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Arachné, une jeune Lydienne de modeste naissance, s’est acquis, par son art de travailler la laine, une si grande réputation que Minerve en prend ombrage et décide de châtier cette rivale, qui prétend ne devoir son talent qu’à elle-même, refusant d’y reconnaître le patronage de Minerve. (6, 1-25)
Déguisée en vieille femme, Minerve conseille à la jeune fille d’implorer le pardon de la déesse. Arachné rabroue vertement la vieille et s’obstine, en suggérant un concours qui les départagerait, Minerve et elle. Quittant alors son apparence de vieille femme, la déesse accepte l’épreuve (6, 26-52). Aussitôt deux métiers sont dressés et les deux artistes se mettent à tisser. (6, 53-69)
1
La Tritonienne avait prêté l’oreille à ces récits,
approuvant les chants des Aonides et leur juste colère.
Puis intérieurement elle se dit : « Louer est peu de chose ; méritons aussi
des louanges, sans laisser impunément rabaisser notre divinité. »
Alors, elle conçut le projet de perdre Arachné de Méonie,
qui, avait-elle appris, ne recueillait pas moins d’éloges qu’elle
pour l’art de travailler la laine. Ni le lieu ni la noblesse de sa naissance
n’avaient rendu Arachné célèbre, mais bien son talent. Son père, Idmon
de Colophon, teignait des laines qui s’imbibaient de pourpre de Phocide ;
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sa mère était morte, mais sortie elle aussi du peuple, elle partageait
la condition de son époux. Cependant, dans les villes de Lydie,
Arachné s’était acquis par son zèle un nom célèbre, malgré la modestie
de sa naissance et de la cité d’Hypaepa, où elle habitait.
Pour contempler l’admirable beauté de son travail,
souvent les nymphes du Timolus désertèrent leurs vignes,
et les nymphes du Pactole désertèrent leurs ondes.
C’était pour elles un plaisir non seulement de contempler les tissus finis,
mais aussi de les voir se faire : tant l’artiste montrait d’habileté et de grâce
quand elle commençait à former de rondes pelotes de laine brute,
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ou quand elle lissait de ses doigts son ouvrage ou reprenait
en les étirant pour les assouplir les longs fils floconneux,
ou quand, d’un geste léger du pouce, elle retournait le fuseau
ou brodait à l’aiguille ; on eût dit qu’elle avait été l’élève de Pallas.
Mais elle nie le fait, offensée qu’on lui attribue une si grande maîtresse :
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« Qu’elle se mesure à moi, » dit-elle ; « je me plierai à tout si je perds ! »
Pallas se déguise en vieille femme, garnissant ses tempes
de faux cheveux blancs et soutenant d’un bâton ses membres débiles.
Alors elle se mit à parler : « Tout ce qu’apporte le grand âge
n’est pas à éviter ; l’expérience vient sur le tard, avec les années.
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Ne méprise pas mon conseil ; cherche pour ta part à devenir,
la tisseuse de laine la plus renommée parmi les mortelles ;
réfléchis, cède à la déesse, et implore d’une voix suppliante
son pardon pour tes paroles : si tu l’implores, elle pardonnera. »
Arachné regarda la vieille d’un air farouche, lâcha les fils entamés,
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et, retenant difficilement sa main, la colère se lisant sur ses traits,
elle répondit aussitôt à Pallas qu’elle n’avait pas reconnue :
« Pauvre idiote, tu arrives épuisée par une longue vieillesse,
et ton tort est d’avoir vécu trop longtemps. Que ta bru, si elle existe,
que ta fille, si tu en as une quelque part, écoutent tes paroles.
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Il me suffit de prendre conseil de moi-même, et ne va pas te figurer
m’avoir aidée de tes conseils, je reste du même avis. Pourquoi la déesse
ne vient-elle pas elle-même ? Pourquoi évite-t-elle ce concours ? »
Alors la déesse : « Elle est venue ! », et, rejetant l’apparence de la vieille,
elle apparut en Pallas. La déesse reçoit les hommages des nymphes
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et des femmes de Mygdonie ; seule la jeune fille n’est pas effrayée.
