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Une ombre trouble la joie d’Égée : Minos, le puissant roi de Crète, cherche des alliances dans les îles grecques pour venger son fils Androgée, mis à mort par les Athéniens. Il gagne ainsi à sa cause un certain nombre d’îles dont l’énumération se termine par l’évocation d’une seule métamorphose. (7, 453-468)
D’autres îles cependant refusent de se rallier au Crétois, qui aborde enfin dans l’île d’Égine (alias Énopie), où règne le vieux roi Éaque. Accueilli avec intérêt et curiosité par les habitants, Minos demande à Éaque et à ses fils (Télamon, Pélée, Phocus) leur aide contre les Athéniens. Mais Éaque, au nom de l’amitié indéfectible qui lie Égine à Athènes, refuse d’aider Minos qui s’en va, se bornant à proférer des menaces. (7, 469-489)
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Et pourtant – tant il est vrai qu’il n’existe aucun plaisir sans ombre,
et qu’au bonheur vient se mêler quelque inquiétude –,
la joie d’Égée, son fils une fois retrouvé, ne fut pas exempte de souci.
Minos prépare la guerre. Sa puissance lui vient de ses troupes
et de sa flotte bien sûr, mais sa colère paternelle surtout le rend fort :
il cherche à venger dans une guerre juste le meurtre d’Androgée.
Cependant au préalable il s’attache des forces alliées en vue de la guerre,
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et sa flotte rapide, qui fonde sa puissance, sillonne les mers.
C’est ainsi qu’il s’allie Anaphé et le royaume d’Astypalée,
Anaphé par des promesses, Astypalée par la guerre ;
ensuite il s’attache l’humble Myconos et les champs crayeux de Cimolus,
ainsi que Cythnus fleurant le thym, et la plate Sériphos,
et Paros avec ses marbres, et l’île que lui livra l’impie Arné,
la Sithonienne. Une fois en possession de l’or exigé par son avidité,
elle fut muée en un oiseau, qui aujourd’hui encore aime l’or,
le choucas, muni de pattes noires et couvert d’un noir plumage.
Mais ni Oliaros, ni Didymes, ni Ténos, ni Andros,
ni Gyaros, ni la fertile Péparèthos aux luisantes olives
n’aidèrent les navires Gnosiens. Ensuite, sur sa gauche,
Minos gagna l’Énopie, où régnait Éaque :
les anciens appelèrent l’île Énopie, mais c’est Éaque
lui-même qui la nomma Égine, du nom de sa mère.
La foule se précipita, voulant connaître un héros d’un tel renom.
À sa rencontre viennent Télamon et son frère plus jeune,
Pélée, ainsi que Phocos, le troisième fils d’Éaque.
Éaque lui aussi, rendu lent par le poids de la vieillesse,
sort de sa demeure, et s’enquiert de la raison de la venue de Minos.
Ramené à ses souvenirs de père endeuillé, le souverain
qui règne sur cent peuples soupire et lui tient ce discours :
« J’ai pris les armes pour venger mon fils et j’implore ton aide ;
participe à une pieuse expédition : je veux le consoler dans sa tombe ».
Le descendant d’Asopos lui répond : « Ta requête est vaine,
ma cité ne peut faire cela ; en effet, nulle terre n’est plus unie
aux Cécropides que la nôtre ; ce sont ces traités qui nous lient ».
Désappointé, Minos s’en va disant : « Tes traités te coûteront cher »,
tout en pensant qu’il est plus utile de brandir la menace d’une guerre
que de la faire et de gaspiller prématurément ses forces en ce lieu.
