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En guise de transition, Ovide énumère une série de cités grecques qui compatirent à la douleur des Thébains après la mort d’Amphion et de Niobé. Athènes, prise par une guerre, ne participe pas à cette manifestation de sympathie. (6, 412-423)
Pandion, le roi d’Athènes, fait appel au Thrace Térée, fils de Mars, qui l’aide efficacement dans sa lutte contre des assaillants barbares. En guise de récompense, Pandion lui donne en mariage Procné, une de ses deux filles. Sans que personne semble s’en rendre compte, le mariage ne s’accomplit pas sous des auspices rassurants. Toutefois, en Thrace, le mariage de Térée et de Procné, ainsi que la naissance de leur fils Itys, sont célébrés comme des jours de fête. (6, 412-437)
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Les princes du voisinage se réunirent, et les villes proches
prièrent leurs rois d’aller porter (aux Thébains) leurs consolations :
Argos et Sparte, et Mycènes, ville des Pélopides,
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et Calydon, que la farouche Diane n’avait pas encore prise en haine,
et la fertile Orchomène, et Corinthe, connue pour son bronze,
et la fière Messène, Patras et la modeste Cléones,
et la Pylos de Nélée, et Trézène qui n’appartenait pas encore à Pitthée
et toutes les autres villes, enfermées par l’Isthme entre deux mers,
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et celles situées en dehors, que l’on aperçoit de l’Isthme entre deux mers.
Qui pourrait le croire ? Toi seule, Athènes, tu as brillé par ton absence.
La guerre t’empêcha d’accomplir ce devoir : des troupes barbares,
venues par la mer, jetaient l’épouvante dans les murs de Mopsopus.
Le Thrace Térée, avec le renfort de ses armes, les avait dispersées
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et cette victoire lui avait acquis un renom de célébrité.
Pandion se lia à cet homme puissant en richesses et en troupes,
et qui, par son origine, descendait par hasard du grand Gradivus. Il se l’allia
par un mariage avec Procné. Mais ni Junon, patronne des épousailles,
ni Hyménée ne sont présents, point de Grâces non plus près du lit conjugal.
Les Euménides tinrent les torches nuptiales, dérobées à un convoi funèbre,
les Euménides dressèrent le lit des époux, et sur le toit se posa
un hibou sinistre, juste au-dessus de la chambre conjugale.
Procné et Térée s’unirent avec cet oiseau pour auspice,
avec cet oiseau aussi, ils devinrent parents. Bien évidemment,
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la Thrace leur en sut gré bien sûr, et eux aussi rendirent grâce aux dieux ;
et le jour où la fille de l’illustre Pandion fut donnée au tyran,
et le jour où naquit Itys, ils les décrétèrent jours de fête.
Cinq ans plus tard, à la demande de sa femme, installée en Thrace et désireuse de revoir sa sœur Philomèle, Térée se rend à Athènes, pour faire part à Pandion du souhait de Procné. Mais, dès qu’il aperçoit Philomèle, Térée éprouve pour sa belle-sœur une passion irrépressible. Il cache ses intentions, mais est résolu à la posséder à tout prix. (6, 438-471)
Philomèle, inconsciente de l’hypocrisie de son beau-frère et des malheurs qui l’attendent, réussit à fléchir son père Pandion, pourtant réticent à se séparer, fût-ce momentanément, de sa deuxième fille. (6, 472-485)
Après un banquet de fête et une nuit qui ne fait qu’attiser la passion du Thrace, Pandion fait à sa fille des adieux émouvants. Accablé de tristesse et de sombres pressentiments, il recommande Philomèle à la loyauté de son gendre et insiste pour qu’il la renvoie très vite auprès de lui. (6, 486-510)
Les humains voient si peu leur intérêt caché ! Déjà le Titan
avait répété et dirigé le cours de l’année à travers cinq automnes,
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quand Procné, se montrant caressante, dit à son époux :
« Si j’ai quelque crédit à tes yeux, envoie-moi en visite
chez ma sœur, ou fais-la venir ici ; tu promettras à ton beau-père
qu’elle sera très vite de retour ; pour moi ce sera une sorte
de présent magnifique, si tu m’accordes de voir ma sœur ».
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Térée ordonne d’amener à flot des bateaux et, à la voile et à la rame,
il pénètre dans le port de Cécrops et aborde aux rives du Pirée.