Elle rougit pourtant, et, malgré elle, cette rougeur subite
marqua son visage, puis elle s’évanouit. Ainsi l’air,
dès que s’annonce l’Aurore, se teinte d’habitude de rose,
avant de blanchir un moment plus tard, au lever du soleil.
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Arachné persiste dans son projet et, avide de cette palme insensée,
elle se rue vers sa perte ; car la fille de Jupiter ne se dérobe pas,
cesse de la mettre en garde et ne diffère plus la compétition.
Sans attendre, toutes deux en des endroits différents
dressent leurs deux métiers et y tendent des fils très fins ;
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le métier est fixé par une barre, un roseau sépare les fils de la chaîne,
entre lesquels des navettes pointues insèrent le fil de la trame,
les doigts le placent et une fois qu’il est passé entre les fils de chaîne,
les chocs du peigne aux dents découpées le tassent.
Toutes deux s’activent ; leur robe serrée sur la poitrine,
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elles meuvent leurs bras experts, et le zèle les distrait de la fatigue.
Là, on tisse de la pourpre, passée par le chaudron tyrien,
avec de légers dégradés de tons ombrés, aux nuances subtiles.
Ainsi souvent, quand une averse frappe les rayons du soleil,
un arc couvre d’une immense courbe toute l’étendue du ciel :
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mille couleurs changeantes y brillent, entre elles pourtant
le passage échappe à l’œil du spectateur, tant se ressemblent
les couleurs contiguës, mais les extrêmes sont fort différentes.
Là aussi, un souple fil d’or se mêle à la trame,
et sur le métier défilent des histoires d’antan.
Minerve représente au centre de son ouvrage la contestation célèbre qui opposa, à propos de la dénomination d’Athènes, la déesse Pallas (Athéna-Minerve) à Neptune. Minerve met en scène un tribunal de douze dieux entourant un Jupiter majestueux, qui préside le procès : d’un côté, Neptune fait jaillir avec son trident de l’eau du rocher de Cécrops ; de l’autre, Minerve se représente tout armée et faisant sortir de terre un plant d’olivier, tandis qu’une Victoire ponctue la scène. (6, 70-82)
Autour de ce sujet majeur, dans les angles de l’ouvrage, figurent quatre évocations de métamorphoses infligées à des mortels prétentieux (Rhodopé et Hémus, la reine des Pygmées, Antigoné, Cynaras) qui avaient osé se comparer à des divinités. Elle termine l’ensemble par la représentation d’un olivier, l’arbre qui lui est consacré. (6, 83-102)
Pallas représente le rocher de Mars sur la citadelle de Cécrops,
et le vieux litige qui présida à la dénomination du lieu.
Deux groupes de six dieux autour de Jupiter, sur de hauts sièges,
sont assis, pleins d’une auguste gravité ; chaque dieu est identifiable
à son apparence : la représentation de Jupiter est celle d’un roi.
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Pallas montre le dieu de la mer debout, frappant de son long trident
les durs rochers et faisant jaillir, du milieu de l’entaille dans la pierre,
de l’eau de mer : c’est son titre à revendiquer son droit sur la ville.
Quant à elle, elle se donne un bouclier et une pique à la pointe acérée,
elle se couvre la tête d’un casque et se protège la poitrine de l’égide ;
elle représente la terre frappée de la pointe de sa lance
et produisant un plant du pâle olivier, avec ses baies.
Les dieux sont admiratifs, et une Victoire complète la scène.
Toutefois, pour que la rivale qui lui dispute sa gloire comprenne
par des exemples quel prix espérer de son audace insensée,
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la déesse ajoute, en quatre endroits, quatre scènes de compétitions,
brillantes par leurs coloris, mais distinctes par des personnages réduits.
Dans un angle figurent Rhodope de Thrace et Hémus,
aujourd’hui montagnes glacées, autrefois êtres mortels,
qui s’étaient attribué les noms des dieux les plus grands.
