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Annonce du sujet et invocation aux dieux. (1, 1-4)
Mon esprit me porte à parler des formes changées en corps nouveaux.
Ô dieux, vous qui êtes responsables aussi de ces mutations,
inspirez mon entreprise et accompagnez un chant qui aille
sans interruption de la première origine du monde à nos jours.
Le Chaos contenait en puissance des éléments primitifs (terre, eau, air, feu) joints en une masse informe et opposés entre eux. (5-21)
Un dieu sépara et organisa ces éléments qui, en fonction de leur densité, occupèrent une place déterminée et constituèrent ainsi le ciel, l’air, la terre et les eaux. Cette divinité anonyme donna à la terre sa forme de globe, avec ses eaux, ses reliefs et ses cinq zones climatiques. Surplombant la terre et les eaux, l’air fut le siège du tonnerre, de la foudre, des nuages et des vents. Enfin, tout au-dessus s’étendit l’éther, où brillèrent les astres. (1, 22-71)
Des êtres vivants occupèrent ces différentes régions : l’éther devint la demeure des dieux et des astres, l’air celle des oiseaux, les eaux celle des poissons et la terre celle des animaux sauvages. Bientôt apparut l’être humain, supérieur aux animaux et destiné à les dominer, né d’un germe du ciel ou né de la terre, façonné à l’image des dieux par Prométhée, et doté d’un visage tourné vers le ciel. (1, 72-88)
Avant que n’existent la mer, la terre et le ciel qui couvre tout,
la nature dans l’univers entier ne présentait qu’un seul aspect,
que l’on nomma Chaos. C’était une masse grossière et confuse,
rien d’autre qu’un amas inerte, un entassement
de semences de choses, d’éléments divisés et mal joints.
Jusqu’alors, nul Titan ne dispensait au monde sa lumière,
la nouvelle Phébé, en croissant, ne renouvelait pas ses cornes,
la terre dans l’air qui l’entourait n’était pas en suspens,
équilibrée par son propre poids et, le long des terres,
Amphitrite n’avait pas étendu la large bordure de ses bras.
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Il y avait là bien sûr la terre, la mer et l’air,
mais la terre était instable, l’onde non navigable,
et l’air sans lumière. Rien ne gardait sa forme propre,
et les éléments se gênaient entre eux. Dans un même corps
luttaient le froid et le chaud, l’humide et le sec,
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le mou et le dur, le lourd et ce qui était sans poids.
Un dieu, avec une nature mieux disposée, mit fin à ce conflit.
En effet il sépara la terre du ciel, et les eaux de la terre ;
et le ciel limpide, il le distingua de l’air épais.
Il fit rouler ces éléments, les dégageant de la masse aveugle,
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puis les fixa en place, séparément, dans la paix et la concorde.
La puissance ignée et sans poids de la voûte céleste
s’élança et prit sa place tout en haut, au sommet du ciel.
Par sa légèreté et sa position, l’air s’en approcha le plus.
Plus dense qu’eux, la terre attira les éléments lourds
et subit la pression de son propre poids. Répandue autour de la terre,
l’eau occupa la dernière place et emprisonna le monde solide.
L’amas de matière ainsi disposé, ce dieu, - on ne sait qui il était -,
le découpa et, avec les morceaux, façonna des membres.
D’abord, pour éviter que la terre ne soit pas partout égale,
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il la façonna en lui donnant la forme d’un immense globe.
Ensuite, il ordonna aux eaux de se répandre et de se gonfler
sous les vents impétueux et de ceinturer la terre de rivages.
Il ajouta encore des sources, d’immenses étangs et des lacs,
puis entoura de rives pentues les fleuves rapides,
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qui, selon les lieux, tantôt sont avalés par la terre même,
tantôt atteignent la mer où, reçus en une plaine d’eau plus libre,
ils viennent heurter des rivages en guise de berges.
Le dieu ordonna aux plaines de s’étendre, aux vallées de s’abaisser,
aux forêts de se couvrir de feuilles, aux rocs des montagnes de surgir.
Et comme deux zones partagent le ciel à droite,
deux autres à gauche, avec une cinquième, plus brûlante qu’elles,
le dieu prit soin de séparer la masse incluse sous le ciel
en autant de zones, bien marquées sur la terre.
La zone médiane n’est pas habitable à cause de la chaleur ;
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une neige épaisse couvre les autres ; et entre ces zones,
il en plaça deux autres, au climat tempéré, mêlé de froid et de chaud.
L’air les surplombe, plus léger en poids que la terre
et que l’eau, tout autant qu’il est plus lourd que le feu.
Là furent placés, sur l’ordre du dieu, les brouillards, les nuages
et le tonnerre, qui allaient ébranler les esprits des humains,
ainsi que les vents qui produisent les éclairs et la foudre.
À eux non plus, l’architecte du monde ne permit pas de disposer
de tout l’espace ; de nos jours, c’est à peine si on les empêche,
alors qu’ils dirigent leurs souffles chacun en des espaces différents,
de déchirer le monde, tant est grande la discorde entre ces frères :
Eurus s’est retiré du côté de l’Aurore et des royaumes nabatéens,
vers la Perse et les sommets exposés aux rayons du matin ;
Vesper et les rivages qu’échauffe le soleil couchant sont voisins
du Zéphyre ; la Scythie et le septentrion ont été envahis
par l’effrayant Borée ; la terre qui leur fait face ruisselle
sous d’incessantes nuées et sous les pluies de l’Auster.