Dès qu’il lui est donné de voir son beau-père, ils se serrent la main,
et la conversation s’engage sous les meilleurs auspices.
Térée, c’était la raison de sa venue, fit d’abord part des souhaits
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de son épouse, promettant le prompt retour de la voyageuse.
Mais voici que se présente Philomèle, riche de sa tenue d’apparat,
plus riche encore de sa beauté ; souvent on entend dire
qu’ainsi s’avancent au milieu des forêts Naïades et Dryades,
si du moins on leur prête semblables atours et semblables parures.
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Dès qu’il aperçut la jeune fille, Térée s’embrasa comme le feu
qu’on bouterait à des épis séchés, ou comme des feuilles
et des herbes posées sur un tas de foin qu’on ferait brûler.
Sans doute cette beauté avait de quoi séduire ; mais chez Térée
agit une sensualité invétérée : les gens de ces contrées sont enclins
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aux plaisirs de Vénus, et Térée brûle du vice de sa race et du sien.
Il est poussé à corrompre la vigilance des compagnes de Philomèle,
et la loyauté de sa nourrice ; il veut, avec de somptueux présents,
la séduire elle-même, y engager toutes les ressources de son royaume,
ou alors l’enlever et défendre sa captive au prix d’une guerre féroce.
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Prisonnier d’un amour effréné, il n’est rien qu’il n’ait osé,
et son cœur ne peut contenir la flamme intérieure qui le brûle.
Déjà il supporte mal l’attente et, avec une insistance avide, rappelle
le message de Procné, qu’il utilise pour réaliser ses propres vœux.
L’amour le rendait éloquent, et chaque fois que ses demandes
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dépassaient les bornes, il disait que telle était la volonté de Procné.
Il y joignait même des larmes, comme si elle avait ordonné cela aussi.
Dieux d’en haut, quelle nuit noire aveugle les cœurs des hommes !
Les efforts mêmes de Térée pour perpétrer son crime
passent pour de la piété, et son forfait lui vaut des éloges.
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Que dire de Philomèle dont le désir est le même ? Caressante, elle met
ses bras autour des épaules de son père, demande d’aller voir sa sœur :
son salut en dépend, prétend-elle, mais elle agit contre son propre salut.
Térée la contemple, la dévore par avance du regard ;
voyant ses baisers et ses bras autour du cou paternel,
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il ressent cela comme des aiguillons et des torches, aliment de sa folie ;
si elle embrasse son père, il voudrait être son père :
ce faisant, il n’en serait d’ailleurs pas moins impie.
Les deux sœurs par leurs prières fléchissent leur père : heureuse,
Philomèle lui rend grâces et l’infortunée considère comme un succès
485
pour elles deux ce qui pour toutes les deux sera un désastre.
Déjà Phébus n’avait plus qu’un petit effort à fournir,
et ses chevaux piétinaient la zone en pente de l’Olympe.
On sert sur les tables un banquet royal et, dans des vases d’or,
la liqueur de Bacchus ; puis les corps se livrent au reposant sommeil.
Mais le roi des Odryses, bien que séparé d’elle, brûle de passion
et, se rappelant son visage, ses gestes et ses mains,
au gré de son désir, il imagine ce qu’il n’a pas vu de son corps,
nourrit le feu qui le brûle, et son tourment éloigne de lui le sommeil.
Le jour était levé, et serrant la main de son gendre sur le départ,
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Pandion, les yeux pleins de larmes, lui confie sa compagne de route :
« Mon cher gendre, puisque c’est un motif pieux qui m’y a forcé,
puisque toutes deux le veulent, – tu l’as voulu toi aussi, Térée –,
je te la confie et, au nom de la bonne foi et de ce qui lie nos cœurs,
je te supplie par les dieux de protéger comme un père aimant
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celle qui est la douce consolation de ma vieillesse soucieuse,
et de me la renvoyer très vite – tout délai me semblera long.
Toi aussi, Philomèle, si tu as de la tendresse pour ton père,
reviens-moi très vite – c’est bien assez déjà que ta sœur soit loin – ! »
Il faisait ses recommandations tout en couvrant sa fille de baisers,
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et en lui donnant des conseils, il laissait tomber de douces larmes.