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Un second angle traite du misérable destin de la mère Pygmée :
Junon, après l’avoir vaincue lors d’une compétition, ordonna
qu’elle devienne une grue et fasse la guerre à son propre peuple.
Pallas représenta aussi Antigoné qui avait osé rivaliser jadis
avec l’épouse du grand Jupiter, et que la reine Junon
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transforma en oiseau ; ni Ilion ni son père
Laomédon ne l’empêchèrent, devenue une blanche cigogne
couverte de plumes, de s’applaudir elle-même, en claquant du bec.
Le seul angle restant est consacré à Cinyras, privé de ses enfants :
étendu sur la pierre, en train d’embrasser les degrés d’un temple,
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constitués des membres de ses filles, il semble pleurer.
Pallas borde l’ensemble de rameaux d’olivier, symbole de paix ;
elle s’en tient là et termine son œuvre par l’arbre qui lui est consacré.
Arachné représente sur sa tapisserie des dieux qui assouvissent leurs désirs, en recourant à des métamorphoses pour abuser de leurs victimes. À tout seigneur, tout honneur, c’est à Jupiter que revient la palme : neuf aventures galantes lui sont attribuées et autant de victimes : Europe, Astérié, Léda, Antiopé, Alcmène, Danaé, Égine, Mnémosyne, Proserpine ; mais Neptune, Apollon, Liber, Saturne, eux aussi, se sont servis du même stratagème, dans des aventures moins célèbres toutefois. (6, 103-128)
103
La Méonienne représente, trompée par l’image d’un taureau,
Europe : on aurait dit un vrai taureau et de vrais flots.
105
La jeune fille avait l’air de regarder les terres qu’elle quittait,
d’appeler à grands cris ses compagnes et de redouter le contact
de l’eau qui l’assaillait, car elle relevait peureusement les pieds.
Elle représenta aussi Astérié dans les serres d’un aigle impétueux,
elle représenta Léda couchée sous les ailes d’un cygne.
Elle ajouta une scène montrant, sous les traits d’un satyre,
Jupiter engrossant de jumeaux la belle Nyctéide,
et comment il devint Amphitryon, lorsqu’il te séduisit, reine de Tirynthe,
comment il abusa, mué en or, de Danaé, mué en flamme, de l’Asopide,
en berger, de Mnémosyne, en serpent tacheté, de la fille de Déo.
115
Toi aussi, Neptune, elle te plaça, transformé en jeune taureau farouche,
sur la fille d’Éole. Sous les traits d’Énipée, tu engendres
les Aloïdes ; en bélier, tu abuses la fille de Bisaltès.
La blonde déesse, la très douce mère des fruits de la terre,
te connut cheval ; elle te connut oiseau, la mère du cheval ailé,
120
avec sa crinière de serpents, et Mélantho te connut dauphin.
Arachné rendit à tous ces personnages leur apparence propre
et celle de leurs lieux de vie. On y voit Phébus sous des traits campagnards,
revêtu tantôt d’ailes d’épervier, tantôt d’une peau de lion,
puis en berger, qui s’est joué de Issé, la fille de Macarée.
125
On voit comment Liber a trompé Érigoné avec du faux raisin,
comment Saturne, en cheval, a créé Chiron à la double nature.
La dernière partie de la toile est entourée d’une fine bordure
de fleurs mêlées à des rameaux de lierre entrelacés.
Minerve conçoit plus de dépit encore de la perfection du travail d’Arachné que de son impertinence à l’égard des dieux. Elle frappe Arachné dont elle détruit l’œuvre. Désespérée par cet outrage, Arachné se pend. Minerve apitoyée, renonce à la perdre mais la châtie en la métamorphosant en araignée. (129-145)
129
Ni Pallas ni l’envie ne pourraient rien reprendre
130
à ce travail : la blonde guerrière souffrit de cette réussite,
déchira la tapisserie qui dépeignait les crimes des dieux,
et, comme elle tenait en main une navette en bois du mont Cytore,
à trois, à quatre reprises, elle en frappa le front d’Arachné, fille d’Idmon.