Minos avait à peine mis les voiles qu’arrive à Égine un ambassadeur athénien, Céphale, pour demander de l’aide. Accueilli en véritable ami de la famille royale, il expose avec éloquence l’objet de sa venue, rappelant les traités liant leurs cités et la menace impérialiste de Minos. Il obtient immédiatement satisfaction, le vieil Éaque et ses fils mettant à la disposition des Athéniens toutes leurs troupes. (7, 490-511)
Céphale, étonné de n’avoir vu à son arrivée que des jeunes gens, s’enquiert de toutes les personnes qu’il avait vues lors d’une précédente visite. Éaque lui répond que la prospérité actuelle d’Égine a été précédée d’un fléau terrible, qui décima toute la population, ce dont il propose de faire le récit. (7, 512-522)
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La flotte de Lyctos était encore en vue des murailles d’Énopie,
quand se présente, poussé à pleines voiles,
un navire athénien, qui pénètre dans le port allié :
il amène Céphale, porteur des messages de sa patrie.
Les jeunes fils d’Éaque, qui ne l’avaient pas vu depuis longtemps,
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reconnaissent pourtant Céphale, lui tendent la main
et le conduisent à la demeure de leur père. Héros de belle prestance
qui gardait encore les traits de sa beauté de jadis,
il s’avance en tenant un rameau d’olivier cher à son peuple.
En tant qu’aîné, il est escorté, à droite et à gauche,
de deux compagnons plus jeunes, Clyton et Butès, fils de Pallas.
Après l’échange des propos d’usage au début d’une rencontre,
Céphale fait part de la mission que lui a confiée le Cécropide,
il demande des secours, rappelle le traité et les devoirs liant leurs parents,
ajoutant que Minos aspire à la souveraineté sur l’Achaïe entière.
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Ainsi, avec éloquence, Céphale soutient la cause dont il est chargé.
Aussitôt, Éaque, la main gauche posée sur la poignée de son sceptre :
« Ne demandez pas des secours, ô Athènes, prenez-les », dit-il,
« et sans hésiter, emmenez les forces que possède cette île ;
elles sont à vous, et tout ce que l’état actuel de mes biens...
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Je ne manque pas de forces ; j’en ai plus qu’il faut, même contre un ennemi.
Grâce aux dieux, les temps sont favorables et un refus serait injustifiable. »
« Eh bien ! tant mieux », dit Céphale, « et puisse ta cité s’accroître encore
en nombre de citoyens. Vraiment, en arrivant tout à l’heure,
j’ai été heureux de voir venir vers moi des jeunes gens si beaux,
si égaux par l’âge ; mais, je me demande où sont beaucoup de ceux
que j’avais vus autrefois, quand j’avais été reçu dans votre ville. »
Éaque poussa un gémissement et, d’une voix triste, dit :
« Après des débuts douloureux, notre destin s’est amélioré.
Ah ! Que ne puis-je vous parler du présent, sans rappeler le passé !
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Je reprendrai tout dans l’ordre, sans vous retenir par de longs détours :
ils gisent en terre, os et cendres, ceux dont s’informe ta pensée fidèle,
et quelle faible partie ne sont-ils pas des biens que j’ai perdus ! »
Junon, jalouse, envoie la peste sur l’île d’Égine, qui porte le nom d’une des innombrables maîtresses de Jupiter. Aucun moyen humain ne put lutter contre ce fléau (obscurité, chaleur étouffante, air vicié, eaux polluées, serpents venimeux répandus partout) qui sévit durant quatre mois. (7, 523-535)
Partout gisent des cadavres d’animaux ; des bœufs de labour s’affalent en pleine tâche, d’autres, jadis ardents, restent prostrés, attendant leur mort prochaine. Les cadavres pourrissent sur place, tandis que la contagion se répand. À l’intérieur des murailles, les hommes eux aussi sont atteints, brûlés intérieurement par la fièvre et extérieurement par une chaleur desséchante, irrespirable. La contagion qui n’épargne personne empêche toute intervention ; les malades, à la recherche d’un peu de fraîcheur, quittent leur maison qu’ils ne supportent plus et, à bout de forces, se laissent mourir un peu partout dans la ville. (7, 536-581)
Éaque, découvrant l’étendue de la catastrophe, et surtout l’inefficacité des prières et des sacrifices accomplis devant le temple de Jupiter, est désespéré. Sa description du désastre prend de plus en plus d’ampleur (morts innombrables, suicides par désespoir, défunts sans funérailles décentes) et il manifeste son incompréhension devant le silence des dieux. (7, 582-613)
« Un terrible fléau, dû à la colère de l’injuste Junon, qui haïssait
la terre portant le nom d’une rivale, s’abattit sur notre peuple.