En gage de loyauté, il leur demanda à tous deux leur main droite,
qu’il serra ensemble, puis les pria de saluer en son nom
sa fille et son petit-fils si éloignés, pour le rappeler à leur souvenir.
D’une voix pleine de sanglots, il arriva à peine à prononcer
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son ultime adieu, effrayé par les pressentiments de son esprit.
La traversée accomplie et l’équipage ayant rejoint la terre ferme, Térée, resté seul avec Philomèle qu’il surveillait comme une proie, s’empressa de la conduire dans un endroit isolé, en pleine forêt, et abusa d’elle, malgré les appels au secours et les prières de la malheureuse. (6, 511-530)
Quand la jeune fille reprit ses esprits, elle se mit à parler, se lamentant sur son sort, souhaitant la mort, accablant son agresseur de reproches, le maudissant et, surtout, le menaçant de révéler son crime. Térée, exaspéré par les menaces de Philomèle, réduisit sa victime au silence en lui tranchant la langue ; et, malgré cela, il continua par la suite à abuser d’elle. Par ailleurs, feignant la douleur, il osa prétendre devant son épouse que Philomèle était morte ; Procné crédule prend aussitôt le deuil de sa sœur chérie. (6, 531-570).
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À peine Philomèle était-elle installée sur le vaisseau coloré,
à peine avait-on mis le navire à l’eau et repoussé la terre avec les rames,
que Térée s’écria : « Victoire ! J’emporte avec moi ce que je désirais ! »
Il exulte et, dans son esprit, ce barbare a du mal à différer son plaisir :
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en aucun moment, il ne détourne d’elle son regard.
Ainsi, lorsque l’oiseau de Jupiter, prédateur aux serres crochues,
a déposé un lièvre bien haut dans son nid, la bête captive
ne peut fuir en aucune façon, le ravisseur surveille sa proie.
Déjà la traversée était accomplie, déjà, quittant les bateaux fatigués,
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les hommes avaient regagné leurs rivages. Alors, le roi entraîna
la fille de Pandion au fond d’une étable, cachée par un bois épais,
et c’est là que la pauvre, blême, tremblante, ayant peur de tout
fondant maintenant en larmes, demandant où est sa sœur, est enfermée.
Il lui révèle alors son projet sacrilège et, lui faisant violence, il triomphe
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de cette vierge isolée qui en vain appelle sans cesse son père
et souvent aussi sa sœur, et surtout les dieux souverains.
Elle tremble, comme l’agnelle apeurée qui, blessée, s’est dégagée
de la gueule d’un loup gris, sans être encore totalement rassurée,
ou comme la colombe, aux plumes humides de son propre sang,
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qui frissonne et redoute encore les serres qui l’ont agrippée.
Bientôt, dès qu’elle reprend ses sens, elle arrache ses cheveux épars,
à la manière d’une pleureuse, se lacère les bras à force de coups
et, mains tendues, elle dit : « Barbare, coupable d’actes sauvages,
ô cruel, rien n’a pu t’émouvoir ? Ni les recommandations de mon père,
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ni ses larmes, gages de sa tendresse, ni ta considération
pour ma sœur, ni ma virginité, ni mes droits à un mariage légal ?
Tu as tout profané ; je suis devenue une rivale pour ma sœur,
toi, tu es deux fois un époux ; je dois être punie comme une ennemie !
Pourquoi donc ne m’ôtes-tu pas la vie ? Ainsi, perfide,
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il ne te resterait aucun forfait à accomplir. Que ne m’as-tu tuée
avant cet adultère abominable ! Mon ombre eut été exempte de crime.
Si pourtant les dieux voient ce qui se passe, si leur puissance
signifie quelque chose, si tout n’a pas péri avec moi,
un jour viendra où tu me rendras des comptes ! Moi-même,
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renonçant à toute pudeur, je dirai tes forfaits : si j’en ai le moyen,
j’irai devant le peuple ; si on me tient enfermée dans ces bois,
mes cris empliront ces bois et j’apitoierai les rochers, mes confidents ;
le ciel entendra mes plaintes, et quelque dieu aussi, s’il en est un là-haut !
La colère que provoquèrent de telles paroles chez le sauvage tyran
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et sa crainte, tout aussi grande, ces deux causes excitèrent sa rage.
