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Les quatre « éléments », terre, eau, air et feu, générateurs de tout l’univers, sont répartis dans l’espace en fonction de leur poids, qui ne reste pas stable, la terre devenant eau, l’eau devenant air, et l’air regagnant les feux de l’éther, avant que le cycle des transformations ne s’accomplisse à nouveau dans l’ordre inverse. Ainsi, dans l’univers, les différents composants des choses se modifient en revêtant sans cesse des formes nouvelles, tandis que leur somme reste constante. (15, 237-258)
Ainsi en va-t-il des âges du monde, avec le passage de l’or au fer ; des paysages, avec les terres devenues mers, et les montagnes devenues plaines, l’apparition ou la disparition de fleuves, de villes, d’îles, de sources, de collines. (15, 259-306)
Pour prouver l’instabilité de toutes les choses, Pythagore évoque de nombreux exemples, observés dans divers points du monde concernant les vertus étonnantes des eaux des cours d’eau et des lacs, qui subissent des métamorphoses diverses. (15, 307-334)
Des changements s’observent aussi à propos de la stabilité de certaines îles, à propos des volcans comme l’Etna, dont Pythagore attribue les éruptions soit à des mouvements de la terre cherchant à respirer, ou à de l’air confiné qui s’enflamme pour finir par s’éteindre quand il ne sera plus alimenté. Bref, rien ne reste stable. (15, 335-355)
Ne restent pas stables non plus ce que nous appelons les éléments ;
prêtez l’oreille, je vous enseignerai leurs transformations.
L’univers éternel comporte quatre éléments générateurs ;
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deux de ceux-ci, la terre et l’eau, sont lourds, et leur poids
les emportent vers les zones inférieures ; les deux autres,
l’air et le feu, plus pur que l’air, sont exempts de pesanteur,
et, ne subissant aucune pression, ils gagnent les zones élevées.
Bien qu’ils soient distants dans l’espace, c’est d’eux pourtant
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que tout procède et en eux que tout retourne. La terre se dissout,
devient moins dense et se résout en eau fluide. Allégée en vapeur,
l’eau s’en va, devenant brise et air. Privé de poids lui aussi,
l’air très léger s’élance à son tour vers les feux d’en haut.
Alors les éléments reviennent en arrière, et dans le même ordre.
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Le feu, s’étant condensé, se transforme en air épais, qui à son tour
devient eau ; et de la terre se forme avec de l’eau condensée.
Aucun élément ne garde son apparence propre, et la nature,
qui toujours innove, crée des formes à partir d’autres formes.
Dans l’univers entier, croyez-moi, il n’est rien qui se perde,
255
mais tout change et prend un aspect nouveau. « Naître »,
c’est commencer à être autre que ce qu’on a été, et « mourir »,
c’est cesser d’être le même. Les éléments ont peut-être été transportés,
ceux-là ici, ceux-ci là-bas, cependant leur somme reste constante.
Pour moi, je crois que rien ne garde longtemps le même aspect ;
260
c’est ainsi, ô siècles, que vous êtes passés de l’âge d’or à l’âge du fer,
ainsi aussi que le sort des lieux s’est modifié tant de fois.
Moi-même j’ai vu devenir mer ce qui était terre ferme
jadis, j’ai vu aussi des terres surgies des flots.
Loin de la mer des coquilles marines ont jonché le sol
265
et on a trouvé une ancre ancienne au sommet des montagnes.
Le débordement des eaux transforma en vallée ce qui était un champ,
une inondation a nivelé une colline, qui est devenue une plaine,
une terre de marécages s’est desséchée, recouverte de sables secs,
et des zones jadis assoiffées sont des marais stagnants et humides.
Ici la nature a fait jaillir de nouvelles sources, là elle les a fermées ;
d’anciens tremblements de la terre ont fait surgir du sol
tant de cours d’eau ou les ont arrêtés, complètement taris.
Ainsi le Lycus, absorbé quelque part dans une crevasse de la terre,
rejaillit bien loin de là et revoit le jour par une autre ouverture.
275
Après avoir été absorbé dans le sol, puis avoir coulé sous terre,
l’immense Erasinus reparaît aussi dans les campagnes d’Argolide.
Et on raconte que, insatisfait de sa source et de ses rives d’antan,
le Caïque de Mysie suit maintenant un cours tout différent.
De même, l’Amémanus, roulant dans ses eaux les sables de Sicanie,
280
coule maintenant, mais parfois il est à sec, ses sources s’étant taries.
Jadis on buvait des eaux que l’on refuse aujourd’hui de toucher :
celles que charrie l’Anigros, depuis que – si l’on ne doit pas retirer
tout crédit aux poètes – les Centaures y ont lavé les blessures
que leur avait faites l’arc d’Hercule, le porteur de massue.
