconstance et de cette misère ? Évidemment c’est le mépris de l’inspiration divine. Nous fermons l’oreille aux avertissements que Dieu nous donne ; nous refusons d’ouvrir les yeux aux lumières surnaturelles qu’Il nous offre, et nous n’écoutons point les préceptes salutaires de notre Père du ciel.
Ici donc les Pasteurs devront s’appliquer à mettre sous les yeux des Fidèles ce tableau des misères humaines. Ils tâcheront d’en expliquer les causes et d’en indiquer les remèdes. Ce qui leur sera facile, s’ils ont soin d’aller puiser dans les œuvres des grands docteurs Saint Jean Chrysostome et Saint Augustin, et surtout dans ce que nous avons dit nous-mêmes en parlant du symbole des Apôtres. Car ces vérités une fois connues, quel est l’homme si coupable et si pervers qui ne voudrait s’efforcer avec la Grâce prévenante de Dieu, et l’exemple de l’enfant prodigue, de se lever et de revenir avec confiance se jeter entre les bras de son Roi, de son Père céleste ?
Après avoir montré par ces explications tous les avantages que renferme cette Prière des Fidèles, les Pasteurs feront voir ensuite ce que nous demandons par ces paroles : que votre Royaume arrive. Elles ont plusieurs significations différentes, dont la détermination sera très utile pour comprendre les autres passages de la Sainte Écriture, et nécessaire spécialement pour celui qui nous occupe. Or, la première signification du Royaume de Dieu — signification ordinaire et fréquente dans nos Saints Livres — c’est d’exprimer non seulement ce pouvoir que Dieu exerce sur tous les hommes et sur tout l’univers, mais encore cette Providence spéciale par laquelle Il dirige et gouverne toutes choses. Il tient dans ses mains, dit le Prophète, la terre avec ses extrémités les plus reculées122. Ce qu’il faut entendre même des choses cachées dans les profondeurs de la terre et dans toutes les parties du monde les plus secrètes. C’est d’après cette idée que Mardochée disait : Seigneur Dieu, roi très puissant, toutes choses sont en votre Puissance, et il n’est personne qui puisse résister à votre Volonté. Vous êtes maître de tous, et rien ne résiste à votre Majesté123.
En second lieu ces mots de Royaume de Dieu signifient cette Providence particulière et très spéciale, par laquelle Dieu prend soin des hommes pieux et fidèles, et les couvre de sa protection. Providence admirable et unique, qui faisait dire à David : Le Seigneur prend soin de moi et rien ne me manquera124 ; et au Prophète Isaïe : Le Seigneur est notre roi, il nous sauvera125.
Or, quoique Dieu exerce son pouvoir en ce monde sur les saints et les gens de bien, cependant Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même avertit Pilate que son Royaume n’est pas de ce monde126, c’est-à-dire qu’Il ne tire nullement son origine de ce monde qui a été créé et qui est périssable, et qu’Il ne domine point à la façon des empereurs, des rois, des républiques, des présidents et de tous ceux que le vœu général ou l’élection appelle à gouverner les états et les provinces, ou qui s’emparent du pouvoir par la force et par la violence. Non, Notre-Seigneur Jésus-Christ, c’est Dieu qui l’a établi Roi, dit le Prophète, et au témoignage de l’Apôtre, son Royaume est la justice, car il dit : Le Royaume de Dieu, c’est la justice, la paix et la joie dans le Saint-Esprit127.
Or, Jésus-Christ règne en nous par les Vertus intérieures de la Foi, de l’Espérance et de la Charité. C’est par ces Vertus que nous devenons en quelque sorte partie de ce Royaume, et en même temps, les sujets privilégiés de Dieu. Elles nous consacrent à son culte et à son service, de telle sorte que si l’Apôtre Saint Paul a pu dire : Je vis, ou plutôt ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus-Christ qui vit en moi128, chacun de nous peut dire aussi : Je règne, ou plutôt, ce n’est pas moi qui règne, c’est Jésus-Christ qui règne en moi.
Ce Royaume est appelé la justice, parce qu’il est fondé sur la justice de Jésus-Christ. C’est de lui que le Sauveur parle dans Saint Luc, quand Il dit : Le Royaume de Dieu est au dedans de vous129.
Quoique Notre-Seigneur Jésus-Christ règne par la Foi en tous ceux que l’Église, notre très sainte Mère, regarde comme ses enfants, cependant Il est plus spécialement le Roi de ceux qui, remplis des dons de la Foi, de l’Espérance et de la Charité, sont devenus en quelque sorte comme des membres vivants et sanctifiés de Dieu Lui-même. C’est dans ces parfaits Chrétiens que règne vraiment la Grâce de Dieu.
Le Royaume de Dieu est encore le royaume de la Gloire. C’est de lui que Notre-Seigneur parle dans Saint Matthieu, lorsqu’Il dit : Venez, les bénis de mon Père, possédez le Royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde130. C’est ce Royaume aussi que le larron pénitent demandait à Jésus sur la croix, en disant : Souvenez-vous de moi quand Vous serez dans votre Royaume131. Et les paroles suivantes de Saint Jean se rapportent au même objet : Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit, il ne saurait entrer dans le royaume de Dieu132.
C’est également la pensée de Saint Paul dans ce passage de son Épître aux Éphésiens : Ni les impudiques, ni les avares (qui sont des idolâtres) n’ont point d’héritage dans le Royaume de Jésus-Christ et de Dieu133. Il faut encore entendre dans le même sens quelques-unes des paraboles de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsqu’Il parlait du Royaume des cieux.
Mais il est nécessaire que le Règne de la Grâce soit d’abord établi dans nos âmes. Car il est impossible de régner un jour dans la Gloire, si l’on n’a eu soin, tout d’abord de faire régner la Grâce en soi-même. Or, la Grâce, au témoignage de Notre-Seigneur Lui-même, est une source d’eau vive qui jaillit jusqu’à la Vie Éternelle134.
La Gloire, elle, n’est autre chose que la Grâce consommée, et portée à sa perfection.
Tant que nous sommes revêtus de ce corps fragile et mortel, tant que nous vivons dans les ténèbres d’ici-bas, pèlerins, exilés, errants, sans forces et loin de Dieu, on nous voit souvent, hélas ! faillir et tomber, parce que nous repoussons le secours de la Grâce d’en haut, qui nous soutenait. Mais lorsque la lumière du royaume de la Gloire, qui est le Royaume parfait, aura brillé à nos yeux, nous serons à jamais fermes et invariables dans le bien et la perfection. Tous les vices et toutes les incommodités auront cessé. Notre faiblesse sera changée en une force inaltérable. Dieu, enfin, Dieu Lui-même régnera dans notre âme et dans notre corps, comme nous l’avons expliqué avec les développements convenables dans le symbole des Apôtres, en parlant de la Résurrection de la chair.
Telles sont les différentes significations de ces mots Royaume de Dieu. Voyons maintenant à quoi tend particulièrement cette demande.
Premièrement nous demandons à Dieu que le Royaume de Jésus-Christ, qui est l’Église, s’étende au loin ; que les infidèles et les Juifs se convertissent à la Foi chrétienne et à la connaissance du vrai Dieu ; que les schismatiques et les hérétiques rentrent en eux-mêmes et reviennent à la Communion de l’Église dont ils se sont séparés, afin que soit accomplie et réalisée cette parole du Seigneur dans le Prophète Isaïe : Élargis l’enceinte de ton pavillon, et développe les voiles de tes tentes ; allonge tes cordages ; affermis tes pieux ; tu pénétreras à droite et à gauche, parce que Celui qui t’a créé sera ton Seigneur135 ; et celle-ci : Les nations marcheront à ta lumière, et les rois à l’éclat de ta splendeur. Lève les yeux autour de toi, et vois : tous ces peuples s’avancent vers toi ; tes fils viendront de loin ; tes filles s’élèveront à tes côtés.
Mais il y a dans l’Église des Chrétiens qui confessent Dieu de bouche, et qui Le renient par leurs œuvres, des Chrétiens, dont la Foi est défigurée et morte, en qui le démon habite, par suite de leurs péchés, et règne dans sa propre maison. Nous demandons que le Royaume de Dieu leur arrive aussi, afin que, s’arrachant aux ténèbres du mal, et éclairés par la Lumière divine, ils soient rétablis dans leur première dignité d’enfants de Dieu ; nous demandons que le Père céleste, en chassant de son Royaume les hérésies, les schismes, le péché et toutes les causes du péché, nettoie l’aire de son Église, et lui permette de jouir d’une paix douce et tranquille, en servant Dieu dans la piété et l’innocence.
Nous demandons, enfin, que Dieu vive et règne seul en nous, afin que la mort n’ait plus sur nous aucun droit, qu’elle soit observée par la victoire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et qu’ainsi, après avoir renversé et anéanti l’autorité, la domination et la puissance de ses ennemis, Il demeure le seul et unique Souverain de toutes choses.
Les Pasteurs ne manqueront pas d’apprendre aux Fidèles quel est l’esprit et le sens de cette demande, et par suite avec quelles pensées et quelles dispositions ils doivent adresser à Dieu cette Prière. Ils les exhorteront d’abord à bien peser toute la force et la portée de cette parabole du Sauveur : Le Royaume des cieux est semblable à un trésor caché dans un champ. Un homme vient-il à le trouver, il le cache de nouveau, et dans sa joie, il s’en va, vend tout ce qu’il possède et achète ce champ136. Ainsi celui qui connaîtra les richesses de Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour elles, méprisera tout le reste. Biens, fortune, puissance, tout sera vil à ses yeux. Rien ne saurait être comparé à ce souverain Bien, ou plutôt rien ne saurait tenir devant Lui. C’est pourquoi ceux qui auront le bonheur de connaître ces richesses du Royaume de Dieu, s’écrieront avec l’Apôtre : Je me suis dépouillé de tout, je fais cas de toutes choses comme de la boue, pour gagner Jésus-Christ137. C’est la perle précieuse de l’Évangile. Celui qui aura dépensé pour l’acheter tout l’argent qu’il avait retiré de la vente de tous ses biens jouira d’un bonheur éternel. Heureux serions-nous, si Notre-Seigneur Jésus-Christ daignait nous éclairer assez pour faire voir cette perle de la Grâce divine, par laquelle Il règne en tous ceux qui Lui appartiennent ! Nous serions prêts à tout vendre et à tout donner, jusqu’à nous-mêmes, pour l’acquérir et pour la conserver. C’est alors que nous pourrions dire, sans la moindre crainte : Qui pourra nous séparer de la Charité de Jésus-Christ ?138 Que si nous voulons savoir quelle est l’excellence de la gloire du Royaume céleste, et combien elle l’emporte sur tout le reste, écoutons ce que dit le Prophète Isaïe, et après lui l’Apôtre Saint Paul : L’œil n’a point vu, l’oreille n’a point entendu, le cœur de l’homme n’a jamais conçu ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment139.
Mais pour obtenir plus sûrement l’effet de notre demande, il sera très utile de nous redire à nous-mêmes qui nous sommes, c’est-à-dire les enfants d’Adam, trop justement chassés du paradis, condamnés à l’exil, et dignes par nos misères et nos péchés, de toute la haine de Dieu et des éternels supplices. Alors nous nous tiendrons dans l’abaissement et l’abjection. Notre Prière sera pleine d’humilité. Nous nous défierons de nous-mêmes, pour nous jeter, comme le Publicain de l’Évangile, dans le sein de la Miséricorde de Dieu. Nous rapporterons tout à sa Bonté, et nous lui rendrons d’immortelles actions de grâces, d’avoir bien voulu nous donner son esprit dans lequel nous avons la confiance de crier : Père, Père !140
Nous cherchons ensuite à bien connaître ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter pour parvenir au Royaume céleste. Car Dieu ne nous a pas appelés à l’oisiveté et à la paresse ; Il nous dit au contraire : Le Royaume des cieux souffre violence, et ce sont les violents qui l’emportent141. Et ailleurs : Si vous voulez entrer dans la vie, gardez les Commandements142.
Ce n’est donc point assez de demander le Royaume de Dieu, si en même temps on ne travaille avec soin et avec zèle à le mériter. Il faut aider la grâce, et devenir les coopérateurs de Dieu dans la route à suivre pour arriver au ciel. Dieu ne nous abandonne jamais. Il nous a promis d’être toujours avec nous. À nous de prendre garde de ne point quitter Dieu et de ne point nous abandonner nous-mêmes. Dieu a mis dans son Église, qui est son Royaume ici-bas, tout ce qui est nécessaire pour protéger notre vie mortelle et assurer notre Salut éternel : et ces légions d’Anges invisibles, et ce trésor visible des Sacrements, si riches en grâces célestes. Avec de tels secours, que la bonté de Dieu nous a ménagés, non seulement nous n’avons rien à craindre de la puissance de nos ennemis acharnés, mais même nous pouvons terrasser le tyran des enfers et le fouler aux pieds avec ses cruels satellites.
Demandons donc très instamment au Saint-Esprit qu’Il nous enseigne à faire toutes choses selon sa volonté ; qu’Il détruise l’empire de Satan, afin qu’au dernier jour il n’ait aucun pouvoir sur nous. Demandons que Jésus-Christ soit vainqueur, et qu’Il triomphe ; que ses lois soient en vigueur par toute la terre, que ses décrets soient partout exécutés, qu’il n’y ait ni traître ni déserteur parmi les siens, et que tous se montrent tels qu’ils puissent se présenter avec confiance devant Dieu leur Souverain, et entrer ensuite en possession du Royaume céleste qui leur a été préparé de toute éternité, et où ils jouiront avec Jésus-Christ d’un bonheur qui n’aura point de fin.
Que votre Volonté soit faite sur la terre comme au ciel
Puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ nous assure que tous ceux qui lui disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront point dans le Royaume des cieux ; mais que celui-là seul y entrera qui fait la Volonté de son Père qui est dans le ciel143, il est donc de toute nécessité que tous ceux qui désirent parvenir à ce Royaume céleste, demandent à Dieu que sa Volonté soit faite. Voilà pourquoi cette demande vient immédiatement après celle du Royaume des cieux.
Mais pour mieux faire comprendre aux Fidèles combien ce que nous demandons par cette Prière nous est indispensable, et quelle abondance de salutaires faveurs elle nous obtient, les Pasteurs auront soin de bien montrer toutes les misères et toutes les calamités qui ont accablé le genre humain, depuis le péché de nos premiers parents.
Dès le commencement, Dieu donna à chaque créature le désir du bien qui lui est propre ; de sorte que par une inclination naturelle, toute créature désire et cherche sa fin, dont, au reste, on ne la voit jamais s’écarter, à moins qu’un obstacle étranger ne vienne l’en détourner. Pour l’homme sortant des mains de son Créateur, cette inclination qui le poussait vers Dieu, le Principe et l’Auteur de sa félicité, était d’autant plus noble et plus ardente, qu’il était doué de raison et de jugement.
Mais tandis que les autres créatures qui ne jouissaient pas de la raison, conservaient cette disposition de la nature et cette bonté première que Dieu leur avait données en les créant, et qu’elles possèdent encore maintenant, l’infortuné genre humain sortit de sa voie. Et non seulement il perdit les biens de la justice originelle dont Dieu l’avait orné et enrichi par un privilège qui dépassait sa nature, mais il affaiblit encore ce goût de la vertu qui avait été gravé dans son mur. Tous se sont éloignés, dit le Prophète, ils se sont corrompus ; ils n’y en a plus qui fassent le bien, il n’y en a plus un seul144.
En effet, l’esprit et le cœur de l’homme sont inclinés vers le mal dès sa jeunesse145. D’où il est facile de voir que nul, par lui-même, ne saurait avoir le goût des choses du salut, mais au contraire que tous les hommes sont portés au mal ; que leurs passions déréglées sont innombrables et les entraînent, et les précipitent avec une force incroyable dans la colère, dans la haine, dans l’orgueil, dans l’ambition, en un mot dans toutes sortes de vices.
Toutes ces misères ne sont que trop réelles, nous les sentons sans cesse en nous. Et pourtant notre plus grande misère c’est qu’un bon nombre de ces maux sont loin de nous paraître de véritables maux. Témoignage effrayant de notre malheureuse condition ! Aveuglés par nos passions et nos excès, nous ne voyons pas que ce qui nous paraît bon et salutaire est trop souvent détestable. Bien plus, nous courons avec empressement après ces biens funestes comme s’ils étaient vraiment désirables et parfaits ; et nous n’éprouvons que de l’éloignement et de l’aversion pour ce qui constitue le vrai Bien et la Vertu même, comme s’ils étaient contraires à notre bonheur. Mais Dieu ne peut souffrir ces pensées fausses, ces jugements corrompus. Il les condamne et les maudit par la bouche d’Isaïe : Malheur à vous qui appelez le mal un bien, et le bien un mal ; qui prenez la lumière pour les ténèbres, et les ténèbres pour la lumière ; qui choisissez l’amer pour le doux et le doux pour l’amer !146
Aussi, pour nous faire mieux comprendre l’énormité de nos misères, nos Saints Livres ne craignent pas de nous comparer à ceux qui ont perdu le sens du goût, et qui repoussent la nourriture saine et fortifiante, pour lui préférer des mets pernicieux. Ils nous comparent également à des malades, lesquels, tant que dure leur maladie, sont incapables d’accomplir les devoirs et de remplir les fonctions des personnes qui jouissent de leurs forces et de leur santé. Ainsi nous-mêmes, sans le secours de la Grâce de Dieu, nous ne pouvons rien faire qui lui soit agréable.
Que si dans cet état nous entreprenons ou faisons quelque bien, ce bien sera sans importance, et nous servira à peine pour le ciel. Mais aimer Dieu et Le servir comme il convient, c’est quelque chose de trop noble et de trop sublime pour que, dans l’état de faiblesse et d’abaissement où nous sommes, nous puissions le faire de nous-mêmes. Pour atteindre à cette hauteur, il faut que nous soyons soulevés en quelque sorte par la Grâce de Dieu.
Voici encore une comparaison bien propre à faire ressortir la misère de notre condition. On peut dire que nous ressemblons à des enfants qui, abandonnés à eux-mêmes, se portent sans réflexion sur toute sorte d’objets. Oui, nous sommes de vrais enfants, des êtres inconsidérés, tout entiers aux entretiens frivoles et aux actions futiles, si le secours de Dieu nous abandonne. De là ce reproche que nous adresse la Sagesse : Jusqu’à quand aimerez-vous la vanité comme des enfants ? Jusqu’à quand les insensés désireront-ils ce qui leur est pernicieux ?147 et cette recommandation de l’Apôtre : Ne vous faites pas enfants, sans prudence et sans discernement148.
Au surplus, notre vanité et notre aveuglement surpassent de beaucoup les illusions des enfants. Car ils ne manquent, eux, que de la sagesse humaine qu’ils peuvent acquérir avec le temps. Nous, au contraire, sans le secours et la grâce de Dieu, nous ne pouvons pas même aspirer à cette prudence divine qui pourtant est nécessaire au salut. Et si ce secours cesse de nous soutenir un seul instant, nous repoussons aussitôt les biens véritables, et nous nous précipitons de nous-mêmes dans la mort.
Mais que, grâce à la Lumière divine qui dissipe les ténèbres de l’esprit, un Chrétien aperçoive nos misères trop réelles ; que, secouant son insensibilité, il se rende compte de l’opposition de nos passions et de la loi des membres contre la loi de l’esprit ; qu’il considère enfin la violence de notre entraînement naturel vers le mal, comment pourra-t-il ne pas chercher avec le plus vif empressement le remède à ces maux si grands dont la nature nous accable, et ne pas désirer ardemment de trouver enfin une règle salutaire pour y conformer sa conduite et sa vie ?
Or, voilà précisément ce que nous demandons à Dieu, quand nous lui disons : Que votre volonté soit faite ! C’est en désobéissant à Dieu et en méprisant sa volonté, que nous sommes tombés dans toutes ces misères ; dès lors l’unique, le véritable remède à tous nos maux, celui que Dieu Lui-même nous a donné, sera de vivre enfin selon cette Volonté divine que nous avons foulée aux pieds en nous livrant au péché, et de régler désormais toutes nos pensées et toutes nos actions sur ce qu’elle prescrit. C’est pour arriver à ce but que nous disons humblement à Dieu dans notre prière : Que votre Volonté soit faite !
Et les justes eux-mêmes, ceux en qui Dieu règne déjà, et qui ont été éclairés des rayons de la divine Lumière, doivent demander avec ardeur la grâce dont ils ont besoin pour demeurer soumis à sa sainte Volonté. Car, malgré leurs bonnes dispositions actuelles, ils n’en ont pas moins à lutter contre leurs propres passions, à cause de l’inclination au mal que nous portons tous en dedans de nous-même. Et cela est si vrai que, fussions-nous réellement justes, nous serions encore pour nous-mêmes un très grand danger ici-bas. Oui, nous devrions craindre qu’entraînés et séduits par les convoitises qui combattent dans nos membres149, nous n’abandonnions le chemin du salut. C’est pour nous prémunir contre ce danger que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit : Veillez et priez, afin de ne pas entrer en tentation ; car l’esprit est prompt, mais la chair est faible150.
C’est qu’en effet il n’est pas donné à l’homme, même à celui qui a été justifié par la Grâce de Dieu, et qui la possède, de dompter les appétits de la chair au point qu’ils ne se révoltent plus jamais. La Grâce de Dieu, à la vérité, guérit l’âme de ceux qui ont été justifiés par elle, mais elle ne guérit point la chair. Et c’est ce qui a fait dire à l’Apôtre Saint Paul : Je sais que le bien n’habite point en moi, c’est-à-dire dans ma chair151. Dès le moment même où le premier homme eut perdu la justice originelle, qui, comme un frein, retenait toutes ses passions dans l’ordre, la raison est devenue radicalement impuissante à les contenir dans le devoir, et à les empêcher de désirer ce qu’elle-même repousse. C’est pourquoi l’Apôtre nous dit que le péché, c’est-à-dire, un foyer de péché, habite dans la chair de l’homme, afin de nous faire bien comprendre qu’il n’est pas en nous pour un temps et comme un hôte qui passe, mais que, tant que nous vivons, il demeure en nous comme dans sa propre et perpétuelle habitation.
Ainsi donc, puisque nous sommes sans cesse aux prises avec des ennemis domestiques et intérieurs, il nous est facile de comprendre que nous devons chercher et trouver en Dieu notre secours, en Lui demandant que sa Volonté se fasse en nous.
Il ne faut pas laisser ignorer aux Fidèles quelle est la portée de cette demande. Sans entrer dans toutes les explications que les Docteurs scolastiques ont données sur cette question avec autant d’utilité que d’abondance, disons que la Volonté de Dieu dont il s’agit ici, est celle que l’on appelle communément la volonté de signe, c’est-à-dire ce que Dieu nous a ordonné ou conseillé de faire ou d’éviter.
Ainsi, sous le nom de volonté, nous comprenons tout ce qui a été établi, soit dans l’ordre de la Foi, soit dans l’ordre des mœurs, pour nous procurer le bonheur céleste ; enfin tout ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a ordonné ou défendu soit par Lui-même, soit par son Église. C’est de cette volonté que l’Apôtre nous dit : Ne soyez point impudents, mais comprenez quelle est la Volonté de Dieu152.
Lors donc que dans notre Prière nous disons à Dieu que votre Volonté soit faite, nous demandons avant tout à notre Père céleste de nous donner la force d’obéir à ses Commandements et de le servir dans la sainteté et la justice tous les jours de notre vie.
De faire tout selon sa volonté et son bon plaisir. De nous acquitter de tous les devoirs qui nous sont prescrits dans nos Saints Livres.
D’accomplir sous sa conduite et par son impulsion tout ce qui convient à ceux qui sont nés non de la chair, mais de Dieu153, suivant l’exemple de Jésus-Christ, qui s’est fait obéissant jusqu’à la mort et la mort de la Croix154. Enfin d’être prêts à tout souffrir plutôt que de nous écarter en rien de sa Volonté.
Mais nul ne saurait réciter cette demande avec un amour plus intense et une ardeur plus vive que celui à qui il a été donné de comprendre la dignité sublime du Chrétien qui obéit à Dieu. Celui-là sent toute la vérité de cette parole : servir Dieu et Lui obéir, c’est régner ; et de celle-ci de Notre-Seigneur : Quiconque fera la Volonté de mon Père qui est dans les cieux, sera mon frère, ma sœur, et ma mère155, c’est-à-dire : Je lui demeurerai attaché par les liens les plus étroits de la bienveillance et de l’amour.
Parmi les saints, il n’en est presque point qui n’aient fait de la précieuse faveur renfermée dans cette demande, l’objet de leurs prières les plus instantes. Très souvent même ils se sont servis pour cela de paroles aussi belles que variées. Mais l’un des plus admirables et des plus touchants dans cette diversité de prières, c’est David. Tantôt il dit : Faites que mes voies se dirigent vers l’observation de vos Commandements ; tantôt : conduisez-moi dans la voie de vos Commandements ; d’autres fois : dirigez mes pas selon votre parole et ne permettez pas que l’injustice domine en moi ; ou bien : donnez-moi l’intelligence, pour que je connaisse vos préceptes. Enseignez-moi vos jugements, et donnez-moi l’intelligence pour que j’entende vos témoignages156. Il répète et retourne la même pensée dans une multitude d’autres endroits, qu’il sera bon de signaler et d’expliquer avec soin aux fidèles, afin qu’ils comprennent parfaitement la grandeur et l’abondance de tous les biens renfermés dans cette demande.
En second lieu, lorsque nous disons : que votre Volonté soit faite, nous détestons les œuvres de la chair, dont l’Apôtre a dit : les œuvres de la chair, c’est-à-dire toutes sortes d’impuretés sont manifestes, etc. Et : si vous vivez selon la chair, vous mourrez. Dès lors nous demandons à Dieu de ne pas nous laisser accomplir ce que les sens, les passions et notre faiblesse pourraient nous conseiller, mais de régler notre volonté sur la sienne.