Au-dessus des vents, le dieu a placé, fluide et sans pesanteur,
l’éther, dépourvu de la moindre trace de résidu terrestre.
À peine avait-il séparé tous les éléments par des bornes définies,
que les astres, longtemps écrasés sous cette masse aveugle,
se mirent à briller dans l’immensité du ciel.
Et pour qu’aucune région ne restât privée d’êtres vivants,
les astres et les dieux de toutes formes occupèrent le sol céleste,
les ondes se présentèrent pour héberger les poissons éclatants,
la terre reçut en partage les bêtes sauvages, et l’air mobile les oiseaux.
Faisait encore défaut un être vivant qui fût plus auguste qu’eux,
doué d’une intelligence plus haute, capable de dominer les autres.
L’homme naquit, qu’il ait été fabriqué à partir d’une semence divine
par l’illustre créateur des choses, auteur d’un monde meilleur,
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ou qu’il soit né de la terre neuve, récemment séparée de l’éther supérieur,
et qui retenait en elle des germes du ciel, son parent.
Cette terre, mêlée aux eaux de la pluie, le rejeton de Japet
la façonna à l’image des dieux qui règlent l’univers ;
tandis que les autres vivants, penchés en avant, regardent le sol,
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(Prométhée) donna à l’homme un visage tourné vers le haut
et lui imposa de regarder le ciel, de lever les yeux vers les astres.
Ainsi, la terre, qui naguère était grossière et ne représentait rien,
se couvrit, métamorphosée, de figures d’hommes inconnues.
L’univers ainsi constitué et dominé par le genre humain se dégrada progressivement au cours de quatre mutations, désignées par les expressions les « quatre âges du monde » ou le « mythe des races ». La première de ces périodes, l’âge d’or, assimilée à Rome au règne de Saturne, se caractérisait par le respect du droit et de la vertu, par la paix, la concorde, l’absence de lois, de crainte et de guerres ; on se contentait de ce que la nature produisait spontanément et généreusement. (1, 89-112)
Une seconde période, moins heureuse, appelée « âge d’argent », suivit, correspondant à l’avènement de Jupiter, qui transforma le printemps éternel en quatre saisons, ce qui obligea les humains à s’abriter contre les rigueurs du climat et à développer l’agriculture. (1, 113-124)
Le troisième âge, l’âge du bronze, qui connut une race d’hommes plus prompts à la guerre, fut suivi par l’âge du fer, un âge maudit, où tout sens moral se perdit au profit de la violence, de l’audace et surtout de la soif de posséder. C’est ainsi que les dieux, et singulièrement la déesse de la justice, dégoûtés, quittèrent la terre. (1, 125-150)
Le premier âge à voir le jour fut l’âge d’or qui, sans juge,
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spontanément, sans lois, pratiquait la bonne foi et le droit.
On ignorait punitions et crainte, on ne lisait pas d’édits menaçants
gravés dans le bronze ; la foule suppliante ne redoutait pas
le visage de son juge, mais on vivait tranquille, sans défenseur.
Le pin toujours debout n’avait pas encore dévalé les montagnes
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vers les ondes liquides pour visiter un monde étranger,
et les hommes ne connaissaient que leurs propres rivages.
Des fossés escarpés ne ceignaient pas encore les cités ;
il n’existait ni trompette d’airain au tube étiré, ni cor recourbé,
ni casque, ni épée ; sans recourir à une milice,
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les gens vivaient dans la paix d’agréables loisirs.
La terre, sans contrainte elle aussi, épargnée par le hoyau,
ignorant les blessures de la charrue, offrait tout d’elle-même.
Les gens, se contentant de nourritures produites sans effort,
recueillaient les fruits des arbousiers, les fraises des montagnes,
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les cornouilles, les mûres attachées aux âpres ronces
et les glands tombés de l’arbre de Jupiter aux larges branches.
Le printemps était éternel et, de leurs souffles tièdes,
les doux zéphyrs caressaient des fleurs nées sans semences.
Bientôt même, la terre, sans être labourée, produisait des moissons,
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et le champ, non travaillé, blondissait sous de lourds épis.
Tantôt coulaient des fleuves de lait, tantôt des fleuves de nectar,
et de l’yeuse verdoyante tombaient des gouttes de miel blond.
Plus tard, une fois Saturne expédié dans le ténébreux Tartare,
lorsque le monde appartint à Jupiter, vint la race d’argent,
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inférieure à la race d’or, mais plus précieuse que le bronze fauve.
Jupiter réduisit la durée de l’ancien printemps
et distribua l’année sur quatre saisons :
hivers, étés, automnes inégaux et un bref printemps.
Alors pour la première fois, à cause des chaleurs desséchantes,
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l’air brûlé s’embrasa et l’eau, glacée par les vents, se figea suspendue ;
alors pour la première fois, on se glissa dans des maisons :
cavernes, épais buissons, branches et écorces enchevêtrées.
Alors pour la première fois, on enfouit dans de longs sillons
les graines de Cérès, et des taurillons peinèrent sous le poids du joug.
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À cette race en succéda une troisième, celle de bronze,
plus sauvage d’esprit, et plus prompte aux armes horribles,
mais pas scélérate cependant. La dernière race est de fer dur.