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Eh quoi ? L’Hypanis, venu des monts de Scythie, ne voit-il pas
que ses eaux douces de jadis sont polluées par des sels amers ?
Antissa et Pharos avaient été entièrement entourées d’eau,
ainsi que Tyr la Phénicienne : maintenant ce ne sont plus des îles.
Les anciens habitants de Leucade accédaient chez eux par voie terrestre ;
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à présent le lieu est entouré par la mer ; Zanclé aussi, dit la tradition,
était rattachée à l’Italie, jusqu’au jour où la mer a emporté
les bords de l’isthme et refoulé la terre au milieu des flots.
Si vous cherchez Hélicé et Buris, des villes d’Achaïe,
vous les trouverez sous l’eau ; souvent, de nos jours encore,
295
les marins montrent ces cités en ruines avec leurs murs submergés.
Il existe près de Trézène, la ville de Pitthée, un monticule abrupt,
sans aucun arbre : autrefois cette place était tout à fait plane,
c’est une colline à présent. En effet – c’est terrifiant à raconter –,
des vents d’une âpre violence, enfermés dans de sombres cavernes,
300
cherchaient un passage pour souffler ; ils avaient lutté en vain
pour jouir de l’air libre. Comme ils ne trouvaient ni fente
ni aucune issue pour leurs souffles dans leur prison,
ils tendirent la terre et la firent enfler, à la manière d’une bouche
soufflant dans une vessie ou une outre de peau d’un bouc cornu.
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L’enflure a persisté, donnant à l’endroit l’aspect d’une colline
élevée, qui s’est durcie au long des siècles.
Quantité de faits dont j’ai entendu parler ou que je connais me reviennent,
et j’en rapporterai quelques-uns encore. Quoi ? L’eau donne et reçoit
des aspects nouveaux, n’est-ce pas ? Ta source, Ammon cornu,
310
est glacée en plein jour, mais chaude au lever et au coucher du soleil.
On raconte que les Athamanes allument du bois, en l’approchant de l’eau,
au moment où la lune à son déclin affiche son plus petit croissant.
Les Cicones ont un fleuve, dont l’eau pétrifie les entrailles
de qui la boit, et recouvre de marbre les objets qu’elle a touchés.
315
Le Crathis et le Sybaris, qui de ce côté confine nos rivages,
donnent aux cheveux la couleur de l’ambre et de l’or.
Chose plus étonnante, certaines eaux sont aptes
à transformer non seulement les corps mais aussi les âmes.
Qui n’a pas entendu parler de Salmacis à l’onde fatale
320
et des lacs d’Éthiopie qui rendent fous ou écrasent sous le poids
d’un étrange sommeil ceux qui d’aventure s’y désaltèrent ?
Quiconque a soulagé sa soif à la source du Clitor
s’abstient à jamais du vin qu’il fuit, se contentant d’eau pure.
Soit que son eau ait un effet contraire à celui du vin qui échauffe,
soit que, au dire des indigènes, le fils d’Amithaon, ait arraché à la folie
en usant de charmes et d’herbes, les Proétides en délire,
et ait envoyé dans ses ondes les miasmes de leur folie ;
les eaux de la source auraient ainsi conservé le dégoût du vin.
Tout différent par ses effets, s’écoule le fleuve Lynceste :
330
quiconque s’y est désaltéré trop goulûment
ne titube pas moins que s’il avait bu du vin pur.
Il est un lac en Arcadie, que les anciens appelèrent Phénéos,
suspect pour ses eaux aux effets doubles, qu’il faut redouter la nuit :
elles sont nocives, bues la nuit, mais sans danger, bues le jour.
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Ainsi les cours d’eau et les lacs comportent des effets différents.
Il fut un temps où Ortygie s’activait sur les ondes,
elle qui maintenant est fixe. Argo a redouté les Symplégades
dispersées par les rencontres de vagues qui se brisaient :
désormais ces îles restent immobiles et résistent aux vents.
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L’Etna, qui brûle dans ses fournaises de soufre,
ne sera pas toujours en feu ; du reste, il ne l’a pas toujours été.
Ou bien la terre est un être animé, qui vit et respire
en de nombreux endroits par des ouvertures crachant du feu ;
et, chaque fois qu’elle est en mouvement, elle peut changer les canaux
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par où elle respire, fermer ici des cavernes et en ouvrir ailleurs.
Ou bien des vents légers, confinés dans des antres profonds,
projettent pierres sur pierres mêlées à une matière chargée
de germes de flamme, qui s’embrase sous les chocs subis ;
une fois les vents apaisés, les antres refroidis seront abandonnés.