Les voluptueux, dont les pensées et les affections sont absorbées tout entières par l’amour du plaisir, sont bien éloignés de cette sainte Volonté de Dieu. Emportés par leurs passions, ils se précipitent à la conquête de ce qu’ils ont désiré, et placent le bonheur dans la satisfaction de leurs criminelles convoitises. Et ils en viennent à cet excès, de regarder comme heureux quiconque possède tout ce qu’il désire. Nous, au contraire, nous demandons à Dieu, comme dit l’Apôtre, de ne point nous laisser aller à contenter la chair dans ses convoitises ; mais de faire la Volonté de Dieu157. Cependant, il faut convenir que c’est une chose difficile pour nous de demander à Dieu qu’Il ne contente pas nos passions. Sous ce rapport, notre esprit est difficile à persuader. D’une part, en faisant cette demande, nous paraissons avoir de la haine contre nous-mêmes ; et, de l’autre, ceux qui sont entièrement attachés à leurs corps, nous en font un crime et une folie. Mais subissons volontiers ce reproche de folie pour l’amour de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous dit clairement : Si quelqu’un veut venir après Moi, qu’il renonce à lui-même158. Ne savons-nous pas, d’ailleurs, qu’il vaut infiniment mieux désirer ce qui est juste et raisonnable que d’atteindre et posséder ce qui est contraire à la raison, à la vertu et à la Loi de Dieu ? Et celui-là n’est-il pas bien plus à plaindre, qui a obtenu ce qu’il recherchait inconsidérément et sous l’impulsion de la passion, que celui qui demeure privé même des choses légitimes qu’il souhaitait ? Au reste, non seulement nous demandons à Dieu de nous refuser l’objet de nos désirs naturels, puisqu’il est constant que nos désirs sont déréglés, mais encore de ne pas nous accorder ce que parfois nous demandons comme une chose qui nous paraît bonne, sous l’inspiration et la suggestion du démon, qui se transforme alors en ange de lumière.
Certes, le Prince des Apôtres paraissait animé du zèle le plus pur et de l’amour le plus vrai, lorsqu’il s’efforçait de détourner Notre-Seigneur de ce voyage qui ne pouvait que Le conduire à la mort. Et cependant, comme il était mû par des sentiments trop humains, et non point par une raison surnaturelle, il en est vivement repris par Jésus-Christ.
Et pouvait-on, ce semble, faire une demande dictée par un amour plus sincère envers Notre-Seigneur, que celle de Saint Jacques et de Saint Jean, lorsque, remplis d’indignation contre les Samaritains qui avaient refusé de recevoir leur Maître, ils Le conjuraient de faire descendre le feu du ciel pour punir ces êtres durs et inhumains. Et pourtant Jésus-Christ les condamne en ces termes : Vous ne savez point à quel esprit vous appartenez ; le Fils de l’homme n’est pas venu pour perdre les âmes, mais pour les sauver159.
Et ce n’est pas seulement quand l’objet de nos désirs est mauvais, ou bien quand il a quelque apparence de mal, que nous devons demander à Dieu que sa Volonté soit faite ; mais encore lorsque la chose que nous désirons n’est point mauvaise en réalité, comme, par exemple, lorsque la volonté, suivant le premier mouvement de la nature, se jette sur ce qui peut nous sauver la vie, et repousse au contraire ce qui semble lui être nuisible.
Si donc nous nous trouvons dans le cas de demander à Dieu quelque chose de ce genre, disons-lui du fond du cœur : que votre Volonté soit faite ! imitons Celui qui nous a donné le salut, et la science du salut. Lorsque la nature Lui inspira cette crainte si vive de la mort cruelle qui L’attendait, et que son âme fut en proie à la tristesse la plus accablante, Il soumit entièrement sa Volonté à celle de Dieu son Père, en disant : Que votre volonté se fasse, et non pas la mienne160.
Mais, hélas ! notre nature a été si profondément atteinte par le péché d’Adam, que, même après avoir courageusement résisté à nos passions, après avoir humblement soumis notre volonté à celle de Dieu, il nous est impossible d’éviter le péché sans un secours surnaturel qui nous protège contre le mal et nous dirige vers le bien. Nous avons donc besoin de recourir à cette Prière et de demander à Dieu d’achever en nous ce qu’il a commencé, de comprimer les mouvements impétueux de notre cœur, de soumettre nos appétits à la raison, et enfin de nous rendre en tout conformes à sa Volonté.
Nous demandons aussi que la terre entière connaisse la Volonté de Dieu, afin que le Mystère divin, qui demeura caché à tant de générations et à tant de siècles, soit maintenant révélé et manifesté à tous les hommes.
Nous demandons, de plus, la forme et la mesure de notre obéissance, c’est-à-dire qu’elle soit semblable à cette règle, que les saints Anges et tout le chœur des Bienheureux observent dans le ciel. Nous demandons en un mot que si les Anges et les Saints se conforment spontanément et avec un souverain plaisir à la très sainte Volonté de Dieu, nous, de notre côté, nous obéissions volontiers à tous ses ordres, et de la manière qui Lui plaît le plus.
Et de fait, dans tout ce que nous faisons et accomplissons à son service, Dieu demande de nous une véritable plénitude de Charité et d’amour ; de telle sorte que si nous nous consacrons entièrement à Lui par l’espoir des récompenses d’outre tombe, nous ne devons cependant les espérer que parce qu’il a plu à sa divine Majesté de nous donner cette espérance. Il faut donc que notre espérance soit tout entière fondée sur notre amour pour Dieu, puisqu’Il n’a promis qu’à l’amour la béatitude éternelle.
Il en est qui obéissent avec amour, mais cependant en vue de la récompense qui les attend. D’autres, uniquement conduits par l’amour et le dévouement, ne voient dans Celui qu’ils servent que sa Bonté et ses perfections dont la pensée les ravit d’admiration, et ils se trouvent très heureux de pouvoir Lui marquer leur soumission, en se consacrant à son service. Voilà le sens dans lequel nous disons : sur la terre comme au ciel. Car nous devons nous efforcer d’obéir à Dieu sur la terre, comme les Bienheureux lui obéissent dans le ciel. Or, n’oublions pas que David célèbre leur parfaite soumission dans ce beau cantique : Bénissez le Seigneur, vous qui êtes ses Anges et ses Ministres, et qui faites sa Volonté161.
Il est permis d’adopter ici l’interprétation de Saint Cyprien, qui par le ciel entend les bons et les justes, et par la terre, les méchants et les impies. On peut penser aussi comme lui que le ciel, c’est l’esprit, et la terre, la chair. En sorte que le fruit de cette demande est que tous les hommes et toutes les créatures soient en toutes choses parfaitement soumis à Dieu.
Cette même demande contient aussi une action de Grâces. Par elle, en effet, nous témoignons notre vénération pour la très sainte Volonté de Dieu, et dans le transport de notre joie, nous exaltons toutes ses œuvres par la louange et la reconnaissance la plus vive, nous qui savons mieux que personne qu’Il a bien fait toutes choses. Dieu est tout Puissant, cela est certain. Dès lors nous sommes obligés de reconnaître que tout a été fait par sa Volonté. Et comme d’autre part nous affirmons, sans crainte de nous tromper, qu’Il est infiniment bon, nous proclamons par là même qu’il n’y a rien dans ses œuvres qui ne soit bon, puisqu’Il a dû nécessairement leur communiquer sa Bonté. Mais comme, malgré tout, nous sommes loin de saisir les raisons de Dieu en toutes choses, cependant nous devons reconnaître sans hésitation, et en dépit de l’obscurité, que les voies de Dieu sont impénétrables162.
Nous avons encore un autre puissant motif de vénérer la Volonté de Dieu, c’est qu’Il a daigné nous éclairer de sa céleste Lumière, et nous arracher à la puissance des ténèbres, pour nous transporter dans le Royaume de son Fils bien aimé163.
Mais, pour terminer ici ce qui se rapporte à l’explication de cette demande, il nous faut revenir à ce que nous avons dit au début, et rappeler aux Fidèles qu’ils doivent faire cette Prière avec une profonde humilité d’esprit et de cœur, réfléchissant en eux-mêmes à la violence de leurs passions naturelles, si opposées à la Volonté divine, et ne doutant point que dans les hommages rendus à cette Volonté sainte, ils sont inférieurs à toutes les créatures, dont l’Esprit-Saint a dit : elles lui obéissent toutes164, reconnaissant enfin qu’il faut être bien faible pour ne pas pouvoir sans le secours du ciel, non seulement achever, mais même entreprendre une seule action qui puisse être agréable à Dieu.
Mais puisqu’il n’y a rien de plus grand, rien de plus noble, comme nous l’avons dit, que de servir Dieu, et de régler sa vie sur ses Commandements, que peut-il y avoir de plus désirable pour un Chrétien que de marcher dans les voies du Seigneur, de ne rien penser, de ne rien faire qui s’écarte en quoi que ce soit de sa divine Volonté ?
Et pour adopter ces saintes habitudes, et pour y persévérer plus fidèlement, le Chrétien aura soin de chercher dans nos Saints Livres les exemples de ceux qui, n’ayant pas voulu soumettre tous leurs desseins à la Volonté de Dieu, ont vu tout se tourner contre eux.
Enfin il faut recommander aux Fidèles de se reposer uniquement et absolument dans la Volonté de Dieu.
Que celui-là donc supporte patiemment sa condition, qui se croit dans une situation inférieure à son mérite. Qu’il n’abandonne point son état, mais qu’il demeure dans celui où Dieu l’a placé. Qu’il soumette son propre jugement à la Volonté de Dieu, car Dieu veille mieux sur tous nos intérêts que nous ne pouvons le désirer nous-mêmes. Si la pauvreté, si la maladie, si les persécutions, les chagrins ou d’autres peines nous écrasent, n’oublions jamais que rien de tout cela ne peut nous arriver sans la Volonté de Dieu, qui est la raison souveraine et dernière de toutes choses. Et bien loin d’en être troublés ou de nous en affliger trop, supportons tout, avec un invincible courage et ces paroles sur les lèvres : Que la volonté du Seigneur se fasse165, ou le mot du saint homme Job : Comme le Seigneur a voulu, il a été fait : que le nom du Seigneur soit béni !166
Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien
La quatrième demande, et les autres qui suivent ont pour objet spécial, et nettement exprimé, les biens propres de l’âme et du corps. Elles se rattachent de très près et logiquement aux trois précédentes. Tel est en effet l’ordre et la disposition de l’Oraison Dominicale, qu’après avoir demandé à Dieu ce qui se rapporte directement à Lui, nous passons ensuite à ce qui regarde le corps et la conservation de la vie présente.
De même en effet que les hommes doivent se porter vers Dieu, comme vers leur fin dernière, de même aussi, et par une raison identique, les biens de la vie humaine sont subordonnés aux biens du ciel, et nous ne devons les désirer et les demander qu’autant que l’ordre providentiel le permet, ou bien parce qu’ils nous servent de moyens pour acquérir les biens divins, et pour atteindre le but que nous devons toujours nous proposer. Ce but, c’est notre fin dernière ; en d’autres termes, le Royaume et la Gloire du Père céleste. Et cette fin nous ne pouvons l’obtenir que par l’observation des Commandements de Dieu et de toutes ses volontés. Ainsi tout ce qui est renfermé dans cette demande, avec toute la portée qu’elle possède, nous devons le rapporter exclusivement à Dieu et à sa Gloire.
Les Pasteurs devront s’appliquer à bien faire comprendre aux Fidèles qu’en demandant des choses qui touchent à l’usage et à la jouissance des biens terrestres, nous devons toujours diriger notre cœur et nos désirs sur les prescriptions de Dieu, sans nous en écarter aucunement. Car c’est principalement en demandant ces biens vains et fragiles que nous tombons dans la faute que nous reproche l’Apôtre : Nous ne savons point ce que nous devons demander ni le faire comme il faut167. Il faut donc demander ces choses d’une manière convenable. Autrement, si nous les demandons mal, Dieu pourrait nous répondre : Vous ne savez pas ce que vous demandez168.
Nous possédons une marque certaine pour juger notre Prière, et savoir si elle est bonne ou mauvaise ; nous n’avons qu’à consulter notre intention et notre dessein. Ainsi demander les biens de la terre comme s’ils étaient des biens véritables, s’y arrêter et s’y reposer comme dans sa fin dernière, sans rien désirer au delà, ce n’est évidemment pas prier comme il faut. En effet, dit Saint Augustin, nous ne demandons point ces choses temporelles comme des biens mais comme des besoins169. Et l’Apôtre Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, enseigne positivement que tout ce qui regarde les nécessités de la vie, doit être rapporté à la Gloire de Dieu. Soit que vous mangiez, dit-il, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelqu’autre chose, faites tout pour la Gloire de Dieu170.
Afin de faire sentir aux Fidèles l’extrême nécessité de cette demande, les Pasteurs leur mettront sous les yeux, en quelque sorte, les choses dont nous avons besoin pour la nourriture et la conservation de notre vie. Et pour leur rendre cette démonstration plus sensible, ils feront bien de comparer les besoins de notre premier Père avec ceux de ses descendants. Il est vrai que dans cet état de parfaite innocence où il avait été créé, et dont il fut privé par sa faute avec toute sa postérité, il eût été obligé de recourir à la nourriture pour réparer ses forces ; mais quelle différence entre ses besoins et les nôtres ! Il ne lui fallait ni vêtements pour se couvrir, ni habitation pour s’y retirer, ni armes pour se défendre, ni remèdes pour se guérir, ni beaucoup d’autres choses qui nous sont nécessaires à nous, pour protéger notre faiblesse et notre fragilité naturelle. Il lui suffisait, pour se rendre immortel, de manger le fruit précieux que l’arbre de vie lui aurait procuré sans aucun travail de lui ou de ses descendants.
Cependant, au milieu de tous les délices de ce paradis, l’homme ne devait point rester oisif. C’était pour travailler que Dieu l’avait placé dans ce séjour du bonheur. Mais nulle occupation ne lui eût été pénible, nul devoir désagréable. Il aurait recueilli perpétuellement les fruits les plus délicieux de la culture de ses heureux jardins ; ni ses espérances, ni son travail ne l’auraient jamais trompé.
Mais sa postérité n’a pas été seulement privée du fruit de l’arbre de vie, elle s’est encore vue condamnée par cette sentence effroyable : La terre est maudite dans votre travail ; vous mangerez de ses fruits dans vos travaux tous les jours de votre vie ; elle vous produira des ronces et des épines, et vous mangerez les herbes de la terre ; à la sueur de votre front vous vivrez de votre pain jusqu’à ce que vous retourniez à la terre d’où vous avez été tiré ; vous êtes poussière et vous retournerez en poussière171.
Il nous est donc arrivé tout le contraire de ce que nous eussions éprouvé, Adam et nous, s’il eût été fidèle au Commandement de Dieu. Tout a été retourné et changé de la manière la plus déplorable. Et ce qu’il y a de plus malheureux pour nous, c’est que, très souvent, les plus grandes dépenses, les travaux les plus durs, les sueurs elles-mêmes, tout reste vain et sans résultat. Les grains confiés à une terre ingrate sont étouffés par les mauvaises herbes qui les couvrent, ou bien ils périssent détruits par les pluies, le vent, la grêle, la chaleur ou la rouille, de sorte que l’on voit le labeur de toute une année réduit à rien en un instant par quelque injure de l’air ou des saisons. Malheur trop mérité, par l’énormité de nos fautes qui éloignent Dieu de nous, et L’empêchent de bénir nos efforts. Ainsi s’accomplit la terrible sentence prononcée contre nous dès le commencement.
Les Pasteurs voudront bien insister sur ce point, afin que les Fidèles n’ignorent pas que c’est par leur faute que les hommes éprouvent ces maux et ces calamités ; afin qu’ils comprennent aussi que si d’une part il faut travailler et souffrir pour se procurer les choses nécessaires à la vie, de l’autre toute espérance sera trompeuse, tout effort inutile, si Dieu ne bénit nos travaux. Car ni celui qui plante, n’est quelque chose, ni celui qui arrose ; mais Dieu qui donne l’accroissement172. Et : si Dieu Lui-même ne bâtit point la maison, ceux qui l’élèvent travaillent en vain173.
C’est pourquoi les Pasteurs enseigneront que nous avons besoin d’une multitude de choses, soit pour conserver notre vie, soit pour la passer d’une manière agréable. Lorsque les Fidèles auront conscience de ces besoins et de l’infirmité de notre nature, ils se sentiront obligés de recourir au Père céleste, et de Lui demander humblement les biens de la terre et du ciel, ils imiteront l’enfant prodigue qui, pressé par le besoin dans une contrée lointaine, et ne trouvant personne pour apaiser sa faim, même en lui donnant la plus vile nourriture, rentra enfin en lui-même et comprit qu’il ne trouverait qu’auprès de son Père le remède à ses maux.
Mais ce qui augmentera encore la confiance des Fidèles dans cette Prière, ce sera de penser que Dieu, dans sa Bonté infinie, est toujours attentif à la voix de ses enfants. Et de fait, puisqu’il nous exhorte à Lui demander notre pain, n’est-ce pas une véritable promesse qu’Il nous fait de l’accorder en abondance à tous ceux qui le demanderont comme il convient ? En nous apprenant à prier, Il nous exhorte à le faire ; en nous exhortant, Il nous y porte ; en nous y portant Il promet, et en promettant Il fait naître en nous l’espérance certaine d’être exaucés.
Après avoir excité et enflammé l’ardeur des Fidèles, le Pasteur ne manquera pas de leur expliquer ensuite ce que l’on sollicite comme fruit de cette demande, et d’abord quel est ce pain que nous demandons.
Ce nom de pain, dans la sainte Écriture, signifie beaucoup de choses, mais spécialement les deux suivantes : premièrement tout ce qui sert à notre nourriture, et en général à tous les besoins du corps ; secondement toutes les grâces que Dieu nous accorde pour la vie de notre âme et pour notre salut.
C’est sur l’autorité des saints Pères, très affirmatifs sur ce point, que nous demandons tout ce qui est nécessaire pour notre vie terrestre. Il ne faut donc pas écouter ceux qui prétendent qu’il n’est pas permis à des Chrétiens de demander à Dieu les biens matériels de cette vie. C’est une erreur combattue par tous les saints Pères, et contraire à un grand nombre d’exemples de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ainsi Jacob, en faisant son vœu, disait : Si le Seigneur est avec moi, qu’Il me garde dans la route que je fais, et qu’Il me donne du pain pour me nourrir et des vêtements pour m’habiller, et que je retourne heureusement à la maison de mon père, le Seigneur sera mon Dieu, et cette pierre que j’ai élevée pour témoignage sera appelée maison de Dieu, et je Lui offrirai la dîme de tout ce qu’Il m’aura donné174.
Salomon demandait aussi ce qui est nécessaire à la vie matérielle, lorsqu’il faisait cette Prière : Ne me donnez ni la pauvreté, ni les richesses, mais accordez-moi seulement les choses nécessaires pour ma subsistance175.
Et notre Sauveur Lui-même ne nous ordonne-t-Il pas de demander des choses dont personne n’oserait nier qu’elles se rapportent à la vie du corps ? Priez, disait-il, que votre fuite n’arrive pas en hiver, ni le jour du Sabbat176. Que dirons-nous de Saint Jacques, dont voici les paroles : Si quelqu’un de vous est triste, qu’il prie ; s’il est dans la joie, qu’il chante177. Que dirons-nous enfin de l’Apôtre Saint Paul, qui parlait ainsi aux Romains : Je vous conjure, mes Frères, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par la Charité du Saint-Esprit, de m’aider dans vos Prières pour moi auprès de Dieu, afin que je sois délivré des infidèles qui sont en Judée178.
Ainsi donc, puisque Dieu permet aux Fidèles de Lui demander le secours des biens temporels, et que d’autre part Notre-Seigneur nous a laissé une formule de prières qui renferme tous nos besoins, il est impossible de douter que sur les sept demandes, il n’y en ait une pour ces sortes de biens.
Nous demandons le pain quotidien, c’est-à-dire ce qui est nécessaire à la vie, et par là nous devons entendre les vêtements pour nous couvrir et les aliments pour nous nourrir, quelle que soit d’ailleurs cette nourriture, pain, viande, poisson ou toute autre chose. C’est dans ce sens que nous voyons ce mot employé par le Prophète Élisée, lorsqu’il avertit le Roi d’Israël de fournir du pain aux soldats Assyriens : car on leur donna toutes sortes d’aliments en abondance. Voici également ce que nous lisons de Jésus-Christ : Il entra un jour de Sabbat dans la maison de l’un des principaux Pharisiens pour y manger le pain179, c’est-à-dire pour y prendre un repas, lequel se compose du boire et du manger.
Mais pour bien marquer le sens précis de cette demande, il ne faut point perdre de vue que par ces mots de pain nous entendons signifier non des mets et des vêtements recherchés et nombreux mais seulement le simple nécessaire.
C’est la pensée de l’Apôtre Saint Paul, dans ce passage ayant de quoi nous nourrir et nous vêtir, soyons, contents180. Et Salomon que nous avons déjà cité, ne demandait pas autre chose : donnez-moi seulement, disait-il, ce qui est nécessaire pour ma subsistance181.
Le mot notre qui accompagne celui de pain nous rappelle aussi cette modération et cette frugalité dont nous parlons. En effet, lorsque nous disons notre pain, nous demandons positivement le pain de la nécessité, et non pas le pain du luxe. Et il faut remarquer de plus que nous disons notre, non point parce que nous pouvons nous le procurer par notre travail et sans le secours de Dieu — car toutes les créatures, dit David en s’adressant à Dieu, attendent que Vous leur donniez leur nourriture au temps marqué. Vous la donnerez, et elles la recevront ; Vous ouvrirez votre main, et elles seront toutes rassasiés de vos biens. Ailleurs il dit encore : les yeux de toutes les créatures espèrent en vous, Seigneur, et Vous leur donnez leur nourriture au temps convenable — nous disons notre pain, parce qu’il nous est nécessaire, et que Dieu seul nous le donne, Dieu qui est le Père de toutes choses et qui nourrit tous les êtres animés par sa sainte Providence.
Nous l’appelons encore notre, ce pain, parce que nous ne devons l’acquérir que par des moyens légitimes, et ne pas nous le procurer par l’injustice, la fraude, ou le vol. Ce que nous obtenons par des voies coupables, n’est point à nous, mais aux autres ; et trop souvent de graves ennuis en accompagnent l’acquisition, ou la possession ou à coup sûr la perte. Au contraire les richesses honnêtement acquises par le travail sont, au témoignage du Prophète, une source de paix et de grande satisfaction pour les gens vertueux. Parce que vous vous nourrirez du travail de vos mains, dit-il, vous serez heureux et comblés de biens182. C’est qu’en effet Dieu dans sa Bonté promet de bénir et de faire fructifier le travail de ceux qui ne voient dans leurs fatigues quotidiennes que le moyen providentiel de gagner leur vie. Le Seigneur, est-il dit dans nos Saints Livres, versera ses bénédictions sur vos celliers, et sur tous les ouvrages de vos mains, et Il vous bénira183. Et non seulement nous demandons à Dieu qu’Il nous permette d’user de ce que nous avons acquis grâce à Lui, par nos sueurs et notre énergie — et qu’à ce titre nous appelons vraiment notre — mais encore nous Lui demandons la bonne disposition du cœur qui nous fera user avec sagesse et légitimement de ce que nous aurons légitimement acquis.
Quotidien. Ce mot nous rappelle aussi cette frugalité et cette modération dont nous parlions tout à l’heure. Nous ne demandons ni la variété, ni la délicatesse des mets, mais uniquement ce qui est nécessaire aux besoins de la nature. Nous ne craignons pas de faire rougir de honte certaines personnes qui dédaignent une nourriture et une boisson communes, et sont toujours en quête de ce qu’il y a de plus exquis dans les aliments et dans les vins.
Ce même mot : quotidien, n’est-il pas aussi la condamnation de ceux à qui s’adressent ces terribles menaces d’Isaïe : Malheur à vous, qui joignez une maison à une autre, un champ à un autre, jusqu’à l’extrémité du pays où vous êtes ? Est-ce que vous habiterez seuls au milieu de la terre ?184 Ces hommes en effet, sont d’une avidité insatiable ; et c’est d’eux que Salomon disait : L’avare ne sera jamais rassasié d’or185, et Saint Paul : Ceux qui veulent devenir riches tomberont dans la tentation et dans les filets du démon186.
Nous appelons encore ce pain quotidien, parce que nous nous en nourrissons, pour réparer le principe vital qui se consume tous les jours par l’effet de la chaleur naturelle.
Enfin, une dernière raison de nous servir de ce mot quotidien, c’est que nous devons demander ce pain tous les jours, afin de nous retenir dans l’habitude d’aimer et d’adorer Dieu tous les jours, et de nous convaincre absolument de cette vérité essentielle, que notre vie et notre salut dépendent entièrement de Dieu.
Donnez-nous. Dans ces deux simples mots, quelle abondante matière offerte aux Pasteurs pour exhorter les Fidèles à honorer et à respecter, avec toute la piété possible, l’infinie Puissance de Dieu qui dispose de tout absolument. Et à détester le crime exécrable de Satan, l’orgueilleux et le menteur qui osa dire à Jésus-Christ : Toutes choses m’ont été livrées, et je les donne à qui je veux187. Car c’est le seul bon plaisir de Dieu qui distribue, qui conserve, et qui augmente tout.
Mais, dira-t-on, pourquoi imposer aux riches la nécessité de demander leur pain quotidien, puisqu’ils sont dans l’abondance de toutes choses ? C’est, répondons-nous, non afin qu’ils obtiennent des biens dont la bonté de Dieu les a comblés, mais afin qu’ils ne les perdent point. Au surplus c’est pour eux que l’Apôtre Saint Paul a écrit : Que les riches ne devaient point être orgueilleux, ni mettre leur confiance dans l’incertain des richesses, mais dans le Dieu vivant qui nous donne abondamment de quoi fournir à nos besoins188. Une autre raison que donne Saint Chrysostome, de la nécessité de cette Prière : C’est que nous devons demander, non pas seulement que la nourriture nous soit donnée, mais qu’elle nous soit donnée par la main du Seigneur qui, en lui communiquant une vertu bienfaisante et tout à fait salutaire, fait que cette nourriture profite au corps, et que le corps sert l’âme189.