Dégageant alors de son fourreau l’épée qu’il portait à la ceinture,
il saisit Philomèle par les cheveux, lui attache les bras derrière le dos
et de force lui impose des liens. Philomèle tendait la gorge,
car à la vue de l’épée, elle avait nourri l’espoir de mourir.
555
Mais comme, dans son indignation, sa langue continuait
d’appeler son père et cherchait à parler, il la lui serra avec une pince
et la trancha d’un brutal coup d’épée. La racine de la langue s’agite
dans la bouche, et le morceau tombé murmure et frémit sur la terre noircie ;
ainsi d’habitude la queue d’une couleuvre mutilée sursaute,
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palpite et, en mourant, cherche la trace du corps auquel elle appartient.
Même après ce crime, Térée, dit-on, – j’ose à peine le croire –,
a souvent abusé, dans sa dépravation, du corps qu’il avait mutilé.
Après de tels actes, Térée a le front de rejoindre Procné.
À la vue de son mari, elle s’enquiert de sa sœur,
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mais lui feint de gémir, invente qu’elle est morte,
et ses larmes le rendaient crédible. De ses épaules,
Procné arrache ses voiles brillants, à la large bordure d’or,
pour revêtir des habits de deuil. Puis elle fait dresser un cénotaphe,
apporte des offrandes à des mânes inexistants et déplore
570
le sort d’une sœur qui ne devrait pas être pleurée de la sorte.
N.B. Deux cartes extraites du Grosser Historischer Weltatlas. I. Vorgeschichte und Altertum, Munich, 6e éd., 1978, p. 22-23, sont disponibles en deux formats différents. Elles correspondent bien sûr à la situation après la Guerre du Péloponnèse (404 a.C.n.), mais peuvent être utiles pour le répérage de nombre de termes géographiques employés par Ovide. Elles concernent :
- l’Asie Mineure dans sa partie orientale 268 K - 1995 K
- la Grèce (Péloponnèse et Grèce continentale) 297 K - 1693 K
villes proches... (6, 412-420). Ces vers forment une transition entre l’épisode de Niobé, qui se situait essentiellement à Thèbes, et celui de Térée, Procné et Philomèle, qui prend son point de départ à Athènes, pour finir en Thrace. Ovide énumère une série de villes, majoritairement du Péloponnèse (littéralement « l’île de Pélops »), et qui ne sont pas à proprement parler proches de Thèbes. On notera le souci de variation de l’auteur, dans cette énumération érudite, bien dans le goût alexandrin.
Pélopides (6, 414). Argos, Sparte et Mycènes sont trop connues pour nécessiter un commentaire. Pour expliquer la mention des Pélopides, on rappellera qu’Agamemnon, roi de Mycènes, et son frère Ménélas, roi de Sparte, descendent d’Atrée, fils du Pélops, dont il vient d’être question (6, 403-411).
Calydon (6, 415). Ville d’Étolie, au nord du Golfe de Corinthe, célèbre par la chasse au sanglier suscité par Artémis-Diane. Cette légende est traitée par Ovide au chant 8, 260-419.
Orchomène (6, 416). Il existe une ville ainsi nommée en Arcadie, mais une autre aussi en Béotie. L’adjectif « fertile » que lui applique ici Ovide conviendrait peut-être mieux à la ville de Béotie, qui est en plaine.
Corinthe (6, 416). Réputée, au temps d’Ovide, pour ses vases de bronze, et surtout pour sa situation sur l’Isthme qui porte son nom (v. 419-420).
fière Messène (6, 417). Capitale de la Messénie, une région du Péloponnèse située à l’ouest de la Laconie et qui est célèbre dans l’histoire par les guerres qu’elle mena contre Sparte, d’où l’adjectif ferox, qui la caractérise.
Patras (6, 417). Ville et port d’Achaïe (région du nord-est du Péloponnèse).
Cleones (6, 417). Plusieurs villes grecques portent ce nom. Ovide songeait peut-être à celle qui était située dans le Péloponnèse, sur la route de Corinthe à Argos, et qui était la plus connue.
Pylos de Nélée (6, 418). Ville de Messénie, où régnait Nestor, fils de Nélée. Voir 2, 685 et 689.
Trézène (6, 418). Trézène, ville à la pointe orientale de l’Argolide, liée à la légende de Thésée.