350
Ou bien ce sont les forces du bitume qui s’embrasent
ou le soufre jaune qui brûle en dégageant des fumerolles ;
mais quand la terre cessera d’alimenter grassement la flamme,
parce que ses forces se seront épuisées au fil du temps,
sa nourriture viendra à manquer à la nature vorace,
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qui ne supportera pas la faim ; et le feu désertera ces déserts.
L’évocation à l’aptitude à la transformation en oiseaux de certains Hyperboréens et de certaines femmes de Scythie, fantaisiste selon le narrateur, est aussitôt suivie de considérations sur des métamorphoses constatées dans le monde animal. Ainsi, des chairs en putréfaction de taureaux et de chevaux naissent abeilles et frelons, et d’un crabe mutilé enfoui sous le rivage naît un scorpion. De plus, les chenilles deviennent papillons, et des animaux nés informes ou incomplets, tels l’ourson, les grenouilles, les abeilles se transforment encore après leur naissance. Que dire du paon, de l’aigle, des colombes, et de tous les oiseaux, qui naissent d’un œuf, et du serpent qui proviendrait de la moelle humaine ? (16, 356-390)
Outre ces êtres qui naissent d’un autre être, il y a des animaux aux caractéristiques fabuleuses : le phénix, le seul à naître de lui-même, l’hyène qui change de sexe, le caméléon qui change de couleurs, le lynx dont l’urine se pétrifie au contact de l’air, tout comme le corail. (15, 391-417)
Une tradition prétend qu’à Pallène, chez les Hyperboréens
on trouve des hommes dont le corps se couvre de plumes légères
lorsqu’ils se sont plongés neuf fois dans le lac Triton.
À la vérité je n’y crois pas. On dit aussi qu’après s’être aspergées
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de suc magique, les femmes de Scythie obtiennent les mêmes effets.
Toutefois, s’il faut ajouter quelque crédit à des faits bien établis,
ne voit-on pas des corps, dissous et putréfiés avec le temps
par la chaleur, se transformer en animaux de petite taille ?
Immolez des taureaux de choix et recouvrez-les de terre dans une fosse :
365
l’expérience a montré que des chairs en putréfaction naissent çà et là
des abeilles butineuses, qui, à la manière de ceux dont elles sont nées,
vivent dans les champs, travaillent avec ardeur, pleines d’espoir.
Enfoui dans la terre, un cheval belliqueux donne naissance au frelon.
Si sur une plage vous arrachez à un crabe ses pinces recourbées,
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et si vous enterrez le reste de son corps, de la partie enfouie
sortira un scorpion, qui vous menacera de sa queue crochue.
Et à la campagne – les paysans ont observé ce fait –, les chenilles
qui tissent entre les feuilles des réseaux de fils blanchâtres,
changent d’apparence et se muent en papillons funèbres.
Le limon contient des germes qui génèrent les grenouilles vertes ;
il les engendre sans pieds, les dote bientôt de pattes aptes à la nage,
et pour qu’elles puissent aussi effectuer de longs sauts,
leurs pattes arrière dépassent en longueur leurs pattes antérieures.
Et ce n’est pas un ourson que l’ourse vient de mettre bas
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mais de la chair à peine vivante ; en le léchant, sa mère lui façonne
des membres, et l’amène à prendre la forme qu’elle a elle-même.
Ne voyez-vous pas que, protégées dans leurs alvéoles de cire,
les larves des abeilles mellifères naissent sans membres,
et que leurs corps ne reçoivent que plus tard des pattes et des ailes ?
385
L’oiseau de Junon, qui arbore sur sa queue des étoiles,
et le porte-foudre de Jupiter, et les colombes de Cythérée,
et les oiseaux de toutes les espèces, si ce fait n’était connu,
qui penserait qu’ils peuvent naître tous du centre d’un œuf ?
Certains croient que la moelle d’un humain, lorsque l’épine dorsale
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a pourri dans la tombe refermée, est transformée en serpent.
Ces êtres cependant tirent leur origine d’autres êtres.
Il existe un seul oiseau, qui se régénère et se reproduit lui-même.
Les Assyriens l’appellent le phénix ; il ne vit ni de fruits
ni d’herbes, mais de larmes d’encens et du suc de l’amome.
395
Lorsque cet oiseau a accompli cinq siècles de sa vie,
sur les branches d’une yeuse ou en haut d’un palmier tremblant,
de ses ongles et de son bec sans souillure, il se construit un nid.
Dès qu’il l’a garni de feuilles de lauriers, de brins de nard doux
et de morceaux de cinnamome mêlés à de la myrrhe fauve,
400
il s’y installe et achève sa vie parmi les parfums.
On raconte que renaît ensuite du corps de son père
un petit phénix, destiné à vivre autant d’années que lui.
Lorsque l’âge lui a donné la force de porter ce fardeau,
il soulage du poids de son nid les branches de l’arbre élevé,
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et emporte pieusement son berceau, sépulcre de son père.
