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Nestor raconte ensuite les exploits de Pirithoüs, qui a tôt fait de massacrer Pétréus, Lycus et Chromis, puis Hélops ainsi que Dictys, qu’Apharée s’apprête à venger. Thésée intervient, mettant Apharée hors d’état de nuire et s’attaque avec succès à Biénor, puis à une autre série de Centaures. (12, 327-354)
Enfin Thésée, mis en garde par Pallas, évite de justesse la souche enflammée lancée par le Centaure Démoléon, un projectile qui tua Crantor, l’écuyer du père d’Achille. Pélée à son tour venge son compagnon en venant à bout de Démoléon, après avoir tué déjà Phlégréos, Hylès, Iphinoüs et Clanis. Nestor défie et blesse Dorylas, que Pélée achève. (12, 355-392)
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De mes yeux, j’ai vu Pétréus tentant d’extraire de la terre
un chêne chargé de glands. Tandis qu’il entoure de ses bras
l’arbre abattu, qu’il secoue en tous sens et cherche à lancer,
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l’arme de Pirithoüs, traversant les côtes de Pétréus,
lui cloue la poitrine sur le chêne dur avec lequel il luttait.
On racontait que Lycus était tombé, victime du vaillant Pirithoüs,
que Chromis aussi était tombé de sa main ; mais l’un et l’autre
donnèrent moins de gloire à leur vainqueur que Dictys et Hélops.
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Hélops fut transpercé par un javelot qui lui traversa les tempes,
et qui, entré par son oreille droite, avait pénétré jusqu’à la gauche.
Dictys descendait du haut d’une montagne à double pente,
fuyant, tout tremblant, le fils d’Ixion qui le serrait de près :
il tomba la tête en avant, brisa sous le poids de son corps
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un orne immense dont il couvrit les débris de ses entrailles.
Un vengeur, Apharéus, se présente et tente de lancer un bloc
arraché à la montagne ; le fils d’Égée le surprend en plein effort
et avec une branche de chêne brise les os du coude du géant.
Sans s’occuper ni se soucier davantage de livrer au trépas
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ce corps devenu inutile, il saute sur l’énorme Biénor,
dont la croupe est peu habituée à porter un autre que lui.
Il lui presse les côtes de son genou et, le retenant par la crinière
saisie de la main gauche, il fracasse avec une branche noueuse
son visage, ses tempes dures et sa bouche qui profère des menaces.
Avec cette branche, il abat Nédymnus et Lycopès, le lanceur de traits,
ainsi qu’Hippasos, à la poitrine couverte d’une longue barbe,
et Riphée qui dominait de la tête la cime des forêts,
et Thérée qui capturait des ours dans les monts d’Hémonie,
et avait coutume de les ramener chez lui, vivants et rebelles.
355
Démoléon ne supporta pas plus longtemps de voir Thésée
réussir à remporter ses combats et, au prix d’un effort démesuré,
il tenta de déraciner d’un massif boisé un pin chargé d’ans ;
ne pouvant y parvenir, il brisa le tronc qu’il lança sur son ennemi.
Mais Thésée recula, esquivant le projectile qui arrivait,
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car, à ce qu’il prétendait lui-même, il avait été averti par Pallas.
L’arbre toutefois ne tomba pas sans produire d’effet, car
il sépara le buste et l’épaule gauche du grand Crantor de son cou.
Cet homme avait été l’écuyer de ton père, Achille, et Amyntor,
le roi des Dolopes, vaincu à la guerre, l’avait confié
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au fils d’Éaque, en gage de paix et de fidélité.
Pélée vit de loin son écuyer coupé en deux par cette affreuse blessure,
et dit : “ Au moins, Crantor, le plus cher de mes compagnons,
reçois un hommage funèbre ”. Puis, tendant toutes ses forces,
de son bras vigoureux il lança sur Démoléon un javelot de frêne
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qui lui fracassa le thorax, et resta fixé à ses os en vibrant.
De sa main Démoléon extrait le bois, mais non sa pointe :
le bois sort difficilement, la pointe reste accrochée au poumon.
La douleur même lui donnait du courage ; malgré sa souffrance,
il se dresse face à son ennemi et frappe le héros à coups de sabots.
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Pélée reçoit les coups qui résonnent sur son casque et son bouclier,
il protège le haut de son buste en tendant ses armes devant lui,
puis d’un seul coup, il perfore les bras du Centaure et sa double poitrine.
Mais, auparavant, de loin, il avait livré au trépas Phlégréos et Hylès
ainsi que Iphinoüs et Clanis, dans un combat rapproché.
À eux s’ajoute Dorylas, qui se protégeait les tempes
sous une peau de loup, et qui portait en guise d’arme redoutable
des cornes de bœuf recourbées, toutes rougies de sang.
Alors moi, je lui dis, car le courage me donnait des forces :
“ Que valent tes cornes, comparées à mon arme de fer ”.