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Tant que l’on jugea comme naturel aux humains ce mal, fléau si funeste
dont la cause restait cachée, on le combattit avec l’art médical.
Mais la catastrophe défiait les secours qui, dépassés, restaient vains.
D’abord le ciel écrasa la terre sous une obscurité profonde,
emprisonnant dans le brouillard une chaleur étouffante.
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Pendant que la Lune, quatre fois, cornes jointes, emplit son disque,
et que, décroissant à quatre reprises, elle rogna sa forme pleine,
les Austers torrides répandirent leurs souffles porteurs de mort.
Il est établi que le mal gagna les sources et les lacs,
que des serpents par milliers sillonnèrent les champs en friche
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et contaminèrent les cours d’eau de leur venin.
Des tas de cadavres de chiens, d’oiseaux, de moutons et de bœufs,
puis d’animaux sauvages, révélèrent d’abord la puissance de ce mal subit.
Le laboureur s’étonne de voir ses bœufs puissants
s’effondrer en plein travail et s’allonger au milieu d’un sillon ;
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les troupeaux de moutons poussent des bêlements maladifs,
leurs toisons tombent d’elles-mêmes, et leurs corps se décomposent.
Un cheval naguère ardent, très renommé sur la piste poussiéreuse,
se montre indigne de ses palmes et, oubliant les honneurs passés,
gémit près de son enclos, attendant sans bouger une mort prochaine.
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Le sanglier oublie ses fureurs, la biche a perdu confiance
en sa course et les ours cessent d’attaquer les vaillants troupeaux.
L’accablement règne partout : bois et champs, routes sont jonchés
de cadavres répugnants, dont la puanteur infecte l’atmosphère.
Je vais vous étonner : ces corps, ni les chiens ni les oiseaux de proie
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ni les loups au pelage gris ne les touchent ; ils fondent, se liquéfient,
et leurs émanations nuisibles répandent au loin la contagion.
La peste, plus pesante encore, atteint les malheureux paysans,
et s’installe en maîtresse à l’intérieur des murs de la grande cité.
D’abord, les entrailles sont dévorées par un feu caché
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que trahissent la rougeur de la peau et une haleine brûlante ;
la langue est rêche et gonflée ; les bouches béantes, desséchées
par les souffles chauds, n’absorbent que de l’air empesté.
Personne ne peut supporter une couverture ou le moindre vêtement,
on s’étend ventre durci contre la terre ; le contact avec le sol
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ne rafraîchit pas le corps, mais c’est le corps qui échauffe la terre.
Nul n’est à même de maîtriser la situation et le cruel fléau s’abat
sur les médecins eux-mêmes, victimes de l’art qu’il pratiquent.
Plus on s’approche d’un malade, plus on se dévoue à le servir,
plus vite on arrive dans la zone fatale, et, dès que s’en est allé
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l’espoir du salut, dès qu’on voit la mort comme issue de la maladie,
on se laisse décourager, sans plus se soucier de ce qui serait utile :
en fait, plus rien n’est utile. Pêle-mêle, renonçant à toute pudeur,
les malades ne quittent plus les fontaines, les rivières et les puits ;
ils boivent, mais c’est leur vie qui s’éteint plus tôt que leur soif.
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Aussi, beaucoup d’entre eux, trop alourdis pour pouvoir se lever,
meurent dans ces eaux où d’autres pourtant viennent encore puiser.