Puis, quand à travers l’air léger il a atteint la ville d’Hypérion,
il le dépose devant les portes sacrées du temple d’Hypérion.
Mais si cette histoire comporte une surprenante étrangeté,
étonnons-nous aussi de l’alternance des rôles de l’hyène,
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tantôt femelle et couverte par un mâle, et tantôt mâle.
Étonnons-nous aussi si un animal qui se nourrit d’air et de vent,
prend aussitôt les couleurs de tout ce qu’il touche.
L’Inde vaincue a donné des lynx à Bacchus couronné de raisins ;
tout ce que produit la vessie de ces animaux, raconte-t-on,
415
se transforme en pierre et se coagule au contact de l’air.
Ainsi en est-il aussi du corail. Dès qu’il est en contact avec l’air,
il durcit, alors que sous l’eau il avait été une plante souple.
Ensuite s’interrompt cette longue énumération inspirée du règne animal. Ovide aborde les changements qui surviennent dans les nations et les villes. C’est notamment le cas des villes déchues de leur ancienne puissance, comme Troie, Sparte, Mycènes, Athènes, Thèbes. (15, 418-430)
Il existe aussi des puissances montantes, telle Rome, la nouvelle Troie, comme l’avait prophétisé Hélénus à Énée, lequel, lors de la chute de Troie, avait emporté les pénates de sa patrie pour les sauver dans une nouvelle Troie, c’est-à-dire à Rome, la ville destinée à devenir la capitale de l’univers, sous la conduite d’Auguste, un futur dieu. (15, 431-452)
En conclusion, Pythagore rappelle ses thèmes fondamentaux : le changement universel et la métempsychose, qui entraîne le végétarisme. Évitons de faire couler le sang d’un animal qui fut peut-être un de nos proches. Usons des animaux pour les services et les produits qu’ils nous offrent et bornons-nous à éliminer les animaux nuisibles, sans consommer leur chair. (15, 453-478)
Le jour finira et Phébus aura plongé ses coursiers haletants
dans la mer profonde, avant que mon discours ait englobé
420
tout ce qui a pris une forme nouvelle. Ainsi voyons-nous
les temps changer, et certaines nations devenir puissantes
quand d’autres déclinent. Par exemple, Troie, grande par ses richesses
et ses héros, a pu, durant dix années, répandre tant de sang ;
maintenant, humiliée, elle n’a plus à montrer pour richesse
425
que d’anciennes ruines et les tombeaux de ses aïeux.
Sparte fut illustre, la grande Mycènes vécut puissante,
de même que les citadelles de Cécrops et d’Amphion.
Sparte n’est plus qu’un sol sans valeur ; Mycènes l’altière est tombée ;
et la Thèbes d’Oedipe, que sont-elles d’autre que des noms ?
430
Que reste-t-il de l’Athènes de Pandion, si ce n’est son nom ?
Maintenant aussi, dit-on, la ville dardanienne de Rome s’élève
toute proche des ondes du Tibre, issu des Apennins ;
elle pose les bases d’un empire d’une importance immense.
Cette Rome se transforme en grandissant, et un jour,
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elle sera la capitale du monde. C’est ce qu’annoncent,
dit-on, les devins et les oracles des prophètes.
Si je me souviens bien, lors de la chute de Troie, à Énée en pleurs
qui doutait du salut, le Priamide Hélénus avait dit :
“ Fils de déesse, si tu es assez averti de mes prophéties,
tu auras la vie sauve et Troie ne tombera pas tout entière !
La flamme et le fer te livreront passage ; tu emporteras avec toi
Pergame arrachée au désastre, jusqu’à ce que vous parveniez,
Troie et toi, à une terre étrangère plus amie que votre terre ancestrale.
Je vois aussi que les descendants des Phrygiens doivent fonder une ville
si grande qu’il n’en existe pas, ni n’en existera, ni n’en a jamais existé.
D’autres grands hommes la rendront puissante au long des siècles,
mais le fils né du sang d’Iule fera d’elle la maîtresse de l’univers
et, après avoir dispensé à la terre ses bienfaits, il réjouira de sa présence
les séjours de l’éther, et pour issue de sa vie il aura le ciel. ”
Telle fut la prophétie d’Hélénus à Énée, lorsqu’il emporta ses Pénates.
Je les rapporte de mémoire et me réjouis de l’accroissement des murs
d’une cité parente et de la victoire des Pélasges bénéfique aux Phrygiens.
Toutefois, ne nous égarons pas, laissant nos chevaux s’écarter
de la borne à atteindre. Sachons que le ciel change de formes,
455
avec tout ce qu’il recouvre, comme la terre et tout ce qu’elle contient.