La malheureuse ne supporta pas cet outrage et, hors d’elle,
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se noua un fil autour de la gorge. Elle était suspendue,
et Pallas apitoyée la souleva : « Reste vivante, scélérate,
mais toutefois pendue, et, pour t’éviter de compter sur l’avenir,
j’impose la même peine à ta race et à tes lointains descendants ! »
Après cela, en s’éloignant, elle l’aspergea de sucs extraits
140
d’une herbe d’Hécate. Aussitôt touchés par le funeste poison,
les cheveux d’Arachné tombent ainsi que son nez et ses oreilles ;
puis sa tête devient minuscule, tout son corps aussi rapetisse ;
des doigts ténus, à la place des jambes, s’attachent à ses flancs,
et son ventre forme le reste ; c’est de là qu’elle produit du fil
145
et que, devenue araignée, elle s’applique à ses toiles de jadis.
Tritonienne... (6, 1). Tritonia est un surnom de Minerve (Pallas-Athéna) (voir 2, 783).
Aonides... juste colère (6, 2). Le terme Aonides désigne les Muses, habitantes de l’Hélicon, situé en Aonie (voir 1, 313 et 5, 334), ancien nom de la Béotie. Les mots Tritonienne et Aonides reportent le lecteur en 5, 250-315, où Minerve assiste au concours de chant entre les Muses et les Piérides. L’expression « juste colère » fait allusion au fait (cfr 5, 664-668) que les Muses étaient irritées contre les Piérides, mauvaises perdantes de la compétition.
Arachné (6, 5). Le livre 6 des Métamorphoses s’ouvre avec le récit de la métamorphose d’Arachné, une simple mortelle qui ne voulut pas reconnaître la supériorité de Minerve dans l’art du travail de la laine et qui en guise de punition fut métamorphosée en araignée par la déesse. Sa légende, qui nous est essentiellement connue par ce passage, est sans doute apparue à l’époque hellénistique. Elle est d’origine étiologique, inspirée par l’art des araignées (aranea en latin, arachné, en grec) de tisser leurs toiles. – Divers rapprochements sont possibles avec le livre 5, dans lequel la déesse Minerve assiste à un concours musical entre les Muses, des déesses, et les Piérides, des mortelles (5, 250-678). Ici c’est Minerve en personne qui rivalise avec Arachné dans l’art du tissage. On trouvera une présentation et un commentaire approfondis de ces 145 vers d’Ovide dans le cours de P.-A. Deproost sur la toile.
Méonie (6, 5). Autre nom de la Lydie (3, 583 ; 4, 423 ; 6, 103), région réputée pour le travail textile, et dès lors toute désignée comme patrie d’Arachné, emblème des fileuses et des tisseuses.
Idmon de Colophon (6, 8). Idmon est un nom porté par divers personnages mythologiques. Colophon est une ville importante d’Asie Mineure, au nord d’Éphèse.
pourpre de Phocée (6, 9). Phocée est une autre ville d’Asie mineure, au nord de Smyrne. La pourpre la plus réputée est celle de Tyr en Phénicie, mais en mentionnant celle de Phocée, Ovide veut sans doute rester en Lydie.
Hypaepa (6, 13). Petite ville de Lydie, à l’est de Colophon et au sud de Sardes. Il en sera encore question en 11, 152.
Timolus (6, 15). Timolus, ou plus souvent Tmolus, est le nom d’une montagne (voir 2, 217) de Lydie.
Pactole (6, 16). Fleuve de Lydie, le Pactole, affluent de l’Hermos, baigne la ville de Sardes, et est réputé charrier de l’or. On se souviendra qu’au chant 5 aussi (5, 664), ce sont les nymphes qui, arbitres du concours, accordèrent la palme aux Muses, au détriment des Piérides.
élève de Pallas (6, 23). Minerve (Pallas) est la déesse qui préside aux arts et à l’artisanat (Fastes, 3, 815-824). En ne reconnaissant pas cette dépendance, Arachné se rend ainsi coupable de démesure (hybris).3, 815-824
vieille femme... (6, 26-33). Procédé bien connu que le déguisement d’une divinité : en 1, 213, Jupiter se transforme en un homme ; en 3, 273-278, Junon se transforme en une vieille femme. Comme, dès le début du passage (6, 5), le lecteur sait que Minerve a décidé de perdre Arachné, il doit en conclure que ce déguisement de la déesse et ses conseils apaisants n’ont d’autre but que de provoquer sa rivale et de l’enfoncer dans sa démesure.