Des malheureux éprouvent un si grand dégoût pour leur couche détestée
qu’ils en sortent d’un bond ou que, si leurs forces les empêchent de se lever,
ils laissent leurs corps rouler sur le sol. Chacun fuit ses pénates ;
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chacun pense que sa propre demeure est un lieu funeste,
et, parce qu’on ignore la cause du fléau, on accuse l’étroitesse du lieu.
On pouvait voir errant dans les rues, tant qu’ils pouvaient rester debout,
des êtres à demi morts. D’autres, en pleurs, couchés par terre,
tournent leurs regards las dans un ultime mouvement ;
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tendant les bras vers les astres du ciel suspendu [sur leurs têtes],
ils rendent leur dernier souffle ici ou là, où la mort les a surpris.
Quel fut alors mon état d’esprit ? N’était-il pas normal
que je haïsse de vivre et désire partager le sort des miens ?
Partout où se portaient mes regards, une foule de gens gisaient
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étendus sur le sol, comme des fruits pourris tombent de branches
qu’on a agitées, et des glands sous un chêne qu’on a secoué.
Tu vois, là en face, un temple élevé, avec sa longue suite de degrés :
c’est le temple de Jupiter. Qui n’a pas offert en vain de l’encens
sur ses autels ? Que de fois un époux en train de prier pour son épouse,
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un père pour son fils, n’ont-t-ils pas rendu leur dernier souffle
sur des autels sourds aux prières qu’ils étaient en train de prononcer,
tandis qu’on trouvait dans leur main de l’encens qui n’était pas consumé !
Que de fois des taureaux, amenés devant le temple, ne sont-ils pas tombés
quand le prêtre faisait des vœux et versait du vin pur entre leurs cornes,
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terrassés qu’ils étaient par un coup qu’on n’attendait pas alors !
Moi-même, comme j’offrais un sacrifice à Jupiter pour moi, pour ma patrie
et mes trois enfants, la victime poussa des mugissements terribles
et s’écroula soudainement, sans que lui fût porté le moindre coup ;
les couteaux approchés de son cou ne se teignirent que d’un peu de sang.
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De plus, ses exta malades avaient perdu le pouvoir de révéler la vérité
et les ordres divins : la funeste maladie pénètre jusqu’aux entrailles.
J’ai vu des cadavres jetés devant les portes du sanctuaire.
Certains, pour rendre leur mort encore plus odieuse,
s’étranglent avec un lacet au pied même des autels et, dans la mort même,
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fuient la crainte de la mort, appellant d’emblée l’instant fatal en marche.
Les corps des défunts sont emportés sans les funérailles d’usage ;
en effet, les convois ne pouvaient passer par les portes de la ville.
Sans être inhumés, les corps jonchent le sol ou, restés sans offrandes,
sont placés sur d’immenses bûchers. Le respect n’existe plus :
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on se bat pour un bûcher et les corps brûlent sur les feux d’autres morts.
Il manque de gens pour verser des larmes et des âmes errent
sans être pleurées, âmes d’enfants, d’époux, de jeunes gens, de vieillards ;
la place ne suffit plus pour les tombes, ni les arbres pour les bûchers.