Nous aussi nous sommes une part du monde, non seulement des corps
mais aussi des âmes ailées, et nous pouvons élire domicile
dans des fauves ou nous cacher dans les cœurs de nos troupeaux ;
des corps qui peuvent avoir contenu les âmes de nos parents,
ou de nos frères ou de gens liés à nous par quelqu’alliance,
des êtres humains en tout cas. Laissons-les dans la paix et l’honneur,
et n’emplissons pas nos entrailles de mets dignes de Thyeste.
Quelle funeste habitude, quelle impiété habite celui qui se prépare
à répandre du sang humain, à briser de sa lame la nuque d’un veau,
465
en ne prêtant à ses mugissements que des oreilles insensibles !
Ou qui peut égorger un chevreau poussant des vagissements
semblables à ceux d’un enfant, ou qui peut se nourrir d’un oiseau
que lui-même a nourri ! Quelle distance sépare de tels actes
d’un véritable crime ? Vers où après cela est-on prêt à aller ?
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Que le bœuf travaille la terre ou ne doive sa mort qu’à la vieillesse,
que la brebis nous fournisse des armes contre l’horrible Borée,
que les chèvres grasses offrent à nos mains leur pis à presser.
Enlevez les filets et les leurres et les lacets et les pièges trompeurs,
ne trompez pas les oiseaux avec des baguettes enduites de glu,
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n’abusez pas les cerfs avec des plumes qui les effraient,
et ne dissimulez pas sous des appâts trompeurs des hameçons crochus.
Tuez les animaux s’ils sont nuisibles, mais ne faites rien d’autre ;
que vos bouches évitent ces mets et cueillent des aliments dans la douceur. »
éléments (15, 237). Référence à la théorie des « 4 éléments », déjà abordée en Mét., 1, 5-31, notamment la note à 1, 24. Les Anciens considéraient que toute chose était constituée de quatre éléments primitifs, la terre, l’eau, l’air et le feu. Ici (vers 235-258), Ovide, dans le discours qu’il prête à Pythagore, les évoque à l’appui de la thèse du changement universel : omnia mutant.
de l’âge d’or à l’âge du fer (15, 260). Allusion à la théorie des « quatre âges du monde », appelée aussi « mythe des races ». Voir Mét., 1, 89-150, avec les notes. Ici encore, l’allusion a pour but d’illustrer la thèse du changement universel.
Lycus (15, 273). Fleuve de Phrygie. Selon Hérodote, 7, 30, ce fleuve à un certain endroit disparaît dans un gouffre, puis reparaît, avant de se jeter dans le Méandre.
Erasinus (15, 276). Fleuve d’Argolide, provenant du lac de Stymphale, en Arcadie, et se jetant dans le golfe de Corinthe (Hérodote, 6, 76), sans doute après un parcours souterrain. J. Chamonard renvoie aussi à Pline, N.H., 2, 225.
Caïque (15, 277). Fleuve de Mysie, déjà mentionné en 2, 243 et en 12, 111. On ne semble pas connaître d’où Ovide tient le détail cité ici.
Amémanus... Sicanie (15, 279). Fleuve de Sicile (ou Sicanie), aujourd’hui le Giudicello, venant de l’Etna et arrosant Catane. Le phénomène décrit ici, et confirmé par Strabon (5, 3, 13) ne doit pas être rare en Sicile.
Anigros (15, 282). Fleuve d’Élide, réputé pour ses eaux nauséabondes, selon Pausanias, 5, 5, 8-10, qui explique ce fait par la légende d’un ou de plusieurs Centaures (Bimembres, au vers 283), qui y auraient lavé leurs blessures provoquées par l’arc d’Hercule, trempé dans le sang de l’Hydre de Lerne.
Hypanis (15, 285). Fleuve (actuellement le Boug) provenant des monts de Scythie, et se jetant dans la Mer Noire. Voir Hérodote, 4, 52, qui explique que les eaux de son cours inférieur sont amères, à cause des eaux d’un lac qu’il traverse.
Antissa... Pharos... Tyr (15, 287-288). Trois anciennes îles, qui furent rattachées au continent. Antissa est une ville située sur la côte occidentale de Lesbos ; Pharos est une petite île proche d’Alexandrie, qui fut reliée au continent par un môle à l’époque alexandrine et sur laquelle Ptolémée Philadelphe érigea en 285 a.C. une tour de marbre blanc de quelque 135 mètres, le premier « phare » ; Tyr, la célèbre ville de Phénicie, fut construite sur deux îles réunies par une jetée, et qu’Alexandre relia à la côte en 332 a.C. pour s’en emparer. Vaut-il la peine de remarquer que Pythagore pouvait difficilement connaître des événements datant de la période alexandrine ?