Aussitôt se rua dans cet âge d’un filon plus vil
tout l’impie : la pudeur, la vérité et la fidélité s’enfuirent ;
à leur place s’introduisirent la tromperie et la ruse,
les intrigues et la violence, et le désir maudit de posséder.
Le marin offrait ses voiles aux vents qu’il connaissait mal encore,
et les carènes, qui longtemps en haut des montagnes
s’étaient dressées, bravèrent les flots inconnus.
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La terre, auparavant commune, comme l’air et la lumière du soleil,
un arpenteur défiant la délimita en y traçant de longs sillons.
À un sol fécond on ne demandait plus seulement des moissons
et des nourritures normales : on pénétra les entrailles de la terre,
et l’on déterra les richesses qu’elle y avait cachées, reléguées
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près des ombres du Styx, ces richesses sources de malheurs.
Bientôt on découvre le fer malsain et l’or, plus malsain encore ;
la guerre apparaît, qui utilise ces deux métaux pour combattre
et qui d’une main ensanglantée agite et fait crépiter les armes.
On vit de larcins ; l’hôte ne se fie pas à son hôte,
le beau-père n’est pas sûr de son gendre ; même entre frères,
rare est l’amitié ; un époux menace sa femme de mort ; elle, son mari ;
de terrifiantes marâtres mélangent les poisons de l’aconit mortel ;
un fils s’inquiète avant le temps de l’âge de son père.
Vaincue, la piété est terrassée, et la dernière des divinités
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à quitter la terre imprégnée de sang criminel est la vierge Astrée.
Durant cette période dégradée de l’âge de fer, l’Olympe fut en proie à la révolte des Géants qui voulaient s’emparer du pouvoir. Jupiter les foudroya, les précipita sur terre et les écrasa sous les montagnes qu’ils avaient entassées. La Terre, tout imprégnée du sang des Géants, métamorphosa ce sang en êtres nouveaux, à face humaine, tout aussi violents et impies que les humains de l’âge de fer. (1, 151-162)
Indigné, Jupiter, qui se souvenait par ailleurs du crime audacieux de l’Arcadien Lycaon, convoque les dieux dans son palais céleste et leur fait part de son intention d’exterminer le genre humain trop menaçant pour lui, et de sa volonté de réserver la terre aux demi-dieux, aux nymphes, faunes, etc... La décision de Jupiter est aussitôt approuvée par tous les dieux présents, ce qui devrait rappeler à Auguste la piété manifestée par ses concitoyens lors du meurtre de César. (1, 163-206)
Jupiter justifie cette décision en évoquant le crime du tyran arcadien Lycaon, qui s’était montré impie (il voulait tuer Jupiter pendant son sommeil) et cruel (il avait servi en guise de repas les membres d’un otage qu’il avait fait exécuter). Jupiter le métamorphosa en loup, après avoir foudroyé sa demeure. Le dieu ajoute que Lycaon n’est qu’un exemple d’impiété parmi beaucoup d’autres : c’est le genre humain tout entier qui doit disparaître. (1, 207-243)
En vrais courtisans, les dieux approuvent, tout en s’inquiétant de l’avenir, au cas où la terre serait privée des humains ; Jupiter les rassure et promet alors de faire naître une race nouvelle d’origine merveilleuse. (1, 244-252)
Mais en haut, l’éther ne devait pas être plus sûr que la terre.
Les Géants, dit-on, cherchèrent à s’emparer du royaume céleste,
et entassèrent des montagnes qu’ils élevèrent jusqu’aux astres.
Alors le père tout puissant lança sa foudre et fracassa l’Olympe,
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fit s’écrouler le Pélion l’arrachant à l’Ossa placé sous lui.
Comme ces corps redoutables gisaient écrasés sous leur masse,
on dit que la Terre, inondée par l’abondance du sang de ses enfants,
en fut imprégnée et donna vie à ces flots de sang encore chauds,
puis, dans la crainte de ne voir subsister nulle trace de sa race,
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les transforma en êtres à face humaine. Mais cette génération elle aussi
méprisa les dieux et, particulièrement avide de carnage et de cruauté,
se livra à la violence : on pouvait voir qu’elle était née du sang.
Dès que le fils de Saturne, du haut de sa citadelle, voit ce spectacle,
il gémit et, se souvenant d’un fait récent, encore inconnu,
de l’infâme festin qui se déroula à la table de Lycaon,
il conçoit en son cœur une terrible colère, digne de Jupiter.
Il convoque son conseil, qui se réunit sans retard.
Il existe dans le ciel une route, bien visible par ciel serein ;
on l’appelle la Voie lactée, remarquable par sa blancheur même.
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Par cette route les dieux se rendent à la demeure du Grand Tonnant,
au palais royal. À droite et à gauche, par les portes ouvertes,
<on voit> les atriums des nobles dieux où l’on se presse ;
la plèbe habite divers lieux ; en face et autour <du palais>,
les dieux puissants ont installé leurs pénates.
Cet endroit, si l’on me permet cette audace verbale,
je ne craindrais pas de l’appeler le Palatin céleste.
Une fois les dieux installés dans leur retraite de marbre,
Jupiter, sur le trône le plus élevé, appuyé sur son sceptre d’ivoire,
agita trois ou quatre fois la chevelure redoutable couvrant sa tête,
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ce qui ébranla la terre, la mer et les astres.