Cependant, dans un ultime sursaut, Éaque supplie son père Jupiter de ne pas le laisser seul ou de le faire mourir lui aussi, et il a l’impression d’être entendu. Mis en confiance, il supplie le dieu de repeupler son pays d’habitants aussi nombreux que les fourmis qu’il a aperçues sur le tronc d’un chêne consacré à Jupiter. Et à nouveau un tremblement de l’arbre lui rend espoir. (7, 614-633)
Au cours de la nuit, il voit en songe le chêne de la veille secouer sa ramure et les insectes progressivement transformés en humains, en tombant sur le sol. Tandis qu’il retrouve à son réveil son manque de confiance dans les dieux, son fils Télamon enthousiaste vient lui présenter des jeunes gens alignés dans le palais, le saluant comme leur roi. Éaque remercie Jupiter et organise le partage du territoire entre ses nouveaux sujets, qu’il appelle les Myrmidons. (7, 634-654)
Ce sont ces hommes, dotés des qualités des fourmis, que Céphale emmènera avec lui pour aider les Athéniens. (7, 655-660)
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Étourdi par un tel tourbillon de malheurs, j’ai dit :
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“ Ô Jupiter !, s’ils ne racontent pas de mensonges ces récits
qui disent que tu as connu l’étreinte d’Égine, fille d’Asopos,
et si tu ne rougis pas, père souverain, d’être mon géniteur,
rends-moi les miens ou enfouis aussi mon cadavre dans un tombeau ! ”
Il me fit signe par un éclair et un coup de tonnerre d’heureux augure.
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“ J’accepte ces signes, et qu’ils soient bénéfiques, je t’en supplie ”,
dis-je, “ J’accepte comme une promesse ce présage que tu me donnes. ”
Il y avait par hasard près de là, déployant une ramure exceptionnelle,
un chêne consacré à Jupiter, et issu d’un gland de Dodone.
C’est là que j’aperçus, en une longue colonne, ramassant des grains,
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portant dans leurs petites bouches d’énormes fardeaux, des fourmis
qui suivaient leur parcours à travers les rugosités de l’écorce.
Émerveillé par leur nombre, je dis : “ Ô père très bon, donne-moi
autant de citoyens que ces fourmis, et repeuple mes murs vides ! ”
Le grand chêne trembla et, sans qu’il y ait un souffle de vent,
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ses branches s’agitèrent et un bruit se fit entendre. Éperdu de crainte,
j’avais les membres tremblants et les cheveux hérissés ;
toutefois, je baisai la terre et le chêne, sans exprimer mon espoir ;
j’espérais pourtant et au fond de moi je croyais en mes vœux.
La nuit survient et le sommeil gagne mon corps écrasé de soucis.
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Il me sembla que sous mes yeux se trouvait le même chêne
avec le même nombre de branches, et le même nombre d’insectes
sur ces branches ; agité du même tremblement, l’arbre semblait semer
la colonne des porteuses de grains sur les champs qu’il surplombait.
Les insectes soudain paraissent grandir de plus en plus,
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se lever de terre, redresser leur tronc, se défaire de leur maigreur,
de leurs pattes nombreuses et de leur couleur noire,
tandis que leurs membres revêtent forme humaine.
Le sommeil me quitte ; une fois éveillé je rejette mes visions,
déplorant l’absence de secours des dieux. Cependant, dans le palais,
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régnait un immense murmure et je croyais entendre des voix humaines,
dont j’avais perdu l’habitude. Tandis que je les attribue à mon rêve
elles aussi, Télamon se précipite et me dit, en ouvrant la porte :
“ Père, tu vas voir un prodige défiant tes espoirs et ton imagination.
Sors ! ” Je sors. Et les hommes que j’avais cru voir en rêve,
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je les retrouve tels que je les avais vus, bien alignés, et je les reconnais ;
ils s’avancent vers moi et me saluent comme leur roi.
Je m’acquitte de mes vœux à Jupiter ; je répartis la ville et les champs,
vides de leurs anciens paysans, entre ces nouveaux habitants
que je nomme les Myrmidons, sans tromper sur l’origine de leur nom.
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Tu as vu leur physique ; quant à leurs mœurs, ils ont conservé
celles qu’ils avaient autrefois : race sobre et endurante à l’effort,
elle tient à ce qu’elle a acquis, et sait mettre de côté ce qu’elle possède.