Leucade (15, 289). Île ionienne, très proche, par sa pointe nord, de la côte d’Acarnanie, à laquelle elle est reliée par une bande de terre, qui n’empêchait cependant pas le passage des petits bateaux (J. Chamonard). Cfr Strabon, 1, 3, 18.
Zanclé (15, 290). Ancien nom de Messine, qui a donné son nom au détroit de Messine, séparant la Sicile de l’Italie, Zanclé de Rhegium. Voir Mét., 14, 5-7. Pour l’origine du détroit, voir Én., 3, 414-419.
Hélicé et Buris (15, 293). Hélicé est une ville sur la côte d’Achaïe, proche d’Aigion, sur le golfe de Corinthe, et détruite par un tremblement de terre, en 372 a.C. Buris, un nom inconnu par ailleurs, pourrait désigner la ville de Boura, voisine d’Hélicé et rattachée à elle dans la légende ; elle aussi fut détruite par un tremblement de terre. Cfr Strabon, 1, 3, 18.
Trézène, la ville de Pitthée (15, 296). Pitthée, fils de Pélops, était le père d’Aithra, et donc le grand-père de Thésée. Il était roi de Trézène en Argolide, non loin du golfe Saronique. On ignore de quel mont précis veut parler Ovide. On sait par Strabon (1, 3, 18.) et Pausanias (2, 34, 1) que la presqu’île de Methoné/Methana dans la région était d’origine volcanique.
Ammon cornu (15, 309). Il est question d’une source en Libye consacrée à Zeus-Ammon, représenté avec des cornes de bélier (Mét., 5, 17). Le phénomène en question est mentionné par plusieurs auteurs, notamment Hérodote (4, 181, 3) et Lucrèce (6, 848-878). En fait, cette source a été retrouvée, et sa température constante serait de 29 degrés. « Mais comme celle de l’atmosphère monte le jour jusqu’à 50° centigrades et descend parfois la nuit au-dessous de zéro, le contraste entre la température de l’eau et celle de l’air donne, la nuit, l’illusion de la grande chaleur, à midi, celle de la fraîcheur » (A. Berthelot, cité par J. Chamonard). Les grandes variations de température diurne et nocturne seraient ainsi à l’origine de cette légende.
Athamanes (15, 311). Une peuplade du sud de l’Épire. Pline, N.H., 2, 228, parle d’une source de Jupiter à Dodone (en Épire), capable d’éteindre des torches allumées et d’allumer des torches éteintes. Voir aussi Lucrèce, 6, 879-889.
Cicones (15, 313-314). Peuple habitant les montagnes du sud de la Thrace. Voir par exemple Mét., 6, 710 ; 10, 2 ; 11, 3). Sur la vertu « pétrifiante » de ces eaux, voir Sénèque, Nat. Quaest., 3, 20, 3, qui commente ce passage, et Pline, N.H., 2, 226.
Crathis et Sybaris (15, 315). Le Crathis, cours d’eau du Bruttium, et le Sybaris qu’il rejoint près de la ville de même nom, sont également cités pour leurs propriétés particulières chez Strabon, 6, 1, 13, p. 263, et chez Pline, N.H., 31, 13-14.
Salmacis (15, 319). Voir le récit de la légende de Salmacis et Hermaphrodite en Mét., 4, 285-388. Les eaux de l’étang Salmacis, en Asie Mineure, avaient le pouvoir de transformer en androgyne tous ceux qui s’en approchaient (plus spécialement, Mét., 4, 380-388).
lacs d’Éthiopie (15, 320). On ne sait pas de quels lacs il est question. Les vers 320-321 sont commentés par Sénèque, Nat. quaest., 3, 20, 5.
Clitor (15, 322). Nom d’une ville (actuelle Klituras) et d’un cours d’eau d’Arcadie, de la source duquel fait mention Vitruve, De arch., 8, 3, 21, en citant une épigramme en grec qui y était placée.
fils d’Amythaon... Proétides (15, 325-326). Le devin Mélampous, fils d’Amythaon, avait guéri de la folie les filles de Proétos d’Argos (cfr Mét., 5, 236-241), un fils d’Abas. Celles-ci avaient été frappées de démence, soit pour avoir refusé d’accomplir les rites de Dionysos, soit pour avoir offensé Héra (voir Apollodore, Bibl., 2, 2, 2 ; et aussi Pausanias, 8, 18, 8).
Lynceste (15, 329). Fleuve du sud de la Macédoine.
Phénéos (15, 332). Lac d’Arcadie, cité par Homère, Iliade, 2, 605. Pline, N.H., 31, 26 et Strabon, 8, 8, 4, parlent du phénomène signalé par Ovide, et l’attribuent aux eaux du Styx dont on situait l’entrée non loin de là.