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Et je lançai mon javelot. Comme il ne pouvait l’éviter,
de sa main droite, il protégea son front qui allait subir le coup.
Sa main et son front ensemble furent transpercés. Il poussa un cri ;
mais comme il restait sur place, accablé par sa cruelle blessure, Pélée,
qui se trouvait à proximité, le frappa en plein ventre d’un coup d’épée.
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Le Centaure bondit et dans sa fougue, traîna ses viscères sur le sol ;
il les traîna et les piétina ; piétinées, elles se déchirèrent,
et il s’y empêtra les pattes avant de s’effondrer, le ventre vidé.
Nestor (ou plutôt Ovide) nous offre ensuite une diversion, avec l’histoire de Cyllaros, un jeune Centaure particulièrement beau, qui vivait le parfait amour avec la jolie Centauresse Hylonomé. Inséparables, ils combattirent côte à côte contre les Lapithes. Cyllaros fut mortellement blessé par le trait d’un Lapithe inconnu, et sa compagne, refusant de quitter son bien-aimé, se suicida avec le javelot qui venait de le tuer. (12, 393-428)
Puis Nestor évoque encore un certain nombre de ses exploits, remontant à sa lointaine jeunesse : il tua le Centaure Phaeocomès, responsable de la mort de Tectaphon ; dans la foulée, il transperça Chthonius et Téléboas et à présent il regrette sa vigueur d’alors, qui lui permettrait d’affronter le grand Hector. Il rappelle encore divers affrontements entre Lapithes et Centaures : Périphas triomphe de Pyraethus, Ampyx d’Échéclus, Macarée d’Érigdupus, Nessus de Cymélus, et Mopsus de Hoditès. (12, 429-458)
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Et toi, Cyllaros, au combat, tu ne fus pas préservé par ta beauté,
si du moins l’on peut concéder de la beauté à un être de ta nature.
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Sa barbe naissante avait la couleur de l’or ; d’or aussi étaient ses cheveux
qui pendaient de ses épaules jusqu’au milieu de ses bras.
Son visage était charmant, il respirait la force ; sa nuque, ses épaules,
ses mains, son torse et tous ses traits humains le rapprochaient
des statues célèbres créées par des artistes. Sous ce torse humain,
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la part chevaline en lui n’était ni décevante, ni moins belle.
Une encolure et une tête de cheval le rendraient digne de Castor ;
sa croupe offrait une belle assise, il avait le poitrail musclé, la robe
plus noire que la poix sombre, mais la queue blanche, et aussi les pattes.
Nombreuses étaient celles de sa race qui le recherchaient, mais seule
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Hylonomé le conquit : nulle parmi les hôtes des forêts profondes,
mi-humains, mi-animaux, n’avait plus de beauté qu’elle.
Elle seule, par ses câlineries, ses gestes et ses déclarations d’amour,
possède le cœur de Cyllaros ; autant que ses membres le permettent,
elle veille à son élégance, se peigne et se lisse les cheveux,
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les entrelace tantôt de romarin, tantôt de violettes ou de roses,
et se pare parfois de lys éclatants. Deux fois par jour,
dans les sources qui dévalent des sommets boisés de Pagasa,
elle se lave le visage, deux fois elle se plonge dans la rivière,
et ne choisit que les peaux de bêtes les plus seyantes
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pour les tendre sur ses épaules ou sur son flanc gauche.
Leur amour est réciproque ; ensemble ils errent dans les montagnes,
ensemble se glissent dans les cavernes. Ce jour-là, ils étaient entrés
ensemble chez un Lapithe, et ensemble ils prenaient part au combat cruel.
Celui qui l’a lancé est inconnu, mais un javelot, arrivé de gauche,
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te transperce, Cyllaros, sous la jointure du cou et du buste.
Frappé par une blessure légère, ton cœur devint froid
de même que tout ton corps, une fois le trait retiré.
Tout de suite, Hylonomé soulève le corps du mourant,
couvre la blessure en y posant la main, approche sa bouche
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de la sienne, et tente de faire barrage à l’âme qui s’échappe.
Dès qu’elle le vit mort, elle prononça des paroles qui, à cause des cris,
ne purent parvenir à mes oreilles ; puis elle se jeta sur le trait
qui avait transpercé son mari et mourut en le serrant dans ses bras.
Je vois encore debout devant moi le Centaure qui avait attaché
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entre elles six peaux de lions, reliées par des nœuds, Phaeocomès,
qui protégeait ainsi en lui l’homme en même temps que le cheval.
Il lança un tronc, que deux attelages auraient déplacés difficilement
et qui écrasa de la tête aux pieds Tectaphon, le fils d’Olénus.
[Son énorme crâne rond fut fracassé, et sa molle cervelle s’écoula
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par la bouche, par le creux des narines, par les yeux et les oreilles,
comme s’écoule du lait caillé posé sur une claie d’osier,
ou comme le liquide, versé sur un fin tamis, pressé sous un poids
s’écoule en gouttes épaisses à travers les trous serrés.]