Mygdonie (6, 45). Il existe plusieurs régions qui portent le nom de Mygdonie, on en trouve une en Phrygie (Pline, 5, 145 ; cfr aussi Mét., 2, 247), mais la Phrygie n’est pas la Lydie. Il est vrai que dans ses notations géographiques, Ovide n’est pas toujours très précis.
métiers (6, 53-54). Il ne peut être question ici de présenter dans le détail la question du tissage et des métiers à tisser. Pareil travail dépasserait notre compétence. Pour faciliter la compréhension du texte, nous dirons toutefois quelques mots du métier à tisser vertical le plus simple en usage chez les Romains, et cela, en nous inspirant du Dictionnaire des antiquités d’Anthony Rich (cfr les différents mots latins). Le bâti (tela) du métier à tisser du tisserand (textor) est formé de deux montants verticaux, et d’une traverse (iugum) qui relie leurs extrémités supérieures. De cette traverse pendent verticalement les fils de la chaîne (stamina), qui sont installés au départ et qui sont souvent tendus avec des poids (pondera). L’ensemble de ces fils verticaux constitue la chaîne. La trame, elle, est formée par les fils horizontaux (subtemina) que l’on fait passer l’un après l’autre, alternativement en dessus et en dessous des fils de chaîne. L’opération s’effectue soit avec une aiguille soit avec une navette pointue (radius ici) qui entraîne le fil de trame. Certains dispositifs facilitent ce passage. Ainsi le mot latin harundo (en français « roseau ») évoque une barre qu’on passe une fois pour toutes devant et derrière chaque fil de chaîne et qu’on fait glisser vers le bas au fur et à mesure de la progression du travail. Ce système permet de diviser en deux parties distinctes l’ensemble de la chaîne. Dernier détail : pour bien serrer l’un contre l’autre les fils de trame, on se sert d’un outil, le carde, garni de dents comme un peigne, d’où son nom latin de pecten. On trouvera ci-dessous deux illustrations susceptibles d’éclairer le texte.
La première, reprise au DAGR, s.v° textrinum, est censée représenter le métier à tisser de Circé.
La seconde est une reconstitution moderne d’un métier à tisser, présenté dans la « Maison romaine » d’Augusta Raurica (Augst, Bâle).
chaudron tyrien (6, 61). La pourpre, signe de luxe, provenait surtout de Tyr et était extraite d’un coquillage, le murex. Voir note à 6, 9 ; 6, 222.
histoires d’antan (6, 69). Les sujets traités par les deux artistes seront longuement décrits dans la suite, en recourant à ce qu’on appelle le procédé de l’ekphrasis. Ce terme de rhétorique qui désigne à l’origine n’importe quelle description s’est ensuite spécialisé pour caractériser une « description d’une œuvre d’art ». On songera à la description du bouclier d’Achille dans l’Iliade (18, 478-606) et à celle du bouclier d’Énée dans l’Énéide (8, 626-731) ; on songera aussi dans l’Énéide (1, 450-493) à la description des portes du temple de Junon à Carthage ; les exemples d’ekphrasis dans la littérature classique sont très nombreux.
rocher de Mars... (6, 70). La colline d’Arès-Mars, ou Aréopage, portait ce nom, dit la légende, parce que s’y était déroulé un procès au cours duquel les dieux avaient acquitté Arès d’un meurtre. Cette colline était voisine de l’Acropole, appelée ici citadelle de Cécrops, du nom du premier des rois mythiques d’Athènes. Sous son règne, raconte la légende, Athéna et Poséidon se seraient disputé la souveraineté de l’Attique et les autres dieux auraient décidé qu’Athènes reviendrait à qui lui offrirait ce qu’il y avait de meilleur pour elle. Poséidon frappe le sol de son trident, faisant jaillir du rocher soit un cheval, soit un lac salé, soit les deux choses. Athéna, elle, fait surgir sur l’Acropole un olivier. Les dieux (ou Cécrops) tranchent en faveur de cette dernière, qui donna donc son nom à la ville. C’était une scène bien connue que Phidias notamment avait représentée sur le fronton occidental, actuellement détruit, du Parthénon. Elle constituait évidemment un sérieux avertissement pour Arachné.