Il laissa alors éclater son indignation en ces termes :
« Non, je n’ai pas été plus inquiet pour ma royauté sur l’univers
à l’époque où les Géants anguipèdes se préparaient
à utiliser leurs cent bras pour s’emparer du ciel.
Car, si sauvage que fût l’ennemi, cette guerre n’émanait
que d’une seule race et n’avait qu’une seule origine.
Aujourd’hui, dans le monde entier entouré du bruyant Nérée,
il me faut perdre la race des mortels. Par les fleuves infernaux,
coulant sous la terre en arrosant le bois du Styx, je le jure !
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Tout a été tenté auparavant ; mais la blessure est inguérissable.
Il faut trancher à l’épée pour éviter à la partie saine d’être atteinte.
J’ai pour moi les demi-dieux, les divinités rustiques,
Nymphes, Faunes, Satyres, et Silvains, habitants des montagnes.
Puisque nous ne les estimons pas encore dignes de l’honneur du ciel,
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laissons-les au moins habiter la terre que nous leur avons donnée.
Croyez-vous vraiment, dieux d’en-haut, qu’ils y seront en sécurité,
alors que contre moi, maître de la foudre, votre seigneur et votre roi,
Lycaon, bien connu pour sa sauvagerie a dressé un piège ? »
Toute l’assistance frémit et réclame ardemment le châtiment
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d’un être si audacieux. Ainsi, lorsqu’une troupe impie
s’acharna à éteindre le nom romain dans le sang de César,
le genre humain fut saisi de crainte à ce désastre subit
et le monde entier fut plongé dans l’horreur.
À tes yeux, Auguste, la piété des tiens n’est pas moins agréable
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que ne le fut celle-là pour Jupiter. De la voix et du geste,
il fit cesser les murmures, et tous restèrent silencieux.
Une fois les cris arrêtés, réprimés par la majesté de leur maître,
Jupiter rompit à nouveau le silence par un récit :
« Certes, il a reçu son châtiment, ne vous inquiétez pas à ce sujet.
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Mais, je vais vous apprendre ce que furent ce crime et sa punition.
Le bruit des infamies de l’époque était parvenu à mes oreilles.
Espérant cette rumeur fausse, je descends du haut Olympe,
et, dieu déguisé en homme, je parcours la terre.
Il serait trop long d’énumérer tous les crimes qui partout
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furent découverts ; le rapport était bien en-dessous la vérité.
J’avais traversé l’horrible Ménale avec ses repaires de bêtes sauvages,
le Cyllène et les pinèdes fraîches du mont Lycée ;
dans la demeure inhospitalière d’un tyran d’Arcadie,
je pénétrai à l’heure tardive où le crépuscule entraîne la nuit.
Je manifeste par signes ma présence divine et le peuple se met à prier.
Lycaon commence par se moquer de ces hommages pieux ;
puis il dit : « Je vais m’assurer avec certitude, s’il est un dieu
ou un homme. La vérité éclatera alors indubitablement. »
Il me prépare une mort par surprise, la nuit, quand je serai alourdi
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par le sommeil ; c’est sa manière à lui d’éprouver la vérité.
Mais il ne se contente pas de cela ; de son épée,
il égorge un otage envoyé de la cité des Molosses,
attendrit dans l’eau bouillante une partie de ses membres
encore palpitants et fait rôtir le reste sur la flamme.
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Dès qu’il eut fait servir ce plat à table, moi, d’un feu vengeur,
je fis s’écrouler sur lui sa maison, pénates dignes de leur maître.
Effrayé, il s’enfuit et, après avoir gagné la campagne silencieuse,
se met à hurler. C’est en vain qu’il tente de parler. Toute sa rage,
il la concentre dans sa bouche ; son désir habituel de carnage, il l’exerce
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contre les troupeaux, et maintenant encore il se complaît dans le sang.
Ses vêtements sont changés en poils, et ses bras en pattes.
Il devient un loup, qui conserve des traces de sa forme ancienne.
Le gris de ses poils est le même, il a le même visage farouche,
l’éclat des yeux est le même, il offre la même image de la férocité.
Une seule maison est abattue ; mais elle n’est pas la seule maison
à avoir mérité de périr ; par toute la terre règne la cruelle Érinye ;
on croirait une conjuration de criminels. Que tous subissent au plus vite
les châtiments qu’ils ont mérité (c’est la sentence établie). »
Certains dieux approuvent à haute voix les dires de Jupiter
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et excitent sa colère, les autres jouent leur rôle de courtisans.
Toutefois le sacrifice du genre humain les désole tous ;
ils lui demandent quel aspect aura la terre privée des humains,
qui apportera alors de l’encens sur les autels, et
s’il se prépare à livrer aux bêtes sauvages la terre à dévaster.
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À ces questions, le roi des dieux répond qu’il se chargera de tout ;
il leur interdit de s’alarmer et promet de faire naître
une race différente, d’une origine merveilleuse.