Ces hommes, égaux par l’âge et la vaillance, te suivront à la guerre
aussitôt que l’Eurus, qui t’a heureusement amené ici,
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– l’Eurus en effet l’avait amené, – se sera transformé en Auster. »
Minos et Athènes (7, 453-489). Les personnages d’Égée et de Thésée, qui apparaissent à la fin de l’épisode consacré à Médée, vont offrir à Ovide une transition entre les légendes centrées sur Iolcos et la Thessalie (7, 1-390) et sur la Crète de Minos (via Athènes et Égine (7, 391- 8, 259 ). – Minos (7, 456) est un roi légendaire de Crète, considéré le plus souvent comme un fils de Zeus et d’Europe, et qui aurait vécu trois générations avant la guerre de Troie. Son nom évoque la « thalassocratie crétoise ». Historiquement, dès le second millénaire, la Crète avec sa flotte exerça en mer Égée une hégémonie militaire et économique dont bénéficia la légende de Minos. Cette rivalité entre ce roi et l’Athènes d’Égée sert de cadre à plusieurs des récits légendaires contenus dans la suite du livre 7. Mais bien des points de la légende de Minos sont laissés de côté. Ainsi, par exemple, Ovide ne mentionne pas la réputation de Minos comme roi sage : il aurait établi des lois justes et équitables, ce qui lui valut son poste de juge des Enfers, aux côtés d’Éaque et de Rhadamanthe (déjà chez Homère, Odyssée, 11, 568-571). Ovide ne dit rien non plus du rôle qu’une version rapportée par Apollodore (III, 15, 1) aurait fait jouer à Minos dans la vie de Procris. Il faut dire que la légende de Minos est riche et complexe.
Androgée (7, 458). Un des fils de Minos et de Pasiphaé, Androgée, avait participé à Athènes à des jeux organisés par Égée, et avait remporté la victoire, au grand déplaisir des Athéniens qui, par jalousie le firent périr. Pour venger son fils, Minos fit une expédition contre Athènes, et remporta finalement la victoire, ce qui lui permit de percevoir de la part des Athéniens un tribut (sept jeunes gens et sept jeunes filles livrés en pâture au Minotaure), fléau dont finit par les délivrer Thésée.
Anaphé... Paros (7, 461-465). Dans les vers qui suivent, Ovide énumère de façon quelque peu fantaisiste une série d’îles (Anaphé, Astypalée, Myconos, Cimolos, Cythnus, Seriphos, Paros), qui se seraient ralliées à Minos, et dont certaines appartiennent à l’archipel des Cyclades. Nous n’en dirons rien, sauf peut-être pour souligner la célébrité de l’une d’entre elles, Paros, bien connue pour son marbre.
Arné la Sithonienne (7, 465-468). Allusion – inconnue par ailleurs – à la métamorphose en choucas d’une jeune fille dont la trahison aurait livré à Minos une île de la région. On ne sait même pas avec certitude de quelle île il s’agit, car les manuscrits hésitent sur le début du vers 466. Le texte que nous suivons (Sithonis, la « Sithonienne ») renverrait au pays dont serait originaire la jeune traîtresse (la Thrace) ; si l’on suit les manuscrits qui adoptent Siphon et, il s’agirait alors de l’île de Siphos. – Le thème d’une jeune fille avide d’or rappelle le cas d’Aglauros (Mét., 2, 752ss). – Le choucas serait-il, comme la pie, un oiseau attiré par ce qui brille ?
Oliaros... (4, 469-471). L’énumération continue, cette fois avec les îles qui n’auraient pas accepté l’alliance avec Minos : Oliaros, Didymes, Ténos, Andros, Gyaros, Péparéthos. Toutes font partie des Cyclades, sauf Péparéthos (au nord de l’Eubée) et Didymes (difficile à localiser avec certitude).
Gnosiens (7, 471). C’est-à-dire Crétois, de Gno(s)sos ou Cnos(s)os, ville de Crète, résidence du roi Minos.
sur sa gauche (7, 471). Selon G. Lafaye, Minos, venant des Cyclades et se rendant vers le nord, se serait dirigé vers Égine, sur sa gauche. Mais ce n’est pas aussi simple, car il y a Didymes et surtout de Péparéthos. Mais peut-être ne faut-il pas trop faire confiance aux précisions géographiques d’Ovide.