Mais pourquoi disons-nous : donnez-nous, au pluriel, et non pas : donnez-moi ? Parce que c’est le propre de la Charité chrétienne, que chacun ne songe pas seulement à soi-même, mais qu’il s’intéresse aussi au prochain, et qu’en s’occupant de ses propres intérêts, il se souvienne aussi de ceux des autres. Joignez à cela que lorsque Dieu accorde des avantages à quelqu’un, ce n’est pas pour que celui-là en profite seul, ou qu’il en jouisse avec intempérance, mais pour qu’il distribue aux autres son superflu. Car, disent Saint Basile et Saint Ambroise, c’est le pain de ceux qui ont faim que vous retenez, c’est le vêtement de ceux qui sont nus que vous cachez, et cet argent que vous enfouissez dans la terre, c’est le rachat, c’est la délivrance des malheureux190.
Aujourd’hui. Ce mot nous avertit tous de notre commune faiblesse. Car quel est l’homme qui, même s’il n’espère pas pouvoir par ses seules ressources s’assurer pour un temps un peu long les choses nécessaires à la vie, ne se flatterait du moins de se suffire à lui-même durant l’espace d’un jour ? Et cependant Dieu n’autorise pas cette confiance en nous, puisqu’Il nous a fait un commandement de Lui demander notre pain de tous les jours. Et ceci est fondé sur cette raison capitale, qu’ayant tous et chaque jour besoin de nourriture, chaque jour aussi nous devons tous la demander dans l’Oraison Dominicale.
Voilà ce que nous avions à dire du pain matériel qui nourrit et soutient le corps, qui est commun aux Fidèles et aux infidèles, aux justes et aux impies, qui est distribué à tous par l’admirable bonté de Dieu, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes191.
Reste le Pain spirituel dont nous avons également à parler ici. Or, ce Pain signifie et comprend tout ce dont nous avons besoin en cette vie pour le salut et la sanctification de notre âme. Car de même qu’il y a différente espèces d’aliments propres à nourrir notre corps, de même aussi il existe plus d’un genre de nourriture capable d’entretenir la vie de l’esprit et de l’âme.
Et d’abord la Parole de Dieu est véritablement une nourriture de l’âme. Venez, dit la Sagesse, mangez mon Pain et buvez le Vin que j’ai préparé pour vous192.
Et lorsque Dieu enlève aux hommes le bienfait de sa Parole — ce qu’Il fait ordinairement pour les punir de quelque grand crime — on dit alors qu’Il les afflige par la famine. Écoutons le Prophète Amos : J’enverrai la famine sur la terre ; non la famine du pain, ni la soif de l’eau, mais celle de la parole de Dieu193.
Et comme c’est un signe certain de mort prochaine de ne pouvoir plus prendre de nourriture, ou de ne plus supporter celle que l’on a prise, ainsi c’est une marque presque certaine d’éternelle réprobation de ne point rechercher la Parole de Dieu, de ne la point supporter, lorsqu’on l’entend, et d’oser répéter à Dieu ces paroles épouvantables : Retirez-Vous de nous, nous n’avons que faire de connaître la science de vos voies194.
On trouve cet aveuglement, cette fureur insensée, chez ceux qui abandonnent leurs chefs légitimes, c’est-à-dire les Évêques et les Prêtres, qui se séparent de la sainte Église Romaine, pour se faire les disciples des hérétiques qui ne savent que corrompre la Parole de Dieu.
Ensuite Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même est ce Pain qui est vraiment la nourriture de l’âme. N’a-t-il pas dit Lui-même : Je suis le pain vivant descendu du ciel195 ? Et il est impossible d’imaginer la joie et le bonheur que ce Pain surnaturel procure aux âmes pieuses, même lorsqu’elles sont aux prises avec les plus grands chagrins et les plus cruels mécomptes. Nous le voyons par l’exemple des saints Apôtres dont il est dit : qu’ils sortirent du conseil, et s’en allèrent pleins de joie196. Les vies des Saints sont remplies de traits semblables ; et Dieu Lui-même, en parlant de ces délices intérieures des âmes justes, nous dit : Je donnerai au vainqueur une manne cachée197.
Mais c’est principalement dans le Sacrement de l’Eucharistie, où il est substantiellement présent, que notre Seigneur Jésus-Christ est, à proprement parler, notre Pain [le Pain de nos âmes]. Et c’est lorsqu’Il était sur le point de retourner à son Père qu’Il nous donna ce gage incompréhensible de son amour, dont Il a dit Lui-même : Celui qui mange ma Chair et qui boit mon Sang, demeure en Moi, et Moi en lui198 ; venez et mangez, ceci est mon Corps199.
Pour l’utilité et l’instruction des Fidèles, les Pasteurs feront bien, sur le point qui nous occupe, de consulter le chapitre de ce catéchisme, où nous traitons séparément de la nature et de la vertu de l’Eucharistie.
Ce Pain, que nous appelons notre Pain n’est cependant que le Pain des Fidèles, c’est-à-dire de ceux qui, remplis de Foi et de Charité, effacent les souillures de leurs péchés dans le sacrement de Pénitence, et qui, se gardant bien d’oublier qu’ils sont les enfants de Dieu, honorent et reçoivent ce divin Sacrement avec toute la piété et le respect dont ils sont capables.
Mais pourquoi Jésus-Christ est-il notre Pain quotidien ? En voici deux raisons excellentes. La première, c’est que chaque jour, dans les sacrés Mystères de l’Église, on L’offre à Dieu, et on Le distribue à ceux qui Le demandent avec innocence et piété. La seconde, c’est que nous devrions chaque jour prendre cette nourriture, ou tout au moins vivre de telle sorte que nous puissions tous les jours nous en nourrir, si cela nous était possible. Écoutez, vous qui prétendez que l’on ne doit prendre cette nourriture de l’âme qu’à de longs intervalles, écoutez Saint Ambroise : Si c’est un Pain quotidien, dit-il, pourquoi ne le mangez-vous qu’une fois l’an ?200
Mais, en expliquant cette demande, l’un des points sur lesquels il importe le plus de donner une conviction aux Fidèles, c’est que, après avoir employé toute leur sagesse et toute leur habileté pour se procurer les choses nécessaires à la vie, ils doivent en remettre le succès à Dieu, et régler leurs désirs sur sa Volonté. Car Dieu, dit le Prophète, ne laissera point le juste dans une éternelle agitation201. En effet, ou bien Dieu leur accordera ce qu’ils Lui demandent, et alors leurs désirs seront satisfaits ; ou bien Il ne l’accordera pas, et alors ils auront une preuve manifeste qu’il n’y avait rien ni de salutaire ni d’utile dans ce qu’Il aura refusé à ses justes. Car Il a bien plus de sollicitude pour leur salut, qu’ils ne peuvent en avoir eux-mêmes. Les Pasteurs, pour développer davantage cette considération et la mettre en lumière, pourront consulter avec fruit la remarquable lettre de Saint Augustin à Proba.
Enfin, nous terminons ce que nous avions à dire sur cette quatrième demande, en rappelant aux riches qu’ils doivent rapporter à Dieu, de qui ils les tiennent, leur fortune et leurs grandes ressources, et ne jamais oublier qu’ils n’ont été comblés de tous ces biens que pour en faire part aux indigents. Ainsi l’enseigne l’Apôtre Saint Paul dans sa première épître à Timothée. Les Pasteurs n’ont qu’à la consulter ; ils y trouveront en abondance tout ce dont ils ont besoin, pour expliquer clairement aux Fidèles un si important sujet.
Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés
Il n’y a qu’à ouvrir les yeux pour apercevoir la Puissance infinie, la Sagesse et la Bonté de Dieu. Elles éclatent de toutes parts, dans une multitude de choses. Partout où nous pouvons porter nos regards et notre pensée, nous sommes en face des preuves les plus admirables et les plus certaines de ce pouvoir et de cette bienveillance sans bornes. Néanmoins, rien ne manifeste mieux l’amour immense que Dieu a pour nous, et son incompréhensible Charité, que l’ineffable mystère de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voilà la Source intarissable qui purifie les souillures de nos péchés, et où nous demandons à Dieu la grâce d’être plongés et purifiés quand nous disons : pardonnez-nous nos offenses.
Cette Prière renferme donc, comme en une sorte d’abrégé, tous les biens dont le genre humain a été comblé par Jésus-Christ. C’est l’affirmation formelle d’Isaïe : L’iniquité de la maison de Jacob, dit-il, lui sera pardonnée et le comble des avantages pour elle, c’est que son péché sera effacé202. David dit aussi la même chose, en chantant le bonheur de ceux qui ont pu participer à cette faveur si précieuse : Heureux, ceux dont les iniquités ont été remises203.
Les Pasteurs auront donc à étudier et à expliquer avec beaucoup de soin cette cinquième demande dont nous connaissons l’extrême importance au point de vue du Salut.
Ici, nous entrons dans un nouvel ordre de Prière. Jusqu’ici en effet, nous avons demandé à Dieu non seulement les biens éternels et spirituels, mais encore les avantages périssables qui se rapportent à cette vie. Maintenant nous Le prions d’éloigner de nous les maux de l’âme et ceux du corps, les maux du temps et ceux de l’éternité. Mais comme il est nécessaire, pour être exaucé, de demander convenablement, il nous parait utile de bien marquer les dispositions dans lesquelles il faut être pour adresser à Dieu cette Prière.
Les Pasteurs ont donc à prévenir les Fidèles que celui qui veut s’approcher de Dieu pour Lui faire cette demande, est obligé d’abord de reconnaître ses propres fautes, puis de ressentir une véritable douleur de les avoir commises, et en même temps d’être bien persuadé que Dieu a la volonté de pardonner à tous les pécheurs qui sont dans les dispositions que nous venons de rappeler. Autrement, le souvenir plein d’amertume et la vue effrayante de tous nos péchés pourraient nous jeter dans le désespoir de Caïn et de Judas, qui ne voulurent voir en Dieu qu’un Vengeur et un Justicier, et non point la Bonté même de la Miséricorde infinie.
La principale disposition que nous devons apporter à cette Prière est donc de reconnaître nos fautes avec une vraie Contrition, et de nous adresser à Dieu comme à un Père et non point comme à un Juge. En un mot nous devons Lui demander de nous traiter non d’après sa Justice, mais selon sa Miséricorde.
Or, nous n’aurons aucune peine à confesser que nous sommes de pauvres pécheurs, si nous voulons écouter ce que Dieu Lui-même nous dit dans nos Saints Livres par la bouche de David : Ils se sont tous égarés ; tous se sont corrompus. Il n’en est pas qui fasse le bien, non, pas un seul204. Salomon dit dans le même sens : Il n’y a point de juste sur la terre qui fasse le bien et ne pèche jamais205 ; puis encore : Qui peut dire : mon cœur est pur ; je suis exempt de péché ?206 Et pour détourner les hommes de l’orgueil, Saint Jean a écrit : Si nous nous disons sans péché nous nous trompons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous207 ; enfin Jérémie : Tu as dit : Je suis sans péché, je suis innocent, éloignez donc de moi votre colère. Eh bien ! voilà que Je vais entrer en jugement avec toi, parce que tu as dit : Je n’ai pas péché208.
Tous ces témoignages que Notre-Seigneur Jésus-Christ avait donnés au monde par la bouche des Prophètes, Il a voulu les confirmer Lui-même en nous prescrivant une Prière qui nous oblige à confesser nos fautes. Il est défendu d’entendre cette demande dans un autre sens, le décret du Concile de Milève est formel : Si quelqu’un interprète ces paroles de l’Oraison Dominicale : pardonnez-nous nos offenses, comme si les Saints ne les prononçaient que par humilité et non point avec sincérité et vérité, nous voulons qu’il soit anathème209. Et en effet, qui pourrait souffrir un homme capable de mentir non aux hommes mais à Dieu même, et affirmant de bouche qu’il veut être pardonné, pendant que dans son cœur il prétendrait n’avoir pas besoin de pardon !
Mais dans cette reconnaissance nécessaire de nos péchés, il ne suffit pas de nous les rappeler légèrement, il faut que ce souvenir nous soit amer, qu’il pénètre au fond de notre cœur, y éveille le remords et nous inspire une vive douleur. Aussi bien les Pasteurs auront grand soin d’insister sur cette vérité, pour convaincre les Fidèles qui sont obligés non seulement de se rappeler leurs iniquités et leurs désordres, mais de se les rappeler avec une douleur profonde et un repentir sincère. Ainsi, le cœur vraiment contrit, ils se jetteront dans les bras de Dieu leur Père, et ils Le supplieront en toute humilité d’arracher de leurs âmes les terribles aiguillons du péché.
Et ils ne se contenteront pas de mettre sous les yeux des Fidèles toute la laideur du péché, ils leur représenteront encore l’indignité et la bassesse de l’homme, qui n’étant rien par lui-même que corruption et péché ne laisse pas d’offenser lâchement l’incompréhensible Majesté, l’Excellence infinie de ce Dieu qui l’a créé, qui l’a racheté et l’a enrichi d’une multitude innombrable de grâces et de bienfaits.
Et pourquoi ? Pour se séparer de Dieu son Père qui est le souverain Bien, et pour aller, séduit par la honteuse récompense du péché, se vouer au démon et à la plus misérable des servitudes. Car on ne saurait dire avec quelle cruauté Satan règne sur l’esprit de ceux qui ont abandonné le joug si léger de la Loi de Dieu, et rompu le lien si doux qui nous attache à Lui, pour passer à cet ennemi acharné que nos Saints Livres appellent : Le prince et le maître de ce monde210, le prince des ténèbres211, le roi de tous les fils de l’orgueil212. Car c’est bien aux malheureux opprimés sous la tyrannie du démon, que peuvent s’appliquer les paroles d’Isaïe : Seigneur notre Dieu, d’autres maîtres que vous nous ont possédés213.
Si nous sommes peu touchés d’avoir perdu la Charité de Dieu et d’en avoir brisé les liens, soyons-le du moins par les calamités et les misères dans lesquelles nous précipite le péché. Il viole la sainteté de notre âme que nous savons être l’épouse de Jésus-Christ, il profane en elle le temple du Seigneur, et l’Apôtre prononce contre ceux qui souillent ce temple, ce terrible anathème : Si quelqu’un viole le temple du Seigneur, le Seigneur le perdra214. Enfin les maux que le péché attire sur l’homme sont innombrables ; c’est comme une peste générale que David a exprimée en ces termes : À la vue de votre colère, il ne reste rien de sain dans mon corps ; et il n’y a plus de paix dans mes os à la vue de mes péchés215. Pouvait-il mieux caractériser la gravité du mal que le péché lui avait fait, que d’avouer qu’il n’y avait aucune partie de son corps qui n’en eût été blessée, que cette peste avait pénétré jusque dans ses os, c’est-à-dire, avait infecté sa raison et sa volonté qui sont les deux parties les plus fortes de l’âme ? La sainte Écriture nous peint bien l’étendue des ravages du péché, quand elle donne au pécheur le nom de boiteux, de sourd, de muet, d’aveugle, et de paralytique de tous les membres.
Mais il faut le dire, outre la douleur que David ressentait de la grandeur de son crime, il était surtout plongé dans la plus cruelle affliction à la vue de la colère de Dieu qu’il savait avoir allumée par son péché. Car Dieu, qui se sent offensé par nos crimes, au delà de ce que nous pouvons concevoir, déclare au pécheur une guerre implacable, Saint Paul le dit : La colère et l’indignation, la tribulation et l’angoisse, voilà le partage de tout homme qui fait le mal !216
Sans doute l’acte du péché passe, mais la tache et la culpabilité restent ; et la colère de Dieu, toujours menaçante, suit le pécheur comme l’ombre suit le corps. David se sentant pressé par les aiguillons de cette redoutable colère, demandait avec ardeur le pardon de ses fautes. Il nous a laissé dans le Psaume cinquantième un modèle de douleur, avec les raisons et les motifs de cette douleur. Les Pasteurs feront bien de le mettre sous les yeux des Fidèles afin qu’à l’exemple du Prophète ils puissent s’exciter à un véritable repentir, à une douleur sincère de leurs péchés, et concevoir l’espérance du pardon.
Il est en effet très utile d’enseigner aux Fidèles les moyens d’exciter en eux le repentir de leurs fautes ; et Dieu Lui-même, par la bouche du Prophète Jérémie, exhortant les enfants d’Israël à faire pénitence, leur recommandait de bien méditer sur les effets toujours désastreux du péché. Voyez, leur dit-Il, les maux et les afflictions qui vous arrivent pour avoir abandonné le Seigneur votre Dieu, et pour n’avoir pas conservé ma crainte en votre cœur, dit le Seigneur Dieu des armées217.
Ceux qui ne reconnaissent point leurs péchés et n’en éprouvent point un sincère repentir, n’ont qu’un cœur dur218, un cœur de pierre219, un cœur de diamant220, selon les expressions d’Isaïe, d’Ézéchiel et de Zacharie. Semblables en effet à la pierre, aucune douleur ne les amollit ; ils n’ont aucun sentiment de vie véritable, précisément parce qu’ils manquent de ce double sentiment dont nous venons de parler, l’aveu et le repentir de leurs péchés.
Mais dans la crainte que les Fidèles, épouvantés à la vue de leurs péchés, ne désespèrent d’en obtenir le pardon, les Pasteurs ne manqueront pas de les rappeler à l’Espérance par les considérations que voici : d’abord, notre Seigneur Jésus-Christ a donné à l’Église le pouvoir de remettre les péchés, comme le déclare le dixième article du Symbole des Apôtres ; ensuite, dans cette demande même, Il nous montre clairement combien Dieu est bon et généreux envers le genre humain. Car s’il n’était pas toujours prêt et empressé à pardonner à ceux qui se repentent, jamais Il ne nous eût imposé cette formule de Prière : pardonnez-nous nos offenses.
Croyons donc fermement et sans aucun doute, que Celui-là ne manquera jamais d’étendre sur nous sa paternelle Miséricorde, qui nous ordonne de L’implorer en ces termes. Car le vrai sens attaché à cette demande, c’est que Dieu a pour nous des sentiments tels qu’Il nous pardonne volontiers dès que notre repentir est sincère.
Sans aucun doute, c’est un Dieu que nous offensons par notre désobéissance, un Dieu dont nous troublons, autant qu’il est en nous, l’ordre si sage qu’il a établi, un Dieu que nous outrageons par nos paroles et par nos actes, mais ce Dieu est en même temps le plus tendre des Pères. Il peut tout nous pardonner ; et non seulement il nous a déclaré qu’Il en avait la Volonté, mais encore Il nous oblige à Lui demander pardon et nous apprend même en quels termes nous devons le faire pour être exaucés. Il n’est donc pas douteux qu’avec l’aide de Dieu il est toujours en notre pouvoir de nous réconcilier avec Lui.
Cette certitude que nous avons des dispositions constantes de Dieu à nous pardonner ne peut qu’augmenter notre Foi, nourrir notre Espérance et enflammer notre Charité. C’est pourquoi il est bien à propos que les Pasteurs, en traitant cette matière, rapportent quelques-uns des témoignages divins et des exemples les plus frappants pour prouver que Dieu a accordé le pardon des plus grands crimes. Mais cette considération ayant été développée par nous, autant qu’elle pouvait l’être, dans la préface de l’Oraison Dominicale, et dans l’article du Symbole sur la rémission des péchés, les Pasteurs pourront prendre en ces deux endroits ce dont ils auront besoin pour leurs explications. Le reste, ils le puiseront aux sources mêmes de la Sainte Écriture.
Et ils voudront bien suivre le même ordre que celui que nous leur avons indiqué dans les demandes précédentes. De cette manière les Fidèles comprendront ce qu’il faut entendre par le mot dettes, ils ne seront pas trompés par une équivoque et ils ne demanderont pas autre chose que ce qu’ils doivent demander.
Et d’abord il faut leur apprendre que nous ne demandons pas du tout à Dieu de nous dispenser de L’aimer de tout notre cœur, de toute notre âme et de tout notre esprit. Cette dette est irrémissible. Nous sommes obligés de la payer, si nous voulons être sauvés.
Ce mot de dette exprime aussi, comme il les renferme, l’obéissance, le culte, l’adoration, et tous les autres devoirs de ce genre envers Dieu. Par conséquent nous ne demandons pas non plus ici d’en être dispensés. Mais nous prions Dieu de nous délivrer de nos péchés. Ainsi l’a compris Saint Luc, qui s’est servi du mot de péché au lieu de celui de dette. C’est qu’en effet par le péché nous devenons coupables devant Dieu, nous contractons une véritable dette de peines que nous acquittons soit par la satisfaction, soit par la souffrance. C’est de cette dette que parlait Notre-Seigneur quand Il disait par la bouche du Prophète : J’ai payé ce que Je ne devais pas221.
Il suit de ces paroles, entendues en ce sens, que non seulement nous sommes débiteurs envers Dieu, mais même des débiteurs insolvables, puisque le pécheur ne saurait en aucune façon satisfaire par lui-même. Voilà pourquoi nous avons besoin de nous réfugier dans le sein de la Miséricorde de Dieu. Et comme cette Miséricorde ne va pas en Dieu sans une Justice non moins grande, et dont Dieu est aussi très jaloux, nous devons employer en même temps la Prière et l’appui de la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sans laquelle nul n’obtient jamais le pardon de ses péchés, et qui est le principe et la source de toutes nos satisfactions.
Le prix que le Sauveur a payé sur la Croix, et que nous nous approprions par les Sacrements, lorsque nous les recevons en réalité, ou même lorsque nous désirons seulement les recevoir, ce prix est d’une valeur si haute qu’il obtient et qu’il opère ce que nous demandons ici : la Rémission de nos péchés. Et non seulement la Rémission de nos péchés légers, et dont le pardon est très facile à obtenir, mais encore des fautes graves et mortelles. Toutefois, quand il s’agit de péché mortel, notre Prière n’a de vertu que celle qui lui vient du sacrement de Pénitence reçu au moins en désir, sinon dans la réalité.
Mais nous disons : nos dettes, bien autrement que plus haut nous disions : notre pain. Ce pain est notre pain, parce que Dieu dans sa Bonté veut bien nous le donner, mais les péchés sont nos péchés, parce que la culpabilité en réside en nous. C’est notre volonté qui les fait ce qu’ils sont. Ce ne seraient point des péchés, s’ils n’étaient point volontaires.
C’est donc en nous avouant coupables, et en assumant la responsabilité de nos fautes, que nous implorons la Clémence divine seule capable de nous purifier. Nous n’apportons aucune excuse, nous ne rejetons notre faute sur personne, comme firent Adam et Ève, nos premiers parents ; mais nous nous accusons nous-mêmes, si nous avons la vraie sagesse, et nous empruntons au Prophète sa Prière : Seigneur, ne permettez pas que mon cœur s’égare dans des paroles de malice, pour chercher des excuses à mes iniquités222.
Nous ne disons pas non plus : pardonnez-moi, mais pardonnez-nous, parce que l’union et la Charité fraternelle qui doivent exister entre tous les hommes exigent de chacun de nous que nous nous intéressions au salut de tous, et que, en priant pour nous, nous n’oublions pas de prier pour les autres. C’est Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même qui nous a appris cette manière de prier ; puis, l’Église de Dieu l’a reçue et conservée fidèlement, et les Apôtres l’ont pratiquée et enseignée aux Fidèles. L’Ancien et le Nouveau Testament nous fournissent deux beaux modèles de ces Prières vraiment brûlantes de charité pour le salut du prochain. L’une est de Moïse : ou pardonnez-leur cette faute, ou, si Vous ne la leur pardonnez pas, effacez-moi de votre livre223, l’autre est de Saint Paul : Je souhaitais que Jésus-Christ me rendit moi-même anathème pour mes Frères224.
Ce mot comme peut s’entendre ici de deux manières. D’abord, dans le sens de comparaison, nous demandons à Dieu que, de même que nous pardonnons les injures et les outrages de ceux qui nous ont offensés, de même aussi Il nous pardonne nos offenses envers Lui. En second lieu ce mot marque une condition, et c’est précisément le sens que Notre-Seigneur lui donne dans ces paroles : Si vous pardonnez aux hommes leurs fautes envers vous, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres contre Lui ; mais si vous ne pardonnez rien aux hommes, votre Père ne pardonnera point non plus vos péchés225.
Or ces deux choses sont également nécessaires pour obtenir de Dieu le pardon de nos infidélités. Si nous voulons que Dieu nous pardonne, il est de toute nécessité que nous pardonnions à ceux de qui nous avons reçu quelque offense. Dieu exige de nous d’une part l’oubli des injures, et de l’autre des sentiments de Charité mutuelle, et ces deux choses Il les exige à tel point qu’Il repousse et méprise les sacrifices et les offrandes de ceux qui ne veulent pas se réconcilier ensemble. C’est aussi une loi de la nature que nous soyons envers les autres tels que nous désirons qu’ils soient pour nous. Et celui-là serait un parfait impudent, qui demanderait à Dieu de lui remettre la peine de son péché, pendant qu’il conserverait, dans son cœur des sentiments d’inimitié pour son prochain.
Ainsi donc nous devons être toujours disposés et prêts à pardonner les injures que nous avons reçues. La Prière que nous récitons nous en fait un devoir, et Dieu Lui-même nous l’ordonne dans Saint Luc : Si votre frère a péché contre vous, reprenez-le, et s’il se repent, pardonnez-lui ; et s’il pèche contre vous sept fois le jour, et que sept fois le jour il se retourne vers vous en disant : Je me repens, pardonnez-lui226. Saint Matthieu nous dit de même : Aimez vos ennemis227 ; et Saint Paul, après Salomon, veut que nous donnions à manger à notre ennemi s’il a faim, et à boire s’il a soif228. Enfin Notre-Seigneur, dans Saint Marc, nous dit : Quand vous serez au moment de prier, si quelqu’un vous a offensé, pardonnez-lui, afin que votre Père qui est dans les cieux, vous pardonne aussi vos péchés229
Mais comme il n’y a rien de plus difficile à notre nature dégradée que de pardonner les injures, les Pasteurs se feront un devoir d’employer toutes les ressources de leur zèle et de leur intelligence pour changer le cœur des Fidèles et pour les plier à cet esprit de douceur et de miséricorde si nécessaire au Chrétien. Ils insisteront le plus possible sur ces oracles divins dans lesquels Dieu Lui-même commande expressément de pardonner aux ennemis. Ils proclameront cette Vérité incontestable que l’une des meilleures preuves que nous sommes vraiment les enfants de Dieu, c’est que nous pardonnons facilement les injures, et que nous aimons nos ennemis du fond du cœur. C’est qu’en effet, l’amour pour nos ennemis fait briller en nous une ressemblance particulière avec Dieu notre Père qui s’est réconcilié avec les hommes, ses ennemis acharnés, en les rachetant de la damnation éternelle par la mort de son propre Fils. Enfin ils termineront leurs instructions et leurs exhortations par ce précepte de Notre-Seigneur, que nous ne pourrions repousser sans nous couvrir de honte, et sans nous condamner aux plus grands malheurs : Priez pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient, afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux230.