Mon esprit me porte (1, 1). Ovide commence son vaste poème en quinze chants en demandant l’assistance des dieux, une invocation aux dieux ou aux muses qui est un topos dans la littérature ancienne. On notera la brièveté du prologue, en regard de la longueur du poème.
formes changées en corps nouveaux (1, 1). Dans la mythologie grecque, le thème des métamorphoses est très couru. Dès l’époque alexandrine, commencèrent à se répandre des recueils regroupant des récits narrant la transformation de personnages en animaux, en plantes ou en rochers. Ces fables merveilleuses étaient très prisées dans le monde romain, chez les prédécesseurs et les contemporains d’Ovide. Notre poète s’est sans nul doute inspiré de recueils spécialisés existants, mais aussi des œuvres épiques et tragiques en général, tout en manifestant une grande liberté dans des développements personnels.
aussi (1, 2). Nombre de métamorphoses sont l’œuvre de divinités.
un chant (1, 3). Ovide innove par rapport à ses poèmes antérieurs, plus courts, en se lançant dans une œuvre de longue haleine, en hexamètres dactyliques (vers de l’épopée), tournant autour du thème général de la métamorphose. Il va aborder toute une série d’histoires, traitées et reliées entre elles avec beaucoup d’imagination, de fantaisie et de variété.
sans interruption (1, 4). Ovide suivra effectivement, sans aucune rigueur toutefois, une sorte de développement chronologique des transformations mythiques du monde en partant du chaos primitif pour aboutir à l’apothéose de Jules César. Les récits, très diversifiés par leur origine, leur nature, leur signification, l’importance de leur développement, vont s’enchaîner « sans interruption » dans ce que le poète annonce comme un carmen perpetuum ou « chant perpétuel », grâce à des transitions très diversifiées elles aussi.
Chaos (1, 8). En grec, le terme Chaos signifie « ouverture béante, gouffre, abîme ». Hésiode, dans sa Théogonie (116), s’en était servi pour caractériser, sans aucune précision, une sorte d’espace immense et ténébreux qui existait avant l’origine des dieux et des choses. Plus tard, probablement sous l’influence des Stoïciens, le mot va désigner la masse informe et confuse censée exister aux origines du monde : tous les éléments sont présents, mais mêlés dans un total désordre. C’est le cas ici, chez Ovide. La première métamorphose que décrira le poète sera la transformation de ce chaos primitif en un ensemble ordonné de quatre éléments (1, 24), sous l’action d’un dieu qui ne sera pas nommé (1, 21). Dans ce récit, Ovide s’inspire de théories philosophiques plutôt que mythologiques. Voir Fastes, 1, 103-114 avec les notes.
semences de choses (1, 9). L’expression « semences de choses » (semina rerum en latin) est étroitement liée à l’œuvre de Lucrèce, où elle est utilisée pour désigner les atomes, constituants ultimes de l’univers. Mais chez Ovide, elle a perdu ce sens, pour s’appliquer aux « éléments » dont il sera question un peu plus loin. On n’est donc pas dans une optique épicurienne. En 1, 419, on retrouvera l’expression « semences des choses ».
Titan... Phébé (1, 10-11). Chez les auteurs latins, Titan désigne souvent le Soleil (alias Phébus-Apollon), et Phébé (alias Artémis-Diane), la Lune. Selon Hésiode (Théogonie, 371-2), le Titan Hypérion était le père du Soleil, de la Lune et de l’Aurore.
en suspens (1, 12). Anaximandre (610-545 a.C.) fut le premier à tenter d’expliquer « pourquoi la Terre demeure au même endroit sans postuler un support physique : en effet, disait-il, il n’y a aucune raison pour que ce qui est situé symétriquement au milieu, équidistant des deux extrémités, se déplace vers le bas plutôt que dans une autre direction. » (M.C. Howatson, Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, 1993, p. 49-50).
Amphitrite (1, 14). Fille de Nérée et de l’Océanide Doris, Amphitrite est l’épouse de Poséidon et la reine de la mer. Ici, son nom désigne l’océan.
Un dieu (1, 21). Ovide ne précise pas, ni ici ni au vers 32, qui est ce dieu qui semble intervenir avec une nature, dont il ne dit rien non plus (le mot « nature » se rencontrait déjà au vers 6). Peut-être même y a-t-il ici, équivalence entre dieu et la nature, ce qui est commun dans la pensée stoïcienne ? En 1, 57, il sera question d’un « architecte du monde » (mundi fabricator en latin), qui traduit manifestement le « démiurge » (dêmiourgos) des Grecs, et en 1, 79, d’un « créateur des choses » (opifex rerum en latin).
élément (1, 24). La théorie dite des quatre éléments remonte à Empédocle d’Agrigente, qui, au Ve siècle a.C., fut le premier à exposer clairement la doctrine, selon laquelle tout ce qui existe, même les dieux, est composé de feu, d’air, d’eau et de terre. Selon lui, ces éléments, existant de toute éternité, étaient à l’origine confondus en une masse unique et sphérique (Sphaïros), maintenue par l’Amour (Philia), mais que la Haine (Neikos) a progressivement dissoute. Toujours selon Empédocle, le jeu de ces deux forces cosmiques, de sens contraire, ne cesse de former et de détruire les êtres pour en composer d’autres (cfr n. à 1, 433). Les éléments sont donc toujours les mêmes, mais leurs combinaisons varient à l’infini. Cette théorie rencontra beaucoup de succès dans la pensée antique, avec toutefois de très nombreuses variations. Ovide s’en inspire certainement ici.
puissance ignée (1, 26). Ovide, comme beaucoup de penseurs antiques, imagine deux sortes d’air. D’abord, proche de la terre, un air épais, dense (1, 23), le domaine des nuages, des vents et des oiseaux ; puis au-dessus de lui, un air beaucoup plus subtil, lié au feu : c’est l’éther, le séjour des astres et des dieux. On retrouve donc ainsi l’eau, la terre, l’air et le feu. Au vers 23, c’est l’éther qui est ainsi désigné par l’expression « ciel limpide » ; au vers 67, il sera question de « l’éther fluide ».