Deux groupes de six dieux (6, 72). Il n’est pas rare, dans le panthéon grec et romain, que les grands dieux soient représentés au nombre de douze. On n’entrera pas ici dans les discussions modernes sur la place exacte occupée par Jupiter : fait-il partie du groupe des douze ou faut-il le considérer comme un treizième personnage ? Elles n’ont que peu d’intérêt pour nous. Manifestement « Ovide prête aux dieux l’attitude qu’on leur voit, par exemple, sur le fronton oriental du Parthénon et sur la frise du Trésor des Siphniens, à Delphes » (J. Chamonard, Garnier, I, p. 405).
pâle olivier (6, 81). L’olivier a un feuillage argenté, gris-blanc.
Victoire (6, 82). La Victoire (en grec Nikè) apparaît pour la première fois comme divinité chez Hésiode (Théogonie, 383ss). Athéna est souvent associée à la Victoire (cfr le petit temple d’Athéna-Nikè sur l’Acropole). Dans les arts figurés, une Victoire ailée est régulièrement représentée à côté du personnage victorieux, à qui elle offre une couronne. La déesse ne pouvait pas être plus explicite.
Rhodope de Thrace et Hémus (6, 87). Hémus, fils de Borée et Orithye (6, 702ss.), avait épousé Rhodope, fille du fleuve Strymon. Régnant sur la Thrace, ils se firent rendre un culte en usurpant les noms de Zeus et Héra, et leur démesure prétentieuse (hybris) leur valut d’être métamorphosés en montagnes. Le Rhodope est également cité en 6, 589.
mère Pygmée (6, 90). Les Pygmées, déjà mentionnés par Homère, étaient un peuple de nains, qui passait pour vivre en Afrique, dans la région du Haut-Nil ou en Inde. La légende rapporte qu’une jeune fille, Oenoé (ou Gérana), très belle mais hautaine, était née chez les Pygmées et avait épousé l’un d’eux, dont elle eut un fils. Comme elle méprisait les dieux, Héra la prit en haine et la métamorphosa en grue. Oenoé voulait continuellement reprendre son fils aux Pygmées, mais ceux-ci, qui ne la reconnaissaient pas, la chassaient avec des cris et des traits. De là serait née la légende de l’hostilité systématique entre les grues et les Pygmées.
Antigoné (6, 93). Troyenne, fille de Laomédon, un roi de Troie, père de Priam. Elle se vantait d’avoir de plus beaux cheveux que Héra, qui se vengea en transformant ses cheveux en serpents et en la métamorphosant en cigogne.
ni Ilion ni son père Laomédon (6, 95-96). La célébrité de sa patrie (Troie) et de son père (Laomédon) n’empêcha pas sa métamorphose.
Cinyras (6, 98). Roi d’Assyrie, venu à Chypre, dont il fut le premier roi. Il passe pour être le père d’Adonis et le fondateur de Smyrne. D’après la légende évoquée ici, ses filles avaient osé se prétendre supérieures à Héra, qui les aurait alors transformées en degrés de marbre pour son temple. Ovide racontera ailleurs (Mét., 10, 298-502) la passion incestueuse de Cinyras pour sa fille Myrrha ou Smyrna.
olivier (6, 101). L’olivier, emblématique d’Athéna, est aussi un symbole de paix, la paix instaurée d’en haut, après que sa supériorité ait été officiellement reconnue. Le message adressé à Arachné est on ne peut plus clair.