Pitthée (6, 418). Pitthée, fils de Pélops et d’Hippodamie, fut roi de Trézène. Il sera le grand-père de Thésée, qu’il élévera à sa cour, comme il assurera aussi l’éducation d’Hippolyte. Voir également 8, 622. À l’époque de notre récit, il ne régnait pas encore à Trézène.
Isthme (6, 419-420). L’Isthme de Corinthe marque la limite entre le Péloponnèse (au sud) et la Grèce continentale (au nord), et sépare deux mers importantes (la mer Ionienne à l’est et la mer Égée à l’ouest). La cité de Corinthe se trouve encore dans le Péloponnèse. La périphrase du vers 419 désigne les villes du Péloponnèse, et celle du vers 420 les villes de la Grèce du Nord.
Athènes (6, 421). Terminant l’énumération, Athènes est présentée comme faisant exception à l’attitude générale. La transition est artificielle. Après les nombreuses légendes gravitant de façon plus ou moins lâche autour de Thèbes, Ovide veut simplement déplacer le lieu de l’action en Attique, puis en Thrace.
la guerre (6, 422). En ce qui concerne l’invasion barbare évoquée ici, Apollodore (Bib., 3, 193) parle d’une guerre contre Labdacus, un petit-fils de Cadmos, pour une question de frontière (entre Béotie et Attique). Pour sa part, Ovide parle de troupes barbares venues par la mer. On ne sait pas à quoi il veut faire allusion, mais le détail est sans importance pour la suite de l’histoire introduite ici.
Mopsopus (6, 423). Mopsopus/Mopsos est le nom d’un roi (ou héros) attique. L’expression « les murs de Mopsopus » désigne ici Athènes. Cfr un emploi analogue en 5, 660-661.
Le Thrace Térée (6, 424). Térée, fils d’Arès-Mars (6, 427), est un roi de Thrace. Sa légende, associée à celles de Philomèle et de Térée, ainsi que la métamorphose en oiseaux des trois personnages, sont traitées par Ovide de façon très élaborée. Le sujet avait notamment fait l’objet d’une tragédie perdue de Sophocle (TrGF IV, p. 435-437, fr. 583, 587 Radt), dont Ovide a sans doute pu s’inspirer. Pour apprécier l’originalité et la qualité de l’œuvre d’Ovide, il suffit de la comparer à la version transmise par Apollodore (Bibl., 3, 14, 8 [193-195]) et dont on trouvera ci-dessous la traduction :
Pandion épousa Zeusippe, la sœur de sa mère, et en eut deux filles, Procné et Philomèle, et deux fils jumeaux, Érechthée et Boutès. Quand survint la guerre contre Labdacus, pour une question de limites du territoire, Pandion appela à l’aide, Térée, le fils d’Arès, venant de Thrace ; avec son aide, il mit aisément fin à la guerre, et lui donna en mariage sa fille Procné. Ils eurent ensemble un fils, Itys. Mais Térée s’éprit de Philomèle, lui dit que Procné était morte, et il la posséda, puis la cacha à la campagne ; ensuite, il l’épousa, coucha avec elle et lui coupa la langue. Mais Philomèle tissa un message sur une pièce d’étoffe, et par ce moyen révéla à Procné son malheur. Après avoir recherché sa sœur, Procné tua son fils Itys, le fit cuire et le servit comme mets à Térée, qui ignorait tout ; puis elle s’enfuit en toute hâte avec sa sœur. Quand Térée comprit ce qui s’était passé, il s’empara d’une hache et les poursuivit. Comme celles-ci, parvenues à Daulia, en Phocide, étaient près d’être capturées, elles prièrent les dieux d’être transformées en oiseaux ; ainsi Procné devint un rossignol, Philomèle une hirondelle. Térée aussi fut métamorphosé en oiseau et devint une huppe.
Pandion (6, 426). Nom porté par plusieurs héros qui furent des rois légendaires d’Athènes. Ici, il s’agit du fils d’Érichthonios, époux de Zeuxippé, sa tante, et père de Procné et Philomèle, ainsi que des jumeaux Érechthée et Boutès. On dit qu’il mourut de chagrin suite aux malheurs de ses filles (6, 675-676).