monde (1, 31). Le mot latin orbis peut signifier soit « sphère », soit « disque ». Ovide joue sur les deux sens. En 1, 35, il donne indiscutablement à orbis le sens de « globe, sphère » ; ici, le mot reçoit le sens de « disque ». Le poète latin ne veut pas trancher entre deux conceptions anciennes de la terre : celle d’un disque entouré d’eau sur laquelle il flotte ; celle d’une sphère en équilibre dans l’espace (cfr n. à 1, 12).
membres (1, 33). Des membres, au sens de « parties d’un tout ». Ainsi par exemple, avec l’élément « eau », le démiurge « fabrique » (1, 36-42) des mers, des sources, des étangs, des lacs et des fleuves.
avalés par la terre (1, 40). Pour des exemples de fleuves ainsi avalés par la terre, on pourra voir Mét., 15, 270-276.
zones (I, 45). Le monde se présente ici comme une sphère divisée en cinq zones : une zone torride, inhabitée, autour de l’équateur ; deux zones glaciales, également inhabitées, autour de chaque pôle ; et deux zones tempérées et habitées, entre la zone torride et chacune des zones froides. La même idée se rencontre chez Virgile, Géorgiques, 1, 233-238, et chez Tibulle, Panégyrique de Messala, 151-168. Ovide voit les cinq zones de la surface terrestre comme une projection sur le sol des cinq zones qui se partageaient aussi la voûte céleste (cfr aussi 2, 129). Ces vues remontent probablement à Ératosthène ; reprises par les stoïciens, elles sont devenues communes.
les vents qui produisent... (1, 56). « Les stoïciens, dont Ovide reproduit les idées dans la plus grande partie de ce passage, admettaient que les éclairs et la foudre sont l’effet des vents, qui poussent les nuages les uns contre les autres. » (G. Lafaye)
frères... (1, 60). Pour Hésiode, les Vents sont les enfants d’Astrée et d’Éos (Aurore) : « À Astraios Aurore enfanta les Vents au cœur violent : Zéphyr, qui éclaircit le ciel, Borée à la course rapide, Notos enfin, naquirent de l’amour de la déesse entre les bras du dieu » (Théogonie, 378-380 ; trad. P. Mazon). Le démiurge a bien veillé à les placer dans des endroits différents, mais ils se heurtent souvent. Suit une énumération de quelques vents, avec quelques précisions géographiques. L’Eurus est un vent du sud-est, d’où l’allusion à l’Aurore et à la Perse (les Nabat[h]éens occupent une partie de l’Arabie Pétrée). Le Zéphyr, un vent d’ouest plutôt doux, renvoie assez normalement à Vesper, l’étoile du soir, et aux « rivages qu’échauffe le soleil couchant ». Borée est le vent du Nord, froid, d’où son lien avec la Scythie et le Septentrion (les sept étoiles de la constellation de l’Ourse), tandis que l’Auster « pluvieux » - il est parfois question du Notus - désigne le vent du Sud.
éther fluide (1, 67-68). Cfr la note à 1, 26. L’éther est totalement pur, dégagé qu’il est de toute impureté terrestre.
les astres et les dieux (1, 73). « Pour les anciens les astres étaient des êtres vivants, animalia, qui, sous des formes diverses, participaient de la nature divine. » (G. Lafaye)
éclatants (1, 74). C’est-à-dire « aux écailles brillantes ».
rejeton de Japet (1, 82). Il s’agit de Prométhée, fils du Titan Japet et père de Deucalion. Il passe pour un bienfaiteur des hommes à qui il aurait notamment apporté le feu. Une tradition, absente chez Hésiode et relativement rare, lui attribue la création des premiers hommes à partir de l’argile (cfr par exemple Pausanias, 10, 4, 4 ; Horace, Odes, I, 16, 13-16, et aussi infra, 1, 363). Ovide l’utilise ici d’une manière originale : Prométhée aurait façonné l’homme « à l’image des dieux ». Dans la Genèse (1, 26-27 ; 2, 7), c’est Dieu qui crée l’homme « à son image ».
penchés en avant (1, 84). Opposition entre la position horizontale du corps des animaux et la position verticale de l’homme. Cfr par exemple Cicéron, Des Lois, I, IX, 27 : « Car, tandis qu’elle [= la nature] a rejeté vers leur pâture les autres animaux, l’homme est le seul dont elle ait dressé la taille et qu’elle ait appelé à regarder le ciel, comme vers le lieu de sa parenté et de son premier séjour. » (G. De Plinval).