Énopie... (7, 472). C’était le nom ancien de l’île d’Égine (cfr note suivante).
Éaque (7, 472). Éaque est le fils de Zeus (Jupiter) et de la nymphe Égine, fille du fleuve Asopos, qu’il aurait approchée sous la forme d’une flamme (6, 113) ou, suivant d’autres versions, d’un aigle. Pour s’unir à elle, Zeus l’aurait amenée dans l’île d’Énopie (Pindare, Isthmiques, 8, 21), une île qu’Éaque aurait plus tard rebaptisée Égine pour lui donner le nom de sa mère. Éaque est le père des Éacides (Pélée, Achille), famille réputée s’il en est, dans les légendes grecques (voir 7, 476-477). Célèbre pour sa justice, il devint avec Minos et Rhadamanthe, un des juges des Enfers. La suite du récit développe un aspect de sa légende.
Télamon... Pélée... Phocus (7, 476-477). Trois des fils d’Éaque, qui ne sont pas tous de la même mère. Télamon sera le père d’Ajax, et Pélée, celui d’Achille. Ils ont tous les deux pour mère Endéis, tandis que Phocus, le troisième, est le fils de la Néréide Psamathé (cfr 7, 685 et la n.). Phocus sera tué par ses demi-frères Pélée et Télamon, jaloux de sa supériorité aux jeux et de la puissance qu’il acquit comme fondateur-éponyme de la Phocide.
cent peuples (7, 481). Homère (Iliade, 2, 649) définit la Crète comme l’île aux cent villes. Ovide parle donc ici de Minos.
Asopos (7, 484). Le descendant d’Asopos est Éaque (voir note au vers 472), dont la réputation de droiture est bien illustrée ici.
Cécropides (7, 486). Les Athéniens, dont un des premiers rois fut Cécrops. Voir 2, 555 ; 6, 70 ; 7, 671.
Lyctos... Énopie (7, 490). Les termes désignent respectivement, d’une part la Crète, Lyctos (ou Lyttos) étant une ville crétoise, et d’autre part Égine (7, 472).
Céphale (7, 493). En 6, 681, Céphale avait simplement été mentionné comme descendant d’Éole et époux heureux de Procris, une des filles du roi d’Athènes Érechthée. Il apparaît ici comme envoyé d’Athènes auprès d’Éaque et sera présent jusqu’à la fin du livre 7, d’abord comme négociateur officiel, puis comme auditeur d’Éaque (7, 517-660), enfin comme narrateur de sa propre histoire (7, 661-865). Il n’est plus un tout jeune homme, quand il arrive à Égine.
fils d’Éaque (7, 494). Télamon, Pélée et Phocos. Voir note à 476-477.
olivier (7, 498). Tel un suppliant, Céphale tenait un rameau d’olivier, symbole de paix en général, mais on n’oubliera pas que l’olivier est aussi l’arbre d’Athéna et donc d’Athènes (6, 80-81 et 101).
Clyton et Butès, fils de Pallas (7, 500). Divers héros antiques portent le nom de Pallas. Celui dont il s’agit ici est le roi de Trézène, fils cadet de Pandion (un des rois légendaires d’Athènes) et père des cinquante Pallantides. Les deux fils de Pallas, cités ici par Ovide, reparaîtront dans la suite du récit (7, 665-666).
le Cécropide (7, 502). Ici, il s’agit d’Égée, descendant de Cécrops.