C’est ici qu’il faut aux Pasteurs une prudence consommée pour ne porter personne au découragement et au désespoir, en faisant connaître d’une part la difficulté. Et de l’autre la nécessité de ce devoir. Car il en est qui, comprenant fort bien qu’ils doivent ensevelir les injures dans un oubli volontaire, et aimer ceux qui les ont offensés, désirent de le faire, et le font en effet autant qu’ils le peuvent. Mais cependant ils se sentent dans l’impossibilité d’épuiser jusqu’au dernier souvenir des injures reçues, et parce qu’ils trouvent encore dans leur cœur certains restes d’inimitié, ils s’agitent et se tourmentent d’une manière terrible, craignant de n’avoir point pardonné avec assez de franchise et de sincérité, et d’avoir ainsi résisté au commandement de Dieu.
C’est alors que les Pasteurs devront expliquer clairement l’opposition constante de la chair et de l’esprit. La chair est portée à la vengeance, mais l’esprit est enclin au pardon. De là entre eux ces luttes incessantes, ces combats sans trêve. Ils diront et enseigneront aux Fidèles qu’ils n’ont rien à craindre pour leur Salut, malgré l’opposition et les combats de la nature corrompue contre la raison, pourvu que l’esprit persiste dans le devoir, et dans la volonté sincère de pardonner les injures et d’aimer le prochain.
Que si, par hasard, il s’en rencontrait quelques-uns, qui n’auraient pu se résoudre encore à oublier les injures reçues, et à aimer leurs ennemis, et qui par suite négligeraient de réciter l’Oraison Dominicale, précisément parce qu’ils ne peuvent remplir la double condition exigée, il faudrait, pour détruire en eux cette erreur funeste, employer les deux raisons suivantes.
Premièrement, chaque Fidèle fait cette Prière au nom de toute l’Église. Or il est certain qu’il y a nécessairement dans l’Église un grand nombre de Fidèles qui remettent à leurs débiteurs ces sortes de dettes que nous rappelons ici.
Secondement, en faisant cette demande, nous prions Dieu en même temps de nous accorder tout ce qui nous est nécessaire pour mériter d’être exaucés. Nous demandons en effet et le pardon de nos péchés et le don d’une vraie pénitence ; nous demandons la douleur intérieure, l’horreur et la détestation de nos fautes, et la grâce d’en faire au Prêtre une pieuse et sincère confession. Et comme il est nécessaire que nous pardonnions à ceux qui nous ont fait quelque tort, ou causé quelque dommage, lorsque nous prions Dieu de nous pardonner, nous Lui demandons en même temps qu’Il nous accorde la grâce de nous réconcilier avec ceux que nous haïssons. Il y a donc lieu d’arracher à leur opinion ceux qui sont frappés de cette crainte mal fondée et même criminelle, qu’en priant ainsi ils ne feraient qu’irriter Dieu davantage. Il faut même les exhorter à réciter souvent l’Oraison Dominicale, pour demander à Dieu leur Père cet esprit qui nous fait pardonner à ceux qui nous offensent, et aimer même nos ennemis.
Mais pour faire cette Prière avec tout le fruit possible, il faut d’abord y entrer avec cette pensée et cette préoccupation très vives que nous nous présentons devant Dieu comme des suppliants, et que nous Lui demandons un pardon qui ne s’accorde qu’au vrai pénitent. Dès lors notre cœur doit être rempli de cette Charité et de cette piété qui vont si bien avec le repentir. Et rien ne convient mieux au pénitent sincère que d’expier dans les larmes les iniquités et les crimes dont le triste tableau afflige ses regards.
À cette pensée il faut joindre certaines précautions pour éviter à l’avenir ce qui a été pour nous une occasion de péché, et qui pourrait l’être encore, vis-à-vis de Dieu, notre Père. Ces sentiments étaient ceux de David, quand il disait : Mon péché est toujours devant moi231 ; et dans un autre endroit : chaque nuit ma couche est baignée de mes pleurs, et mon lit est arrosé de mes larmes232.
Chacun de nous pourra se rappeler très utilement que ceux qui ont obtenu de Dieu le pardon de leurs péchés le Lui avaient demandé avec les désirs les plus ardents. Par exemple, ce Publicain qui restait loin de l’Autel, tout pénétré de confusion et de douleur, les yeux humblement baissés, et se frappait la poitrine en disant : Mon Dieu, ayez pitié de moi qui ne suis qu’un pécheur !233 Par exemple encore, cette pécheresse qui se tenait derrière le Sauveur, arrosait ses pieds de ses larmes, les essuyait avec ses cheveux et les baisait. Et enfin Pierre, le Prince des Apôtres qui, étant sorti, pleura amèrement234.
Il faut bien voir aussi que plus les hommes sont faibles et prédisposés aux maladies de l’âme, qui sont le péché, plus ils ont besoin de remèdes nombreux et fréquents. Or, les remèdes de l’âme malade sont la Pénitence et l’Eucharistie. Les Fidèles ne sauraient donc y recourir trop souvent.
L’Aumône ensuite, comme nous le disent nos Saints Livres, est également un remède très salutaire pour guérir les plaies de l’âme. C’est pourquoi ceux qui désirent réciter cette Prière avec une parfaite piété, n’oublieront pas de faire aux pauvres tout le bien possible. L’Aumône possède une vertu merveilleuse pour effacer les taches du péché. C’est la parole de l’ange Raphaël au jeune Tobie : L’Aumône délivre de la mort, c’est elle qui lave les péchés et fait trouver la miséricorde et la Vie Éternelle235. C’est aussi celle de Daniel au Roi Nabuchodonosor : Rachetez vos péchés par des aumônes, et vos iniquités par la miséricorde envers les pauvres236.
Mais la meilleure Aumône, la meilleure manière d’exercer la miséricorde, c’est d’oublier les injures et de vouloir du bien à ceux qui nous ont fait tort à nous, ou aux nôtres, dans nos biens, dans notre réputation et dans notre personne. Quiconque veut trouver Dieu miséricordieux pour soi-même, doit Lui sacrifier généreusement toutes ses inimitiés, pardonner toute espèce d’offense, prier très volontiers pour ses ennemis, et profiter de toutes les occasions pour leur rendre service.
Mais comme nous avons déjà traité ce sujet, en parlant de l’homicide, nous y renvoyons les Pasteurs.
En terminant l’explication de cette demande, ils ne manqueront pas de faire voir qu’il n’y a rien, qu’on ne peut même imaginer rien de plus injuste que de demander à Dieu d’être pour nous plein de douceur et de miséricorde, si nous-mêmes nous sommes durs pour notre prochain, et ne pratiquons la douceur envers personne.
Et ne nous induisez point en tentation
Lorsque les enfants de Dieu ont obtenu la Rémission de leurs péchés, ils se sentent embrasés du désir de Lui rendre l’adoration et le culte qu’Il mérite, ils soupirent après le Royaume céleste, ils s’acquittent fidèlement envers la Majesté divine de tous les devoirs de la piété, et ils en viennent à être entièrement soumis à sa Volonté paternelle et à sa sainte Providence. Mais c’est alors aussi, cela est bien connu, que l’ennemi du genre humain déploie tous ses artifices, met en œuvre toutes ses ruses et apprête toutes ses machines de guerre, pour les attaquer. Il y a donc lieu de craindre que leurs résolutions ne soient ébranlées et changées, qu’eux-mêmes ne retombent de nouveau dans le mal et ne deviennent pires qu’auparavant. C’est d’eux que le Prince des Apôtres a pu dire avec raison : Il eût mieux valu pour eux qu’ils n’eussent point connu la voie de la justice, que de retourner en arrière après l’avoir connue, et d’abandonner la Loi Sainte qui leur avait été donnée237.
Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ nous a-t-Il fait de cette Prière un Commandement, afin de nous obliger à implorer tous les jours le secours de Dieu, et à nous recommander à sa Bonté paternelle. Car il n’est pas douteux, s’Il vient à nous abandonner, que nous ne soyons bientôt pris dans les filets de nos perfides ennemis. Et ce n’est pas seulement dans l’Oraison Dominicale que Jésus-Christ nous a ordonné de demander à Dieu de ne pas nous induire en tentation ; Il a porté le même Commandement dans cet entretien qu’Il eut avec ses Apôtres, quelques heures avant sa Mort. Après leur avoir dit en effet : qu’ils étaient tous purs238, Il ajouta : priez, pour que vous n’entriez point en tentation239. Ce double Commandement de notre Seigneur est pour les Pasteurs un motif très pressant d’exhorter avec le plus grand soin les Fidèles à réciter fréquemment cette Prière. Puisque le démon notre ennemi sème à toute heure sous nos pas les plus terribles dangers, il faut qu’à toute heure aussi nous puissions nous adresser à Dieu, qui seul peut nous en préserver, et Lui dire : ne nous induisez point en tentation.
Or les Fidèles comprendront parfaitement tout le besoin qu’ils ont de l’assistance divine, s’ils se souviennent de leur faiblesse et de leur ignorance, s’ils se rappellent cette maxime de Notre-Seigneur Jésus-Christ : L’esprit est prompt, et la chair est faible ; et s’ils considèrent enfin que nos chutes, avec la malice et la haine du démon, sont presque toujours graves et mortelles, si la main de Dieu ne nous soutient. Quel exemple plus sensible de la faiblesse humaine que celui du collège sacré des Apôtres ! Ils avaient fait preuve de la plus grande fermeté, et un instant après, au premier péril, ils abandonnent le Seigneur, et prennent la fuite. Exemple plus frappant encore ! Saint Pierre, le Prince des Apôtres, avait tiré de son cœur une magnifique profession de courage et en même temps de l’amour le plus sincère pour Jésus-Christ, il avait dit, plein de confiance en ses propres sentiments : Quand même il me faudrait mourir avec Vous, je ne Vous renierai point240, et une heure plus tard, à la voix d’une servante, il se trouble, et va jusqu’à jurer qu’il ne connaît point le Seigneur. Ses forces, à coup sûr, ne répondaient pas à la vivacité de ses sentiments.
Mais si les hommes les plus saints ont été les victimes de la fragilité humaine, dont ils ne se défiaient pas assez, et sont tombés dans les fautes les plus humiliantes, que ne doivent pas craindre les autres qui sont si éloignés de leur sainteté !
Il importe donc que les Pasteurs montrent bien aux Fidèles les combats et les dangers auxquels nous sommes sans cesse exposés. Tant que notre âme habite dans ce corps mortel, la chair, le monde et le démon nous attaquent de toutes parts.
Quel est celui qui ne connaît point, à ses dépens, les effets de la colère et de la cupidité ? Qui ne s’est senti blessé de leurs traits, déchiré de leurs aiguillons, et brûlé de leurs flammes ? Et en effet, les coups qu’elles frappent sont si variés, leurs attaques si diverses, qu’il est bien difficile de ne pas recevoir quelque grave blessure.
Mais outre ces ennemis qui habitent et vivent avec nous, il en est d’autres plus terribles encore dont il est écrit : Nous n’avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les maîtres des ténèbres de ce monde, contre les esprits de malice répandus dans les airs241. Aux combats intérieurs se joignent les attaques et les coups des démons, qui tantôt se précipitent sur nous à découvert, et tantôt se glissent si furtivement dans nos âmes que nous pouvons à peine nous en défendre.
L’Apôtre les appelle princes à cause de l’excellence de leur nature. Par ce côté, ils l’emportent en effet sur l’homme, et sur toutes les autres créatures. Il les nomme aussi puissances, parce qu’ils nous surpassent non seulement par la supériorité de leur nature mais encore par leur réel pouvoir ; puis, maîtres des ténèbres de ce monde, parce qu’ils régissent non pas le monde de la lumière et de la clarté, c’est-à-dire les bons et les justes, mais le monde sombre et obscur, c’est-à-dire ceux qui vivent plongés dans les souillures d’une vie criminelle, aveuglés par leurs passions ténébreuses et sans autre guide que le démon, ce prince des ténèbres ; enfin, esprits de malice, parce qu’il y a une malice de l’esprit, comme il y a une malice de la chair.
La malice de la chair allume les appétits déréglés des passions, et le désir des voluptés sensibles.
La malice de l’esprit se confond avec les passions et les inclinations dépravées de l’âme, mais qui toutefois appartiennent à sa partie supérieure. Elles sont d’autant plus dangereuses et plus criminelles que la raison et l’esprit sont au-dessus de la nature et des sens. Et comme la malice de Satan a pour but principal de nous priver de l’héritage du ciel, l’Apôtre a ajouté, à cause de cela, qu’ils sont répandus dans l’air.
Il n’est que trop aisé de conclure de là que nos ennemis sont forts et redoutables, qu’ils ont une ardeur invincible et sont animés contre nous d’une haine furieuse et inimaginable. Aussi bien ils nous font une guerre sans relâche, sans paix ni trêve possible. Leur audace est incroyable, nous en pouvons juger par cette parole que le Prophète fait dire à Satan : Je monterai au ciel242. Au surplus le démon a attaqué nos premiers parents dans le paradis, il a livré combat aux Prophètes, il a cherché les Apôtres, pour les cribler comme le froment243, c’est l’expression même de Notre-Seigneur dans l’Évangile ; il n’a même pas rougi de tenter Jésus-Christ. L’Apôtre Saint Pierre a donc bien exprimé ses désirs insatiables et son activité inouïe quand il a dit : Le démon votre ennemi tourne autour de vous comme un lion rugissant cherchant quelqu’un à dévorer244.
Et Satan n’est pas seul pour attaquer les hommes, c’est en troupe quelquefois que les démons fondent sur chacun de nous. On le vit bien par l’aveu de celui à qui Jésus demanda : quel est ton nom ? Et qui répondit : mon nom est légion245, c’est-à-dire qu’une multitude de démons tourmentaient ce malheureux. Et puis, l’Évangile ne dit-il pas d’un autre démon : qu’il prend avec lui sept autres esprits plus méchants que lui, qu’ils entrent dans la maison (c’est-à-dire dans l’âme) et qu’ils y habitent246 ?
Il n’est pas rare de rencontrer des Chrétiens qui, ne sentant pas en eux-mêmes ces attaques du démon, s’imaginent que notre Doctrine est fausse. Mais peut-on s’étonner que les démons n’attaquent point des hommes qui se sont volontairement donnés à eux, et dans lesquels on ne trouve ni piété, ni Charité, ni aucune vertu digne d’un Chrétien ? Ils appartiennent entièrement à Satan. Comment aurait-il besoin de les tenter pour les vaincre, puisque, de leur plein consentement, il règne déjà dans leur cœur.
Mais ceux qui se sont consacrés à Dieu, et qui mènent sur la terre une vie toute céleste, sont plus que tous les autres en butte aux assauts du démon. C’est pour eux qu’il réserve toute sa haine, c’est contre eux qu’à chaque instant il dresse des pièges et des embûches.
L’Histoire Sainte est pleine d’exemples de grands et vertueux personnages qui même en se tenant sur leurs gardes ont été victimes de sa rage ou de sa duplicité. Adam, David, Salomon et tant d’autres qu’il serait trop long de citer ont éprouvé la violence de ses attaques et la perfidie de ses ruses, auxquelles ni la prudence ni les forces humaines ne sauraient résister. Qui oserait après cela se croire en sûreté avec ses seules forces ? Demandons donc à Dieu avec Foi et pureté de cœur : qu’Il ne permette pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, et qu’Il nous donne, dans la tentation, le secours de son assistance, afin que nous puissions résister247.
Mais s’il se rencontre des Fidèles qui par faiblesse d’esprit ou par ignorance sont épouvantés de la puissance des démons, il faut leur persuader de se réfugier dans le port de la Prière, quand ils sont agités par les flots de la tentation.
Car Satan, quelles que soient sa puissance, son obstination, et sa haine contre nous ne peut cependant nous tenter et nous tourmenter ni autant ni aussi longtemps qu’il le voudrait. Tout son pouvoir est subordonné à la Volonté et au bon plaisir de Dieu. Qui ne connaît l’histoire de Job, que Satan n’eût jamais touché, si le Seigneur ne lui eût dit : Voilà que Je te livre tout ce qu’il possède. Mais si au contraire, Dieu n’avait point ajouté : seulement n’étends pas la main sur lui, Satan l’eût fait périr d’un seul coup avec ses enfants et tous ses biens. Et même Dieu a enchaîné tellement la puissance des démons que, sans sa permission, ils n’auraient pas pu passer dans ces pourceaux, dont il est question dans l’Évangile.
Mais pour mieux faire comprendre le sens et la portée de cette demande, nous avons à expliquer ce que l’on doit entendre par tentation, et par être induit en tentation.
Tenter, c’est mettre quelqu’un à l’épreuve, pour tirer de lui ce que nous désirons savoir, et par là connaître la vérité. On ne peut pas dire que Dieu puisse tenter en ce sens, car, y-a-t-il quelque chose qu’Il ignore ? Tout, dit l’Apôtre, est à nu et à découvert devant ses yeux248.
Il y a une autre manière de tenter qui va beaucoup plus avant, c’est de mettre quelqu’un à l’épreuve, soit en vue du bien, soit en vue du mal.
On tente un homme en vue du bien, lorsqu’on l’éprouve dans le but de constater et de manifester sa vertu, afin de la récompenser ensuite par des avantages et des honneurs, de proposer son exemple à imiter aux autres et par suite d’engager tout le monde à louer et à bénir le Seigneur.
Cette manière de tenter est la seule qui convienne à Dieu. Et nous en trouvons un exemple dans le Deutéronome ; Le Seigneur votre Dieu vous tente, dit Moïse aux Hébreux, pour qu’il apparaisse visiblement si vous L’aimez249. On dit encore que Dieu tente les siens, lorsqu’Il les accable par la pauvreté, la maladie et autres calamités de ce genre. Mais Il n’agit ainsi envers eux que pour éprouver leur patience, et afin qu’ils deviennent pour les autres des modèles de vertu chrétienne. C’est ainsi que nous voyons Abraham tenté par Dieu, lorsqu’il reçoit de Lui l’ordre d’immoler son propre fils. Mais cet acte d’obéissance fait de lui un exemple immortel de soumission et de patience.
C’est dans le même sens qu’il est dit de Tobie dans nos Saints Livres : Parce que vous étiez agréable à Dieu, il était nécessaire que la tentation vînt vous éprouver250.
On tente les hommes en vue du mal, lorsqu’on les éprouve pour les pousser au péché ou à leur perte. Il appartient au démon de nous tenter de la sorte ; car il ne s’adresse à nous que pour nous perdre et nous jeter dans le précipice. Aussi l’Écriture Sainte l’appelle-t-elle d’un seul mot : le tentateur.
Tantôt il excite en nous les désirs et les mouvements déréglés de nos passions et de nos affections mauvaises ; tantôt, il nous attaque par le dehors, et se sert des choses extérieures pour nous enorgueillir, si elles sont heureuses, ou nous abattre, si elles sont malheureuses. D’autres fois il a pour agents et émissaires des hommes pervertis, et surtout des hérétiques, qui sont assis dans la chaire de pestilence, et répandent le poison mortel de leurs doctrines malsaines pour perdre entièrement les hommes qui ne font aucun choix et aucune différence entre le vice et la vertu, et qui de leur naturel ne sont déjà que trop enclins au mal et toujours prêts à succomber.
Être induit en tentation, c’est succomber à la tentation. Or nous y sommes induits en deux manières. Premièrement lorsque, renversés par le choc, nous tombons dans le mal où veut nous jeter notre tentateur. En ce sens Dieu ne tente et n’a jamais tenté personne, car Il n’est l’Auteur du péché pour personne : au contraire, Il déteste tous ceux qui commettent l’iniquité251. Aussi bien, dit l’Apôtre Saint Jacques, que personne ne dise, quand il est tenté, que c’est Dieu qui le tente ; car Dieu n’est point tentateur pour le mal252.
On dit en second lieu que nous sommes induits en tentation par quelqu’un qui, sans nous tenter lui-même, sans même contribuer à nous tenter, passe cependant pour nous éprouver réellement parce qu’il n’empêche ni la tentation ni la victoire de la tentation sur nous, bien qu’il le puisse. C’est de cette manière que Dieu permet que les bons et les justes soient tentés ; mais alors Il les soutient de sa Grâce et ne les abandonne point. Quelquefois aussi, par un secret et juste jugement, si nos crimes le demandent, Il nous abandonne à nous-mêmes, et nous succombons.
On dit encore que Dieu nous induit en tentation, lorsque nous abusons pour notre malheur des bienfaits qu’Il nous avait accordés en vue de notre Salut, et qu’à l’exemple de l’enfant prodigue nous dissipons l’héritage de notre Père en vivant dans la luxure, et en esclaves de toutes nos passions. C’est alors que nous pouvons nous appliquer ce que l’Apôtre disait de la Loi de Dieu : Il est arrivé que le Commandement qui devait servir à nous donner la vie, a servi à nous donner la mort253.
Jérusalem en est pour nous un exemple bien frappant. Au témoignage d’Ézéchiel, Dieu l’avait enrichie et parée de tous les genres d’ornements, et Il lui disait par la bouche de son Prophète : Vous étiez parfaitement belle, de cette beauté que Moi-même Je vous avais donnée254. Et cependant cette ville comblée de tous les bienfaits divins, bien loin de rendre grâces à Dieu des faveurs qu’elle en avait reçues, bien loin d’employer tous ces dons pour acquérir le bonheur du ciel, cette ville par une horrible ingratitude envers son Père et son Dieu, repousse l’espérance et même la pensée du bonheur éternel, et ne songe, dans l’abondance des biens terrestres, qu’à s’abandonner au plaisir et à la débauche ! Mais il faut lire tout le passage dans Ézéchiel.
Ceux-là ressemblent à cette ville ingrate qui, pour offenser Dieu, se servent précisément des moyens si nombreux qu’Il leur avait donnés de faire le bien.
Mais il est un usage de la Sainte Écriture qu’il faut signaler avec soin. Pour exprimer ce qui n’est qu’une permission de la part de Dieu, elle emploie quelquefois des termes qui, pris à la lettre, désigneraient une action. Ainsi il est dit dans l’Exode : J’endurcirai le cœur de Pharaon255 ; dans Isaïe : Aveuglez l’esprit de ce peuple256 ; dans l’Épître aux Romains : Dieu les a livrés aux passions ignominieuses et à leur sens réprouvé257. Dans ces passages, et dans les autres semblables, il ne s’agit point d’une action positive de Dieu, mais d’une simple permission.
Ceci bien compris, il ne sera point difficile de savoir ce que nous devons demander à Dieu dans cette sixième partie de l’Oraison Dominicale.
Nous ne demandons point de n’être jamais tentés. Car la vie de l’homme sur la terre n’est qu’une tentation. Et il nous est utile et avantageux qu’il en soit ainsi. C’est dans la tentation en effet que nous nous connaissons nous-mêmes, c’est-à-dire nos propres forces. C’est dans la tentation par conséquent que nous nous humilions sous la main puissante de Dieu, et que, combattant généreusement, nous méritons la couronne de gloire qui ne se flétrira jamais. Car, dit Saint Paul, celui qui combat dans la carrière ne sera couronné qu’après avoir légitimement combattu258. Saint Jacques dit à son tour : Bienheureux l’homme qui souffre la tentation, parce qu’après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui L’aiment259. Que si parfois la tentation de l’ennemi est trop pressante, nous penserons, pour soutenir notre courage, que nous avons pour nous aider un Pontife qui peut compatir à nos infirmités, ayant été Lui-même tenté et éprouvé en toutes choses260.
Que demandons-nous donc ici ? Nous demandons d’être toujours assistés par le Secours divin, afin de ne pas consentir à la tentation en nous laissant séduire par elle, et de n’y point céder non plus par faiblesse. Et si nos forces venaient à nous manquer, nous demandons que la Grâce de Dieu soit toujours avec nous pour les réparer et les ranimer immédiatement.
C’est pourquoi nous devons implorer le Secours de Dieu d’une manière générale dans toutes les tentations, et quand l’une d’elles nous tourmente davantage, recourir contre elle à la Prière, et d’une manière très expresse. C’est ce que pratiquait David dans presque toutes ses tentations. Ainsi contre le mensonge, il disait : N’ôtez point de ma bouche la parole de vérité261 ; contre l’avarice : Inclinez mon cœur vers vos préceptes et non vers l’avarice262. Contre les futilités de la vie et l’attrait des passions : Détournez mes yeux pour qu’ils ne voient point la vanité263. En somme nous demandons de ne pas obéir à nos passions, de ne pas nous lasser de résister aux tentations, de ne pas nous écarter de la voie du Seigneur, de conserver l’égalité d’âme et la constance dans les succès et dans les malheurs, de n’être jamais, en aucune manière, privés de la protection de Dieu.
Nous Le prions enfin d’abattre Satan sous nos pieds.
Le Pasteur n’a plus maintenant qu’à exhorter les Fidèles aux pensées et aux considérations qui doivent principalement accompagner cette demande.