Méonienne (6, 103). C’est Arachné, la Lydienne. On sait que Méonie est un autre nom de la Lydie (cfr note à 6, 5). – À l’œuvre très ordonnée, très classique et très explicite de la déesse Minerve va s’opposer celle de la mortelle Arachné, qui apparaît plus chargée, plus baroque, moins ordonnée, mais très explicite elle aussi, car elle rassemble une longue succession de scènes, qui toutes sont autant d’affronts aux dieux représentés dans des attitudes peu édifiantes, puisque toutes leurs métamorphoses ont pour but d’assouvir leurs passions en abusant des mortels.
Europe (6, 103-107). C’est la fille d’Agénor, roi de Sidon, enlevée par Jupiter qui avait pris la forme d’un taureau. Voir 2, 833-845.
Astérié (6, 108). Fille d’Ouranos et de Gaia, Astérié est la fille du Titan Coéos et de Phoébé et donc aussi la sœur de Léto (Latone). S’étant changée en caille pour échapper à la poursuite de Jupiter, déguisé en aigle, elle se jeta dans la mer où elle devint l’île d’Ortygie (« L’île aux Cailles »), la future Délos (voir 5, 499). Ovide est seul à mentionner cette métamorphose de Jupiter.
Léda (6, 109). Selon la forme la plus courante de sa légende, Léda, séduite par Jupiter métamorphosé en cygne, avait pondu un œuf (ou deux ?), d’où étaient sortis deux couples : Pollux et Clytemnestre, et Hélène et Castor.
Nyctéide (6, 109-110). Il s’agit d’Antiopé, fille de Nyctée, roi de Thèbes. Séduite par Jupiter déguisé en satyre, elle mit au monde les jumeaux Amphion et Zéthos, dont plusieurs éléments de la légende renvoient au récit, légendaire lui aussi, des jumeaux fondateurs de Rome, Romulus et Rémus. Cfr la n. à 6, 152.
Amphitryon (6, 112). Jupiter avait pris les traits d’Amphitryon, roi de Tirynthe, pour séduire son épouse Alcmène, qui devint ainsi la mère d’Héraclès. L’histoire est très connue.
Danaé (6, 113). Fécondée par Jupiter transformé en pluie d’or, Danaé devint la mère de Persée. Voir 4, 607-612.
Asopide (6, 113). Il s’agit d’Égine (Aigina), fille du fleuve béotien Asopos. Jupiter l’aurait rendue mère d’Éaque. Voir 7, 615-616, et Hygin, Fab., 52. En fait la transformation de Jupiter en feu n’est pas attestée ailleurs : les autres versions évoquent un aigle.
Mnémosyne (6, 114). Déesse de la Mémoire et mère des Muses, après sa rencontre avec Jupiter. Voir 5, 268 ; 5, 280, et Fastes, 4, 191-192.
fille de Déo (6, 114). Il s’agit de Perséphone (Corè-Proserpine), fille de Jupiter et Déméter (ou Cérès, parfois appelée Déo chez Ovide). Une légende, relativement bien attestée (cfr Bömer ad locum), présente Perséphone séduite par Jupiter déguisé en serpent, mais elle est moins répandue que celle du rapt de Perspéphone par Hadès (cfr par exemple 5, 359-408).
fille d’Éole (6, 116). Après les frasques de Jupiter, Arachné énumère celles de Neptune (Poséidon), dont la première victime mentionnée ici est une fille d’Éole, roi de Thessalie. Il s’agit peut-être de Canacé, connue aussi pour ses amours incestueuses avec son frère Macarée (cité en 6, 124). De l’union de cette Canacé avec Poséidon seraient nés cinq fils.
Énipée... (6, 116-117). L’Énipée est un fleuve de Thessalie (1, 559), dont Neptune emprunta les traits pour séduire Iphimédie, l’épouse d’Aloeus. Cette dernière conçut ainsi de Neptune Otus et Éphialtès, appelés les Aloïdes (ou Aloades), sortes de géants impliqués dans l’entassement du Pélion et de l’Ossa (Virg., Én., 6, 582-584).