Les quatre âges du monde (1, 89-150). Une série de métamorphoses affectent le monde à travers les « quatre âges » (d’or, d’argent, de bronze et de fer) de l’univers, longuement décrits dans ce passage. On remarquera qu’Ovide s’attache ici davantage à des considérations morales et philosophiques qu’à de la mythologie proprement dite. Une comparaison avec le mythe des races exposé par Hésiode, Les Travaux et les Jours, 109-201, est intéressante. Voir aussi P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, p. 21, sous la rubrique Âge d’Or, et J.-C. Belfiore, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, p. 24, sous la rubrique Âges.
pin toujours debout (1, 95). Car l’homme n’avait pas encore éprouvé le besoin de construire des bateaux. Voir aussi vers 133-134.
arbre de Jupiter (1, 106). Le chêne.
verdoyante (1, 112). « L’yeuse, ou chêne vert, très commun dans les contrées méridionales, ne perd pas, en hiver, comme le chêne rouvre (quercus), son beau feuillage, qui reste d’un vert intense. » (G. Lafaye).
miel blond (1, 112). « Jusqu’à la fin des temps antiques, on a cru que le miel était une sorte de rosée, que les abeilles recueillaient toute formée à la surface des feuilles. À l’époque de l’âge d’or il était plus pur et le travail des abeilles, inutile. » (G. Lafaye).
Saturne (1, 113). Le Cronos grec, dont le règne au Latium, coïncida avec l’âge d’or, avant la prise de pouvoir de Zeus-Jupiter sur l’Olympe. Voir Ovide, Fastes, I, 193 et 233-237 et les notes ; Virgile, Én., I, 569 ; 7, 49 ; 8, 319-325 avec les notes correspondantes.
Tartare (1, 113). Le monde des enfers.
inégaux (1, 118). Tantôt chauds, tantôt froids ; la température y est variable.
Cérès (1, 123). Cérès-Déméter, la déesse de la terre et de la fécondité des champs, est ici synonyme de « blé ».
Styx (1, 139). Fleuve des Enfers. Le mot évoque ici les profondeurs de la terre. Cfr 1, 189 avec la note.
pour combattre (1, 142). Le fer pour les armes ; l’or pour corrompre.
beau-père (1, 145). Les contemporains d’Ovide devaient songer à la guerre civile entre Pompée et César : César était le beau-père de Pompée, qui avait épousé sa fille Julie. Cfr aussi Virgile (Én., 6, 830-831).
aconit (1, 147). Poison violent (7, 406), qui proviendrait d’une plante poussant dans un terrain rocailleux (« sans poussière », comme le suggère le terme grec « akoniti »), et dont Ovide propose une légende étiologique aux vers 7, 408-419.
Astrée (1, 150). Déesse de la Justice, fille de Zeus et de Thémis (1, 321 avec la note), représentée comme une vierge portant une balance en main. Vivant sur terre où elle répandait parmi les hommes les sentiments de justice et de vertu, elle quitta la terre pour devenir la constellation de la Vierge, première métamorphose, peu explicitée, d’un être immortel en étoile. (D’après Aratus, Phaenom., 96-136).
Géants (1, 151). Nés de la Terre fécondée par les éclaboussures du sperme d’Ouranos, lorsqu’il fut mutilé par son fils Cronos (Hésiode, Théogonie, 178-187), les Géants sont souvent représentés comme des monstres anguipèdes. Leur lutte contre Zeus et les dieux de l’Olympe est célèbre : c’est la Gigantomachie. Un autre combat mythique célèbre est la Titanomachie, qui vit les Titans, d’autres fils de Gaia et d’Ouranos, affronter les Cronides conduits par Zeus. Les deux groupes d’opposants furent vaincus. Les auteurs anciens ne distinguent pas toujours très bien les Géants et les Titans ainsi que le détail des combats qu’ils livrèrent aux Olympiens. Un exemple : Ovide décrit ici les Géants entassant l’Ossa sur le Pélion (deux montagnes de Thessalie) pour atteindre le ciel (cfr aussi Fastes, 1, 307-308 ; 3, 439-442, et 5, 35-42), tandis que Virgile (Géorgiques, 1, 278-281) attribue la manœuvre aux Titans.
Olympe... Pélion...Ossa (1, 154-155). Les trois montagnes de Thessalie que les Géants, voulant escalader le ciel, entassèrent l’une sur l’autre, avant d’être foudroyés par Jupiter et écrasés.
fils de Saturne (1, 163). Zeus-Jupiter est le fils de Cronos-Saturne. Depuis sa victoire, avec les autres dieux olympiens, sur les Géants, il était le roi des dieux et des hommes.
Lycaon (1, 165). Lycaon est un roi mythique de l’Arcadie, dont Ovide va conter la métamorphose en loup en 1, 209-240 ; c’est aussi le père de Callisto-l’Ourse (Mét., 2, 401-495). Selon Ovide, ce personnage avait, par impiété et bravade, servi à Jupiter comme repas les membres d’un jeune otage qu’il avait égorgé. Cette métamorphose est sans doute inspirée par le rapprochement du nom Lycaon avec le mot grec lukos « loup ». La légende de Lycaon est assez complexe, et la version suivie ici par Ovide en est une parmi d’autres. Voir Hygin, Fabulae, 176 (et aussi la rubrique Lycaon chez P. Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, et chez J.-C. Belfiore, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine). On pourra lire, dans la République (VIII, 565e-566a) l’interprétation que donne Platon de la légende de Lycaon. Rappelons aussi que le motif du « loup-garou » est récurrent dans le folklore universel.
conseil (1, 167). Le thème du conseil des dieux est un topos de la littérature épique, tant grecque que latine.
atriums (1, 172). Dans l’atrium de la maison romaine, les propriétaires recevaient leurs amis et leurs clients. La pièce est présentée ici comme noire de monde.