Mais, tandis que ce détrousseur veut dépouiller de ses armes
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sa victime à terre (ton père connaît cette histoire), j’enfonçai
profondément mon glaive dans ses flancs. D’un coup d’épée,
je terrasse aussi Chthonius et Téléboas ; l’un s’était armé
d’une branche fourchue, l’autre d’un javelot, qui me blessa :
tu vois la marque, encore visible, de cette vieille cicatrice.
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C’est à cette époque que j’aurais dû être envoyé à l’assaut de Pergame ;
alors j’aurais pu avec mes armes, sinon surpasser, du moins freiner
celles du grand Hector ; mais, à cette époque-là, Hector n’existait pas
ou il était encore un enfant, et maintenant mon âge me trahit.
Pourquoi te parlerais-je de Périphas, vainqueur du double Pyraethus,
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et d’Ampyx, qui ficha en plein dans le visage de son adversaire Échéclus,
campé sur ses quatre pattes, une branche de cornouiller sans pointe ?
Macaréus le Péléthronien lança une barre de porte sur le poitrail
d’Érigdupus, qu’il terrassa. Je me souviens aussi que l’épieu
lancé de la main de Nessus alla s’enfoncer dans l’aîne de Cymélus.
Et toi, ne va pas t’imaginer qu’il s’est borné à prédire l’avenir,
Mopsus, le fils d’Ampyx. Mopsus, d’un trait de javelot,
coucha à terre le Centaure Hoditès, qui tentait vainement de parler,
car sa langue restait fixée à son menton, et son menton à sa gorge.
Pétréus (12, 327). Un des nombreux Centaures, impliqués dans le combat.
Pirithoüs (12, 330). Pirithoüs, fils d’Ixion, roi des Lapithes, avait invité les Centaures à ses noces avec Hippodamie. Cfr 12, 210 et la note.
fils d’Ixion (12, 338). C’est Pirithoüs.
fils d’Égée (12, 342). Il s’agit de Thésée. Voir 12, 227.
Crantor... Amyntor... (12, 361-364). Ovide est le seul auteur à nous apprendre que ce Crantor avait été livré comme otage par Amyntor, le roi des Dolopes à Pélée, père d’Achille et fils d’Éaque.
Dolopes (12, 364). Les Dolopes sont un peuple de Thessalie, déjà mentionné par Homère.
Pélée (12, 365). Pélée, fils d’Éaque, est le père d’Achille.
double poitrine (12, 377). Le Centaure est à la fois homme et cheval.
Alors moi... (12, 383). C’est toujours Nestor qui raconte, depuis 12, 182.
Cyllaros (12, 393-428). L’histoire de ce jeune Centaure et de sa bien-aimée Hylonomé (citée au vers 405) ne semble connue que par Ovide. C’est le motif d’un couple d’amants qui ne veulent pas être séparés par la mort. On peut notamment rapprocher cette histoire de celle de Pyrame et Thisbé (4, 55-166).
Castor (12, 401). Un des deux Dioscures, les Tyndarides, qui ont participé à la chasse de Calydon. Castor y est présenté comme le cavalier. Voir 8, 301.
Pagasa (12, 412). Ville de Thessalie, où fut construit le navire Argo et d’où partit l’expédition des Argonautes. Voir 7, 1.
Son énorme crâne... (12, 434-438). Ces vers, placés entre crochets droits, ne se trouvent pas dans les manuscrits récents et sont considérés comme interpolés par un certain nombre d’éditeurs. Nous suivons le texte retenu par G. Lafaye et Fr. Bömer.
Pergame (12, 445). Forteresse de Troie, et souvent synonyme de Troie (ou d’Ilion).
te parlerais-je (12, 449-458). C’est Nestor qui s’adresse à Achille. En quelques vers, il va évoquer un certain nombre de combats singuliers entre Lapithes et Centaures, à qui il donne des noms, soit cités pour la première fois dans les Métamorphoses, soit empruntés à d’autres passages, notamment à celui de la chasse à Calydon, ou à la geste de Persée. Nous nous bornerons ci-dessous à relever dans cette énumération les noms des combattants, Lapithes ou Centaures, qu’on trouve ailleurs dans le récit d’Ovide.
Périphas (12, 449). Ici un Lapithe, mais en 7, 400, Ovide désigne sous ce nom un ancien roi d’Athènes.
Ampyx (12, 450). En 5, 184, un Ampyx combat Persée. En 8, 316, Ampyx participe à la chasse de Calydon, et est le père de Mopsus, comme ici, au vers 456.
Péléthronien (12, 452). Habitant d’une région boisée de Thessalie.
Nessus (12, 454). Voir note à 12, 308, qui renvoie à 9, 101-133.
Mopsus (12, 456). Ce nom est porté par deux personnages différents, tous deux devins. Le premier, évoqué ici, est un Lapithe, fils d’Ampyx (8, 316 et 12, 450), qui participa à l’expédition des Argonautes et à la chasse de Calydon.