Dans cette ordre d’idées, rien de plus avantageux d’abord que de bien se pénétrer de la grande faiblesse de l’humanité, de nous défier de nos forces et de mettre en Dieu seul et en sa Bonté l’espérance de notre Salut. Si nous avons la sagesse de nous appuyer sur Lui, nous ferons preuve, même au milieu des plus grands périls, d’un courage d’autant plus invincible que nous pourrons nous rappeler alors combien avant nous, avec le même courage et la même confiance que nous, ont été retirés par Dieu Lui-même — il faut dire le mot — de la gueule béante de Satan. N’avons-nous pas vu Joseph en butte à la passion insensée d’une femme, arraché par Dieu à ce pressant péril, et élevé par Lui au faîte de la gloire ? N’avons-nous pas vu Suzanne, victime innocente de véritables suppôts de l’enfer, sur le point de périr d’une mort infâme, ne l’avons-nous pas vue, rendue par Lui à la vie et à l’honneur ? Sans doute, il devait en être ainsi, car son cœur était plein de confiance dans le Seigneur. C’est aussi la gloire immortelle du saint homme Job d’avoir triomphé du monde, de la chair et du démon. Il est encore une foule d’autres exemples de ce genre dont le Pasteur saura se servir pour inspirer aux Fidèles cet espoir et cette confiance.
Il importe également de ne jamais perdre de vue le Chef que nous devons suivre dans ce combat acharné contre les tentations, c’est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ qui nous a montré comment on remporte la victoire.
C’est qu’en effet Il a vaincu le démon. Il est cet homme plus fort qui survient, qui terrasse le fort armé et qui lui arrache ses armes et ses dépouilles264. Voici ce que dit Saint Jean de la victoire qu’Il a remportée sur le monde : Ayez confiance, j’ai vaincu le monde265. Et dans l’Apocalypse, il est appelé le lion vainqueur qui est sorti victorieux pour vaincre encore266, parce que dans sa victoire il a acquis à ses partisans le pouvoir de vaincre à leur tour.
L’Épître de Saint Paul aux Hébreux est toute pleine des victoires des Saints qui par la Foi ont vaincu les royaumes, qui ont fermé la gueule des lions, etc267.
Ces victoires que nous raconte l’histoire, doivent nous faire penser à celles que les hommes remplis de Foi, d’Espérance et de Charité, remportent tous les jours dans ces combats intérieurs et extérieurs que leur livre le démon. Victoires si nombreuses et si belles que si nous pouvions les contempler de nos yeux, nous ne pourrions rien voir en même temps de plus fréquent et de plus glorieux. C’est en parlant de ces sortes d’ennemis et de leur honteuse défaite que l’Apôtre Saint Jean a dit : Je vous écris, jeunes gens, parce que vous êtes très forts, parce que la parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu l’esprit malin268.
Or ce n’est ni par l’oisiveté, le sommeil, le vin, la bonne chère, les plaisirs que l’on triomphe de Satan, mais par la Prière, le travail, les veilles, la tempérance et la vertu de pureté. Veillez et priez, est-il dit, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, afin de ne point entrer en tentation269.
Employons ces armes pour combattre, et nous mettrons nos ennemis en fuite. Car ceux qui résistent au démon, le verront fuir devant eux270.
Cependant, à la vue de ces magnifiques triomphes des Saints, prenons garde de nous complaire en nous-mêmes. Que nul d’entre nous ne soit assez présomptueux pour s’imaginer qu’avec ses seules forces il sera en mesure de résister aux tentations et aux attaques de l’ennemi. Non, ces succès-là ne sont point le fait de notre nature ni de l’humaine faiblesse ; les forces avec lesquelles nous terrassons les satellites de Satan, c’est Dieu qui nous les donne, Dieu qui fait de nos bras comme autant d’arcs d’airain ; qui, dans sa Bonté, brise l’arc des forts, et revêt de force les faibles ; qui prend notre Salut sous sa protection ; dont la droite nous soutient ; qui forme nos bras aux combats et nos mains à la guerre271.
C’est donc à Dieu seul que nous devons rendre grâces pour nos victoires, car c’est par Lui seul, et avec son secours, que nous pouvons vaincre. Saint Paul n’y manque pas : Grâces soient rendues à Dieu, dit-il, qui nous a donné la victoire par Jésus-Christ Notre-Seigneur !272 Après lui, la voix céleste de l’Apocalypse célèbre à son tour le triomphe de notre Dieu : Voici le temps du Salut, de la Puissance et du Règne de notre Dieu, et de la Puissance de son Christ, parce que l’accusateur de nos frères a été précipité, et qu’ils l’ont vaincu par le Sang de l’Agneau273. Remarquons encore un passage du même Livre qui atteste la victoire que Jésus-Christ a remportée sur la chair et sur le monde : Ceux-ci combattront contre l’Agneau, mais l’Agneau les vaincra274.
Mais c’est assez sur les motifs et les moyens de vaincre le tentateur.
Après ces explications, les Pasteurs ne manqueront pas de montrer aux Fidèles les couronnes que Dieu prépare aux vainqueurs et les récompenses infinies qu’Il leur réserve dans l’éternité. Ce même livre de l’Apocalypse leur en fournira les preuves. Celui qui sera victorieux, y est-il dit, ne sera point frappé de la seconde mort275 ; et ailleurs : Celui qui sera victorieux, sera ainsi vêtu de blanc, et Je n’effacerai point son nom du Livre de vie, et Je confesserai son nom devant mon Père et devant ses Anges. Puis un peu après, Jésus-Christ notre Dieu, Notre-Seigneur Lui-même, s’adresse en ces termes à Saint Jean : Celui qui sera victorieux, J’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu, et il n’en sortira plus276 ; puis encore : Celui qui sera victorieux, Je lui donnerai de s’asseoir avec Moi sur mon trône, comme J’ai vaincu Moi-même et Me suis assis avec mon Père sur son trône277. Enfin, après avoir fait le tableau de la gloire des Saints et de l’immensité de ces biens éternels dont ils jouiront dans le ciel, il ajoute : Celui qui vaincra possédera ces choses.
Délivrez-nous du mal
Cette dernière demande, par laquelle le Fils de Dieu a voulu finir sa divine Prière, est comme le résumé et la résultante de toutes les autres. Pour en montrer l’importance et la vertu, Il l’employa Lui-même, la veille de sa mort, en priant Dieu son Père pour le salut des hommes. Je Vous prie, dit-Il, de les préserver du mal278. Nous avons donc ici, dans cette Prière qu’Il nous a enseignée par ses préceptes et qu’Il a confirmée par ses exemples, une sorte d’abrégé qui renferme en substance la force et l’esprit de toutes les autres demandes. Lorsque, au témoignage de Saint Cyprien, nous avons obtenu ce qu’elle renferme, nous n’avons plus rien à demander. Par le seul fait que nous avons imploré et obtenu la Protection de Dieu contre le mal, nous sommes tranquilles et en sûreté contre tous les assauts du monde et du démon.
Mais si cette demande a l’importance que nous venons de dire, le Pasteur se fera un devoir de l’expliquer aux Fidèles avec le plus grand soin.
Dans la demande précédente nous sollicitons la grâce d’éviter la faute, et dans celle-ci nous prions Dieu de nous délivrer de la peine.
Il ne paraît pas nécessaire ici de rappeler aux Fidèles les maux dont ils souffrent, les ennuis qui les dévorent, les calamités qui les accablent, et par suite le besoin pressant qu’ils ont du secours d’En-Haut. La vie humaine est en proie à toutes les misères, les écrivains sacrés et profanes sont d’accord sur cette triste vérité qu’ils ont développée de toutes manières. Personne du reste ne peut en douter raisonnablement ; qu’il le sache par sa propre expérience ou par celle des autres. Tout le monde est convaincu que Job, cet admirable modèle de patience, n’a rien exagéré. L’homme né de la femme, dit-il, ne vit que peu de temps, et ce peu de temps est rempli de beaucoup de misères. Il est comme une fleur qui serait foulée aux pieds en naissant, il fuit comme l’ombre, et jamais ne demeure dans le même état279. Nous ne pouvons en effet passer aucun jour sans chagrin et sans afflictions. Notre-Seigneur nous en avertit : À chaque jour suffit sa peine280. Au surplus, n’était-ce pas assez nous avertir de la misère de notre condition en nous disant que chaque jour il faut prendre notre croix et marcher à sa suite281 ?
Mais comme chacun sent par lui-même toutes les charges et tous les dangers de la vie, il ne sera pas difficile de persuader aux Fidèles qu’ils doivent demander à Dieu d’être délivrés de leurs maux. Et cela est d’autant plus vrai que rien ne porte plus les hommes à la Prière que le désir et l’espoir d’être à l’abri des maux qui les affligent, ou qui les menacent. Nous sommes naturellement portés à recourir à Dieu à l’heure de l’épreuve, et sans aucun délai. C’est pour cela sans doute qu’il est écrit : Couvrez leur visage d’ignominie, Seigneur, et ils invoqueront votre Nom282. Mais si nous nous portons presque spontanément à invoquer le secours de Dieu, dans les périls et dans les calamités, nous avons besoin d’être instruits, par ceux à qui notre salut a été confié, sur la méthode à suivre, pour le faire dignement.
Il n’est pas rare en effet de trouver des Chrétiens qui renversent l’ordre établi par Jésus-Christ. Car, en nous ordonnant de recourir à Lui au jour de la tribulation283, Il nous a prescrit en même temps l’ordre à suivre pour faire cette Prière. Avant donc de Le prier de nous délivrer du mal, Il nous oblige à Lui demander que son nom soit sanctifié, que son Royaume arrive, en un mot Il veut que nous fassions toutes les autres demandes, qui sont comme autant de degrés pour arriver à celle-ci. Mais si l’on souffre de la tête, de la poitrine, ou d’ailleurs, si l’on éprouve quelque perte dans ses biens, si les ennemis font des menaces et nous mettent en danger, si la famine, la guerre et la peste se font sentir, aussitôt on voit des Chrétiens qui ne tiennent plus aucun compte des degrés intermédiaires de la Prière et qui songent uniquement à solliciter la délivrance de leurs maux. Une telle conduite est contraire au Commandement de Notre-Seigneur Jésus-Christ : Cherchez d’abord le Royaume de Dieu284.
Ainsi donc, pour bien prier, il faut tout rapporter à la Gloire de Dieu, même lorsqu’on Lui demande d’éloigner les peines, les calamités et les maux présents. Lorsque David disait à Dieu : Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère, il ajoutait immédiatement à cette Prière une raison qui prouvait bien l’ardent désir qu’il avait de la Gloire de Dieu. La mort, disait-il, ne garde pas votre souvenir, et qui est-ce qui chantera vos louanges dans le tombeau ?285 De même lorsqu’il implorait la Miséricorde de Dieu, il avait soin d’ajouter : J’enseignerai vos voies aux pécheurs, et les impies se convertiront à Vous286.
Il faut engager fortement les Fidèles, à l’exemple du Prophète, à prier de cette manière vraiment salutaire, et bien leur montrer la différence qui existe entre la prière des infidèles et celle des Chrétiens. C’est qu’en effet les infidèles prient aussi et avec ardeur. Ils demandent à la Divinité la guérison de leurs plaies et de leurs maladies, ils la supplient de les faire sortir des maux qui les accablent, ou qui les menacent. Mais en même temps, ils placent le principal espoir de leur délivrance dans les remèdes de la nature ou de l’art. Ils vont plus loin même, car ils acceptent sans scrupule les remèdes du premier venu, quand même ils sauraient que ces remèdes ont été préparés avec sortilèges, magie et intervention du démon. Il suffit pour les déterminer qu’ils aient le moindre espoir de recouvrer la santé.
Mais la conduite des Chrétiens est bien différente. Dans leurs maladies, dans leurs adversités, Dieu est leur principal refuge et, à vrai dire, leur seul soutien. Précisément parce qu’ils Le reconnaissent, et L’adorent comme l’Auteur de tout bien, et leur Libérateur, ils n’oublient point que les remèdes n’ont de vertu curative que celle que Dieu leur a donnée, et par suite qu’ils ne sont utiles aux malades qu’autant que Dieu le veut. La médecine en effet vient de Dieu, qui l’a donnée Lui-même aux hommes pour guérir leurs maladies. De là ces paroles de l’Ecclésiastique : Le très Haut a fait produire à la terre les remèdes, et l’homme prudent ne les dédaignera pas287. Aussi ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ne mettent point dans ces remèdes leur principal espoir de guérison ; mais ils se confient surtout en Dieu qui est le Créateur même de la médecine.
C’est pourquoi nos Saints Livres reprennent fortement ceux qui ont trop de confiance dans la science, et ne demandent aucun secours à Dieu. Il y a plus, ceux qui mènent une vie conforme aux préceptes du Seigneur, s’abstiennent de tous les remèdes que Dieu n’a pas destinés à cette fin ; quand même ils seraient assurés de guérir par ce moyen, ils ne laisseraient pas de les avoir en horreur comme des artifices et des enchantements du démon.
Il faut donc exhorter les Fidèles à mettre en Dieu toute leur confiance. En nous ordonnant de Lui demander la délivrance de nos maux, ce Père, plein de Bonté, nous donne par là même l’espérance d’être exaucés. Nous trouvons dans la Sainte Écriture un grand nombre d’exemples où brille cette confiance dont nous parlons, et qui sont très propres à l’inspirer, même à ceux que le raisonnement ne convaincrait pas. N’avons-nous pas dans la personne d’Abraham, de Jacob, de Lot, de Joseph et de David autant de précieux témoins de la Bonté divine ? Et le Nouveau Testament ne nous montre-t-il pas un très grand nombre de personnes qui ont échappé aux plus grands dangers par la vertu de la Prière ? Aussi bien, nous n’avons pas à les nommer ici. Nous nous bornerons donc à rapporter ces paroles du Prophète, bien capables de nous rassurer tous, même les plus faibles : Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés ; et Il les a délivrés de toutes leurs tribulations288.
Il nous reste à parler du sens et de l’étendue de cette demande. C’est le moyen de bien faire comprendre aux Fidèles que nous ne demandons pas d’être absolument délivrés de tous les maux. Car il y a des choses que l’on regarde habituellement comme des maux, et qui, néanmoins, sont très utiles à ceux qui les endurent. Ainsi cet aiguillon de la chair, que ressentait si vivement Saint Paul, servait, avec le secours de la grâce, à affermir sa vertu dans la faiblesse289. Voilà pourquoi les personnes de piété, connaissant le prix et les avantages de ces épreuves, les supportent avec une très grande joie, bien loin de demander à Dieu d’en être délivrées.
Nous nous bornons donc à conjurer par la Prière ces sortes de maux sans profit pour notre âme, mais nullement ceux qui peuvent nous apporter quelques fruits de salut.
Le véritable sens de cette demande est donc qu’après avoir été délivrés du péché et du danger des tentations, nous soyons aussi préservés de tous les maux, tant intérieurs qu’extérieurs, de l’eau, du feu et de la foudre ; que la grêle n’atteigne point nos moissons, et que nous n’ayons à souffrir ni de la disette, ni de la sédition, ni de la guerre.
Nous demandons à Dieu d’éloigner de nous les maladies, la peste, les ravages, les chaînes, la prison, l’exil, les trahisons, les embûches, et en général tous les maux qui épouvantent et désolent le plus la vie humaine.
Enfin nous Lui demandons d’anéantir toutes les causes d’iniquités et de crimes.
Mais nous ne demandons pas seulement d’être préservés de ces choses qui, de l’aveu de tout le monde, sont des maux véritables. Nous demandons aussi que ce que l’on regarde généralement comme des biens, à savoir les richesses, les honneurs, la santé, la force, la vie même, ne tournent point à notre malheur, ni à la perte de notre âme.
Nous prions Dieu de ne point être frappés de mort subite, de ne point soulever contre nous sa colère, de ne point encourir les châtiments réservés aux impies, de ne point passer par le feu du purgatoire. Nous le supplions en même temps, avec toute la piété possible, de délivrer les âmes qui y sont détenues. Enfin le sens que l’Église donne à cette demande, à la Messe et dans ses Litanies, c’est que nous soyons délivrés des maux passés, présents et futurs.
Mais Dieu, dans sa Bonté infinie, nous délivre des maux, de plus d’une manière. Il éloigne les calamités qui nous menacent. C’est ainsi qu’Il sauve le grand Patriarche Jacob des ennemis que le meurtre des Sichimites avait soulevés contre lui ; car nous lisons : La terreur de Dieu se répandit sur toutes les villes d’alentour, et nul n’osa poursuivre les enfants de Jacob, au moment de leur retraite290. Tous les Bienheureux qui règnent dans le ciel avec Notre-Seigneur Jésus-Christ ont été eux-mêmes délivrés de tous les maux par la Miséricorde de Dieu ; pour nous, tant que nous sommes dans notre pèlerinage, ce même Dieu ne veut pas que nous soyons exempts de toutes les misères. Il veut seulement nous préserver de quelques-unes.
Au reste, les consolations qu’il accorde parfois à ceux que l’adversité accable, sont comme une véritable délivrance de tous les maux. C’est ainsi que David se consolait en disant : Vos consolations, Seigneur, ont rempli mon âme de joie, à proportion même des cruelles douleurs que j’éprouvais291. Dieu délivre encore les hommes du mal lorsqu’Il les retire sains et saufs, du milieu des dangers les plus grands, auxquels ils se trouvaient exposés, comme Il fit pour les trois jeunes gens dans la fournaise, et pour Daniel dans la fosse aux lions. Les lions le respectèrent, comme les flammes avaient respecté les jeunes gens.
Saint Basile le Grand, Saint Jean Chrysostome et Saint Augustin nous disent que le mal dont il est question dans cette demande, serait particulièrement le démon, parce que le démon fut l’auteur des péchés et des crimes des hommes, et que Dieu se sert de lui pour punir les criminels et les impies. Car c’est Dieu qui nous envoie tous les maux que nous souffrons pour nos péchés : Y aura-t-il dans la ville un mal qui ne vienne du Seigneur ? dit le Prophète Amos292. C’est Moi qui suis le Seigneur, est-il dit dans Isaïe, et il n’y en a point d’autre. Je forme la lumière et Je crée les ténèbres, Je fais la paix et Je produis le mal293.
Le démon est encore appelé le mal, parce que sans aucune agression de notre part, il nous fait une guerre sans relâche et nous poursuit d’une haine mortelle. Et, bien qu’il soit incapable de nous nuire, lorsque nous avons en mains les armes de la Foi, et le bouclier de l’innocence, cependant, il ne cesse de nous tenter par les maux extérieurs et de nous tourmenter par tous les moyens possibles. Voilà pourquoi nous supplions Dieu de nous délivrer du mal (ou du méchant, ou du malin).
Nous disons du mal et non pas des maux, parce que les maux qui nous viennent du prochain, doivent être imputés au démon. Il en est sûrement l’auteur et l’instigateur. Ainsi loin de nous irriter contre nos Frères, nous devons tourner notre colère et notre haine contre Satan lui-même qui a poussé les hommes à commettre l’injustice envers nous. Si donc votre prochain vous a offensé en quelque manière, lorsque vous priez Dieu votre Père, demandez-Lui non seulement de vous délivrer du mal, c’est-à-dire des injustices dont vous avez été victime, mais encore d’arracher votre prochain des mains du démon, qui ne cherche qu’à précipiter les hommes dans le vice.
Enfin il importe de savoir que si nos Prières et nos vœux ne nous délivrent point des maux que nous souffrons, nous devons alors les supporter avec patience, et aussi avec cette conviction que Dieu désire extrêmement nous les voir endurer de la sorte. Donc pas d’indignation, pas de tristesse, si Dieu ne nous exauce pas ! Ne devons-nous pas tout soumettre à sa sainte Volonté et à son bon plaisir ? Ne devons-nous pas regarder comme utiles et salutaires les choses que Dieu approuve et non pas celles qui nous plaisent ?
Que les Pasteurs s’appliquent donc à bien représenter aux Fidèles qu’ils doivent être prêts, tant qu’ils sont sur la terre, à supporter les incommodités et les calamités de tout genre, non seulement sans se plaindre, mais même avec une certaine joie. Tous ceux, est-il dit dans nos Saints Livres, qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront persécution294. C’est par beaucoup de tribulations que nous devons entrer dans le Royaume de Dieu295. Ne fallait-il pas que le Christ souffrît, et qu’il entrât ainsi dans sa Gloire ?296 Or, il n’est pas juste que le serviteur soit au-dessus du maître ; il est même honteux, dit Saint Bernard, que les membres soient délicats sous un Chef couronné d’épines297.
Nous avons à cet égard un bel exemple dans la personne d’Urie. Pressé par David d’aller se reposer dans sa maison, il répondit : L’Arche de Dieu, Israël et Juda habitent sous des tentes, et moi, j’irais dans ma maison ?298
Si nous savons nous présenter devant Dieu avec les pensées et les dispositions que nous venons de marquer, nous obtiendrons infailliblement, ou d’être entièrement délivrés de tous les maux qui nous assiègent, comme les trois jeunes gens furent préservés du feu dans la fournaise ; ou du moins comme les Macchabées, de supporter l’adversité avec un courage à toute épreuve.
Au milieu des mépris et des tourments, nous imiterons les saints Apôtres qui, accablés de coups de fouets, se réjouissaient vivement, parce qu’ils avaient été trouvés dignes de souffrir des affronts pour Jésus-Christ299. Remplis des mêmes sentiments, nous chanterons avec allégresse ce cantique de David : Les princes m’ont persécuté sans sujet, mais mon cœur n’a craint qu’à cause de votre parole. Je me réjouis de vos oracles, comme celui qui a trouvé de riches dépouilles300.
Saint Jérôme, dans ses commentaires sur Saint Matthieu, nous dit — et il ne se trompe pas — que ce mot Amen est comme le sceau de l’Oraison Dominicale. Aussi, comme nous avons prévenu les Fidèles de la nécessité de se préparer à la Prière, avant de l’entreprendre, nous avons à leur expliquer maintenant quelle est la raison et le sens de cette conclusion ; car il n’est pas plus important de bien commencer la Prière que de la bien finir.
Que les Fidèles sachent donc que nous retirons des fruits nombreux et excellents de l’Oraison Dominicale. Mais le meilleur et le plus agréable de tous c’est l’assurance que nous obtiendrons ce que nous avons demandé. Nous avons suffisamment parlé plus haut de cette consolante vérité, mais nous devons ajouter ici que par cette dernière partie de notre Prière, nous n’obtenons pas seulement que nos demandes soient exaucées, nous recueillons encore des avantages si grands et si remarquables, que la parole peut à peine en donner une idée.
Lorsque les hommes conversent avec Dieu par la Prière, dit Saint Cyprien, la Majesté divine se rapproche, d’une manière incompréhensible, de celui qui prie, bien plus que de tous les autres hommes, et elle l’enrichit des dons les plus précieux. On peut comparer celui qui prie avec piété à un homme qui s’approche du feu. Le feu échauffe celui qui a froid ; il fait suer celui qui a déjà chaud : de même ceux qui s’approchent de Dieu par la Prière en deviennent plus ardents, selon la mesure de leur piété et de leur Foi. Leur cœur s’enflamme pour la Gloire de Dieu ; leur esprit est éclairé d’une lumière admirable ; et en outre ils sont comblés des dons célestes. La Sainte Écriture nous le dit : Vous l’avez prévenu des bénédictions de votre douceur301. Moïse, cet illustre personnage, en est un exemple des plus remarquables. Au sortir de ses entretiens intimes avec Dieu, son front et son visage resplendissaient d’une lumière si éclatante que les Israélites ne pouvaient pas le regarder. Tous ceux qui prient avec cette piété, avec cette sainte ardeur, participent aux effets admirables de la Bonté et de la Majesté de Dieu. Dès le matin, dit le Prophète, je me présenterai devant Vous, et je verrai que Vous n’êtes pas un Dieu qui aime l’iniquité302.
Plus nous connaissons ces merveilles, plus aussi nous sommes pénétrés d’amour et de respect pour Dieu, plus nous goûtons combien le Seigneur est doux, et combien sont heureux ceux qui espèrent en lui.
À la clarté de cette lumière incomparable qui nous environne, nous commençons à comprendre le néant que nous sommes, devant l’infinie Grandeur et la Majesté de Dieu. Nous faisons ce que demande Saint Augustin : Seigneur, faites que je Vous connaisse et que je me connaisse moi-même ! Dès lors nous avons de nous-mêmes et de nos propres forces une juste défiance, et nous nous confions entièrement en la Bonté de Dieu, ne doutant point qu’Il ne nous reçoive avec une Charité toute paternelle et une admirable tendresse, et qu’il ne nous donne en abondance tout ce qui nous est nécessaire pour la vie et pour le salut. Alors nous rendons à Dieu toutes les actions de grâces dont notre cœur et notre bouche sont capables, heureux d’imiter en cela le saint roi David, qui, après avoir commencé sa Prière par ces mots : Sauvez-moi de tous ceux qui me persécutent303, finit par ceux-ci : Je rendrai grâces à Dieu selon sa justice, et je chanterai à l’honneur du nom du Seigneur très Haut.
Presque toutes les Prières des Saints commencent par la crainte et finissent par l’espérance et la joie. Mais les plus remarquables en ce genre sont celles du Prophète David. Après avoir commencé à prier sous l’empire de la crainte et du trouble, en disant : Combien qui s’élèvent contre moi ! Combien qui crient à mon âme : point de salut pour toi en Dieu304, bientôt il se rassure, et dans la joie qui l’inonde, il ajoute : Je ne craindrai pas les milliers d’ennemis qui m’environnent305. Dans un autre Psaume, après avoir déploré sa misère, nous le voyons plein de confiance en Dieu faire éclater une joie extraordinaire dans l’espérance de la béatitude éternelle. Je m’endormirai, dit-il, et je reposerai dans la paix306. Et ce cri : Seigneur, ne me reprenez point dans votre colère, ne me châtiez point dans votre fureur, avec quelle terreur, avec quel effroi n’est-il pas à croire qu’il le prononça ! Mais aussi quelle confiance et quelle joie dans les paroles qui suivent : Retirez-vous de moi, vous tous qui commettez l’iniquité, car le Seigneur a exaucé la voix de mes pleurs ! Enfin lorsqu’il avait à redouter la colère et la fureur de Saül, avec quelle humilité n’implorait-il pas le secours de Dieu ! Seigneur, disait-il, sauvez-moi par votre nom, et défendez ma cause par votre Puissance307. Puis la confiance et la joie revenant, il ajoute dans le même Psaume : Voilà que Dieu est mon aide, et que le Seigneur est le défenseur de ma vie.
Que celui donc qui, le cœur plein de Foi et d’Espérance, se dispose à prier, se présente devant Dieu son Père avec la confiance ferme qu’il obtiendra ce dont il a besoin.