Gradivus (6, 427). Nom réservé à Mars, chez les Romains. Ovide l’utilise couramment pour désigner Mars (ici Arès) : cfr Fastes, 2, 861 ; 3, 169 ; 3, 677 ; 5, 556, et Mét., 14, 820 et 15, 863. Térée passait pour le fils d’Arès-Mars.
Junon (6, 428). À Rome, Junon, avec précisément l’épiclèse de pronuba, était la déesse protectrice du mariage.
Hyménée (6, 429). Hyménée était chez les Grecs le dieu du mariage qu’on invoquait lors des cortèges nuptiaux (Fastes, 2, 561).
Grâces (6, 429). Les Grâces (Charites en grec), qui personnifiaient la grâce et la beauté en général, n’étaient pas spécialement liées au mariage. Ovide veut probablement insister ici sur l’absence d’éléments positifs lors des noces de Térée et Procné.
Euménides... (6, 430-432). Autre nom des Érinyes, déesses violentes, assimilées aux Furies par les Romains. On les appelle Euménides, ou « bienveillantes » par euphémisme, pour éviter leur colère. Mais ce sont des divinités redoutées, à connotation très négative. Elles interviennent souvent dans l’Énéide, par exemple 4, 469 ; 4, 610 ; 8, 701. Ces trois vers (430-432) énumèrent des éléments qui sont autant de mauvais présages, annonciateurs d’une issue tragique. Le hibou est un oiseau de mauvais augure.
parents (6, 434). Un fils leur naquit, Itys (vers 437).
Thrace (6, 435). Les deux époux, Térée et Procné, s’étaient installés en Thrace, et c’était en Thrace aussi que Itys était né.
Titan... (6, 438-439). Désigne le Soleil, fils du Titan Hypérion (cfr 1, 10-11 ; 2, 118). Tour recherché pour dire que cinq années ont passé depuis les noces de Térée et Procné.
Cécrops... Pirée (6, 446). Térée quitte la Thrace pour se rendre à Athènes, ville de Cécrops, un des rois mythiques de l’Attique. Voir par exemple 6, 70 ; 2, 555. Le Pirée est encore aujourd’hui le port d’Athènes.
Naïades et Dryades (6, 453). Nymphes des eaux et nymphes des forêts (3, 402), qui souvent courent légèrement vêtues, d’où le vers 454.
vice de sa race (6, 459-460). La réputation de « paillardise » des Thraces était toujours vivante au temps d’Ovide (G. Lafaye).
Déjà Phébus... (6, 486-487). Tournure recherchée pour signifier la tombée de la nuit : le soleil (Phébus) n’a plus qu’un petit espace à parcourir dans le ciel (l’Olympe).
Odryses (6, 490). Les Odryses sont un peuple de Thrace, aux sources de l’Hèbre. Ici synonyme de Thrace.
fille et petit-fils (6, 507-508). Procné et Itys, restés en Thrace.
vaisseau coloré (6, 511). Sur le modèle d’Homère (cfr Iliade, 2, 637 : « douze nefs aux joues vermillonnées » ; ou Odyssée, 9, 127 : « un navire aux joues de vermillon »), Virgile présente régulièrement des bateaux qui sont censés « être peints » (Én., 5, 663 ; 7, 431 ; 8, 93) ; il en est de même chez Ovide (cfr aussi 3, 639). Prise au sens strict, l’épithète homérique pourrait signifier que les flancs du bateau étaient peints en rouge, mais il est difficile de savoir ce qu’il en était dans la réalité. D’après le vieux Lexique des Antiquités Grecques de P. Paris - G. Roques, Paris, 1909, p. 268 : « on la peignait d’ordinaire [= la coque], du moins la partie au-dessus de la ligne de flottaison, en rouge, bleu ou autre couleur vive ».
repoussé la terre (6, 512). « À coup de perche, pour donner de l’élan au navire » (G. Lafaye).
la traversée était accomplie (6, 519). Le navire vient donc d’arriver en Thrace, et les équipages ont débarqué.
au fond d’une étable (6, 521). G. Lafaye signale que « près des grandes fermes, surtout dans les pays de montagne, il y avait souvent des bergeries isolées, où on envoyait les troupeaux pendant l’été. Des enceintes en pierre leur servaient de défense ».
punie comme une ennemie (6, 538). « Par ma sœur, à qui j’ai enlevé son époux » (G. Lafaye).