Bisaltès (6, 117). La fille de Bisaltès de Thrace est Théophané. Poséidon, épris d’elle, l’enleva pour la soustraire à ses nombreux prétendants, et la transforma en une magnifique brebis. Lui-même, mué en bélier, s’unit à elle et ainsi naquit Chrysomallos, le fameux bélier qui transporta Phryxos et Hellè, et dont la Toison d’or devait être conquise par Jason .Voir 7, 7.
blonde déesse... (6, 118-119). Il s’agit de Cérès, déesse des moissons, qui occupe une grande place dans le livre 5, 332-661. Avec Jupiter, elle mit au monde Proserpine. Plus tard, elle se changea en jument, pour échapper aux assiduités de Neptune, qui la rattrapa après s’être métamorphosé en cheval ; de leur rencontre naquit le cheval Aréion, que monta Adraste dans la première expédition contre Thèbes.
mère du cheval ailé (6, 119-120). Méduse, à la chevelure de serpents, mère du cheval ailé Pégase, qu’elle aurait conçu de Neptune déguisé en oiseau (voir 4, 770-803 et notes, où toutefois Ovide ne mentionne pas cette métamorphose de Neptune).
Mélantho (6, 120). Fille de Deucalion. Neptune se serait présenté à elle sous l’aspect d’un dauphin et elle aurait conçu de cette rencontre un fils, Delphos, héros éponyme de Delphes.
Phébus (6, 122-124). Après Neptune, Arachné s’en prend à Phébus-Apollon, mais les transformations signalées ne sont pas toutes clairement détaillées par Ovide, ni bien connues par ailleurs.
des traits campagnards (6, 123). Allusion peut-être au long séjour (9 ans) d’Apollon chez Admète, roi de Phères en Thessalie : le dieu doit garder les troupeaux et les chevaux du roi, dont il passe pour avoir été l’amant (Plut., Numa, 4, 8). Mais plus haut, en 2, 679-684, Ovide avait évoqué un séjour d’Apollon dans le Péloponnèse (l’Élide et la Messénie) : le dieu y apparaissait dans des activités de pasteur et de joueur de flûte. On ne sait pas avec précision ce que le poète vise ici.
Issé (6, 122-124). Issé (Issa) était la fille de Macarée, fils d’Éole (note à 6, 116), qui aurait été aimée d’Apollon et qui aurait donné son nom à la ville d’Amphissa, près de Delphes. Mais cette légende non plus n’est pas bien attestée.
Liber (6, 125). Après Jupiter et Apollon, voilà le tour de Liber (Dionysos-Bacchus), le dieu du vin (voir note à 3, 520, et le texte). Viendra ensuite (6, 126) une allusion à Saturne. Visiblement Arachné veut charger le plus de dieux possible, en suivant le même fil conducteur.
Érigoné (6, 125). « Dionysos, venu en Attique avec son cortège, avait fait présent à Icarios d’une outre de vin et séduit la fille de son hôte, Érigoné » (J. Chamonard). Hygin (Fab., 130) raconte l’histoire en détail, mais ne signale pas une transformation de Dionysos en grappe, qu’Ovide est seul, semble-t-il, à évoquer.
Saturne (6, 126). Le centaure Chiron est le fils de Saturne (Cronos) et de la nymphe Philyra. Il en est aussi question en 2, 81, et surtout en 2, 630 (avec la note), ainsi que dans les Fastes, 5, 379ss.
lierre (6, 128). Arachné borde sa tapisserie avec des entrelacs de fleurs et de lierre, un des emblèmes de Dionysos, comme Minerve avait entouré la sienne de rameaux d’olivier.
Cytore (6, 132). Le mont Cytore (4, 311) était situé en Paphlagonie, au sud du Pont Euxin. Salmacis y passe dans ses cheveux un peigne du Cytore. Certains Modernes pensent que ce mont était réputé pour ses buis.
Idmon (6, 133). C’était le père d’Arachné. Voir 6, 8.
herbe d’Hécate (6, 140). C’est-à-dire une herbe magique, la déesse Hécate étant considérée comme une divinité présidant à la magie et aux enchantements. Minerve, elle, recourt assez exceptionnellement à la magie pour opérer une métamorphose.