Or ce mot Amen, qui termine l’Oraison Dominicale, contient en germe toutes les pensées et toutes les considérations que nous venons d’exposer.
D’autre part Notre-Seigneur Jésus-Christ s’en sert si souvent dans l’Évangile, qu’il a plu à l’Esprit-Saint de le conserver dans l’Église de Dieu.
Voici donc, en quelque sorte, le sens qui y est attaché : Sachez que vos prières sont exaucées. C’est comme la réponse de Dieu renvoyant gracieusement celui qui priait, en lui accordant ce qu’il demandait.
Cette interprétation a pour elle la coutume constante de l’Église. Et en effet, dans le saint Sacrifice de la Messe, lorsqu’elle récite l’Oraison Dominicale, l’Église n’a pas laissé le mot amen aux assistants qui doivent simplement dire : mais délivrez-nous du mal ; elle l’a réservé pour le Prêtre qui, étant Médiateur entre Dieu et les hommes, répond au peuple que le Seigneur est apaisé.
Cette règle n’est cependant point commune à toutes les Prières, puisque dans les autres, c’est le peuple qui répond : Amen, elle ne s’applique qu’à l’Oraison Dominicale. Et en voici la raison, c’est que dans toutes les autres Prières, ce mot exprime seulement un assentiment ou un désir, tandis qu’ici il signifie que Dieu exauce les demandes de ceux qui prient.
Il faut dire d’ailleurs que les interprètes traduisent diversement ce mot amen. Les Septante lui ont donné le sens de : ainsi soit-il ! D’autres ont dit : vraiment. Aquila le traduit par fidèlement. Mais il importe peu qu’on l’entende de telle ou telle manière, pourvu que l’on reconnaisse que dans la bouche du Prêtre, à la Messe, il exprime bien l’assurance que ce qu’on a demandé est obtenu. Saint Paul autorise ce sens en disant aux Corinthiens : Toutes promesses de Dieu ont en Jésus-Christ leur vérité ; et c’est par Lui aussi que nous disons Amen à Dieu pour la gloire de notre ministère308.
Ce mot est encore pour nous comme la confirmation de toutes nos demandes. Le fait seul de le prononcer rend plus attentifs ceux qui s’adonnent au saint exercice de la Prière, où il arrive trop souvent, hélas ! que l’esprit soit distrait et entraîné par toutes sortes de pensées étrangères.
Enfin, dans cette courte parole nous demandons avec une nouvelle et instante ardeur que tout ce que nous venons de solliciter soit fait, c’est-à-dire accordé.
Ou bien, ou mieux, reconnaissant déjà que nous avons tout obtenu, la présence du secours divin nous pénètre de joie, et nous chantons avec le Prophète : Voici que Dieu vient à mon aide et que le Seigneur est le défenseur de ma vie309.
Personne en effet n’a le droit de douter que Dieu ne soit touché tout ensemble et du nom de son Fils, et d’une parole qu’Il a si souvent proférée ; puisque ce divin Fils, comme dit Saint Paul, a toujours été exaucé à cause de son respect pour son Père310.
Bulle « Inefabilis Deus » Pie IX — 8 décembre 1854
… Pour l’honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour l’honneur et la gloire de la Vierge Marie Mère de Dieu, pour l’exaltation de la foi catholique et l’accroissement de la religion chrétienne, par l’autorité de notre Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et la nôtre, nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine, qui tient que la bienheureuse Vierge Marie a été, dans le premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulières du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu, et qu’ainsi elle doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles. C’est pourquoi, s’il en était, ce qu’à Dieu ne plaise, qui eussent la présomption d’avoir des sentiments contraires à ce que nous venons de définir, qu’ils sachent très clairement qu’ils se condamnent eux-mêmes par leur propre jugement, qu’ils ont fait naufrage dans la foi et se sont séparés de l’unité de l’Église, et que, de plus, par le fait même, ils encourent les peines portées par le droit s’ils osent manifester par parole, par écrit ou par quelque signe extérieur, ce qu’ils pensent intérieurement.
Constitution dogmatique « Pastor aeternus » — 1er concile du Vatican — 18 juillet 1870
C’est pourquoi, nous attachant fidèlement à la tradition reçue dès l’origine de la foi chrétienne, pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour l’exaltation de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, avec l’approbation du saint Concile, nous enseignons et définissons comme un dogme révélé de Dieu : le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église.
Si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, avait la présomption de contredire notre définition, qu’il soit anathème.
Constitution apostolique « Munificentissimus Deus » — Pie XII — 1er novembre 1950
… Après avoir très souvent adressé à Dieu nos supplications, invoqué la lumière de l’Esprit de Vérité, pour la gloire du Dieu tout-puissant qui a répandu sur la Vierge Marie les largesses d’une bienveillance toute particulière, pour l’honneur de son Fils, Roi immortel des siècles et vainqueur du péché et de la mort, pour une plus grande gloire de son auguste Mère et pour la joie et l’exultation de toute l’Église, par l’autorité de notre Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul et par notre propre autorité, nous affirmons, nous déclarons et nous définissons comme un dogme divinement révélé que : l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours Vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste.
Par conséquent, si quelqu’un, ce qu’à Dieu ne plaise, osait volontairement mettre en doute ce qui a été défini par nous, qu’il sache qu’il a totalement abandonné la foi divine et catholique.
Table des matières complète
Préface des Auteurs du Catéchisme
Fonctions et devoirs des Pasteurs
Manière d’instruire les Fidèles
Principaux articles de la doctrine chrétienne
Partie 1 — Du Symbole des Apôtres
De la Foi et du Symbole en général
Créateur du ciel et de la terre
Du troisième article du Symbole
Qui a été conçu du Saint-Esprit
Du quatrième article du Symbole
Qui a souffert sous Ponce Pilate
Causes de la mort de Jésus-Christ
Douleurs de Jésus-Christ dans son Corps et dans son Âme
Fruits de la mort de Jésus-Christ
Du cinquième article du Symbole
Causes, fin et fruits de la Résurrection
Il est assis à la droite du Père Tout-Puissant
Causes et raisons de l’Ascension de Notre-Seigneur
Du septième article du Symbole
Deux Jugements, l’un particulier et l’autre général
Pourquoi le Jugement donné à Jésus-Christ
Signes précurseurs du Jugement
La sentence des bons et celle des méchants
Du huitième article du Symbole
Nécessité de la Foi au Saint-Esprit
Ce que c’est que le Saint-Esprit
Des choses qui sont spécialement attribuées au Saint-Esprit
Du neuvième article du Symbole
Deux parties de l’Église, l’une triomphante, l’autre militante
Qui sont ceux qui n’appartiennent pas à l’Église
Caractères propres de l’Église, unité
Figures de l’Église dans l’Ancien Testament
Comment la vérité de l’Église est un article de Foi
Il y a dans l’Église un pouvoir de remettre les péchés
À qui a été confié, dans l’Église, le pouvoir de remettre les péchés
Le pouvoir de remettre les péchés est un grand bienfait
Comment les fidèles doivent faire usage de la Rémission des péchés
Qualités des corps ressuscités
Du douzième article du Symbole
Qu’est-ce que la Vie Éternelle ?
Ce qui est signifié par les Sacrements
Des raisons qui ont fait instituer les Sacrements
Matière et forme des Sacrements
Cérémonies employées dans l’administration des Sacrements
De l’Auteur et du Ministre des Sacrements
Caractère imprimé par trois Sacrements
Ce que c’est que le Baptême pour le nom et pour la chose
Des dispositions nécessaires pour recevoir le Baptême
Des prières et des cérémonies du Baptême
La Confirmation est un vrai Sacrement
Matière et forme de la Confirmation
Des Ministres de la Confirmation
Des effets du Sacrement de Confirmation
Des cérémonies du Sacrement de Confirmation
Institution de l’Eucharistie, ses différents noms
L’Eucharistie est un vrai Sacrement : sa matière
Du Sacrement de l’Eucharistie (suite)
Jésus-Christ est tout entier dans l’Eucharistie
Comment s’opère la Transsubstantiation
Des accidents du pain et du vin
Du Sacrement de l’Eucharistie (suite)
De la vertu et des fruits de l’Eucharistie
Trois manières de participer à l’Eucharistie
Des dispositions nécessaires pour communier
Communion sous les deux espèces
Ministre du Sacrement de l’Eucharistie
De l’Eucharistie considérée comme Sacrifice
Le Sacrifice de la Messe est le même que celui de la Croix
Du nom et de la vertu de Pénitence
De la Pénitence considérée comme Sacrement
Matière et forme du Sacrement de Pénitence
Des effets du Sacrement de Pénitence
Du Sacrement de Pénitence (suite)
Des effets de la Contrition et des moyens de l’exciter
Du Sacrement de la Pénitence (suite)
Utilité et nécessité de la Confession
Jésus-Christ auteur de la Confession
De l’obligation de se confesser
Du Ministre du Sacrement de Pénitence
Du Sacrement de Pénitence (suite)
Qu’est-ce que la Satisfaction ?
Effets et avantages de la Satisfaction
Diverses espèces d’œuvres satisfactoires
Du Sacrement de l’Extrême-Onction
De l’Extrême-Onction et de la nature du Sacrement de l’Extrême-Onction
Qui sont ceux à qui l’Extrême-Onction doit être administrée
Des dispositions nécessaires pour recevoir l’Extrême-Onction
Quels sont les Ministres de ce Sacrement ?
Des effets de l’Extrême-Onction
Il est utile d’expliquer aux Fidèles le Sacrement de l’Ordre
De la puissance ecclésiastique
Degrés et fonctions du Sacerdoce
Des dispositions nécessaires pour les Ordres
Du Mariage considéré par rapport à la nature
Des motifs et des fins du Mariage
Des avantages et des biens du Mariage
Des Commandements de Dieu en général
Nécessité d’étudier et d’expliquer le Décalogue
Nécessité de garder les Commandements
Récit abrégé de l’histoire sacrée
Application de cette histoire aux chrétiens
Du culte et de l’invocation des Anges et des Saints
Choses défendues par le premier Commandement
On peut cependant chez les chrétiens représenter la divinité par des symboles
Les images de Jésus-Christ, de la Sainte Vierge et des Saints sont permises
Motifs d’observer la loi : récompenses et châtiments
Ce qui est ordonné par le second Commandement
Conditions nécessaires pour que le serment soit permis
Ce qui est défendu par le second Commandement
Châtiments de ceux qui violent le second Commandement
Comparaison du troisième Commandement avec les autres
Souvenez-vous de sanctifier le jour du Sabbat
Vous travaillerez pendant six jours, etc
Le Dimanche substitué au Sabbat. Fêtes de l’Église
Quelles sont les œuvres commandées le Dimanche ?
Principaux avantages de la sanctification du Dimanche
Différence des trois premiers Commandements et des suivants
Honorez votre père et votre mère
En quoi consiste l’honneur dû aux parents
Qui sont ceux que l’on doit encore honorer avec les parents, et comment ?
Châtiment réservé à ceux qui violent le quatrième Précepte
Devoirs des parents et des supérieurs envers leurs enfants et leurs inférieurs
Quels sont les meurtres qui ne sont point ici défendus ?
Autres choses défendues par ce Précepte
Moyens d’éviter les fautes contraires au cinquième Commandement
Ce qui est commandé par ce Précepte
Ce qui est commandé par le sixième Commandement
Remèdes contre les mauvaises pensées
Autres remèdes contre l’impureté
Il faut se mettre en état de faire l’aumône
Châtiments du vol, récompenses des œuvres de miséricorde
De la médisance et de la calomnie
La flatterie, le mensonge et la dissimulation
À quoi nous sommes obligés par ce Commandement
Motifs de détester le mensonge
Du neuvième et du dixième Commandement
Différence et nécessité de ces deux Commandements
Qu’est-ce que la concupiscence ?
Quelle est la convoitise qui est ici défendue ?
Différentes espèces de bien d’autrui que l’on ne doit pas désirer
Il est défendu de désirer la femme de son prochain
Ce que Dieu ordonne par ces deux Commandements
Qui sont ceux qui pèchent contre ces deux Commandements ?
Utilité et fruits de la Prière
Des diverses parties de la Prière
Ce qu’il faut demander dans la Prière
À qui doit-on adresser des Prières ?
Manière de prier : qualités de la Prière
Pourquoi chacun dit-il Notre Père ?
Première demande de l’Oraison Dominicale
Pourquoi cette demande est la première ?
Qu’est-ce que la Gloire de Dieu ?
Un vrai Chrétien doit honorer ce Saint Nom par ses actions
Seconde demande de l’Oraison Dominicale
Ce qui est compris dans cette demande
Quel est l’objet de la deuxième demande ?
Dans quels sentiments il faut faire cette demande
Troisième demande de l’Oraison Dominicale
Misères du genre humain, leur cause
Nous demandons le remède à nos misères par ces mots : que votre Volonté soit faite, etc …
Ce que c’est que la Volonté de Dieu
Quatrième demande de l’Oraison Dominicale
De quelle manière il faut demander les biens de la vie
Cinquième demande de l’Oraison Dominicale
Des dispositions nécessaires pour faire cette prière — Repentir
Ce qu’on entend par le mot : dettes
Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés
Motifs et manières de pardonner au prochain
Dispositions nécessaires pour faire cette Prière avec fruit
Sixième demande de l’Oraison Dominicale
Pourquoi Jésus-Christ nous a ordonné cette sixième demande ?
Des tentations, de leurs causes
Qu’est-ce qu’être tenté et induit en tentation ?
Qu’est-ce qu’on demande à Dieu par ces paroles : ne nous induisez point en tentation ?
Motifs et moyens de résister au démon
Septième demande de l’Oraison Dominicale
Comment on doit demander d’être délivré du mal ?
Quels sont les maux dont nous demandons ici d’être délivrés ?
De la patience nécessaire dans les maux
Conclusion de l’oraison dominicale : Amen (ainsi soit-il !)
Définition de l’Immaculée Conception
1 - Rom 1 20
2 - Coloss 1 26-27
3 - Rom 10 17
4 - Rom 10 14-15
5 - Hebr 1 1
6 - Isa 49 6
7 - Hebr 1 2
8 - 2 Pet 1 17
9 - Eph 4 11
10 - Eph 2 22
11 - Luc 10 16
12 - Matth 28 20
13 - 1 Jean 4 1
14 - Jér 23 21
15 - Hebr 13 9
16 - Matth 16 18
17 - Eph 4 5
18 - Joan 17 3
19 - 1 Cor 2 2
20 - Act 4 12
21 - 1 Jean 2 2
22 - 1 Joan 2 3
23 - 1 Jean 2 6
24 - 1 Tim 6 11
25 - Tit 2 14
26 - Matth 22 40
27 - 1 Tim 1 5, Rom 13 8
28 - Psalm 72 25
29 - 1 Cor 12 31
30 - 1 Cor 13 8
31 - 1 Cor 16 14
32 - 1 Cor 9 22
33 - 1 Cor 4 1-2
34 - Matth 25 23
35 - 1 Pierre 2 2
36 - 1 Cor 3 2, Heb 5 12
37 - Eph 4 13
38 - Rom 1 14
39 - Heb 5 14, Lamen 4 4
40 - 2 Cor 5 14
41 - 1 Thess 2 7-8
42 - 1 Tim 4 13
43 - 2 Tim 3 16-17
44 - 1 Tim 1 5
45 - Luc 21 25
1 - Hebr 11 6
2 - Matth 14 31
3 - Matth 15 28
4 - Luc 17 5
5 - Jac 2 17
6 - Gal 5 6
7 - 2 Cor 5 18-20, Marc 16 15
8 - 1 Cor 1 10
9 - Gal 2 4
10 - 2 Cor 2 17
11 - Rom 4 18-21
12 - 2 Cor 4 6
13 - 2 Cor 4 3
14 - Rom 3 4
15 - Psal 115 1
16 - Act 4 20
17 - Rom 1 16
18 - Rom 10 10
19 - 1 Petr 2 9
20 - 1 Petr 1 8
21 - Jér 32 19
22 - 1 Tim 6 16
23 - Exod 33 20
24 - Act 14 16
25 - Joan 4 24
26 - Matth 5 48
27 - Hebr 4 13
28 - Rom 11 33
29 - Rom 3 4
30 - Joan 14 6
31 - Psal 47 11
32 - Psal 144 16
33 - Psal 138 7-10
34 - Jérem 23 24
35 - Hebr 11 6
36 - 1 Cor 2 9-14
37 - Isa 64 4
38 - Deut 6 4
39 - Exod 20 3
40 - Isa 44 6, Isa 48 12
41 - Eph 4 5
42 - Psal 81 1, Exod 22 28, 1 Cor 8 5
43 - Deut 32 6
44 - Mal 2 10
45 - Rom 8 15
46 - 1 Joan 3 1
47 - Rom 8 17
48 - Rom 8 29
49 - Hébr 2 11
50 - 1 Tim 6 16
51 - Symbole Quicumque (Symbole de St-Athanase)
52 - Symbole Quicumque
53 - Prov 25 27
54 - Matth 28 19
55 - 1 Joann 5 7
56 - Sap 8 1
57 - Joann 1 12
58 - Genes 17 1
59 - Genes 43 14
60 - Apoc 1 8
61 - Apoc 16 14
62 - Luc 1 37
63 - Num 11 23
64 - Sagesse 12 18
65 - Matth 17 19
66 - Jac 1 6-7
67 - Pet 5 6
68 - Psal 52 6
69 - Psal 32 8, Psal 33 10
70 - Sap 7 16
71 - Luc 12 5
72 - Luc 1 49
73 - Psal 15 2
74 - Psal 113 3
75 - Psal 32 9, Psal 148 5
76 - Psal 8 4
77 - Genes 1 14
78 - Joan 8 44
79 - Aug. Lib. 12, de Civit. Dei, Cap. 9.
80 - 2 Reg 14 20
81 - Psal 102 20
82 - 2 Petr 2 4
83 - Psal 103 8-9
84 - Genes 1 26
85 - Psal 88 12
86 - Sap 11 26
87 - Sap 8 1
88 - Act 17 27-28
89 - Joan 1 3
90 - Genes 1 2
91 - Psal 32 6
92 - 1 Joan 4 15
93 - Matt 16 17
94 - Genes 2 16-17
95 - Conc. Trid. Sess. 5 Can. 1-2 et Sess. 6 Can. 1-2
96 - Genes 3 15
97 - Genes 22 16-18
98 - Genes 28 12
99 - Genes 28 13-14
100 - Isa 7 14, 8 3, 9 5, 11 1-53 ?, Jér 23 5, 30 9, Dan 7 13, 9 24
101 - Luc 1 31
102 - Matt 1 20-21
103 - Ecclésiaste 46 1
104 - Aggée 1 1
105 - Isa 7 14, 8 8, 9 6, Jér 23 6
106 - 1 Rois 12 3, 16 6, 24 7
107 - Lév 8 30, 3 Rois 19 15-16
108 - Psal 44 8
109 - Isa 61 1
110 - Deut 18 15
111 - Psal 109 4, Héb 5 5
112 - Heb 5, Héb 7
113 - Luc 1 33
114 - 1 Cor 15 25-27
115 - Joan 1 1
116 - Isa 53 8
117 - Joan 1 1
118 - Rom 8 29
119 - Philipp 2 8-11
120 - Matt 28 18
121 - Joan 15 14
122 - Matth 1 20
123 - Joan 1 14
124 - Joan 1 1-14
125 - Serm. 1 de Nat.
126 - Luc 1 38
127 - Luc 1 31-32
128 - Isa 7,14
129 - Luc 1 43
130 - Joan 3 34
131 - Joan 1 16
132 - Luc 2 10
133 - Luc 2 14
134 - Genes 22 18
135 - Matt 1 16 ?
136 - Jean 20 19
137 - 1 Cor 15 21-22
138 - Eccl 25 33
139 - Eph 1 3
140 - Genes 3 16
141 - Ezech 44 2
142 - Dan 2 35
143 - Num 17 8
144 - Exod 3 2
145 - Luc 2
146 - Rom 15 4
147 - Job 26 11
148 - Luc 2 6-7
149 - Psal 49 12
150 - Joan 1 11
151 - Hebr 2 16
152 - Joan 1 13
153 - Rom 6 4-7
154 - 2 Corinthiens 3 18
155 - 1 Cor 2 7
156 - 1 Cor 2 2
157 - Matth 26 38, Marc 14 34
158 - 1 Tim 6 13
159 - Matt 20 19
160 - Préf. Pass.
161 - Deut 21 23, Gal 3 13
162 - 1 Cor 1 21
163 - Genes 4 8
164 - Genes 22 6-8
165 - Exod 12 5-7
166 - Num 21 8-9, Jean 3 14
167 - Psal 2, 21, 68, 109
168 - Isa 53 7
169 - Hier. Epist., ad Paulin. ante finem
170 - Matt 27 50, Marc 15 37, Luc 23 46, Joan 19 30
171 - Hebr 2 10-14-15
172 - Isai 53 7
173 - Joan 10 17-18
174 - Luc 13 32-33
175 - Joan 18 5
176 - Matth 27 60, Marc 15 46, Luc 23 53, Joan 19 38
177 - Psal 15 10, Act 2 31
178 - Joan 1 1-2
179 - Hebr 1 2-3
180 - Rom 11 36
181 - Matth 27 51, Luc 23 44-45
182 - 1 Pierre 2 5
183 - Hebr 12 3
184 - Hebr 6 6
185 - 1 Cor 2 8
186 - Tit 1 16
187 - Isa 53 8
188 - Isa 53 6
189 - Isa 53 10
190 - Rom 8 32
191 - Luc 22 44
192 - Psal 2 2
193 - Matt 26 47, Marc 14 45, Luc 22 47, Joan 13 27
194 - Marc 14 68-71
195 - Matt 26 56
196 - Coloss 1 24
197 - 2 Cor 7 4
198 - Apoc 1 5
199 - Col 2 13-14
200 - Joan 12 31-32
201 - 2 Cor 5 19
202 - Hebr 10 19
203 - Num 35 25
204 - Eph 5 2
205 - 1 Petr 1 18 19
206 - Gal 3 13
207 - Philipp 2 10
208 - Act 2 24
209 - Apoc 21 27
210 - Trid. Conc. Sess. 25
211 - 2 Timothée 4 3
212 - Psal 15 10
213 - Psal 87 5-6
214 - Luc 23 43
215 - Osée 13 14
216 - Zach 9 11
217 - Col 2 15
218 - Philipp 2 10
219 - 2 Tim 2 8
220 - 2 Cor 13 4
221 - Psal 97 2
222 - Joan 10 17-18
223 - Joan 2 19
224 - Jean 2 21
225 - Act 2 24, 3 15, Rom 8 11
226 - Rom 8 34
227 - Apoc 1 5
228 - Col 1 18
229 - 1 Cor 15 20-23
230 - 3 Roi 17 22, 4 Roi 4 34
231 - Rom 6 9
232 - 1 Cor 15 14-17
233 - Saint August in Psal 120 4
234 - Luc 18 32-33, Matt 16 21
235 - Luc 11 29, Matt 12 39
236 - Philipp 2 8-9
237 - 1 Cor 15 12
238 - 1 Thess 4 14
239 - 1 Petr 1 3-4
240 - Rom 4 25
241 - 1 Cor 15 21
242 - Philipp 3 20-21
243 - Rom 6 4-6, 9-11
244 - Col 3 1
245 - Col 3 2
246 - Philipp 4 8
247 - 1 Psal 46 1-6
248 - 4 Reg 2 11
249 - Dan 14 35
250 - Act 8 39
251 - Dionys. Areop. Epist., 9
252 - Eph 1 20-22, Athan. Serm. 1 contra Arian., Basil. lib. de Spir. Sanct. 100 6
253 - Hebr 1 13
254 - Act 1
255 - Joan 18 36
256 - Jac 2 5
257 - Hebr 11 13-14
258 - Eph 2 19
259 - Philipp 3 20
260 - Psal 67 19, Eph 4 8
261 - Joan 16 7-8, Act 1 4-5
262 - Hebr 9 24
263 - 1 Joan 2 1
264 - Joan 14 2
265 - Joan 20 29
266 - Joan 17 24
267 - Matth 6 21
268 - Joan 16 7
269 - Eph 4 11
270 - Eph 4 7
271 - Thess 5 2
272 - Matth 24 36, Marc 13 32
273 - 2 Cor 5 10
274 - 1 Rois 2 10, Isa 2 12-19, 13 9, Jér 300 23, Daniel 7 9, Joël 2 1
275 - Tit 2 13
276 - Psal 72 2-3
277 - Psal 72 12-14
278 - Job 22 14
279 - Matth 24 29
280 - Act 1 11
281 - Joan 5 26-27
282 - Act 10 42
283 - Matth 24 14
284 - 2 Thess 2 2-3
285 - Daniel 7 9
286 - Matth 25 34
287 - Matth 25 41
288 - Chrysost. in Matth. hom. 23, August. Serm. 181 de temp., Greg. lib. 9 moral. cap. 46
289 - Matth 25 41
290 - Matth 25 42-43
291 - Aug. serm. 128 de temp., Greg. hom. 39 in Evang., Bernard srem. 1 in festo comnium Sanctorum
292 - Eccl 7 40
293 - Act 19 2
294 - Psal 50 12-13
295 - Sap 9 17
296 - Eccl 1 9
297 - Matt 28 19
298 - Matt 1 20, Luc 1 35
299 - Joan 1 33
300 - Act 5 3-4
301 - 1 Cor 12 6
302 - 1 Cor 12 11
303 - Isa 6 8-10
304 - Act 28 25
305 - 1 Cor 1 13
306 - 1 Joan 5 7
307 - 1 Cor 6 19
308 - 2 Thess 2 13, 1 Petr 1 2
309 - Joan 6 64
310 - 2 Cor 3 6, 1 Cor 2 10
311 - 2 Petr 1 21
312 - Sap 1 7
313 - Matth 28 19
314 - 2 Cor 13 13
315 - Hebr 1 14
316 - Joan 16 14
317 - Joan 14 26
318 - Jean 15 26
319 - Rom., 8, 9.