Ortygie (15, 336-337). Ancien nom de l’île de Délos, qui était une île flottante jusqu’au jour où elle offrit l’hospitalité à Léto/Latone sur le point d’accoucher de ses enfants, Apollon et Artémis. Voir Mét., 1, 694 ; 5, 499 ; 6, 146-203, et notamment la note à 6, 159-160.
Argo... Symplégades (15, 337-339). Le navire Argo, transportant Jason et les Argonautes, dut affronter les Symplégades ou roches Cynaées, des écueils à l’entrée du Pont-Euxin qui avaient la réputation de se rapprocher et de broyer les navires voulant passer par le Bosphore. Voir Mét., note à 7, 62-63.
Pallène... Hyperboréens... lac Triton... (15, 356-358). Le terme « hyperboréen » est vague et réfère sans plus à des populations du Nord. Pallène est une ville de Macédoine, en Chalcidique, assez éloignée du lac Triton qui est en Thrace. On a déjà pu remarquer qu’Ovide n’était pas toujours précis en matière de géographie.
je n’y crois pas (15, 359). On remarquera l’incrédulité du narrateur concernant ces métamorphoses. Curieux dans le discours attribué à quelqu’un (Pythagore) qui veut convaincre.
Scythie (15, 360). La Scythie était un vaste territoire situé au nord du monde connu. Ici encore la localisation n’est pas précise.
abeilles (15, 366). Ces vers décrivant une croyance populaire répandue chez les Anciens rappellent le passage de Virgile, Géorg., 4, 548-558, traitant des abeilles d’Aristée, mais ils sont racontés par divers auteurs anciens (Nicandre, Ther., 133 ; Varron, R.R., 3, 4 ; Columelle, de re rustic., 9, 14, 6 ; Élien, Hist. an., 2, 57 ; Pline, N.H., 11, 20). Cfr aussi Fast., 1, 363-380, avec les notes, notamment celle du vers 380.
crabe (15, 369). Une croyance qu’on trouve aussi chez Nicandre, Ther., 788, 791, et chez Pline, N.H., 9, 99.
papillons funèbres (15, 374). Comme on le sait, les chenilles se transforment en papillons, bel exemple évidemment de métamorphose. Pour comprendre l’adjectif, il faut savoir que le papillon est un « emblème bien connu de l’âme » (Fr. Cumont, cité par Fr. Bömer), d’où son rapport avec la mort.
grenouilles (15, 375). Les Métamorphoses contiennent deux autres allusions intéressantes sur ce sujet, l’une dans les Mét., 1, 424-433 (ce qui sort du limon sous l’effet du soleil ou ce qu’est susceptible de produire la rencontre de l’eau et du feu), l’autre dans les Mét., 6, 363-381 (Latone transforme en grenouilles des paysans lyciens qui lui manquent de respect).
l’oiseau de Junon (15, 385). C’est le paon, oiseau consacré à Junon. La queue du paon est ornée des yeux d’Argus, le monstre aux cent yeux que Junon avait préposé à la garde de Io. Voir Mét., 1, 588-723, et plus particulièrement la note au vers 624 et aux vers 722-723. Dans le présent passage, la queue du paon est simplement constellée d’étoiles : il n’est pas question des yeux d’Argus.
porte-foudre de Jupiter (15, 386). L’aigle est l’oiseau sacré de Jupiter (Mét., 4, 362 et 4, 714).
les colombes de Cythérée (15, 386). Les colombes sont les oiseaux de Vénus, la déesse vénérée à Cythère (Mét., 4, 190, avec renvois à l’Énéide ; Mét., 10, 529-531, et Fast., 1, 452 ; 3, 611 et 4, 286).
moelle... (15, 389-390). Sur ce motif, voir, entre autres sources, Pline, N.H., 10, 188, et Serv., Verg. Aen., 5, 95.
phénix... (15, 391-407). Oiseau fabuleux, originaire d’Éthiopie et lié au culte du Soleil chez les Égyptiens. Mentionné la première fois par Hérodote, 2, 73, il est cité par de nombreux poètes et mythographes, et les détails abondent concernant l’oiseau qui symbolise l’immortalité. Il est réputé vivre en Éthiopie durant de longues périodes (variant entre 500 ans, 1460 ans ou 12954 ans) ; il ressemble à un aigle d’une taille considérable, et est doté d’un plumage aux couleurs éclatantes et variées. Il est unique, et au moment où il sent sa mort proche, il fabrique une sorte de nid avec des plantes aromatiques, de l’encens et de l’amome. Selon une version, il met le feu à ce nid, et un nouveau phenix surgit des cendres ; selon une autre version, il s’installe dans le nid, qu’il imprègne de sa semence. Le nouveau phénix naît, recueille le cadavre de son père et l’enferme dans un tronc de myrrhe, qu’il va déposer sur l’autel du Soleil, à Héliopolis, en Égypte, pour être brûlé par les prêtres. Après quoi, le nouveau phénix repart en Éthiopie pour un nouveau cycle (d’après P. Grimal et J.-Cl. Belfiore). Voir aussi Pline, N.H., 10, 4 et 7 ; Tacite, Annales, 6, 28, qui traite, avec un regard assez critique, de l’apparition de divers phénix, au cours des siècles.