Palatin céleste (1, 176). Le Palatin était le quartier chic de Rome, où habitaient l’empereur et de nombreuses familles nobles. Avec une certaine ironie (il parle d’audace verbale), Ovide utilise une terminologie typiquement romaine (les atriums, la plèbe divine, les pénates) pour décrire le quartier céleste où l’on trouve le palais de Jupiter et le sénat divin (la curie), où va se rassembler le conseil.
ce qui ébranla (1, 180). Depuis Homère, les « arrêts » de Jupiter, ponctués par les mouvements de tête du dieu, ont de puissants effets : « Il dit, et, de ses sourcils sombres, le fils de Cronos fait oui. Les cheveux divins du Seigneur voltigent un instant sur son front éternel, et le vaste Olympe en frémit » (Iliade, I, 528-530). Cfr Ovide, Mét., 2, 849. Cfr aussi Virgile, Énéide, 9, 106 : « il fit un signe de tête, et à ce geste l’Olympe entier trembla ». Chez Catulle (64, 204-206), les effets s’étendent même à l’ensemble de l’univers : « Au signe invincible de sa tête, la terre trembla, les mers cabrées mugirent, la voûte du ciel agita les astres étincelants. » Également chez Horace (Odes, 3, 1, 7-8) : « Jupiter, le glorieux vainqueur des Géants, qui, de son sourcil, ébranle l’univers. » Ovide a donc d’illutres modèles.
Géants anguipèdes (1, 183). Les Géants étaient décrits comme ayant cent bras et des queues de serpents. Il a été question en 1, 151-155 de la Gigantomachie.
Nérée (1, 187). Appelé aussi « le vieillard de la mer », Nérée, divinité marine et père des Néréides (1, 301), est utilisé ici comme synonyme de océan ou mer. Cfr ce qui a été dit plus haut d’Amphitrite au vers 1, 14 et la description de l’Océan entourant la terre au vers 1, 31.
Styx (1, 189). Le Styx est un fleuve dont le cours lent, formant une sorte de marais, entourait les Enfers de neuf anneaux. Selon la fable, le dieu du Styx avait pris parti pour Jupiter contre les Titans, en lui envoyant en renfort ses filles, Victoire et Force. Pour le récompenser, Jupiter aurait rendu sacré, même pour les dieux, le serment fait en son nom : le dieu parjure était privé pour neuf ans de la table de Jupiter et d’autres prérogatives. Déjà dans les poèmes homériques (Iliade, 15, 37), « le serment par le Styx » engageait irrévocablement les dieux. Hésiode, Théogonie, 793-806, détaille longuement les punitions qui frappaient les parjures divins. Les dieux, qui juraient par le Styx, ne pouvaient se dédire (cfr aussi 1, 737, et 2, 45). Voir aussi Fastes, 3, 322 avec la note.
Nymphes, Faunes, Satyres, et Silvains (1, 193). Dans ce vers, Ovide énumère une série de divinités rustiques secondaires, qui habitent la terre, les dieux ne les ayant pas jugées dignes « de l’honneur du ciel ». Ce sont en quelque sorte des demi-dieux. Chez Homère déjà, les Nymphes (Nymphae) sont des créatures semi-divines habitant les bois et les cours d’eau. Les Faunes (Fauni) sont des petits génies champêtres ; ils proviennent de la « multiplication » du dieu romain Faunus, identifié au dieu grec Pan. Les Satyres (Satyri) sont des demi-dieux, à pieds de chèvres, qu’on rencontre dans les endroits sauvages. Quant aux Silvains (Silvani), résultat de la « multiplication » du dieu romain Silvanus, ce sont des génies des forêts.
César... Auguste... (1, 200-206). La colère prêtée à Jupiter est l’occasion pour Ovide, le courtisan, de signaler la colère suscitée par le meurtre de Jules César, aux ides de mars de 44 av. J.-C., et le soutien que son successeur Octave-Auguste trouva auprès du peuple romain. Le meurtre de César sera évoqué par Ovide à la fin du quinzième livre de ses Métamorphoses.
le monde entier (1, 203). Plusieurs prodiges précédèrent et suivirent la mort de Jules César (cfr par exemple Ovide, Mét., 15, 782-798). Un des plus fameux fut l’apparition d’une comète, qu’on interpréta comme étant l’âme de César transportée au ciel (sidus Iulium = « l’astre de Jules César »). Ce sera la dernière « métamorphose » racontée par Ovide à la fin du quinzième livre (15, 843-850).
Ménale... Cyllène... Lycée (1, 216-217). Trois montagnes d’Arcadie, la région où sévissait le tyran Lycaon (voir note au 1, 165). Dans ce chant premier, il sera encore question du Cyllène en 1, 713, et du Lycée en 1, 698.
Molosses (1, 227). Le pays des Molosses est une partie de l’Épire.
attendrit (1, 228). Procné a fait cuire son fils de la même manière (Mét., 6, 644ss).
Érinye (1, 241). Les Érinyes, correspondant aux Furies chez les Latins, étaient au nombre de trois, et poussaient les hommes aux crimes. Voir notamment Énéide, 2, 337-338 et note.
qui apportera alors de l’encens (1, 248). Même inquiétude des dieux lorsque Déméter, privée de sa fille Coré, veut « anéantir dans une triste famine la race entière des hommes ». Les habitants de l’Olympe risquaient de se voir frustrés « de l’hommage glorieux des offrandes et des sacrifices » et Zeus s’en est alarmé (cfr Hymne homérique à Déméter I, 310-313). Les dieux ont besoin des hommes.