320 - Gal 4 6
321 - Matth 10 20
322 - Joan 15 26
323 - Joan 14 26
324 - 1 Cor 4 7
325 - Ezech 37 6
326 - Isa 11 3
327 - D. August. lib. 15 de Trinit. cap. 18 19
328 - Eph 1 13
329 - 2 Pet 1 4
330 - 1 Joan 3 1
331 - Conc. Trid. Sess. 6 c. 7
332 - S. Aug. in Ps. 30 15
333 - Act 19 39
334 - Psal 25 5
335 - S. Aug. in Psal. 149.
336 - Saint Aug. in Psal 77 et 81
337 - 1 Tim 3 15
338 - Ezech 34 5, Joan 10 7
339 - 2 Cor 11 2
340 - Eph 5 25
341 - Eph 5 32
342 - Eph 1 23
343 - Coloss 1 24
344 - Aug. Ench. c. 10
345 - Aug. lib. 2 de Civ. Dei c. 9
346 - 2 Tim 2 19
347 - Conc. Trid. Sess. 6 c. 12
348 - Matth 18 17
349 - Eph 4 4
350 - Matth 5 15
351 - Matth 13 47
352 - Matth 13 24
353 - Luc 3 17
354 - Matth 25 1-2
355 - Genes 7 2, 1 Pet 3 20
356 - 2 Corinthiens 1 1
357 - Gal 1 2
358 - Colos 4 16
359 - 1 Thess 1 1
360 - Rom 16 3-5
361 - 1 Cor 16 19
362 - Philémon 1 2
363 - Matth 18 17
364 - 1 Corinthiens 11 18
365 - Cant 6 8
366 - Eph 4 5
367 - Eph 1 22-23
368 - S. Hieron. lib. 1 contr. Jovin. in med. et epist. 57
369 - S. Iren. lib. 3 contr. Haeres. cap. 3
370 - Matth 16 18
371 - Joan 20 21-22
372 - S. Cyprian. de simp. praeel. in principio fere
373 - Optat. Initio lib. 2 ad Parmen
374 - Basil. hom. 29 quae est de paenit.
375 - Jean 21 15
376 - 1 Cor 12 11-12
377 - Eph 4 3
378 - Eph 4 4
379 - 1 Cor 1 10
380 - Eph 4 5
381 - 1 Pet 2 9
382 - Lev 27 28-30
383 - Exod 13 12
384 - 1 Cor 1 2, 1 Cor 3 3
385 - Eph 4 15-16
386 - Psal 85 2
387 - Gal 3 27
388 - Eph 5 26-27-30
389 - St. Aug. in Psalm 85 2
390 - Eph 1 1-4
391 - Eph 1 7-13, Eph 5 26, De sanctitate Ecclesiae vide Justin. Mart. in utraque Apol. Tert. in Apol. Aug. contr. Fulg. c. 17, Gregor. Moral. 50 37 c. 7
392 - S. Aug. serm. 131 & 181 de temp.
393 - Gal 3 28
394 - Apoc 5 9-10
395 - Psal 2 8
396 - Psal 86 4-5
397 - Eph 2 20
398 - Eph 2 10-14-17
399 - Genes 7 7
400 - De verae. Ecclesiae notis vide Aug. contra epist. fundamenti, cap. 4 Tertul. lib ??to de praescript
401 - Saint Aug. cont. Cresc.
402 - Genes 6 14
403 - Gal 4 26, Heb 12 22, Deutéronome 12 11-14-18-21
404 - Psal 86 5
405 - Psal 2 8
406 - Os 2 1
407 - Matth 16 19
408 - Joan 20 23
409 - Matth 18 17
410 - Hebr 13 10
411 - Hebr 13 14
412 - Aug. serm. 131 de. temp.
413 - 1 Joan 1 3
414 - Aug. in Joan. Tract. 32
415 - Col 1 12
416 - Saint J. Damasc. lib. 4 de fide orthodox. cap. 12, 1 Corinthiens 1 13
417 - 1 Corinthiens 10 16
418 - 1 Cor 13 5
419 - Saint Ambr. in Psal. 118 Serm. 8 v. 63
420 - Matthieu 6 11
421 - 1 Cor 12 14
422 - 1 Cor 12 28, Eph 4 11
423 - Saint Aug. in Psal. 70 serm. 2
424 - 1 Cor 13 2
425 - 1 Joan 3 17
426 - Psal 83 2-5
427 - Luc 24 46-47
428 - Isa 33 24
429 - Aug. homil. 49 cap. 3
430 - Conc. Trid. Sess. 5 can. 5, Aug. l. 2 de peccat. merit. c. 28
431 - Matth 16 19
432 - Matth 18 18
433 - Joan 20 23
434 - Saint Ambos. lib. 1 de poenit. c. 1, 2, Aug. in Ench. c. 93
435 - Matth 18 21-22
436 - Trid. sess. 14 c. 6, Hier. epist. 1 post med, Ambr. de Cain et Abel c. 4
437 - Conc. Trid. Sess. 6 c. 7, sess. 14 1, 2 &c. tract. 7 2 in Joan
438 - S. Aug. lib. 1. de peccat. merit. c. 23, l. 50 hom. 23, Ambr. de Abel cap. 4
439 - Isa 43 25
440 - Matth 6 11
441 - Matt 9 6, Marc 2 9-10
442 - 1 Pet 3 18
443 - 1 Pet 1 18-19
444 - Aug. in Joan Tract. 33 et lib. 50 homil. 41, Ambross. lib. 2 de poenit c. 1, 2 & 11
445 - 1 Cor 15 13 14
446 - Sagesse 2 23, 3 4, Matthieu 10 28, 22 31-32
447 - Isa 40 6
448 - Joan 1 14
449 - 2 Tim 2 17
450 - 3 Rois 17 21-22
451 - 4 Rois 4 34, 13 21
452 - Actes 9 40, 20 10
453 - Matthieu 9 25, Luc 7 14-15, Jean 11 43-44
454 - Job 19 26
455 - Dan 12 2
456 - Matth 22 31
457 - Joan 5 25, 28 29
458 - 1 Cor 15 12
459 - 1 Thess 4 13
460 - 1 Cor 15 36-42
461 - Saint Gregor. lib. 14 Moral. c. 28-30
462 - Matth 22 23
463 - Damasc. lib. 4 de fide orthod. cap. 28, Ambros. lib. de fide resurr.
464 - Saint Chrysostom. homil. 49 et 50
465 - 1 Cor 15 19
466 - 2 Thess 1 4
467 - 1 Cor 15 22
468 - Joan 5 29
469 - S. Hieron. epist. 152
470 - Saint August. de Civit. Dei. lib. 20 c. 20
471 - 1 Thess 5 15-16
472 - In 1 epist. ad Thess. c. 4
473 - Saint August. de Civit. Dei. lib. 20 c. 20
474 - 1 Cor 15 53
475 - Job 19 26-27
476 - Damase. lib. 4 de fid. orthod. 28
477 - 2 Cor 5 10
478 - S. Aug. lib. 22 de Civit. Dei c. 19-21 & Ench. c. 86-89, Hierm. epist. 59, 61
479 - Matth 10 30, Luc 12 7
480 - S. Aug. Ench. c. 86
481 - Saint Aug. lib. 22 de Civ. Dei c. 20
482 - Isa 25 8
483 - Osée 13 14
484 - 1 Cor 15 26
485 - Apoc 21 4
486 - Hebr 2 14
487 - Apoc 9 6
488 - 1 Cor 15 42, De his Aug. serm. 99 de temp. Ambr. in com. in l. ad Cor. c. 15
489 - 1 Cor 15 42
490 - Matt 13 43
491 - Matt 17 2
492 - Philipp 3 21
493 - 1 Cor 15 43
494 - Exod 34 29, 2 Cor 3 7
495 - 1 Cor 15 41-42
496 - S. Aug. de Civ. Dei lib. 13 c. 18, 20 et lib. 22 c. 11
497 - Saint Hieron. in Isaiam cap. 40
498 - 1 Cor 15 43
499 - 1 Cor 15 44
500 - Matt 11 25
501 - 1 Thess 4 13
502 - Job 19 26
503 - Joan 5 29
504 - Luc 10 25, 18 18
505 - Matth 19 29, 25 46, Rom 6 22
506 - Aug. de Civ. Dei lib. 19 c. 11
507 - 1 Joan 2 15
508 - 1 Joan 2 17
509 - 1 Pet 2 11
510 - Tit 2 11-13
511 - Rom 1 22
512 - Vid. Aug. de Civ. Dei lib. 12 cap. 20, lib. 22 c. 29 & 30, de libero arbit. cap. 25, de verb. Domini serm. 64, & serm. 37, de Sanctis
513 - Matth 6 33, Actes 14 21
514 - Joan 18 36, 2 Pierre 1 11
515 - Matth 5 3-20
516 - Luc 23 43
517 - Apoc 21 2-10
518 - Joan 14 2
519 - Saint J. Chrysost. in 30 cap. ad Theod. lapsum, Saint Aug. de Civ. Dei lib. 22 cap. 30, Saint Anselm. epist 2 et de similt. c. 47 et seq.
520 - Apoc 7 16
521 - Apoc 21 4
522 - Saint Aug. Serm. 6 4 de verb. Domini et de Symb. ad Catech. lib. 3
523 - Joan 17 3
524 - 1 Joan 3 2
525 - 1 Cor 13 12
526 - Saint Aug. lib. 15 de Civ. Dei c. 9
527 - Dionys. Areop. de divin. nom. c. 1
528 - Psal 35 10
529 - 2 Pet 1 4
530 - Aug. de Civ. Dei lib. 22 c. 30
531 - Rom 2 10
532 - Joan 15 14
533 - Matthieu 12 49
534 - Joan 1 12, Rom 8 15-16
535 - Matt 25 34
536 - Psal 138 17
537 - 1 Cor 2 9
538 - Luc 12 37
539 - Psal 83 1-2
540 - Joan 14 2
541 - 2 Cor 9 6
542 - Isa 32 18
1 - Vid. Concil. Trid. Sess. 17
2 - Matt 7 6
3 - Eph 1 9
4 - 1 Tim 3 16
5 - Sap 2 22
6 - Saint Greg. in 1 Reg. cap. 16 vers. 13
7 - Aug. in Joan Tract. 80 in fine, et contra Faust lib. 19 c.11, Cypr. epist. 15, et lib de bapt. Christ.
8 - Vid. Hieron. in Amos c. 1 v. 1 & Iren. c. 1 v. 15
9 - Saint Aug. lib. 10 de Civ. Dei, cap. 5 et Epist. 2
10 - Saint Aug. lib. 2 de Doct. Christ. c. 1
11 - Saint Aug. de doct. Christ. lib. 3 c. 9 et epist. 23 et de Catch. erud. c. 26 potest videri Tertul. de resur. carnis. c. 8 et Greg. in 1 Reg lib. 6 c. 3 post init.
12 - Gen 17 10
13 - Rom 4 11
14 - Rom 6 3
15 - Rom 6 4
16 - Lib. 1 de doctr. Christ. c. 1
17 - Saint Aug. de doct. Christ. lib. 2 cap. 1 et seq.
18 - Saint Aug. de doct. Christ. lib. 3 cap. 9, Exode 12 15, Concil. Trid. Sess. 7 de Sacr
19 - Rom 6 3
20 - Rom 6 4
21 - Rom 6 5
22 - Saint Chrys. hom. 83 in Matt. & hom. 60 ad Pop. Antioch.
23 - Exod 3 10-11
24 - Exod 4 2
25 - Aug. lib. 4 de baptis. contra Donatist. cap. 24
26 - Saint Ambr. lib. 5 de Sacr. c. 4
27 - Saint Aug. lib. 19 contra Faust. c. 11 & de vera rel. c. 17, Basil. in exh. ad bapt.
28 - Rom 10 10
29 - Saint Aug. in Joan tract. 80
30 - Eph 5 25-26
31 - Aug. de doct. Christi lib. 2 c. 3
32 - Conc. Trid. Sess. 7 can. 1 de sac. in gen., Conc. Flo. in dec. ad Arm. D. Th. p. 3 q. 63 art. 1
33 - Saint Aug. ep. 108 et Luc 24 49
34 - Joan 6 55
35 - Jac 5 15
36 - Luc 5 14
37 - Joan 3 5
38 - Trid. 1 Sess. 7 can. 3-4, de Sacr. in germ. D. Th. p. 3 q. 65 art. 4
39 - Dionys. lib. de Eccles. Hier. c. 3
40 - Ambr. lib. 4. de Sacr. cap. 6. D. Tho. p. 3 q. 62, Trid. Sess. 7 can. 1 de Sacr. in gen. lib. de Eccles. dog. & Cassian. collat. 7 18
41 - Joan 1 33
42 - Trid. Sess. 7 de Sac. in gen. c. 11 & 12 Greg. Naz. in Orat. in S. bapt. Ambr. de his qui myst. init. cap. 5, Chrysost. hom. 8 in 1 Cor.
43 - Saint Aug. contra Crescent lib. 5 cap. 20, contra Donat. lib. 1 c. 4 & lib. 2 contra lit Petil. c. 47
44 - 1 Cor 3 6-7
45 - Jean 4 2
46 - Actes 19 3-5
47 - Saint Aug. tract. 2 in Joan
48 - Aug. in Joan. tract. 5 & contra Cresc. lib. 3 c. 6, D Thom. p. 3 q. 93 art. 4
49 - Psal 49 16
50 - Conc. Trid. can. 6
51 - S. Dion. de Eccl. Hier c. 1
52 - Eph 5 25-26
53 - S. Aug. in Joan. tract. 80
54 - De hoc effectu sacramen. vid. Trid. Sess. 7 can. 6-8, de sacr. Aug. tract. 26 in Joan. & contr. Faust. c. 16-17 & in Ps 77 15-16
55 - Matthieu 3 16, Marc 1 10, Luc 3 22
56 - Actes 2 2-3
57 - Aug. lib. quaest. Vet. & Nov. Test. q. 93
58 - Aug. lib. 19 contr. Faust. c. 13 & in Ps. 83 Ambr. lib. de Sacr. c. 4
59 - Gal 4 9
60 - Hebr 9 13
61 - Hebr 9 14
62 - Aug. lib. 2 de Simb. c. 6 & in Joan. Tract. 15 & lib. 15 de Civit. Dei c. 26
63 - 2 Cor 1 21
64 - Trid ib. can.
65 - De hoc charact. vide Aug. lib. 2 contr. Crescen. c. 30, item D. Thom. p. 3. q. 63
66 - Eph 6 12
67 - Romains 6 3, Colossiens 2 12-13
68 - De hoc usu antiquo vid. Tertul. lib. de Baptis. c. 19, Basil. in exhort. ad bapt Amb. lib. de myst. Pasehae
69 - Marc 7 4
70 - Marc 10 38, Luc 12 50, 1 Corinthiens 15 29
71 - Romains 6 3, 1 Pierre 3 21, Oeto baptismi geneva vid. Damase. lib. 4 de fide orthod. 10
72 - Saint Aug. Epist. 25 in fin.
73 - Hébreux 10 32
74 - S. Chrysost. 10 5
75 - Romains 6 3-4
76 - Saint Dionys. de Eccl. Hier. c. 2
77 - De variis baptis. nom. vid. Gregor. Nazianz. orat. in sancta lumina. et Clem. Alex. lib. 1 Paedag. cap. 6
78 - Jean 3 5
79 - Éphésiens 5 26
80 - Jean 1 12-13
81 - Matth 28 19
82 - ?ne de revid. Chrysost. hom. 21 in Joan., Aug. lib. 6. contra. Donatist. c. 25, Conc. Florent. et Trid. item August. tract. 80 in Joan.
83 - Jean 3 5
84 - Éphésiens 5 26
85 - 1 Jean 5 8
86 - Matthieu 3 11
87 - Actes 2 3
88 - Actes 1 5
89 - Genèse 6 5
90 - 1 Pierre 3 20-21
91 - 1 Corinthiens 10 1-2
92 - 4 Rois 5 14
93 - Jean 5 2
94 - Isaïe 55 1
95 - Ézéchiel 47 1
96 - Zacharie 13 1
97 - Saint Hieronymus epist. 85
98 - De materia bapt. vid. Conc. Florent. et Trid. sess. 7 can. 2 & de consecrat. dist. 4. item D. Thom. p. 3 q. 56 art. 5
99 - Ambr. lib. 1 sacr. c. 2 et Innoc. lib. 1 decr. tit. 1 c. 3
100 - Matthieu 28 19
101 - Jean 1 33
102 - Vid. Aug. contra Donatist. lib. 6 c. 25, D. Thom. p. 3 q. 66 art. 5
103 - Actes 2 38, 8 16, 10 48, 19 5
104 - Ambr. lib. 1 de Spiritu Sancto c. 3
105 - Basil. lib. 1 de Spiritu Sancto c. 12
106 - Galates 3 27
107 - Éphésiens 5 26
108 - Actes 2 41
109 - Greg. lib. 1 regist. epist. 41
110 - Saint Greg. Orat. in nat. Salvat. circa finem
111 - Saint Aug. serm., 19, 36 et 37 de temp.
112 - Matthieu 3 16-17, Marc 1 10-11, Luc 2 21-22
113 - Vid. Hieron. in com. in 3 cap., Matt. Aug. serm. 36 de temp.
114 - Marc 16 15, Matthieu 28 19
115 - 1 Pierre 1 3
116 - Eph. 5 25-26
117 - Joan. 3 5
118 - 4 Rois 6 17
119 - 1 Cor. 14 40
120 - Matth. 28 19
121 - Isid. Lib. 2 de Offic. Eccles. cap. 4
122 - 1 Cor. 10 17
123 - Distinct. 93 cap. 13
124 - Trid. sess. 7 can. de consec. dist. 4 cap. 24, Aug. lib. 7 contra Donatist. cap. 51 et ibid. lib. 3 cap. 10 et lib. 2 contra Parmen. et Council. Lat. cap. 1 et Conc. Florent. in decr. Eugenii
125 - Tert. 1. de bapt. c. 18 et de coron. milit. cap. 3
126 - 1 Pet. 2 2
127 - Dionys. de Eccl. Hier. c. 7 parte 3
128 - Habetur de consec. dist. 5 cap. 100 et Leo pp. ib. c. 101 et Conc. Mogunt ib. cap. 101 et 30 q. 1
129 - Dionys. de eccl. Hier. c. 2
130 - Saint Aug. Sermon 163 de temp. et ser. 215
131 - Saint August. Serm. 165 de temp. de cons. dist. 4 c. 120
132 - 30 q. 1 cap. 1 D. Thom. p. 3 q. 67 art. 8 ad 2 ex Mogunt. Concil. de consec dist. 4 cap. 102
133 - Joan., 3, 6.
134 - Matth., 19, 14
135 - 1 Cor., 1, 16.
136 - Col., 2, 11.
137 - Rom., 5, 17.
138 - Prov., 22, 6.
139 - Eccl., 5, 8. ???
140 - Marc., 16, 16.
141 - Act., 2, 38.
142 - Act., 3, 19.
143 - Rom., 6, 11.
144 - Ezech. 36, 25.
145 - 1 Cor., 6, 11.
146 - S. Aug. lib., 3 de peccat. remiss.
147 - S. Hier. Epist., 87.
148 - Sess., 5, can., 5.
149 - Rom., 7,7.
150 - Lib., 3, reg. Epist., 39.
151 - Joan., 13, 10.
152 - Act., 2, 38.
153 - Rom., 6, 4.
154 - Rom., 6, 5.
155 - 2 Tim., 4, 7.
156 - Marc., 16, 16.
157 - Eph., 5, 26.
158 - Rom., 5, 5.
159 - Eph., 1, 14.
160 - Tit., 3, 5, 5.
161 - Philipp., 4, 8.
162 - 2 Cor., 13, 11.
163 - Eph., 4, 5. 92.
164 - Rom, 6, 10.
165 - Lib., 1, decret. tit. de Baptis.
166 - Matt., 3, 16.
167 - 1 Cor., 14, 2.
168 - Marc., 16, 15. Matt., 28, 19.
169 - Lib., 1, de Sacram.
170 - Decret. Pontif.
171 - De Eccl. Hierarch. Cap. 2.
172 - Eph., 4, 30.
173 - Psal., 132, 2.
174 - Rom., 5, 5.
175 - Epist ad Episc. Hisp.
176 - Epist. 3 ad Episc. Orient.
177 - Psal., 132, 2.
178 - Joan., 1, 16.
179 - 2 Cor., 2, 15.
180 - Joan., 3, 5.
181 - Homil., 4.
182 - Jerem., 23, 21.
183 - Act., 8, 14, 15, 16.
184 - Act., 2, 2.
185 - Ibid., 4.
186 - Luc., 24, 49.
187 - Act., 5, 41.
188 - Philipp., 4, 7.
189 - 1 Cor., 11, 30.
190 - Joan, 13, 1.
191 - Matth., 26, 26. Marc., 14, 22. Luc., 22, 19. 1 Cor., 11, 24.
192 - Rom., 6, 23.
193 - Psal., 110, 4, 5.
194 - Id., 3.
195 - 1 Cor., 10, 15.
196 - 1 Cor., 11, 20.
197 - Lib., 3, de Trinit. Cap., 4.
198 - Joan, 6, 55.
199 - Luc., 22, 19.
200 - 1 Cor., 1, 26.
201 - Matth., 26, 26. Marc., 14, 22. Luc., 22, 19.
202 - Joan., 6, 41.
203 - Exode 29 2
204 - 1 Cor., 5, 7.
205 - Matt., 26, 29. Marc., 14, 25.
206 - Decret. de Celebr. Missae.
207 - Joan., 6, 55.
208 - Matth., 26, 26. Marc., 14, 22. Luc., 22, 19. 1 Cor., 11, 24.
209 - Luc., 22, 19.
210 - Matt., 26, 26.
211 - Decret. lib. 3. de Celebret. Missae.
212 - Luc., 22, 20. 1 Cor., 11, 25.
213 - Luc., 22, 20. Matth., 26, 28.
214 - Rom., 3, 25, 26.
215 - 1 Cor., 11, 25.
216 - Hebr., 9, 18.
217 - Hebr., 9,.15.
218 - Matth., 26, 28.
219 - Luc., 22, 20.
220 - Hebr., 9, 26.
221 - Joan., 17, 9.
222 - 1 Cor., 11, 29.
223 - Matth., 16, 26.
224 - Lib. 8, de Trinit.
225 - 1 Cor., 11, 28.
226 - 1 Cor., 10, 16.
227 - Lib. 4, de Sacram.
228 - De Eccl. Hierarch. C., 3.
229 - Prov., 8, 31.
230 - De Consecrat. Dist., 2.
231 - Luc., 22, 17.
232 - Conc. Trid. Sess., 13. Cap., 4
233 - Joan., 6, 52.
234 - Joan., 6, 54.
235 - Joan., 6, 56.
236 - Lib. 4 de Sacr.
237 - Psal., 134, 6.
238 - De Consecr. Distr. 2.
239 - Lib. 4, de Sacr.
240 - De Consecrat.
241 - 1 Lib., 4, de orth. fid. c., 4.
242 - Luc., 1, 37.
243 - Hom., 26, Sup. Evang.
244 - V. Ambr. lib., 5, de Sacr.
245 - Joan., 1, 17.
246 - Joan., 6, 56.
247 - Joan., 6, 57.
248 - Lib. 4 in Joan.
249 - Lib. 4 de Sacr.
250 - Joan., 6, 54.
251 - 3 Reg., 19, 8.
252 - Matth., 9, 20 et 14, 36.
253 - 1 Cor., 11, 27.
254 - In Joan. Tract., 26.
255 - 1 Cor., 11, 29.
256 - Gal., 5, 6.
257 - Matth., 5, 23.
258 - Sess., 13. Can., 11.
259 - Matth., 8, 10.
260 - Joan., 21, 15.
261 - De verb. Dom. Serm., 28.
262 - Epist., 118.
263 - Matth., 26, 26.
264 - Joan., 6, 51.
265 - Psal., 39, 7.
266 - Psal., 50, 18.
267 - Genes., 8, 21.
268 - Matth., 3, 17.
269 - Luc., 22, 19. 1 Cor., 11, 24.
270 - 1 Cor., 10, 21.
271 - Malach, 1, 11.
272 - Hebr., 7, 17. Psal., 109, 4.
273 - Luc., 22, 19.
274 - Cor., 11, 24.
275 - Secreta Dom., 9, post Pent.
276 - In 3. cap. Isa.
277 - 2 Cor., 7, 10.
278 - Genes., 6, 6. 1 Reg., 15, 11.
279 - Genes., 6, 6.
280 - 1 Reg., 15, 11.
281 - Prov., 2, 14.
282 - Genes., 4, 13.
283 - Matth., 27, 3.
284 - Thren., 5, 21.
285 - Hebr., 11, 6.
286 - Isa., 26, 17.
287 - Matth., 3, 2, 4, 17.
288 - Ezech., 18, 21.
289 - Id., 33, 11.
290 - Ezech., 18, 21.
291 - Matth., 9, 2.
292 - Marc., 16, 19.
293 - Matth., 18, 22.
294 - Matth., 18, 18.
295 - Ezech., 18, 21.
296 - 1 Joan., 1, 9.
297 - Lib., 1, de serm. Pont. in mont.
298 - Luc., 13, 3 et 5.
299 - Hom., 50.
300 - Hom., 11, de Penit.
301 - Sess., 6. Cap., 6 et 14.
302 - Psal., 6, 7.
303 - Id. Ibid.
304 - Isa., 38..15.
305 - Homil., 50.
306 - Psal., 12, 2.
307 - Matth., 11, 21.
308 - Joël., 2, 12.
309 - Deut., 6, 5.
310 - Joël., 2, 12.
311 - Matth., 10, 37.
312 - Matth., 16, 25. Marc., 8, 35.
313 - Deut., 4, 29.
314 - Jer., 29, 13.
315 - Serm., 41.
316 - Matth., 11, 21.
317 - Jonas., 3, 6.
318 - Psal., 6 et 50.
319 - Luc., 7, 37, 48, 51.
320 - Matth., 26, 75.
321 - Isa., 38, 15.
322 - Ezech., 18, 21.
323 - De ver. et fals. poenit. cap., 14.
324 - Ezech., 33, 12.
325 - Jac., 2, 10.
326 - Ezech., 18, 21.
327 - Joan., 8, 11.