Assyriens (15, 393). Comme patrie du phénix, il n’est généralement pas question d’Assyrie mais d’Égypte et d’Éthiopie. Mais Ovide dit simplement ici que le nom est assyrien.
larmes d’encens (15, 394). La résine de l’encens est comparée à des larmes.
amome (15, 394). L’amome est une plante aromatique non identifiée. Voir Mét., 10, 307-310.
Hypérion (15, 406). Hypérion est un Titan, père d’Helios (le Soleil), mais le mot désigne souvent aussi Helios lui-même (le Soleil), comme c’est le cas ici, où l’expression « la ville d’Hypérion » est une périphrase pour Héliopolis (« ville du Soleil ») en Basse-Égypte. Pour d’autres mentions d’Hypérion, cfr Mét., 8, 565 (qui renvoie à 4, 192, et 4, 241 ; Fast., 1, 385).
hyène (15, 409-410). Voir Pline, N.H., 8, 105, qui parle d’une croyance, réfutée par Aristote, selon laquelle l’hyène changerait de sexe chaque année.
animal qui se nourrit d’air et de vent (15, 411-412). Il s’agit du caméléon (Pline, N.H., 8, 122).
lynx... (15, 413-415). Les lynx sont souvent cités, avec les tigres, comme des animaux attachés au personnage de Dionysos/Bacchus/Liber. Voir Mét., 3, 668-669. Sur l’urine de cet animal qui transformait en pierre (rubellite, variété de tourmaline) ce qu’elle touchait, voir Pline, N.H., 8, 137 et 37, 34.
corail (15, 416). Voir Mét., 4, 744-752, qui raconte la métamorphose d’une plante marine en corail.
Cécrops et Amphion (15, 427). Ces deux noms désignent, le premier, Athènes, dont Cécrops fut un des premiers rois (Mét., 2, 554-555), le second Thèbes, qui eut pour roi Amphion, l’époux de Niobé (Mét., 6, 148-312, et notamment note à 6, 152). On remarquera une fois de plus qu’à l’époque de Pythagore, ces considérations sur la déchéance de villes comme Athènes et Sparte sont anachroniques.
Pandion (15, 430). Roi légendaire d’Athènes, père de Procné et Philomèle (Mét., 6, 426).
Dardanienne (15, 431). Rome est qualifiée de « Dardanienne », fondée qu’elle fut par les descendants des Troyens, dont un ancêtre était Dardanos (Mét., 13, 412).
Priamide Hélénus (15, 438). Un des fils de Priam. Voir Mét., 13, 98-99, et 13, 722-723, avec renvoi à Én., 3, 356-395. Le discours de Pythagore semble s’inspirer de l’Énéide, où plusieurs passages annoncent la future grandeur de Rome, la nouvelle Troie.
la flamme et le fer (15, 441). Allusion à Énée quittant Troie en flammes (Mét., 14, 109 ; Fast., 4, 800 ; Én., 2, 631-632).
Iule (15, 447). Autre nom d’Ascagne, fils d’Énée, de qui descendent non seulement Romulus, le fondateur de Rome, mais aussi Jules César, et donc Auguste, son fils adoptif, dont on annonce déjà l’apothéose.
cité parente (15, 452). C’est toujours Pythagore qui parle. Et s’il présente Rome comme « une cité parente », c’est qu’il fut, dans une existence antérieure, le Troyen Euphorbe, compatriote d’Énée (cfr plus haut, 15, 160ss).
Pélasges... Phrygiens (15, 452). Ce sont les vaincus (les Phrygiens sont les Troyens) qui finalement bénéficieront de la victoire des Grecs (= Pélasges), puisque cela aura permis la naissance de Rome, une nouvelle Troie.
Toutefois... (15, 453-478). Ces vers constituent la conclusion du discours prêté par Ovide à Pythagore, reprenant les grands thèmes qui viennent d’être abordés : le changement universel, la métempsychose et le végétarisme.
Thyeste (15, 462). Fils de Pélops et Hippodamie, et frère d’Atrée. Les deux frères se vouent une haine profonde, et leur légende qui a beaucoup inspiré les poètes tragiques est riche d’épisodes affreux. Entre autres horreurs, Atrée, pour se venger de Thyeste devenu l’amant de sa femme, fit égorger les enfants de son frère et les lui servit en guise de repas.
Borée (15, 471). Vent du nord, froid. Voir Mét. 1, 65 et note à 1, 60.