Achaïe (7, 505). La Grèce.
cet état de mes biens... (7, 509). Beaucoup de spécialistes pensent qu’un vers manque ici.
un ennemi (7, 510). Faut-il comprendre qu’il s’agit de Minos ? Éaque voudrait alors dire : « il me reste encore assez de guerriers, même si Minos venait m’attaquer après que je vous aurais envoyé de l’aide ».
le passé (7, 519). Commence maintenant un long récit, dans lequel Éaque va raconter les malheurs de son île, dus à une peste, envoyée par Héra lorsqu’elle a appris les fredaines de son époux. Dans cette description de la peste d’Égine (7, 523-613), Ovide est certainement influencé par les évocations de la peste d’Athènes en 430 a.C. chez Lucrèce (6, 1138-1286), lequel s’inspirait lui-même de Thucydide (2, 47-54), influencé aussi et surtout peut-être par la description de l’épizootie du Norique faite par Virgile (Géorgiques, 3, 478-566).
Junon... rivale (7, 523-524). On a fait allusion plus haut à cet épisode. Égine, fille d’Asopos, avait été enlevée par Jupiter séduit par sa beauté. Emmenée sur l’île d’Énopie, elle avait mis au monde Éaque, lequel plus tard baptisa l’île du nom de sa mère. Dans la version transmise par Ovide, c’est la jalousie de Junon qui serait responsable de la peste d’Égine (Sur la jalousie de Junon, voir par exemple 1, 601-624 ; 2, 466-490 et 508-530 ; 3, 253-286 et 3, 361-369). En fait toutes les versions ne sont pas unanimes : pour certains mythographes, l’île aurait été déserte à la naissance d’Éaque, et c’est ce dernier qui, avisant des fourmis sur le tronc d’un chêne, aurait demandé à Zeus de la peupler.
la Lune... (7, 530-531). Tournure recherchée pour indiquer que la peste dura quatre mois lunaires.
Auster (7, 532). Vent du sud, chargé d’humidité.
temple de Jupiter (7, 588). Il y avait dans l’île d’Égine un sanctuaire consacré à Jupiter Panhellenius, beaucoup moins célèbre que le temple d’Aphaia.
exta (7, 600). Les entrailles des victimes sacrificielles servaient à prédire l’avenir. Voir Fastes, 1, 51, qui renvoie aussi à Fastes, 2, 373 ; 2, 712 ; 4, 638 ; 6, 346.
Égine, fille d’Asopos (7, 616). Voir note au vers 7, 472.
Dodone (7, 623). Ville d’Épire, où se trouvait un sanctuaire célèbre consacré à Zeus et où s’élevait un chêne qui servait aux oracles. On y interprétait la volonté du dieu d’après le bruissement de ses feuilles. Ovide est seul, semble-t-il, à faire intervenir à Égine un rejeton de ce chêne de Dodone et à mettre en scène son rôle dans l’apparition des Myrmidons.
Télamon (7, 647). Un des fils d’Éaque cité plus haut (7, 476).
Myrmidons (7, 654). Au sens propre, les Myrmidons étaient un peuple de Thessalie, ainsi appelés du nom de leur tout premier roi Myrmidon. Ils participent au siège de Troie, emmenés par Achille, qui était alors leur roi, et par Patrocle. Leur nom vient du grec « myrmex » qui signifie « fourmi ». Le rapport entre les Myrmidons de Thessalie et ceux d’Égine n’est pas clair, les auteurs anciens accordant la « priorité » tantôt aux uns, tantôt aux autres. On penchera pour le caractère récent de la légende mettant Éaque en rapport avec eux.
Eurus... Auster (7, 659-660). Voir 1, 61 et 1, 66. L’Eurus est généralement considéré comme un vent du sud-est et l’Auster, un vent du midi. D’après ce passage d’Ovide, Céphale serait venu d’Athènes à Égine, poussé par l’Eurus (logiquement, on aurait attendu un vent de nord-est), et retournerait poussé par un vent du sud. On pourrait déduire une fois de plus qu’Ovide n’est pas toujours géographiquement très précis, ou que les noms des vents sont interchangeables.