328 - Joan., 5, 14.
329 - Epist., 54.
330 - Matth., 6, 14.
331 - Psal., 50, 19.
332 - Psal., 31, 5.
333 - Prov., 2, 14.
334 - Serm., 3, de Verbis Domini.
335 - Hom., 40.
336 - Joan., 20, 22.
337 - De vera et falsa poenit. c., 16, et Serm., de Verbis Domini.
338 - Lib., 50. Hom. 40.
339 - Lib. de Parad. cap., 14, 4.
340 - Joan., 20, 23.
341 - Tite, 1, 5.
342 - Cap., 21.
343 - Joan., 1, 2, 2.
344 - Psal., 115, 12.
345 - Sess., 14, cap., 8,
346 - 2 Samuel 12 13
347 - Psal., 50, 4.
348 - Rom., 2, 5.
349 - Psal., 50, 19.
350 - Serm., 5, de Omn. Sanct.
351 - Rom., 8, 17.
352 - 2 Tim., 2, , 11.
353 - Serm., 1, in Coena Dom.
354 - 1 Cor., 11, 31.
355 - Joan., 4, , 14.
356 - 1 Joan., 2, 16.
357 - Gal., 6, 2.
358 - Eph., 4, 28.
359 - Eccl., 7, 40.
360 - Jac., 5, 14.
361 - Marc., 6, 12, 13.
362 - Jac., 5, 14.
363 - Sap., 4, 20.
364 - Matth., 13, 58.
365 - Apoc., 14, 13.
366 - Eph., 4, 12.
367 - Hebr., 5, 4.
368 - Jer., 23, 21.
369 - 1 Cor., 9, 13.
370 - Ezech., 34, 1.
371 - Joan., 10, 12.
372 - Luc., 1, 74, 75.
373 - Joan., 20, 21.
374 - Matthieu 18 18
375 - Tim., 2, 1, 7.
376 - Num., 18, 20.
377 - 1 Pet., 2, 9.
378 - Sap., 4, 8.
379 - Apoc., 1, 5.
380 - 1 Pet., 2, 5.
381 - Rom., 12, 1.
382 - Psal., 50, 19.
383 - Act., 20, 28.
384 - Malach., 2, 7.
385 - 1 Tim., 4, 14.
386 - 2 Tim., 1, 16.
387 - 1 Cor., 7, 7.
388 - Id. ibid.
389 - Il s’agit ici uniquement des Lois de l’Église.
390 - Genes., 1, 27 et 2, 18 et seq.
391 - Matth., 19, 6.
392 - Sess., 24.
393 - Matth. 19, 6.
394 - Matth., 19, 12.
395 - 1 Cor., 7, 25.
396 - Tob., 6, 16.
397 - 1 Cor., 7, 2.
398 - Eph. 5. 28 et seq.
399 - Éphésiens 5 23
400 - Sess., 24.
401 - Hebr., 13, 4.
402 - Genes., 12, 3 ; 22, 18.
403 - Matt., 19, 6.
404 - Matt., 19, 9.
405 - Matt., 19, 8.
406 - 1 Cor., 7, 39. Luc., 16, 18. ???
407 - Lib. de adult. C., 6 et 9.
408 - Prov., 18, 22.
409 - 1 Cor., 7, 28.
410 - 1 Tim., 2, 15.
411 - Eccl., 7, 25.
412 - Genes., 2, 25. Matt., 10, 5.
413 - 1 Cor., 7, 4.
414 - Eph., 5, 25.
415 - 1 Cor., 7, 10.
416 - Genes., 3, 12.
417 - 1 Petr., 3, 1, 2 et seq.
418 - 1 Cor., 7, 38.
419 - Psal., 11, 7.
420 - 1 Cor., 7, 29.
421 - Lib. I. Cont. Jovin.
422 - Rom., 5, 5.
1 - Matth., 22, 40.
2 - Mal., 2, 7.
3 - Cor., 3, 18.
4 - Matth., 5, 14.
5 - Rom., 2, 20.
6 - Gal., 6, 1.
7 - 2 Tim., 4, 3.
8 - Tit., 2, 14.
9 - Gal., 2, 14.
10 - Exod., 20, 1.
11 - Malach., 1, 6.
12 - Deut., 4, 6.
13 - Psal., 147, 20.
14 - Serm., 47.
15 - 1 Joan., 5, 3.
16 - Lib. de dilig. Deo.
17 - Serm. 6 de Temp.
18 - Lib. x. Conf.
19 - 1 Cor., 7, 19.
20 - Gal., 6, 15.
21 - Joan., 14, 21, 23.
22 - Psal., 18, 8.
23 - Psal., 18, id.
24 - Psal., 18, 12.
25 - Deut., 28, 3.
26 - Matth., 5, 12.
27 - Luc., 6, 38.
28 - Exod., 20, 2.
29 - Deut., 10, 15.
30 - Rom., 11. 14.
31 - 2 Paral., 12, 8.
32 - Is., 20, 9.
33 - Psal., 94, 7.
34 - Jerem.,16, 14, 15, 16 et 17.
35 - Joan., 11, 52.
36 - Rom., 6, 12.
37 - Luc., 1, 74, 75.
38 - Rom., 6, 2.
39 - Gal., 4 31.
40 - 3 Reg., 18, 21.
41 - 4 Reg., 17, 33.
42 - 1 Tim., 1, 17. Exod., 22, 12. Levit., 19, 32.
43 - Matth., 18, 10.
44 - Genes., 48, 16.
45 - Luc., 13, 7, 10.
46 - Quest., 149, super Exod.
47 - Matth., 8, 10. Luc., 7, 3.
48 - 1 Tim., 2, 5.
49 - Hebr., 9, 12 et 7, 25.
50 - S. Amb. epist. et serm., 95.
51 - Exode 20, 4.
52 - 1. 4 de ort. fid. c., 17.
53 - Conc. Nic. 2 Act. 3.
54 - Rom., 1, 23.
55 - Exod., 32, 4.
56 - Psal., 105, 20.
57 - Is., 40, 18.
58 - Deut., 3, 15, 16.
59 - Dan., 7, 9.
60 - Hebr., 1, 14.
61 - Matth., 19, 17.
62 - Id., 7, 21.
63 - Id., 3, 10 et 7, 19.
64 - Id.
65 - Id., 6, 15.
66 - Psal., 138, 7.
67 - Psal., 26, 1.
68 - Psal., 72, 27.
69 - 3 Reg., 19, 14.
70 - Psal., 68, 10.
71 - Deut., 7, 9.
72 - Josué, 24, 19.
73 - Ezech., 18, 4.
74 - Lib., 25. Moral. C., 31.
75 - Joan., 14, 21.
76 - Malach., 1, 6.
77 - Psal., 102, 2
78 - Job., 1, 21.
79 - Psal., 49, 15.
80 - Psal., 33, 2.
81 - 2 Cor., 1, 33.
82 - Gal., 1, 20.
83 - 3 Reg., 1, 17.
84 - Jer., 4, 2.
85 - Psal., 14, 4.
86 - Act., 23, 12.
87 - Psal., 18, 8
88 - Deut., 6, 13.
89 - Psal., 62, 12.
90 - Apoc., 10, 6.
91 - Psal., 109, 4.
92 - Hebr., 4, 13.
93 - Matthieu 5 33
94 - Eccl., 23, 9, et 12.
95 - Lev., 19, 2.
96 - 2 Pet., 3, 16.
97 - Psal., 53, 5 et 6.
98 - Exod., 20, 7.
99 - Gal., 4, 10.
100 - Coloss., 2, 16.
101 - Apoc., 1, 10.
102 - 1 Cor., 16, 2.
103 - 1 Reg., 25, 31.
104 - Luc., 18, 12.
105 - Deut., 5, 12.
106 - Is., 58, 13.
107 - Exod., 31, 13. Ezech., 20, 12.
108 - Deut., 5, 15.
109 - Eph., 5, 8.
110 - Lib., 4, in Joan.
111 - Hebr., 4, 19.
112 - Is., 35, 9.
113 - Hebr., 4, 11.
114 - 1 Thess., 4, 11.
115 - Matth., 12, 5.
116 - Jacob., 1, 27.
117 - Num., 15, 32 et seq.
118 - Matth., 22, 39. Marc., 12, 31.
119 - Joan., 4, 20.
120 - Matth., 10, 40.
121 - Eph., 6, 5.
122 - Deut., 4, 5. Luc., 10, 27. Matth., 22, 37, 38, 39.
123 - Luc., 14, 26.
124 - Luc., 9, 60.
125 - Matth., 10, 37.
126 - Act., 5, 29.
127 - 1 Cor., 4, 14.
128 - Eccl., 44, 1.
129 - Prov., 1, 8.
130 - Eph., 6, 1.
131 - Col., 3, 20.
132 - Genes., 22, 9.
133 - Jer., 35, 6.
134 - Matth., 15, 3, 4.
135 - 1 Tim., 5, 17.
136 - Gal., 4, 15.
137 - 1 Cor., 9, 7.
138 - Eccl., 7, 33.
139 - Hebr., 13, 17.
140 - Matth., 23, 2, 3.
141 - Rom., 13, 1.
142 - 1 Tit., 2, 2.
143 - 1 Pet., 2, 13.
144 - Psal., 119, 7.
145 - Tim., 4, 8.
146 - Job., 3.
147 - Psal., 119, 5.
148 - Philipp., 1, 23.
149 - Deut., 5, 16.
150 - Eph., 6, 3.
151 - Sap., 4, 10, 11.
152 - Is., 57, 1.
153 - Exod., 21, 16, 17.
154 - Prov., 19, 26.
155 - Prov., 20, 20.
156 - Prov., 30, 17.
157 - Deut., 17, 12.
158 - Col., 3, 21.
159 - 1 Reg., 4, 18.
160 - Matth., 5, 9.
161 - Genes., 9, 5.
162 - Matth., 5, 21.
163 - S. Aug. de Civ. Dei, lib., 1, cap., 20.
164 - Psal., 100, 8.
165 - Exod., 32, 29.
166 - Deut., 19, 4 et seq.
167 - S. Aug. Ep., 154.
168 - Matth., 5, 22.
169 - Matth., 5, 39.
170 - Psal., 13, 5.
171 - Matth., 5, 24.
172 - Cor., 13, 4.
173 - Luc., 21, 19.
174 - 1 Cor., 13, 4.
175 - Matth., 5, 44.
176 - Rom., 12, 20.
177 - Job., 1, 21.
178 - 1 Joan., 2, 11.
179 - Joan., 8, 44.
180 - Joan., 8, 44.
181 - Luc., 23, 24.
182 - Hebr., 12, 24.
183 - Eccl., 7, 40.
184 - Genes., 38, 24.
185 - Deut., 23, 17.
186 - Tob., 4, 13.
187 - Eccl., 41, 25.
188 - Matth., 15, 19.
189 - 1 Thess., 4, 3.
190 - 1 Cor., 6, 18.
191 - 1 Cor., 5, 9.
192 - Eph., 5, 3.
193 - 1 Cor., 6, 9.
194 - Matth., 5, 27, 28.
195 - Sess., 24, c. 28.
196 - 2 Cor., 7, 1.
197 - 1 Cor., 6, 18.
198 - 1 Thess., 4, 3.
199 - 1 Cor., 6, 15.
200 - 1 Cor., 6, 19.
201 - 1 Cor., 7, 4.
202 - Prov., 6, 32.
203 - Os., 4, 11.
204 - Ezech., 16, 49.
205 - Lac., 21, 34.
206 - Eph. 5, 18.
207 - Matth., 5, 29.
208 - Job., 31, 1.
209 - Eccl., 9, 8.
210 - 1 Petr., 3, 3.
211 - 1 Tim., 2, 9.
212 - 1 Cor., 15, 33.
213 - 1 Cor., 7, 7 et 10, 13.
214 - 1 Cor., 9, 25.
215 - Rom., 13, 14.
216 - Rom., 2, 21.
217 - 1 Cor., 6, 10.
218 - Matth., 15, 19.
219 - 1 Cor., 6, 10.
220 - S. Aug. Epist., 54
221 - Hab., 2, 6.
222 - S. Aug. Lib., 50. Hom., 9.
223 - Deut., 25, 13.
224 - Lev., 19, 35.
225 - Prov., 20, 23.
226 - 1 Tim., 6, 9.
227 - Matth., 7, 12.
228 - Tob., 4, 16.
229 - Jac., 5, 1.
230 - Ezech., 18, 8.
231 - Luc., 6, 35.
232 - Psal., 36, 21.
233 - Exod., 22, 26.
234 - Prov., 11, 26.
235 - Psal., 49, 19.
236 - Matth., 25, 34-41.
237 - Luc., 6, 38.
238 - Marc., 10, 29-30
239 - Luc., 16, 9.
240 - Luc., 6, 36.
241 - Psal., 111, 5.
242 - 2 Thess., 3, 7.
243 - 1 Thess., 4, 11.
244 - Eph., 4, 28.
245 - 1 Thess., 2, 9.
246 - Amos, 8, 4, 5.
247 - Is., 1, 23, et seq.
248 - Eccl., 5, 17.
249 - Eph., 4, 28.
250 - Matth., 6, 12.
251 - Tit., 2, 14.
252 - Jac., 3, 2.
253 - Psal., 115, 11.
254 - Eph., 4, 15.
255 - Deut., 19, 15. Matth., 18, 16.
256 - Epist., 52 ad Maced.
257 - Cap., 12, 13, 14.
258 - 1 Cor., 15, 16.
259 - Lev., 19, 11.
260 - Psal., 5, 7.
261 - Psal., 100, 5.
262 - Jac., 4, 11.
263 - S. Hier. Epist. ad Nepot. Div. Bern. lib., 2 de Consid. Ad Eug.
264 - Lev., 19, 16.
265 - Is., 5, 20.
266 - Psal., 140, 5.
267 - Is., Reg., 18, 77.
268 - Matth., 22, 16.
269 - Eph., 4, 25.
270 - Rom., 14, 4.
271 - Act., 16, 37.
272 - Deut., 1, 16.
273 - Jos., 7, 19.
274 - Attribué à Saint Augustin par Gratien, mais à tort ; on le trouve pareillement dans Saint Isidore L., 3, cap., 19.
275 - Joan., 8, 42.
276 - Prov., 6, 16 etc.
277 - Jac., 3, 9.
278 - Psal., 14, 1, 2.
279 - Rom., 8, 6.
280 - Rom., 12, 17, 21.
281 - Matth., 12, 36.
282 - Matth., 6, 33.
283 - Quaest., 77, in Exod.
284 - Matth., 5, 27.
285 - Rom., 7, 7.
286 - Gal., 5, 17.
287 - Psal., 118, 20.
288 - Rom., 7, 20.
289 - Exod., 20, 17.
290 - Gal., 5, 16.
291 - Sap., 6, 12.
292 - Eccl., 24, 26.
293 - Cor., 10, 6.
294 - Jac., 1, 14.
295 - Eccl., 5, 9.
296 - Is., 5, 8.
297 - Exod., 1, 21.
298 - Psal., 61, 11.
299 - Rom., 6, 12.
300 - Jac., 1, 14.
301 - Joan., 2, 15.
1 - Luc., 18, 1.
2 - Luc., 11, 1.
3 - Matth., 17, 21.
4 - Hier. in cap., 7.
5 - Matth., 7, 8. Luc., 11, 10. Joan., 16, 23.
6 - Psal., 140, 2.
7 - Psal., 19.
8 - Serm., 15, 226, de Tempore.
9 - Joan., 16, 24.
10 - Is., 58, 9.
11 - Id., 65, 24.
12 - Aug. serm., 33, de Verb. Domini.
13 - Psal., 9, 17.
14 - Rom., 10, 14.
15 - Aug. Epist., 121, c., 8.
16 - Hil., in Psal. 63.
17 - Exod., 32, 10.
18 - 1 Tim., 2, 1.
19 - Psal., 49, 15.
20 - Psal., 61, 9.
21 - Psal., 54, 23.
22 - Aug. Ench. cap., 7.
23 - Matth., 11, 28.
24 - 2 Mach., 9, 13.
25 - Matth., 20, 22.
26 - Joan., 15, 7.
27 - Genes., 28, 20.
28 - Prov., 30, 8.
29 - 1 Cor., 7, 30.
30 - Psal., 61, 11.
31 - Tim., 2, 1.
32 - Coloss., 4, 3.
33 - Act., 12, 5.
34 - Matth., 5, 44.
35 - Psal., 49, 15.
36 - Eccl., 18, 23.
37 - Psal., 101, 18.
38 - Eccl., 35, 21.
39 - Is., 1, 15.
40 - 1 Tim., 2, 8.
41 - Marc., 11, 25.
42 - Matth., 6, 13.
43 - Prov., 21, 13.
44 - Jac., 4, 6. Pet., I., 5, 5.
45 - Prov., 28, 9.
46 - Matth., 21, 22.
47 - Aug. Ep. 10. Serm., 36.
48 - Rom., 10, 14.
49 - Epist., 10, ad Hier.
50 - Jac., 1, 6. 53. 1 Tim., 2, 5.
51 - Joan., 2, 14.
52 - Rom., 8, 34.
53 - 1 Tim., 2, 5.
54 - Héb., 2, 17.
55 - Rom., 8, 15.
56 - Luc., 17, 5.
57 - Marc., 9, 24.
58 - Joan., 15, 7.
59 - Jac., 4, 3.
60 - Joan., 4, 23.
61 - 1 Reg., 1, 16.
62 - Psal., 26, 8.
63 - Epist., 121.
64 - Matth., 6, 7.
65 - Luc., 6, 12.
66 - Matth., 26, 44.
67 - Matth., 6, 5.
68 - Joan., 16, 23.
69 - Joan., 14, 14.
70 - Eph., 5, 19.
71 - Exod., 17, 7.
72 - Ezech., 8, 12.
73 - Is 49,15.
74 - Genes., 3, 21.
75 - Genes., 3, 22.
76 - Psal., 76, 10.
77 - Hab., 3, 2.
78 - Mich., 7, 18.
79 - Joan., 1, 12.
80 - Joan., 3, 6.
81 - 1 Pet., 1, 23.
82 - Rom., 8, 5.
83 - 1 Joan., 3, 1.
84 - Psal., 88, 34.
85 - Job., 5, 18.
86 - Jér., 31, 18.
87 - Tob., 11, 17.
88 - Luc., 21, 18.
89 - Ap., 3, 19.
90 - Hebr., 12, 5.
91 - Matth., 23, 8.
92 - Heb 2, 11.
93 - Psal., 21, 25.
94 - Matth., 28, 10.
95 - Rom., 8, 17.
96 - Hebr., 1, 2.
97 - Hebr., 6, 10.
98 - Hom., 14.
99 - Eph., 5, 20.
100 - Gal., 3, 26.
101 - Eph., 5, 1.
102 - 1 Thess., 5, 5.
103 - Jer., 23, 24.
104 - Psal., 138, 8.
105 - Colos., 3, 1.
106 - Eph., 5, 25.
107 - Act., 4, 12.
108 - Rom., 2, 24.
109 - Ezech., 36, 20.
110 - Matth., 5, 16.
111 - 1 Pet., 1, 12.
112 - Matth., 3, 2.
113 - Matth., 5, 3.
114 - Luc., 4, 43.
115 - Matth., 10, 7.
116 - Matth., 6, 33.
117 - Psal., 22, 1.
118 - Matth., 25, 11.
119 - Matth., 7, 21.
120 - Rom., 7, 24.
121 - Psal., 118, 89.
122 - Psal., 94, 4.
123 - Esth., 13, 9.
124 - Psal., 22, 1.
125 - Isa. 33, 22.
126 - Joan., 18, 36.
127 - Rom., 14, 17.
128 - Gal., 2, 20.
129 - Luc., 17, 21.
130 - Matth., 25, 34.
131 - Luc., 23, 42.
132 - Joan., 3, 5.
133 - Eph., 5, 5.
134 - Joan., 4, 14.
135 - Is., 54, 2.
136 - Matth., 13, 44.
137 - Philipp., 3, 8.
138 - Rom., 8, 35.
139 - Is., 64, 4. 1 Cor., 2, 9.
140 - Rom., 8, 15.
141 - Matth., 11, 12.
142 - Matth., 19, 17.
143 - Matth., 7, 21.
144 - Psal., 52, 4.
145 - Genes., 8, 21.
146 - Is., 5, 20.
147 - Prov., 1, 22.
148 - 1 Cor., 14, 20.
149 - Jac., 4, 1.
150 - Matth., 26, 41.
151 - Rom., 7, 20.
152 - Eph., 5, 17.
153 - Joan., 1, 3.
154 - Philipp., 2, 8.
155 - Matth., 12, 50.
156 - Psal., 118, 5, etc.
157 - Rom., 13, 14.
158 - Matth., 16, 24
159 - Luc., 9, 55.
160 - Luc., 22, 42.
161 - Psal., 102, 21.
162 - Rom., 11, 33.
163 - Col., 1, 13.
164 - Psal., 118, 91.
165 - Act., 21, 14.
166 - Job., 1, 21.
167 - Rom., 8, 26.
168 - Matth., 20, 22.
169 - Lib., 2 de Serm. Dom.
170 - 1 Cor., 10, 31.
171 - Genes., 3, 17 et seq.
172 - I. Cor., 3, 7.
173 - Psal., 126, 1.
174 - Genes., 28, 20.
175 - Prov., 30, 8.
176 - Matth., 24, 20.
177 - Jac., 5, 13.
178 - Rom., 15, 30.
179 - Luc., 14, 1.
180 - Tim., 6, 8.
181 - Prov., 30, 8.
182 - Psal., 127, 2.
183 - Deut., 28, 8.
184 - Is., 5, 8.
185 - Eccl., 5, 9.
186 - 1 Tim., 6, 9.
187 - Luc., 4, 6.
188 - 1 Tim., 6, 17.
189 - Hom., 14.
190 - Hom., 14 et Hom., 6.
191 - Matth., 5, 45.
192 - Prov., 9, 5.
193 - Amos, 8, 11.
194 - Job., 21, 14.
195 - Joan., 6, 41.
196 - Act., 5, 41.
197 - Apoc., 2, 17.
198 - Joan., 6, 57.
199 - Matth., 26, 26.
200 - Lib., 5, de Sac. c., 4.
201 - Psal., 54, 23.
202 - Isa., 27, 9.
203 - Psal., 31, 1.
204 - Psal., 13, 3 et 52, 4.
205 - Eccl., 7, 21.
206 - Prov., 20, 9.
207 - Joan., 1, 8.
208 - Jer., 2, 35.
209 - Cap., 7, 8, 9.
210 - Joan., 14, 30.
211 - Eph., 6, 12.
212 - Job., 41, 25.
213 - Isa., 26, 13.
214 - 1 Cor., 3, 17.
215 - Psal., 37, 4.
216 - Rom., 2, 8, 9.
217 - Jer., 2, 19.
218 - Isa.., 46, 12.
219 - Ezech., 36, 26.
220 - Zach., 7, 12.
221 - Psal., 68, 6.
222 - Psal., 140, 4.
223 - Exod., 32, 31.
224 - Rom., 9, 3.
225 - Matth., 6, 14, 15.
226 - Luc., 17, 3, 4.
227 - Matth., 5, 44.
228 - Rom., 12, 20. Prov., 25, 20.
229 - Marc., 11, 25.
230 - Matth., 5, 44.
231 - Psal., 50, 5.
232 - Psal., 6, 7.
233 - Luc., 18, 13.
234 - Matth., 26, 75.
235 - Tob., 12, 9.
236 - Daniel 4, 24
237 - 2 Pet., 2, 21.
238 - Joan., 13, 10.
239 - Matth., 26, 41.
240 - Matth., 26, 35.
241 - Eph., 6, 12.
242 - Is., 14, 13.
243 - Luc., 22, 31.
244 - 1 Pet., 5, 8.
245 - Marc., 5, 9. Luc., 8, 30.
246 - Matth., 12, 45.
247 - 1 Cor., 10, 13.
248 - Hebr., 4, 13.
249 - Deut., 13, 3.
250 - Tob., 12, 13.
251 - Psal., 5, 7.
252 - Jac., 1, 13.
253 - Rom., 7, 10.
254 - Ezech., 16, 14.
255 - Exod., 7, 3.
256 - Is., 6, 10.
257 - Rom., 1, 26.
258 - Tim., 2, 5.
259 - Jac., 1, 12.
260 - Hebr., 4, 15.
261 - Psal., 118, 43.
262 - Psal., 118, 36.
263 - Psal., 118, 37.
264 - Luc., 11, 22.
265 - Joan., 16, 33.
266 - Apoc., 5, 5
267 - Hebr., 11.
268 - 1 Joan., 2, 14.
269 - Matth., 26, 41.
270 - Jac., 4, 7.
271 - 1 Reg., 2, 4. Psal., 17, 35.
272 - 1 Cor., 15, 57.
273 - Apoc., 12, 10.
274 - Apoc., 17, 14.
275 - Apoc., 3, 5.
276 - Apoc., 3, 12.
277 - Apoc., 3, 21.
278 - Joan., 17, 15.
279 - Job., 14, 1.
280 - Matth., 6, 34.
281 - Luc., 9, 23.
282 - Apoc., 3, 21.
283 - Psal., 49, 15.
284 - Matth., 6, 33.
285 - Psal., 6, 6.
286 - Psal., 50, 15.
287 - Eccl., 38, 4.
288 - Psal., 33, 18.
289 - 2. Cor., 12, 7.
290 - Genes., 35, 5.
291 - Psal., 93, 19.,
292 - Amos., 3, 6.
293 - Is., 45, 6, 7.
294 - 2 Tim., 3, 12.
295 - Act., 14, 21.
296 - Luc., 24, 26.
297 - Serm., 5, de Om. Stis.
298 - 2 Reg., 11, 11.
299 - Act., 5, 41.
300 - Psal., 118, 161.
301 - Psal., 20, 4.
302 - Psal., 5, 5.
303 - Psal., 7, 18.
304 - Psal., 3, 2, 3.
305 - Psal., 3, 7.
306 - Psal., 4, 9.
307 - Psal., 53, 3.
308 - 2 Cor., 1, 20.
309 - Psal., 53, 6.
310 - Hebr., 5, 7.